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Suite de Cœur Sauvage Le Clan des Panthères, tome 2 Jin Rayne a bien du mal à se faire à sa nouvelle vie, qu'il est pourtant censé adorer. Au lieu d'apprécier simplement d'être le compagnon du chef de tribu Logan Church, il ne parvient pas à accepter le fait que son amant ait été hétéro avant de le rencontrer. Il a trouvé le bonheur en se livrant entièrement à Logan, mais reste terrorisé à l'idée que sa nouvelle vie puisse disparaître du jour au lendemain, malgré l'affirmation catégorique de Logan que leur relation est pour la vie. Jin veut vraiment croire Logan, mais ce souhait va être mis à rude épreuve par le chef d'une tribu rivale, mais aussi par une révélation cruciale concernant son existence même. C'est la vie de Jin et son rang dans la tribu qui seront en jeu. S'il veut survivre à cette épreuve et retrouver Logan, il lui faudra se défaire de ses craintes et accepter pleinement leur lien sacré, condition sine qua non pour qu'il puisse lui faire pleinement confiance.
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Seitenzahl: 516
Veröffentlichungsjahr: 2014
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Publié par
Dreamspinner Press
5032 Capital Cir. SW
Ste 2 PMB# 279
Tallahassee, FL 32305—7886
http://www.dreamspinnerpress.com/
Ceci est une œuvre fictive. Les noms, les personnages, les lieux et les faits décrits ne sont que le produit de l’imagination de l’auteur, ou utilisés de façon fictive. Toute ressemblance avec des personnes ayant réellement existé, vivantes ou décédées, des établissements commerciaux ou des événements ou des lieux ne serait que le fruit d’une coïncidence.
Cœur confiant
Copyright © 2010 by Mary Calmes
Titre original : Trusted Bond
Traduit de l’anglais par Guillaume Henry
Illustration de la couverture :Paul Richmond http://www.paulrichmondstudio.com
Tous droits réservés. Aucune partie de cet e—book ne peut être reproduite ou transférée d’aucune façon que ce soit ni par aucun moyen, électronique ou physique sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans les endroits où la loi le permet. Cela inclut la photocopie, les enregistrements et tout système de stockage et de retrait d’information. Pour demander une autorisation, et pour toute autre demande d’information, merci de contacter Dreamspinner Press, 5032 Capital Cir.SW, Ste 2 PMB# 279, Tallahassee, FL 32305—7886, USA
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Édité aux États—Unis d’Amérique.
Première édition
Décembre, 2010
Édition e—book en français : 978—1—61372—872—7
À mon père.
Tout le monde devrait en avoir un tel que lui.
Aset Celle qui est choisie par la reah (et uniquement par elle) pour devenir la nouvelle compagne du Semel dans l’éventualité où la reah viendrait à mourir.
Beset Ami privilégié de la reah
Khatyu Soldat du Semel
Maahes Prince d’une tribu, émissaire du Semel.
Maat Équilibre, en harmonie. Conforme aux lois
Phocal Le chef du Shu, un groupe d’élite des hommes—panthères, au service du prêtre de Chae Rophon
Reah Véritable compagne du Semel.
Semel Chef de tribu
Semel—aten Chef de tribu de la capitale des homme—panthères, Sobek.
Semel—reSemel qui a trouvé sa véritable compagne, sa reah.
Sheseran Compagne du sheseru
Sheseru (le fléau) Exécuteur de la tribu et gardien de la compagne du Semel.
Sylvan (La crosse) Sage de la tribu, il conseille le Semel.
Taurth Une yareah répudiée par un Semel parce qu’il a trouvé sa véritable compagne.
WosretReah non—appariée que le Semel—aten revendique comme concubine.
Yareah Compagne qu’un Semel se choisit, à défaut d’avoir trouvé sa véritable compagne.
TOUTLE monde a une saison préférée. La mienne, c’est l’été. Certes, notre histoire d’amour avait débuté lorsque j’étais enfant et que j’avais trois mois de vacances avec rien d’autre à faire qu’à me mettre dans des situations périlleuses, ce qui était irrésistible. Mais, en grandissant, j’ai réalisé que ces longues journées de juin, juillet et août, personne n’attendait rien de moi. Je me disais que j’aurais toujours le temps de remettre de l’ordre dans ma vie une fois l’été terminé et de me préparer pour l’école pour une nouvelle année, quoi qu’elle me réserve. L’été rendait tout possible.
Je m’arrêtai avant de traverser le parking, et levai la tête pour apprécier la chaude brise nocturne qui me caressait la peau. J’adorais l’endroit où j’habitais, Incline Village, au nord du Lac Tahoe, notamment parce qu’il n’y faisait jamais trop chaud.
Il y avait encore six mois, je n’aurais jamais cru que je me sentirais à nouveau chez moi quelque part, mais ça, c’était avant que je rencontre Logan Church. En très peu de temps, j’étais passé du statut de paria à celui de compagnon d’un Semel, un chef de tribu et par conséquent je faisais à nouveau partie d’une tribu.
Je suis né à la fois homme—panthère et reah. Si j’avais été une femme, ma vie aurait alors été pleine de sens, mais les choses étant ce qu’elles étaient, mon existence avait été des plus compliquées. Les reahs ne pouvaient être que les compagnes destinées à un Semel. Comme les Semels étaient uniquement des hommes, cela impliquait que je ne pouvais qu’être destiné à un homme. Cela n’aurait pourtant pas dû me poser de problème. Pour moi, cela coulait même de source, puisque j’avais toujours été attiré uniquement par les hommes, mais la tribu où j’avais grandi, et même ma famille, avaient vite conclu que j’étais une abomination. Me retrouvant banni à l’âge de seize ans, ma vie avait alors consisté à errer avec mon meilleur ami, Crane, sans jamais être chez moi nulle part et ce, jusqu’à ma rencontre avec Logan Church, mon compagnon.
Désormais reconnu en tant que reah, ma vie ne se limitait plus à mon meilleur ami Crane et à moi, mais tournait maintenant autour de mon compagnon, de sa famille et de ma nouvelle tribu. C’était toujours perturbant car je croulais sous les obligations, la lourdeur du protocole occupant le plus clair de mon temps. C’était effrayant et les choses avaient même empirées depuis une semaine. Je n’avais pas la moindre idée de comment je pourrais en parler à mon compagnon.
Je me laissai distraire par l’odeur des fleurs sauvages, la fraîcheur du lac et le charbon qui brûlait non loin. Je me remis à marcher à travers ce festival de senteurs. Le farniente d’été ne pouvait pas mieux porter son nom. Je ne rêvais que d’une chose : me vautrer dans un hamac et ne plus repenser à tout ce qui s’était passé au cours de cette semaine. Je fis un petit signe de la main aux membres de mon équipe, qui m’appelaient pour me souhaiter une bonne soirée. J’appréciais qu’ils aient ressenti le besoin de le faire. C’était vraiment du boulot que de diriger un restaurant, mais l’aspect humain faisait que ça en valait la peine, surtout avec une équipe comme la mienne. Lorsque mon téléphone sonna et que je vis que l’appel venait de la maison, je me demandai si je ne ferais pas mieux de ne pas répondre, mais finis tout de même par décrocher.
— Allo ?
— Jin.
Mon cœur battit la chamade et je m’arrêtai, comme paralysé, à côté de ma jeep. Le simple fait d’entendre sa voix provoquait des vagues de chaleur.
— Jin ?
— Logan… Tu es à la maison.
Ma voix tremblait.
— Tu es rentré quand ?
— Tu n’as pas l’air ravi.
Une partie de moi l’était, mais l’autre, pas du tout.
— Non, je suis content, juste un peu surpris. Tu disais que tu serais parti dix jours et ça ne fait que sept.
— Je n’ai pas le droit de revenir plus tôt ?
— Ce n’est pas ce que je veux dire.
— Donc tu es content que je sois rentré, dit—il.
Il ne semblait pas convaincu.
— Bien—sûr, repris—je rapidement, mais quand es—tu…
— À l’instant, Mikhaïl et moi nous…
Il fut distrait par quelque chose.
— Tu es où là ?
Que lui répondre ?
— Et où sont—ils tous passés ? La maison est vide. Mikhaïl et moi rentrons et il n’y a personne dans les parages. Comment est—ce possible ?
Vu que douze personnes y vivaient, enfin onze maintenant que Simone avait officiellement déménagé pour se marier, Logan était effectivement en droit de s’attendre à trouver au moins une personne à la maison à son retour de New York, après presque une semaine d’absence. Le fait qu’il n’y ait eu personne pour l’accueillir pouvait légitimement lui paraître étrange.
— J’ai envie de te voir.
Il ne l’avait pas formulé comme un ordre, même si c’était ce que cela impliquait, et ça me permit fort heureusement de l’ignorer. Ce fut un soulagement, car je n’étais absolument pas en état de le voir.
— D’accord.
— D’accord ?
— Ouais.
— Ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire que je serai à la maison d’ici deux ou trois jours mais…
— Deux ou trois jours ?
— Ouais, tu m’as dit que tu serais parti, et je me suis organisé pour ne pas être à la maison pendant ce temps, donc du coup j’ai prévu des trucs que je ne peux pas annuler comme ça.
— Pourquoi t’es—tu arrangé pour ne pas être à la maison ? Tu adores être à la maison.
Il avait raison. Ne pas avoir eu de chez moi pendant si longtemps faisait que dès que je n’étais pas au boulot, c’était généralement à la maison qu’on pouvait me trouver.
— Jin, que se passe—t—il ?
— À propos de quoi ? lui demandai—je avec légèreté.
— Qu’est—ce que tu as prévu qui est impossible à annuler ?
— Logan…
— Avec qui es—tu ?
— Avec personne, répliquai—je après m’être éclairci la voix.
— Jin, reprit—il après un long silence qui indiquait clairement qu’il avait réfléchi.
J’avais prévu d’élaborer une histoire ce soir, et là il me prenait de court. J’avais dans l’idée de lui dire que mon patron m’envoyait à Las Vegas ou un truc du genre. L’idée de mentir à mon compagnon me faisait mal, mais la vérité ne valait guère mieux.
— Jin ?
— Je suis là.
— Bon sang, qu’est—ce qui se passe ? Où sont—ils tous ? Et pourquoi diable est—ce que tu ne veux pas me voir ? Ça fait une semaine que je suis parti, je ne t’ai pas manqué ou quoi ?
Oh si, il m’avait manqué, et bien trop même. C’était d’ailleurs, de l’avis d’Abbot, justement là où se trouvait le problème.
— Jin, mon cœur.
Sa voix s’adoucit.
— Pourquoi est—ce que tu ne veux pas me voir ?
— Ce n’est pas ça… pas ça du tout, tentai—je.
Qu’étais—je censé dire ?
— Je ne veux pas que tu me voies tant que je ne suis pas beau à regarder ? me justifiai—je, et c’était vrai… du moins en partie.
— Tu es toujours beau à regarder.
C’était gentil de sa part de le penser, mais ce n’était pas toujours le cas. Surtout en ce moment. J’avais bien encaissé et avais de nombreuses blessures pas encore guéries. En tant qu’homme—panthère, je guérissais bien plus vite des coups reçus qu’une personne normale, mais j’avais vraiment beaucoup saigné et mes coupures se voyaient toujours énormément. Je n’étais vraiment pas beau à voir. J’avais raconté à tout le monde au boulot que j’avais eu un accident de voiture et, lorsque j’étais passé pour leur donner leurs plannings et payer les salaires, tous s’étaient demandé si je n’aurais pas mieux fait de rester au lit. Si je leur avais dit la vérité, c'est—à—dire que je m’étais interposé entre deux hommes—panthères, ils m’auraient pris pour un dingue.
— Tu es au boulot ?
— Oui, en fait, je suis sur le départ, répondis—je.
J’allais en effet quitter le restaurant dans les minutes qui suivaient.
— Je vais chez Eddie pour…
— Jin ! me coupa—t—il. Je… Qu’est—ce qui se passe ?
Je me tus. La conversation prenait une très mauvaise direction. Il ne pouvait pas m’ordonner de rentrer.
— Jin ?
Et merde.
— Je pensais que j’aurais plus de temps.
— Plus de temps pour quoi ?
Je ne pouvais pas lui dire que j’étais en train d’essayer de sauver la vie d’un homme.
— Jin ?
— Ça va vraiment te mettre en rogne, lui dis—je après avoir inspiré un grand coup.
— Je suis déjà en rogne, me balança—t—il. Parce que tu refuses de me parler et que tu tentes de me cacher des trucs. Alors je te le redemande, qu’est—ce qui se passe ?
— Bon, ce n’est pas de la faute d’Abbot.
— Quoi ?
— Enfin, si, mais…
— Je… Abbot George ? Le sheseru que Yuri entraîne pour la tribu de Kellen ?
À la demande de Kellen Grant, un autre Semel, chef d’une tribu d’hommes—panthères, Logan avait accepté que son sheseru, l’exécuteur de sa tribu, Yuri Kosa en forme un autre. Le sheseru de Kellen avait trouvé la mort lors d’un menthuel, un duel d’honneur et son frère était en lice pour devenir le nouveau sheseru de la tribu. Abbot George était parmi nous depuis près d’un mois quand Logan était parti assister à l’union de Simone à New York.
— Jin ?
— Désolé, tu disais ?
— Concentre—toi un peu.
Je faisais de mon mieux, mais c’était sacrément difficile. Ce qui allait se passer me préoccupait bien trop et la voix de Logan me retournait l’estomac, mais ce n’était pas complètement désagréable. Il m’avait tant manqué.
— Jin ?
Je gémis en l’entendant crier et me rappeler qu’il était le dominant de notre relation. C’était lui le Semel, le chef et j’étais son compagnon soumis. Je sentis le désir se propager dans mon entrejambe.
— C’est quoi le problème ? Dis—moi.
Sa voix profonde et chaude me ramena à la dernière fois où nous avions été au lit ensemble. Il avait voulu m’attacher et je l’avais laissé faire. Il m’avait lié avec la ceinture de sa robe de chambre en soie, qui avait fait l’affaire car nous étions tous les deux à fond dans ce fantasme.
— Jin ?
— Tu m’as manqué, lui susurrai—je.
— Et toi aussi, me répondit—il en marmonnant. Qu’est—ce qui se passe, mon amour ?
J’étais envoûté par le son de sa voix, mon corps le réclamait à cœur et à cris, si bien que je faillis perdre l’équilibre. Je repris mes esprits et m’éclaircis la gorge.
— Logan, je…
— Tu parles d’Abbot George, non ? Le gars que Yuri forme ?
Formait, ne pus—je m’empêcher de penser.
— Jin ?
— Oui, dis—je solennellement.
Logan fit une pause et sembla être frappé par un éclair de lucidité.
— Il a fait quoi ?
— C’était une erreur.
— Mais quoi ?
— Reste juste bien conscient que ce n’était qu’une erreur.
— Jin, alors aide—moi. Si tu…
— Je vais bien.
— Pourquoi tu n’irais pas bien ?
Il durcit le ton.
— Qu’est—ce que tu essaies de…
— C’était une erreur.
— Tu l’as déjà dit. Qu’est—ce qui s’est passé bordel ? Dis—moi simplement ce qui s’est passé.
La froideur du ton qu’il prit me fit frissonner.
— D’accord, j’imagine que c’est parce que tu me manquais tellement et que je suis ta reah et…
— Bon sang, c’est comme si j’étais en train de t’arracher une dent ! Arrête de tourner autour du pot et dis—moi juste ce qui s’est passé !
Il n’était pas en colère contre moi et je le savais bien, mais il était tout de même très irrité.
— Les phéromones… Euh… Je ne m’en étais même pas rendu compte que… Mais Abbot a dit que c’était comme si j’étais en chaleur.
— Abbot a dit…
Sa voix s’éteignit jusqu’à disparaître complètement.
Je toussai.
Il y eut un bruit et soudain quelqu’un appela mon nom au téléphone. C’était Mikhaïl et sa voix calme fut un vrai soulagement pour moi. Ce serait plus facile de parler au Sylvan de notre tribu, le sage, le conseiller. Il était toujours une source de réconfort et de soutien. Tout le monde se confessait à lui et je n’échappais pas à la règle.
— Salut.
Je me mis immédiatement à sourire.
— Comment s’est passé le voyage ?
Il émit un grognement viril avant de reprendre.
— Je te dirais tout sur New York quand je te verrai, mais je dois d’abord savoir ce qui s’est passé ici. Mon Semel réclame une explication, et moi aussi. Pourquoi n’es—tu pas à la maison, ma reah, et où se trouve ton sheseru ?
Je pris une minute pour réfléchir à ce que j’allais dire.
— Dis—moi simplement ce qui s’est passé.
TOUTS’ÉTAIT passé si vite. J’étais dans la cuisine à faire des spaghettis et la minute suivante, Abbot George était apparu devant moi, le sheseru que Yuri entrainait, un félin de la tribu de Selket que Kellen Grant dirigeait. Étant la reah de ma tribu, il n’aurait jamais dû être autorisé à se retrouver seul avec moi. Mais dans ma propre maison, j’étais laxiste avec les règles. Si vous étiez chez moi, je vous faisais confiance.
— Salut, lui dis—je. Comment ça se passe avec Yuri ? Tu veux toujours devenir sheseru ou préfères—tu laisser tomber ?
Ses yeux s’obscurcirent alors qu’il s’approchait de moi.
— Mon Semel, Kellen Grant, a pris pour compagne une yareah, une femme qu’il s’est lui—même choisie, et pas la reah qui lui était destinée depuis la naissance. Il n’a pas de vraie compagne, il n’a pas sa reah.
— C’est vrai, lui répondis—je, occupé à mes fourneaux. Mes spaghettis ne sont pas aussi bons que ceux de la mère de Logan, mais ils sont mangeables, tu en veux ?
Il ne répondit pas et se rapprocha plus près, se pressant tellement contre mon dos que cela en devint oppressant.
— Abbot ?
— Un véritable sheseru est censé être l’exécuteur du Semel et le protecteur de la reah, non ?
— Le sheseru fait ce que lui ordonne son Semel, rectifiai—je. Est—ce que tu pourrais…
— J’ai lu la loi. Le sheseru est le champion de la reah.
— Si la tribu en a une, le corrigeai—je. S’il n’y a pas de reah, alors…
— Un sheseru est perdu sans reah.
— Non, il est juste le protecteur de la yareah dans ce cas—là.
Je ne pouvais pas me concentrer, il m’oppressait de plus en plus.
— Est—ce que… Pourrais—tu, peut—être… Pourrais—tu reculer un peu ? lui suggérai—je, convaincu qu’il n’avait pas la moindre idée qu’il me mettait autant mal à l’aise.
— Un sheseru doit être le gardien de la reah, dit—il platement, s’approchant encore plus près.
— Stop, dis—je gentiment mais d’une voix ferme.
— Je pensais que c’était pareil, dit—il d’une voix plus basse, ses doigts effleurant mon cou. Une reah ou une yareah… Je ne pensais pas que c’était différent jusqu’à ce que je vienne ici.
— Abbot…
Deux hommes que je n’avais jamais vus de ma vie entrèrent dans la cuisine alors que je prononçais son nom.
— Qu’est—ce que vous…
— Ce n’est pas du tout la même chose. Une reah est… un miracle, et après être venu ici, avec toi, une vraie reah, je vois et sens la différence. Je dois rester ici, à tes côtés. Logan doit m’accepter et bannir Yuri.
Il avait perdu la tête, et avant que sa main puisse atteindre ma gorge, je reculai dans le peu d’espace qu’il me restait, me cognant contre le plan de travail derrière moi.
— Yuri est le sheseru de Logan et il le restera aussi longtemps que…
— Depuis que Logan est parti, c’est comme si tu étais en chaleur, murmura—t—il, et je vis que ses pupilles étaient dilatées, remarquant le frisson qui le traversait.
Je me demandai vaguement où pouvait bien être Yuri.
— Je crois qu’un sheseru doit prendre soin de sa reah de toutes les manières possibles lorsque le Semel est absent.
Il n’y avait quasiment plus de blanc dans ses prunelles, juste de grands yeux aux pupilles complètement dilatées, qui me dévisageaient. C’était un peu flippant, pour ne pas dire terrifiant. En prime, que diable voulait—il dire par 'prendre soin de sa reah, de toutes les manières possibles lorsque le Semel est absent' ?
— Je crois que tu as besoin de moi… Ton corps réclame le mien.
Comment osait—il dire ça ?
— Tu ferais mieux d’aller dans le salon et regarder la télévision, lui suggérai—je doucement, le fixant, les poils à la base de mon cou se redressant à la vue des deux autres hommes. Et emmène tes amis avec toi, à moins qu’ils ne veuillent manger quelque chose d’abord.
Je faisais de mon mieux pour garder un ton neutre et calme.
— Je n’ai jamais été attiré par un homme jusqu’à maintenant, confessa—t—il en baissant la voix, mais je n’ai jamais vu d’homme tel que toi, Jin Rayne.
Je me figeai. Non pas parce que j’avais peur. J’étais furieux. Comment osait—il traiter Logan de la sorte ? Comment osait—il violer le sanctuaire qu’était sa maison ? J’étais le compagnon du Semel, totalement intouchable, et cet homme pensait pouvoir me réclamer ? Mon compagnon était la panthère mâle la plus forte dont je ne m’étais jamais approché, et cet homme pensait qu’il pouvait usurper son rôle ? Me faire sien ? Il présumait que j’avais besoin de quelque chose de plus que mon compagnon ? C’était obscène.
— Sors de chez moi, lui ordonnai—je d’une voix dure et froide.
— Reah.
Il me coupa brusquement la parole avant de se jeter sur moi, frappant l’assiette entre mes mains comme il m’agrippait le visage et me tirait en avant. Sa bouche se colla à la mienne, sa langue força mes lèvres alors qu’il m’allongeait sur le plan de travail.
Je le poussai et me débattais, mais il était nettement plus gros et plus fort que moi, ses mains étaient partout puis je parvins enfin à me libérer de sa bouche.
— Stop ! réussis—je enfin à dire, m’efforçant de ne pas hurler tant j’étais terrifié pour lui, pour la transgression qu’il venait de commettre.
J’étais passé en l’espace de quelques secondes du stade de la colère, à craindre purement et simplement pour sa vie. J’aurais pu me transformer et lui échapper facilement, mais quiconque m’aurait aperçu aurait été en droit de se demander pourquoi diable il m’avait fallu prendre ma forme de panthère dans ma propre maison. En effet, qu’est—ce qui pourrait m’amener à prendre ma forme animale ? Pourquoi aurais—je besoin de me battre ? Et le simple fait que cette question se pose amènerait mon sheseru, Yuri Kosa, à les tuer. Il me fallait donc éviter que qui que ce soit d’autre ne nous voie ou nous entende. Ma préoccupation envers leur sécurité disparut dès que les deux autres m’attrapèrent.
Ils virèrent tout ce qui se trouvait sur la table de la cuisine et m’y jetèrent, me plaquant sur le ventre, me maintenant les bras étendus. Les inconnus me tenaient fermement les poignets pendant qu’Abbot se frottait à mon arrière—train et commençait à défaire ma ceinture. J’avais d’abord cru qu’ils n’étaient que trois, mais il s’avérait qu’ils étaient quatre, je m’en rendais bien compte maintenant.
Je n’avais plus le choix. Je me transformai, coulant entre leurs doigts, tel du liquide, passant d’homme à panthère en un clin d’œil. Leurs cris de surprise envahirent la pièce alors que je me laissais rouler sur le sol pour me débarrasser de mon tee—shirt et de mon jean, me libérant en quelques secondes. C’était une aubaine que d’être pieds nus. Si je n’avais pas remarqué que le profond respect qu’Abbot me portait s’était mué en obsession ; lui, de son côté, n’avait pas cru que je puisse être aussi rapide. Tout se déroula tellement vite, que j’étais déjà à l’autre bout de la pièce avant qu’aucun d’eux n’ait pu me localiser du regard.
— Reah, Abbot expirait bruyamment alors qu’il déchirait frénétiquement ses vêtements pour pouvoir lui aussi se transformer en panthère.
— Allons—y, lui hurla l’un des hommes alors qu’un autre se précipitait vers la porte arrière.
C’était ma vitesse qui les excitait. C’était flippant de voir quelqu’un se transformer aussi vite.
— Abbot !
Il était en pleine transformation.
— Tu as dit qu’il serait d’accord ! Tu n’as jamais dit qu’il se battrait contre toi ! lui cria l’un des inconnus en quittant la cuisine, abandonnant du même coup ses amis.
Il fuit sans demander son reste par la porte arrière et disparut dans la nuit.
— Jin, où … es—tu...
L’arrivée surprise de Yuri dans la cuisine ne me laissa pas d’autre choix que de me précipiter vers lui pour le protéger de l’attaque qu’il lui était impossible de voir venir.
Même si j’étais deux fois plus loin que l’autre félin, je parvins à le rejoindre et à le plaquer au sol avant qu’il ne puisse planter ses crocs et ses griffes dans le torse de mon sheseru. Toutefois, à me concentrer sur ma propre vitesse, je n’avais pas prêté attention à la sienne. Lorsqu’il se retourna rapidement et enfonça ses griffes dans mes côtes, j’eus l’impression de m’être pris à la fois un coup de poing et un coup de couteau.
Je sentis mes côtes chauffer et comme j’étais momentanément dans les vapes, le coup de tête qu’il me mit par la suite me fit retomber au sol. Des griffes tranchantes comme des rasoirs me déchirèrent les flancs et je compris que tout ce sang était le mien. J’entendis Yuri rugir furieusement, le vis faire tomber sur moi ses vêtements en lambeaux, se transformant à son tour.
J’étais au beau milieu de leur combat, et j’avais perdu pas mal de sang, ce qui me rendait moins puissant et moins rapide qu’à l’accoutumée. J’étais complètement affaibli, vautré entre ces deux puissantes panthères tel un jouet impuissant, poussé et écrasé à tout bout de champs. Il me fallut un moment pour réunir suffisamment de force pour pouvoir enfin me mettre à l’abri.
Les voir tous les deux s’attaquer l’un l’autre avec autant de sauvagerie me fit comprendre qu’ils se battaient à mort, à moins que je ne m’interpose pour les séparer. Je m’apprêtais à bondir entre eux quand de grosses mains m’agrippèrent la nuque avant que je puisse me lancer.
— Attends, dit Crane au—dessus de moi.
La voix de mon meilleur ami était sévère alors qu’il s’agenouillait à mes côtés.
— Tu saignes beaucoup. Je pense que tu es sérieusement touché. Retransforme—toi que je puisse mieux regarder.
Mais on manquait de temps.
— Laisse—le faire, imbécile, avant que Yuri ne tue Abbot !
Crane se releva d’un mouvement fluide, et Markel, un autre homme—panthère et son rival pour l’affection de Delphine, la sœur de Logan, apparut à ma droite.
— Jin est le seul qui soit assez rapide pour pouvoir s’interposer sans se faire blesser.
— Il est déjà blessé ! rugit Crane, et franchement, je m’en contrefous si Abbot meurt, il est déjà mort de toute façon.
— Mais putain, de quoi tu parles ? cria Markel, poussant violemment Crane, me libérant de ses mains. Nous sommes tous responsables de sa sécurité aussi longtemps qu’il est ici. Tu crois vraiment que son Semel trouvera normal qu’il ait été blessé dans sa propre maison ? Réfléchis un peu !
Crane se jeta sur Markel sans lui répondre et tous deux finirent par terre à se donner des coups de pied et de poing. En les voyant déchirer leurs vêtements, je me retransformai et leur criai d’arrêter et de venir m’aider. Ou du moins c’était ce que j’avais tenté de faire, car je ne pus émettre qu’un son ridicule. Il me fallut m’appuyer sur un meuble pour pouvoir enfin tenir debout sans retomber à genoux. Je tournai la tête et pus voir Crane et Markel, en tant que panthères, se jeter l’un sur l’autre dans un déluge de crocs et de griffes, tous deux fous de rage. Si Crane ne s’était soucié que de moi au début, il voyait maintenant, à l’évidence, une opportunité de se débarrasser de son rival. Et il ne comptait pas laisser passer sa chance. Son instinct animal le lui réclamait. Regardant en direction de Yuri, qui était attaqué par Abbot et une autre panthère, j’aperçus quelque chose que mon sheseru ne pouvait pas voir.
Revenant à ma forme de panthère, je me précipitai à l’autre bout de la pièce et me ruai sur Yuri, le planquant au sol, sous moi, pour le protéger de l’attaque d’une troisième panthère. Je sentis des crocs plonger à l’arrière de mon cou pendant que des griffes me déchiraient de nouveau les côtes. Une douleur fulgurante traversa tout mon corps alors que nous tombions du dos de Yuri. Les crocs d’Abbot ratèrent ma jugulaire de quelques millimètres et grâce à l’intervention musclée de Yuri, il ne put lancer de deuxième attaque. Yuri était là, à me protéger d’Abbot, mais l’autre panthère avait toujours ses griffes plantées dans mon dos. La douleur était comme une décharge électrique me traversant continuellement, de plus en plus forte. La morsure à l’épaule qui vint ensuite, d’un coup sec et violent, me fit hurler de douleur.
Je frissonnai de tout mon être et ma tête s’écrasa violemment sur le sol. Tout se mit à tournoyer autour de moi, puis soudain, le poids sur mon dos ne fut plus là. En relevant la tête, je vis un homme tomber à côté de moi, la gorge tranchée. Il s’était retransformé très rapidement au moment de sa mort, ce qui était toujours le cas lors d’un décès.
Soudain, je me retrouvai avec Yuri sur moi, sa fourrure dorée souillée de sang. Je compris tout de suite que c’était lui qui m’avait sauvé, mais je fus du même coup pris de panique. Où était Abbot ? Et l’autre panthère ? L’une d’elle s’était enfuie avant même que la situation ne dégénère et une autre était morte. Cela voulait dire qu’il restait Abbot et une autre. Lorsque Yuri se redressa, je vis la réponse à ma question. Ils se préparaient à bondir à travers les portes battantes de la cuisine pour attaquer Yuri alors même que Crane balançait Markel à travers la baie vitrée que Logan avait fait installer moins d’un mois auparavant. Ils continuaient à se battre, l’un contre l’autre, malgré le fait que je sois en situation périlleuse. Ils auraient dû me venir en aide à tout moment, mais ne s’étaient aperçus de rien. En prime, ils étaient même parvenus à briser quelque chose auquel Logan Church tenait tout particulièrement. Il avait aménagé un coin de la cuisine juste pour lui et moi, pour que nous puissions être tranquilles, un refuge où prendre notre petit déjeuner ensemble tout en contemplant le paysage. Les efforts qu’il y avait mis faisaient que je chérissais ce nid d’amour, et maintenant, c’était en miettes.
Une fois la menace écartée, je me retrouvai seul, nu et tremblant de douleur, tentant désespérément de me relever. À cet instant, je me mis à avoir vraiment peur, je saignais abondamment et ma température corporelle chutait à toute vitesse. Durant ces quelques secondes, je crus vraiment que j’allais mourir.
— ATTENDS, M’ARRÊTA Mikhaïl, me ramenant à la réalité.
Je ne savais pas à partir de quel moment j’avais commencé à parler et que le souvenir des évènements s’était transformé en un long monologue, mais d’après l’intervention de Mikhaïl, je compris que j’en avais bien trop dit.
— Que je sois sûr de bien comprendre, reprit—il d’un ton parfaitement froid qui était inhabituel chez lui. Tu t’es fait attaquer, chez toi, par des panthères de la tribu de Selket.
— Quatre au début, trois à la fin mais… Oui c’est ça, soupirai—je.
— Kellen est—il au courant ?
— Je ne sais pas.
— Comment peux—tu ne pas le savoir ?
— J’ai laissé le père de Logan s’en charger.
— Pourquoi ? C’est toi notre reah.
Que pouvais—je dire ?
— J’avais… Besoin de me reposer.
— Te reposer, répéta—t—il dubitatif. Toi ?
— Ben, oui.
— Tu guéris plus vite que n’importe quelle autre panthère que je connaisse.
— C’est vrai.
Je me raclai la gorge, sans vouloir trop entrer dans les détails avec lui.
— Est—il mort ?
— Qui ?
— Abbot, bien sûr.
— Non.
— Où est—il ?
— Probablement avec Avery.
— Avery ? Avery Cadim ? Le sheseru de Christophe ?
— Oui.
— Pourquoi ? Qu’est—ce que la tribu de Pakhet vient faire dans cette histoire ?
— Crane dit qu’Abbot et l’autre type — je ne connais pas son nom — ont demandé refuge auprès d’Avery à Reno et ont demandé asile jusqu’à ce que leur Semel arrive. Je ne sais pas où est le troisième encore en vie, il a disparu avant que tout ça n’arrive.
— Attends, Kellen Grant va venir ici ?
— Oui.
— Quand ?
— Je n’en sais rien.
— Que veux—tu dire par tu ne… ?
Il s’arrêta brusquement, et j’en connaissais la raison : il ne voulait pas me crier dessus.
— Où est Yuri ?
— Je l’ai envoyé dans les montagnes pour chasser avec Ivan et l’autre khatyu.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne voulais pas qu’il lance une petite partie de chasse sur les terres de Christophe.
— Cela aurait été son droit en tant que sheseru de sa tribu de chasser et de tuer l’homme qui avait osé poser ses mains sur…
— Je ne veux pas de ça.
— Je m’en moque. La vie d’Abbot appartient à Logan maintenant, Jin, tu…
Nous entendîmes tous les deux le rugissement en même temps. Sans avoir besoin d’explication, je savais que Logan venait d’entrer dans la cuisine et avait découvert l’étendue des dégâts.
— Mikhaïl, soupirai—je en montant dans la jeep et en démarrant, dis juste à Logan que je l’appellerai dans la matinée et que…
— Jin… Attends…
Je savais qu’il valait mieux ne pas attendre. Je raccrochai. Si Logan m’avait ordonné de rentrer à la maison, de me présenter devant lui en tant que Semel de ma tribu, je n’aurais pas eu d’autre choix que d’obéir. J’étais sa reah, son compagnon et ses paroles avaient force de loi. Sa domination sur moi, sur nous tous, était absolue. Mais si je ne lui parlais pas, alors je n’aurais pas à faire ce qu’il me disait. C’était lâche, mais ça fonctionnerait.
Il y avait six mois, mon monde avait été complètement retourné lorsque j’avais rencontré le chef de la tribu de Mafdet, Logan Church. Les panthères ou chats ne s’accouplaient pas pour la vie, à l’exception du chef de la tribu et seulement si ou quand ils trouvaient leur compagnon. Leur véritable âme—sœur. Leur reah.
La chance qu’un Semel trouve sa reah était très faible, si infime en fait, qu’il devait y avoir à peu près une chance sur un million pour qu’il parvienne ne serait—ce qu’à en voir une un jour. Pas une seule seconde je n’aurais cru, lors de mon premier voyage dans les montagnes au—dessus de mon lieu de travail de King Beach, alors que me rendais à la résidence de Logan à Incline Village, qu’à la seconde où je verrais l’homme, mon cœur serait à lui. Il s’était avéré que tout ce que j’avais cru concernant l’amour, l’engagement mutuel et l’idée d’appartenir à quelqu’un était faux. Être amoureux vous rendait plus fort, et non faible et appartenir à un homme me donnait l’impression que je pouvais voler. Il y avait tout de même des problèmes, des différences qui avaient besoin d’être aplanies, ainsi que certains problèmes provenant des personnes qui m’entouraient.
J’avais aussi besoin de temps pour comprendre ce qui se passait avec le triangle amoureux de la maison. Delphine, la sœur de Logan semblait totalement incapable de choisir entre mon meilleur ami, Crane Adams, et l’ancien sheseru de la tribu de Menhit, Markel Kovac. Elle devait décider de qui elle accepterait les avances, pour sortir avec lui et éventuellement, s’ils tombaient amoureux, de s’unir à lui. Les choses ne pouvaient, à l’évidence, pas continuer telles qu’elles étaient. Ma maison n’y survivrait pas. Déjà que la baie vitrée de ma cuisine avait été détruite ; je n’osais imaginer ce que ce serait la prochaine fois.
Personnellement, je ne parvenais pas à comprendre sa réticence à dire à Markel qu’elle avait déjà choisi Crane. Il n’y avait aucune comparaison possible entre les deux hommes. Markel était plutôt sombre, froid et assez rude, alors que Crane était tout le contraire, chaleureux, aimant et gentil. Crane était le genre d’homme qui réchauffe l’ambiance rien qu’en entrant dans la pièce. Le fait qu’il soit carrément beau gosse n’enlevait rien à son charme, bien—sûr. Markel, plus petit que lui, et moins baraqué, était plus fin. Je ne lui trouvais vraiment rien du tout, mais apparemment Delphine n’était pas de mon avis. Cela dit, je n’avais jamais vraiment pris la peine de le regarder.
Alors que je conduisais vers l’appart de mon ami Eddie, mon téléphone sonna et je reconnus le numéro de Crane sur l’écran. Je me dis qu’il fallait vraiment que je mette une sonnerie différente pour chacun afin de ne pas être obligé de vérifier à chaque fois qui m’appelait, mais vu que c’était complètement en queue de liste des choses à faire, il était clair que ça allait passer à la trappe.
— Salut, lui dis—je, mal à l’aise, irritable au possible, n’ayant envie que de voir Logan pour qu’il me prenne dans ses bras. Je suis bien content que tu m’appelles enfin, tu es où là ?
— Tu as l’air contrarié, dit—il en ignorant complètement ma question.
— Où es—tu ? lui demandai—je à nouveau.
— Mais, à la maison, m’asséna—t—il comme si c’était une évidence. Et toi par contre tu n’y es pas.
Je ne pus retenir un rire sarcastique.
— Et c’est précisément aujourd’hui que tu as choisi de pointer ton nez à la maison ?
— Merde.
— C’est quand même amusant, grognai—je, le choix d’un tel timing.
— Je comprends ce que tu veux dire mais…
— Tu es parti et tu m’as ignoré toute la semaine et…
— Je ne t’ignorais pas ! Je… Je me suis vraiment senti comme le dernier des crétins. Je suis censé être ton meilleur ami, et plus encore, ton homme de confiance, ton Beset. Et au moment d’assurer ta protection, est—ce que je t’ai protégé ? Est—ce que je m’en suis soucié ? Putain, non ! La seule chose qui m’intéressait était de tuer Markel. Tu aurais pu perdre tout ton sang sur le carrelage de la cuisine et je ne m’en serais même pas aperçu. Je n’ai même pas jeté un coup d’œil pour vérifier comment ça se passait pour toi. Si Yuri n’avait pas été là… Et si Russ n’était pas resté à la maison pour te nourrir, te réhydrater et…
— C’est bon, le coupai—je directement. Tout ça m’est égal, je veux simplement que tu reviennes.
— Et ton vœux est exaucé, me lança—t—il plein de sarcasmes. Je suis à la maison, moi. Bon sang, où es—tu ?
— En tout cas, tu as bien choisi ton jour pour rentrer, lui dis—je d’un air amusé.
— Sans blague !
Il avait l’air tellement mal que je ne pus m’empêcher d’éclater de rire.
— Bon sang, Jin, je m’en veux tellement.
Sa voix était éraillée.
— Je sais bien, mais pour le moment, ce dont j’ai vraiment besoin, c’est que tu prennes sur toi et que tu me soutiennes de toute ton amitié. Ça ne m’aide pas du tout de t’entendre geindre comme un gamin.
— Je…
— Si tu pouvais être plus mâle, ce serait bien.
— Oh, va te faire voir !
— Ça s’arrange, dis—je en pouffant de rire.
Il s’ensuivit un silence des plus agréables, de ceux qu’on ne peut partager qu’avec son meilleur ami, durant lesquels aucun des deux n’a à se préoccuper de reprendre la parole.
— Bon, et alors ? soupira—t—il après quelques minutes. Tu es en chemin ?
— Quoi ?
— Ne me fais pas de le coup de celui qui ne comprend pas, me lança—t—il sans ménagement. Dis—moi juste que tu es presque arrivé. C’est bien le cas, non ?
— Non, pas du tout en fait.
— Mais pourquoi ?
— J’ai mes raisons.
Il y eut un nouveau silence, plus long cette fois.
— C’est quoi ton problème ? me demanda—t—il avec une certaine méfiance.
Ayant grandi avec moi, il me connaissait mieux que quiconque et pouvait donc déceler les différentes nuances de ma voix ainsi que ce qu’elles pouvaient sous—entendre.
— Qu’est—ce qui ne va pas ?
— Logan est à la maison.
— Ouais, je le sais déjà, soupira—t—il.
— Il a trois jours d’avance.
— Et il est dans tous ses états. Je viens juste d’arriver, Delphine et Markel étaient juste derrière moi. À peine ai—je mis le pied dans la maison qu’il me tombait dessus. Mikhaïl est en train de s’en prendre à Markel en ce moment même.
— Et Russ est revenu ?
— Revenu d’où ?
Il avait du mal à me suivre.
— Pas grave.
— Russ est allé quelque part ?
— À Los Angeles, lui répondis—je.
— Pour faire quoi ?
— Il avait un entretien pour un boulot.
— Et quand…
— Est—ce que Domin est là ? le coupai—je.
— Ouais, où qu’il était, il est à la maison maintenant.
Je soupirai de soulagement. C’était ma seconde préoccupation, ce qui se passait entre le maahes de la tribu et le jeune frère de Logan Church, Koren.
Domin était rentré de New York trois mois plus tôt, alors que Koren avait fait le choix d’y rester pour chaperonner Simone, qui allait se marier, jusqu’à la cérémonie. Comme il n’avait jamais été particulièrement fan de Simone, ça m’avait vraiment surpris qu’il propose de le faire. J’avais interrogé Domin à son retour, juste avant qu’il ne parte retrouver des amis à Vegas, et il m’avait avoué que Koren et lui avaient besoin d’un peu de temps chacun de leur côté. Il avait refusé de m’en dire plus, de me dire pourquoi ils jugeaient nécessaire de se séparer, mais j’imaginais bien qu’étant donné le manque de patience dont faisait habituellement preuve Domin, il avait posé un ultimatum, et que Koren n’y cédant pas dans la seconde, il en avait tiré des conclusions hâtives. J’étais certain qu’il n’avait même pas laissé à Koren le bénéfice du doute, décidant immédiatement du reste de sa vie en se basant sur ce qui n’était sans doute rien d’autre qu’un temps de réflexion qu’avait légitimement pris Koren. Il avait interprété ça comme un refus alors que ça n’en était absolument pas un. J’avais tenté de le retenir pour qu’on puisse en discuter, mais il n’y avait pas eu moyen.
— Jin…
— Désolé, je pensais à Domin. Comment va—t—il ?
— Il va bien… Il est juste égal à lui—même. Mais, où es—tu ?
— Logan va être dingue quand il verra la baie vitrée, dis—je pour changer une nouvelle fois de sujet.
— C’est encore pire que ça. Il exige que Markel et moi, nous payons un artisan pour venir tout réparer.
— Et c’est plutôt logique, lui fis—je remarquer.
— Jin, elle était sur mesure, ta baie vitrée.
— Oui, je sais bien.
— Peu importe, reprit—il d’un ton agacé, tu es où là ?
— Je suis en route pour aller chez Eddie.
— Eddie, répéta—t—il, Eddie…. Tu veux dire Eddie de l’auberge Lakehouse ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Parce que si Logan me voit dans cet état…
— Dans quel état ?
Je me tus un instant. J’avais oublié qu’il ne m’avait pas vu non plus, parce que je ne l’avais pas laissé faire. Cela datait de sept jours et nous n’avions parlé que très brièvement, chacun d’un côté de la porte de la salle de bain, puisque j’avais catégoriquement refusé de lui ouvrir.
— Jin ?
— Je suis légèrement amoché, soupirai—je.
— Qu’est—ce que tu veux dire par là ? demanda—t—il en bâillant.
Je balançai ma tête de droite à gauche, essayant de trouver comment je pourrais formuler ça.
— Je suis peut—être un petit peu plus blessé que ce je t’ai avoué lundi.
— C'est—à—dire ?
— Laisse tomber.
— Jin.
Sa voix prit soudain un air bien plus préoccupé.
— À quel point, es—tu blessé ?
Seul un petit son sortit du fond de ma gorge.
— Jin.
Il avait baissé d’un ton.
— Mais je vais bien.
— Merde, je savais bien que j’aurais dû te forcer à sortir de la salle de bain et à me montrer.
— Tu n’es pas ma mère.
— Non, je vaux nettement mieux qu’elle, me balança—t—il.
Et en effet, cela ne faisait aucun doute. Ma mère m’avait renié lorsqu’elle avait découvert mon homosexualité. Ce n’était pas le cas de mon meilleur ami.
— Je vais bien, vraiment.
— Mais j’ai dit à Russ de m’appeler si…
— Russ s’est retrouvé obligé de partir pour Los Angeles, lui expliquai—je.
Le futur du plus jeune frère de Logan me préoccupait tout autant que les amours de Koren. Les deux frères de Logan étaient tellement importants à mes yeux.
— Mais, il était censé s’assurer que tu te nourrisses bien et…
— Non, le corrigeai—.je avec un sourire en tournant dans une autre rue. Ça c’est mon rôle et celui de Yuri.
— Attends là, Ivan et Yuri sont partis chasser. Ivan est revenu juste avant notre arrivée, à Delphine et à moi, et il nous a dit que Yuri ne reviendrait pas avant ce… ce soir. Oh, bon sang...
Il expira un grand coup.
— Mais ça va, vraiment.
— Oh, merde…
Je grommelai en me garant dans le parking.
— Alors mettons les choses au point, tu as envoyé Russ on ne sait où…
— Je ne l’ai pas envoyé n’importe où, il fallait qu’il aille à Los Angeles pour un entretien. Je te l’ai déjà dit. Arrête ton cinéma.
— Jin !
Je sentis l’exaspération monter en moi.
— Putain, Jin, tu as fait exprès de l’éloigner !
— Et alors ?
— Tu as envoyé Yuri chasser sur les terres avec Ivan et les autres, tu m’as envoyé vers Delphine, tu as dit à Markel d’accompagner Peter pour aller parler à Christophe. Le père de Logan et Domin n’étaient pas dans le coin et Logan non plus. Quant à Mikhaïl et Koren, ils étaient à la cérémonie de mariage de Simone… Alors qui a pris soin de toi pendant tout ce temps ? Eva ?
— Non, lui répondis—je calmement.
Et pour cause, la mère de Logan était à Pittsburgh chez sa sœur.
— Bordel, souffla—t—il, Jin, tu… Tu n’es quand même pas allé bosser ?
— Non, j’y suis seulement passé ce soir pour voir comment ça se passait. J’ai appelé Ray pour lui dire que j’avais eu un accident de voiture.
Sa respiration se fit plus haletante.
— Tu… Bon sang, Jin…
— Il ne s’attend pas à ce que je reprenne avant un mois, vu que j’avais déjà posé des jours de congés pour accompagner Logan aux festivités et…
— Jin !
— Ils m’ont tous cru, dis—je en souriant. Owen a même dit qu’on avait l’impression qu’un bus m’était passé dessus.
— Bon Dieu, Jin, dit—il en soupirant d’exaspération. Est—ce que Yuri est conscient de t’avoir laissé seul ?
— Non, dis—je en descendant de la voiture et en la fermant avant de me diriger vers les escaliers de l’autre côté du parking. En fait, j’ai dit à Yuri que tu t’occupais de moi.
— Oui, mais…
— À toi, je t’ai dit que Russ s’occuperait de moi, et j’ai dit à Russ que c’était Markel, et à Markel que c’était Delphine.
— Et merde, Jin. Tu ne pouvais pas t’empêcher de jouer les martyrs non ?
— Mais non, tu n’y es pas du tout. Je voulais juste que tout le monde se calme un peu, que l’on ne soit pas tous les uns sur les autres. C’est ce qui m’a paru le mieux.
— Mais pourquoi mentir à Russ ?
— Parce que ça fait un bout de temps que Russ avait prévu de se rendre à cette session de recrutement à Los Angeles et s’il avait su la vérité, il serait resté s’occuper de moi. Je ne voulais pas qu’il rate sa chance.
— Bon sang.
— Il fallait qu’il y aille. C’est un boulot qu’il veut vraiment, alors je m’en serais voulu qu’il le rate.
— Jin, tu vas… tu peux…
— Si Logan me voit comme ça, il deviendra fou à lier, se fichera des lois et n’hésitera pas à violer les terres de Christophe pour pourchasser Abbot. Je refuse d’être la cause d’une guerre qui n’a aucune raison d’être entre nos deux tribus.
— Aucune raison d’être ? Christophe est tout de même responsable de…
— Christophe était à New York avec Logan pour le mariage de Simone. Il n’avait pas la moindre idée de ce que son sheseru faisait ou pas pendant ce temps—là. Avery n’a rien fait de plus que d’offrir l’asile à deux panthères. Lorsqu’il l’a fait, il ne connaissait pas la raison de leur fuite. Maintenant que Christophe est rentré, dès qu’il discutera avec Avery, il prendra sans nul doute la décision de les livrer à Logan. Je veux au moins qu’il ait l’opportunité de faire ce choix.
— Mais de quoi parles—tu là ?
— Si Logan envahit les terres de Christophe…
— Non, je sais, il serait en tort, même s’il n’a rien fait de mal.
— Tout à fait.
— Mais…
— Peu importe ce qu’Avery a fait, Logan et Yuri doivent rester hors des terres de Christophe.
— Tu es la reah de ton Semel, et tu as été attaqué. Je crois que tu ne saisis pas le…
— Mais ça va. J’ai juste été bien secoué.
— Ce n’est pas parce que tu y as survécu que ça rend leur crime moins grave, opina—t—il en me criant dessus. Tous, Kellen, Avery, Abbot… Ça les arrange bien de faire comme si tu n’étais pas la reah de ta tribu. Les lois sont très claires, Logan a le droit de tous les tuer !
— Tu devrais revoir les lois je pense. Seul le Semel d’une tribu paie pour le crime d’une de ses panthères, à moins qu’un assassinat ou un viol ait vraiment été commis, et c’est uniquement dans ces cas—là que la panthère qui s’en est rendue coupable peut être punie ou même tuée.
— Jin !
— Crane, lui dis—je en tentant de le tranquilliser, Abbot était juste…
— Attend, me demanda—t—il d’un coup.
Mais j’étais bien trop malin pour ça. Je pris soin de raccrocher avant que Logan n’ait le temps d’attraper le téléphone et de m’ordonner de rentrer. Je m’activai soudain, réalisant que puisque j’avais dit à Crane exactement où je me trouvais — et que je n’avais aucune envie de lui parler en personne — il fallait que je fonce dans l’appart d’Eddie pour récupérer mes vêtements et le peu que j’avais laissé dans la salle de bain.
De retour dans ma Jeep, je pris la décision de passer la nuit dans un motel que je connaissais à Truckee. Je fis un arrêt pour acheter de l’eau, car j’étais encore en convalescence et mon corps avait besoin de beaucoup se réhydrater. En quittant le magasin, je me retrouvai nez—à—nez avec deux des khatyu de Yuri, ses combattants, Isaac et Dimitry.
— Oh, reah, me salua Isaac avec respect, les yeux tout écarquillés.
— Reah.
Dimitry me sourit, l’air mal à l’aise.
— Quel plaisir de vous voir.
Et merde.
— Et le plaisir est mutuel, dis—je rapidement, les contournant pour rejoindre ma Jeep.
— Reah !
Je me retournai et découvris qu’un des hommes de Yuri, Artem Varda, s’approchait de moi à grands pas. C’était un homme grand et bien bâti, avec des cheveux brun foncé et des yeux plus sombres encore. Il secondait Yuri, et prenait son rôle de premier assistant du sheseru très au sérieux. Alors qu’il s’approchait de moi, je me fis la remarque que les poils sur son visage lui allait bien mieux que d’habitude. La manière dont il avait taillé son bouc et sa moustache me plaisait et allaient de pair avec ses cheveux ondulés qui tombaient sur ses larges épaules.
Je restai immobile alors qu’il s’approchait de moi. Il n’y avait personne d’autre sur le parking, sans quoi il n’aurait jamais pris la liberté de m’appeler par mon titre, mais aurait utilisé mon nom.
— Oh, reah, dit Artem avec révérence, se plaçant face à moi et prenant sa respiration pour mieux sentir mon odeur. Est—ce que tu es blessé ?
— Non, tout va bien, mentis—je sans honte, le contournant.
Il me barra la route.
— Ça n’a pas l’air d’aller franchement bien.
Je plongeai mes yeux dans les siens.
— Ton odeur ne donne pas l’impression que tout va bien.
— Qu’est—ce que vous faites dans le coin ? demandai—je en me forçant à sourire.
— Nous sommes juste venus acheter des bières. C’est une chance que nous soyons tombés sur vous.
Dans une ville aussi petite, il était possible que ça ne soit qu’un hasard. Je devais au moins lui laisser le bénéfice du doute.
— Nous devrions peut—être vous ramener à la maison, pour être sûrs que vous ne risquez rien.
— Reah !
Artem et moi nous tournâmes dans la direction d’où venait le cri. C’était un autre homme de Yuri, Nico, qui m’appelait, paniqué, tout en se penchant à moitié sur la banquette arrière de la voiture.
— Il ne respire plus !
Je me précipitai vers lui et aperçus, sur le siège arrière un garçon bien plus jeune que le reste des khatyu de Yuri. Il avait quinze ans, tout au plus. Me penchant près de lui, je pris une grande inspiration. Il respirait encore, mais avait perdu connaissance,
— Reah, est—ce qu’on ne devrait pas… commença Artem.
— Où habitez—vous ? lui demandai—je en le coupant brusquement.
— C’est mon petit frère, Roc…
— Et où habitez—vous ? criai—je.
Je ne lui avais pas demandé qui était ce garçon, mais où se trouvait leur maison.
— Moi j’habite assez loin, mais ma mère habite plus près, dans cette rue, il vit avec elle.
— Alors allons—y, m’écriai—je en prenant place près du jeune homme inconscient.
Personne ne discuta mon ordre. Ils se serrèrent tous les quatre dans le véhicule. Artem commença à reculer dès que les portes furent fermées. Il fit vrombir le moteur et prit la direction de la maison de sa mère.
Je me tus. Il était terrorisé par ce qui arrivait à son frère et n’avait absolument pas besoin que je lui crie dessus, malgré le fait qu’il risquait bel et bien de nous faire tuer à conduire comme ça, dire quelque chose ne l’aurait pas aidé. Alors je préférai me taire et simplement tenter de le rassurer en lui massant l’épaule pour lui faire comprendre que tout irait bien.
Il recouvrit ma main de la sienne et la tint fermement, me faisant savoir que ce réconfort était non seulement le bienvenu, mais qu’il en avait même franchement besoin.
LAMAISON des Varda se trouvait au fond d’un cul—de—sac, sur la rue Mount Rose. Les gens du quartier étaient de sortie, promenant leurs chiens et je pus même sentir l’odeur d’un barbecue lorsque nous sortîmes tous de la voiture en direction de la porte d’entrée, passant sur le gazon méticuleusement entretenu qui y menait.
Ils étaient en fait en train de faire la fête et le fait de pénétrer ainsi dans la maison cassa visiblement l’ambiance. Artem se fraya un chemin parmi les nombreux invités tout en portant son frère et je le suivis de près. Il me guida à l’étage après m’avoir fait traverser la pièce.
Lorsque nous arrivâmes à la salle de bain, je fis asseoir Artem sur la cuvette des toilettes et lui fit tenir son frère avant de faire couler l’eau chaude dans la baignoire.
— Mets—le dedans, lui ordonnai—je.
— Mais il va se brûler, me répondit—il en hésitant.
Je fis non de la tête.
— C’est une panthère. Sa température corporelle augmentera pour compenser celle de l’eau. Dépêche—toi, car j’ai besoin que tu me trouves certaines choses.
— Son nom est Rocco. Enfin, c’est plutôt un mauvais surnom qui lui est resté, me fit—il savoir.
— Je vois, lui répondis—je. Alors fais—moi confiance et mets—le dans la baignoire.
Il fit ce que je venais de lui demander, puis partit chercher l’eau minérale et le seau dont j’avais besoin.
— Oh, reah !
La porte venait de s’ouvrir brusquement et en me tournant, j’aperçus une femme qui me regardait fixement. Elle ne pouvait qu’être la mère.
— Fermez la porte, Mme Varda, demandai—je à la mère d’Artem et de Rocco. Vous faites partir toute la chaleur.
Elle rentra, referma la porte derrière elle et se précipita à côté de son fils allongé dans la baignoire. Elle le tripota sous toutes les coutures, avant de me jeter un regard interrogateur par—dessus son épaule, l’air apeuré.
— Il est victime d’une mauvaise cuite, lui fis—je savoir. Pour nous, comme vous le savez certainement, l’alcool peut déséquilibrer sévèrement notre organisme au point de compromettre notre capacité à nous métamorphoser. Dès que son corps s’est aperçu qu’il ne pourrait plus se transformer si nécessaire, son organisme s’est comme mis en veille, et il a perdu connaissance afin de conserver un maximum d’énergie.
— En fait j’ignorais totalement que les panthères pouvaient souffrir d’une intoxication pareille à cause de l’alcool. Je veux dire, normalement, nous l’assimilons tellement vite.
— Il en faut beaucoup. Il a dû y aller assez fort.
— Oh, reah, est—ce qu’il s’en remettra ?
Son visage trahissait son angoisse.
— Dès que son corps se réchauffera, lui dis—je. Il se mettra à vomir et il ne va pas vraiment être beau à voir pendant quelques temps.
— Il va juste être malade ?
Son visage s’éclaircit.
— Oui, lui confirmai—je avec un grand sourire. Malade comme un chien.
— Oh, merci, reah ! Merci ! Soyez béni !
Elle pouvait enfin souffler.
Artem nous rejoignit alors que je la rassurais d'un sourire. Au bout de quelques minutes, Rocco se mit à trembler puis ouvrit subitement les yeux, se mit de côté et commença à vomir. Je tenais le seau à sa disposition et pus admirer la quantité impressionnante d’alcool qu’il rejetait. Ça faisait un bout de temps que je n’en avais pas vu autant.
Il était tellement mal que la seule chose dont il avait envie était de se mettre en boule et de dormir, mais je lui fis boire plusieurs bouteilles d’eau, et ce n’était qu’un début.
— Non.
Il gémit, repoussant les mains d’Artem et de sa mère.
— Non, non, non… Laissez—moi juste dormir. Par pitié, je…
— Rocco, dis—je en haussant le ton. Buvez cette eau maintenant.
Il releva les yeux, ressentant bien la présence de quelqu’un d’autre dans la pièce sans être vraiment sûr de qui il s’agissait. Lorsqu’il réalisa qui j’étais, qui était à ses côtés, ses yeux s’écarquillèrent.
— Oh, reah.
Il prit une grande inspiration et tenta de sortir de la baignoire pour venir s’agenouiller devant moi.
— J’ignorais que…
— Buvez, lui dis—je. Faites ce que je vous dis.
— Oui, oh, reah.
Alors qu’il avalait d’autre bouteilles d’eau, Artem et sa mère rampèrent tout deux devant moi, s’agenouillant avec respect.
— Oh, reah, sans votre savoir nous n’aurions pas pu faire face à cette situation, dit Artem. J’aurais…
— Tout va bien, les rassurai—je en les attrapant tous les deux par le bras pour essayer de les faire se relever. Il va seulement falloir que nous informions un peu votre pauvre petit Rocco dans ce domaine.
Les bruits qu’émit Rocco en se remettant à vomir ramenèrent notre attention sur le jeune homme.
— Je préférerais être mort, marmonna—t—il avant d’être repris de vomissements.
Je fis de mon mieux pour ne pas sourire, mais il me faisait indéniablement penser à mon meilleur ami. Je ne comptais plus le nombre de fois où Crane avait dit la même chose alors que je m’occupais de lui durant le même genre de crise.
Une demi—heure plus tard, assis sur une chaise à côté du lit de Rocco, je lui passai une nouvelle bouteille d’eau et attendis.
— Je ne peux plus rien boire, oh reah.
Je repoussai mes cheveux en arrière et le regardai avec attention.
— Vous êtes blessé, fis—je remarquer doucement. Que s’est—il passé ? Vous devez boire encore si vous ne souhaitez pas que ce soit votre sheseru qui vienne ici en personne pour vous mettre cette eau directement dans la gorge.
La menace d’une arrivée imminente de Yuri Kosa fonctionna à merveille. Rocco avala la bouteille sans broncher.
— Reah ?
