Question de timing - Mary Calmes - E-Book

Question de timing E-Book

Mary Calmes

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Beschreibung

Dans les temps, numéro hors série Glenn Holloway a vu sa vie basculer le jour où il a avoué son homosexualité à sa famille. Comme si cela ne suffisait pas, il a aggravé son cas en quittant le ranch pour réaliser son rêve : ouvrir un restaurant. Sans aucun soutien de son père, ou de son frère, et trop fier pour demander de l'aide à des étrangers, il a dû partir de zéro. Au fil des années, ses efforts ont été récompensés : son restaurant est un succès, il s'est forgé une nouvelle vie dont il peut être fier.   Malgré tout, il n'a pu oublier les Holloway. La blessure reste béante jusqu'au jour où son pire cauchemar se réalise. Pour rembourser une dette, Glenn est tenu d'endosser sa tenue de cowboy et de passer le weekend avec Rand Holloway et Mac Gentry, un homme qui, hélas, l'attire irrésistiblement. Ce qui pourrait le mener à la catastrophe, le couper définitivement de sa famille et anéantir un amour encore fragile.

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Seitenzahl: 210

Veröffentlichungsjahr: 2017

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Question de timing

Par Mary Calmes

Dans les temps, tome 3

Glenn Holloway a vu sa vie basculer le jour où il a avoué son homosexualité à sa famille. Comme si cela ne suffisait pas, il a aggravé son cas en quittant le ranch pour réaliser son rêve : ouvrir un restaurant. Sans aucun soutien de son père, ou de son frère, et trop fier pour demander de l’aide à des étrangers, il a dû partir de zéro. Au fil des années, ses efforts ont été récompensés : son restaurant est un succès, il s’est forgé une nouvelle vie dont il peut être fier.

Malgré tout, il n’a pu oublier les Holloway. La blessure reste béante jusqu’au jour où son pire cauchemar se réalise. Pour rembourser une dette, Glenn est tenu d’endosser sa tenue de cowboy et de passer le weekend avec Rand Holloway et Mac Gentry, un homme qui, hélas, l’attire irrésistiblement. Ce qui pourrait le mener à la catastrophe, le couper définitivement de sa famille et anéantir un amour encore fragile.

Table des matières

Résumé

Dédicace

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

D’autres livres par Mary Calmes

Biographie

Par Mary Calmes

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Droits d’auteur

Comme toujours, merci à Lynn et à Poppy pour leur aide efficace,

I

— C’EST LÀ, patron, prenez à gauche.

Je suivis ces directives et aussitôt, les cinq passagers avec moi dans le pickup – trois sur la banquette arrière, deux sur celle de devant – hurlèrent avec un bel ensemble que non, la maison était à droite.

Il y avait de la lumière et, éparpillés sur la pelouse de devant, des vêtements et des animaux en peluche.

Merde.

Quand je descendis, j’entendis s’ouvrir la portière du côté passager et du mouvement à l’arrière du pickup.

— Non ! Aboyai-je en me retournant.

Sur ce, je claquai violemment ma portière.

Cinq paires d’yeux, de dix-huit et vingt-deux ans, se fixèrent sur moi. Quand j’étais parti récupérer Josie Barnes, un quart de mon personnel avait insisté pour m’accompagner, usant d’abord de cajoleries, puis refusant purement et simplement de descendre de mon véhicule. Les autres plus âgés avaient eu le bon sens de réaliser qu’il serait inconscient de quitter le restaurant à l’heure de pointe, pendant l’affluence du dîner, aussi étaient-ils restés s’occuper de tout. Pour eux comme pour moi, le Bronco représentait tout, foyer et maison familiale.

Avant de traverser la rue, j’ordonnai fermement :

— Vous restez tous dans le pickup, je ne veux pas que l’un de vous risque de prendre un mauvais coup.

— Mais, patron, il y a son père et son frère là-dedans. Nous devons venir avec vous ! s’écria d’un ton suppliant Andy Tribble, un de mes serveurs. Vous n’allez tout de même pas entrer sans renfort !

— Kevin ne devrait pas tarder, expliquai-je rapidement. Il était juste derrière nous, il m’accompagnera.

— Oui, mais… commença Shawnee Clark.

Je l’interrompis d’un hurlement et d’un geste péremptoire.

— Non ! Si j’en vois un qui descend, je le vire, c’est clair ?

Danny LaRue intervint :

— Mais c’est moi qui ai reçu l’appel de Josie. Je lui ai promis que je viendrai, il faut que j’aille avec vous, quoi.

Aidez-moi à ne pas perdre patience ! Après cette brève prière au ciel, je grinçai :

— Et qu’est-ce qu’elle t’a répondu, Danny ? Donne-moi ses mots exacts.

Silence.

— Dépêche-toi ! Insistai-je. Tu nous fais perdre du temps.

Il toussota.

— Elle a dit… euh, d’accord, puisque vous étiez à la pêche, alors…

— Justement, coupai-je, c’était moi qu’elle voulait, et je ne suis plus à la pêche, donc, j’y vais. C’est compris ?

Aucune réponse.

— Dan ?

Il finit par souffler :

— Ouais.

— Parfait.

Quand il releva la tête, son visage était tout crispé.

— Vous ne devriez pas y aller seul.

Tous les autres acquiescèrent vigoureusement. Et je savais bien pourquoi ils s’inquiétaient tant pour moi. C’était logique. Ils avaient besoin de moi. J’étais leur patron, le propriétaire du restaurant Le Bronco, notre restaurant. J’avais créé cet établissement et, au fil du temps, il était devenu le seul refuge que connaissaient tous ces gamins, que j’avais recueillis un par un, d’une façon ou d’une autre. Et c’était encore moi qui maintenais notre petit groupe soudé. Leur ancre, leur amarre. S’il m’arrivait quelque chose… tous ceux qui travaillaient avec moi se retrouveraient à la dérive. Pour certains, ce serait simplement une nouvelle expérience, mais les autres, encore trop jeunes pour avoir appris à se débrouiller seuls seraient à nouveau livrés à eux-mêmes.

Alors, je comprenais leur terreur, pour moi, d’abord, mais surtout pour eux-mêmes. Une terreur réelle, tangible, qui n’avait rien d’égoïste. Ils voulaient simplement me garder sain et sauf.

Cependant, ma décision restait ferme et immuable :

— Je vous interdis de quitter cette putain de voiture !

Tous acquiescèrent, pas un ne bougea. Et je savais bien que ce n’était pas ma menace de les virer qui les faisait obéir, mais plutôt mon expression : la situation était grave et je ne cherchais pas à le leur cacher.

J’avais atteint le porche lorsque la porte s’ouvrit violemment. Le frère de Josie – que je connaissais sous le nom de Bubba – en émergea. Il avait une vingtaine d’années et une guitare électrique serrée dans le poing. Je savais, depuis la fête de Noël que nous avions organisée huit mois plus tôt, que cet instrument ne lui appartenait pas, aussi le lui arrachai-je par surprise.

— Bordel ! Rugit-il.

Il chercha à récupérer la guitare, mais je le maintins à distance de deux doigts sur sa clavicule.

— Recule, grognai-je.

Sans le quitter des yeux, je hurlai :

— Kev, par ici !

Mon chef barman, Kevin Ruiz, était plus grand que moi (et je faisais un mètre quatre-vingt), deux fois plus lourd et tout en muscle. Il avait suivi mon pickup dans une Chevy Avalanche qui écrasait mon vieux Dodge. Je l’avais entendu se garer pendant que je traversais le jardin.

— Dégagez de là, tous les deux, aboya Bubba, sinon j’appelle les flics.

Je ne bougeai pas, me contentant de tendre la guitare derrière moi jusqu’à ce que Kevin soit assez proche pour la récupérer.

— Kev, cherche aussi l’ampli, indiquai-je ensuite.

— D’accord, patron.

— Merde, quoi ! Pour qui vous vous prenez…

— Toi, tu la fermes.

À titre d’avertissement, je repoussai violemment Bubba, puis le dépassant, je montai les marches du perron et pénétrai dans la maison.

Bubba s’élança derrière moi et me rattrapa dans le salon.

— Qu’est-ce que vous foutez ? hurla-t-il.

Le spectacle était tellement horrible que je m’étais arrêté net, un frisson dans le dos, une nausée me remontant dans la gorge. Mon désir de pivoter et de flanquer mon poing dans le mur, dans n’importe quel mur, fut presque irrépressible.

Josie Barnes était née sous le nom de Joseph William Barnes. Et je le savais parce que, quand j’avais engagé cette fille, je m’étais occupé avec elle de remplir la paperasse administrative. Et là, elle était assise sur le sol, aux pieds de son père. M. Barnes brandissait encore des ciseaux et une tondeuse. Les longs cheveux auburn qui, naguère, descendaient jusqu’au milieu du dos de Josie avaient été coupés à ras, irrégulièrement. Quelques touffes hirsutes restaient de-ci de-là ; ailleurs, le cuir chevelu apparaissait. En général, Josie se maquillait volontiers. Aujourd’hui, elle avait le visage à nu, les taches de rousseur qui lui parsemaient les joues et le nez contrastaient avec son teint blafard. Elle ne portait que sa culotte et son soutien-gorge. Elle joignait les jambes aussi fort qu’elle le pouvait et serrait ses bras autour d’elle-même, ses mains cachant sa poitrine.

Je vis rouge.

Traversant la pièce comme un bison en furie, j’empoignai d’une main le cou de M. Barnes et de l’autre la tondeuse. Je projetai l’homme en arrière et il s’écroula sur le canapé. Quant à l’objet du crime, je le jetai de toutes mes forces contre le mur : la tondeuse explosa sous l’impact, projetant partout des débris de plastique et de métal.

Près de la cheminée, une femme qui serrait une Bible contre son sein se mit à couiner :

— Seigneur, qui est cet homme ?

C’était Miranda, la mère de Josie. Je connaissais son nom : il était dans le dossier de Josie, celui de la personne « référente » à prévenir en cas d’urgence. J’avais d’ores et déjà l’intention de le biffer à peine de retour au restaurant.

— Son patron ! Hurlai-je.

Chez les Holloway, tous les mâles étaient grands, solides et dotés d’une voix de stentor. Une caractéristique génétique, tout comme nos cheveux noirs, notre mâchoire carrée, nos muscles de bûcheron, notre entêtement et notre franc-parler – parfois considéré comme de la grossièreté. Même si j’étais le plus petit de la famille, et de loin, je pouvais cependant me montrer tout aussi désagréable et bruyant que les autres. C’était un fait, un fait incontestable.

Aussi, en entendant ce rugissement qui émanait de mon diaphragme, Miranda recula jusqu’au mur contre lequel elle se serra, terrorisée.

M. Barnes se redressa en titubant, puis il cracha :

— Joey est un garçon, vous le savez, vous le savez très bien, espèce de sale con !

— Non, quand je la regarde, je ne vois pas un garçon, rétorquai-je, en toute franchise.

Soudain, une main se posa sur mon mollet. Je baissai les yeux sur Josie : elle tremblait.

Quand je me tournai vers Mme Barnes, mon regard devait être éloquent. Elle se recroquevilla plus encore.

— Apportez-moi une couverture, madame, articulai-je à grand-peine. Je vais emmener votre enfant et vous ne la reverrez jamais.

En temps normal, mon accent sudiste n’était pas aussi prononcé. Il devenait aussi épais seulement quand j’étais enragé.

Barnes s’écarta d’un pas.

— Je sais qui vous êtes ! grogna-t-il. Le patron de Joey, hein ? L’enculé qui possède le Bronco, le restaurant où il travaille ?

Je faillis sourire. Barnes ignorait que j’étais gay. Il me traitait d’« enculé » juste pour me provoquer, ce qui ne m’atteignait pas du tout.

— Oui, monsieur, exactement.

— Alors, vous comptez l’emmener chez vous et le baiser ?

La bile me brûla la gorge. Cet homme parlait de sa fille, il l’avait connue bébé et tenue dans ses bras dès le berceau, il l’avait élevée… Un comportement pareil défiait la compréhension et la compassion humaine.

J’étais tellement écœuré que j’eus du mal à retrouver ma voix.

— Pas du tout, monsieur, croassai-je. Voyez-vous, Josie est une fille. Je ne baise pas les filles. Moi, je préfère les garçons. Les vrais.

Il se jeta sur moi, les poings en avant. D’un simple crochet, je l’envoyai au tapis. Mme Barnes hurla. Un instant plus tard, j’expédiai Bubba rejoindre le tas informe que son père formait au milieu du salon. Mme Barnes hurla encore.

Franchement, qu’un plouc essaie de me coller un gnon ou deux ne me faisait ni chaud ni froid. J’avais grandi sur un ranch ; depuis tout petit, j’avais appris à dresser les chevaux sauvages, à conduire le bétail, à me battre avec tous ceux qui s’en prenaient à moi.

Le père de Josie était bedonnant, son frère squelettique. Ils ne faisaient pas le poids. Par rapport à eux, j’étais un titan.

Je pris un plaid sur le canapé, me penchai et enroulai Josie dedans avant de me relever avec elle dans les bras. Aussitôt, elle éclata en sanglots désespérés.

Je lui demandai gentiment :

— Que veux-tu emporter de cette maison ? Dis-le-moi vite parce que tu n’y reviendras plus jamais.

Elle eut un hoquet de chagrin.

— Il… il a cassé ma guitare ! Je ne peux pas…

Je pivotai et me dirigeai vers la porte d’entrée.

— Non, dis-je gentiment, ne t’inquiète pas. J’ai récupéré ta guitare, elle n’est pas cassée. C’est Kevin qui l’a. Et l’ampli, où est-il ?

En l’espace d’une seconde, elle perdit son expression catastrophée. Une lumière brilla dans ses yeux, même si ses joues étaient encore inondées de larmes.

— Vous avez ma guitare, patron ? Vous l’avez reprise à Bubba ?

— Bien sûr, pour qui me prends-tu ? dis-je d’une voix bourrue. Il manque juste l’étui. Tu sais où il est ?

Elle pointa du doigt.

— Juste là, à côté de la porte.

— Et ton ampli ?

— Je l’ai laissé au restaurant. Je ne l’emporte jamais à la maison.

Je poussai un grognement.

— Mmm.

Kevin m’attendait sous le porche, les bras tendus. À peine avais-je ouvert la porte que je lui fis passer Josie. Quand je revins dans la maison récupérer l’étui de la guitare, M. Barnes, le visage moite et empourpré, avançait vers moi en brandissant une batte de baseball.

Je préférai l’avertir :

— Réfléchissez bien à ce que vous allez faire de ce truc-là, vieillard, sinon, je vous ferais avaler votre batte en même temps que vos dents.

— Espèce de…

— Croyez-vous que je n’ai pas remarqué les ecchymoses qu’elle a sur le cou et au visage ? Elle a un œil poché et une lèvre éclatée.

— Ça suffit ! hurla-t-il. Ce n’est pas « elle ». Joey est un garçon ! C’était un garçon à la naissance, il restera un garçon et je…

Je coupai net à ses divagations.

— Elle chante comme un ange, vous savez. Un jour, elle deviendra célèbre et tout le monde saura ce que vous avez fait. Je vous garantis que vous le regretterez.

— Au moins, il ressemble à un garçon maintenant !

Je secouai la tête.

— Non, monsieur. Elle ressemble à un petit oiseau bien maltraité.

— Espèce de…

Il s’interrompit quand je me redressais de toute ma taille.

— Je ne le dirai qu’une fois, je ne veux pas vous voir au Bronco ni vous ni son frère. Sinon, je préviendrai la police et je vous ferai arrêter

— Et Joey, hein, où il va vivre ? Qui va payer son école…

— Ce que fait Josie à partir d’aujourd’hui ne vous regarde plus.

Sur ce, j’ouvris la porte d’un coup de pied et sortis de la maison. Une fois dehors, je scrutai le porche et les objets qui le jonchaient : une pochette de maquillage, un sèche-cheveux cassé – de toute façon, Josie n’en aurait pas besoin tout de suite –, mais aussi des sous-vêtements féminins, strings, culottes, soutiens-gorge. Je rassemblai le tout et quittai la cour, à présent déserte.

J’allais atteindre la barrière quand un hurlement unanime retentit. La voix de Josie était particulièrement suraiguë :

— Nooon !

Je jetai un coup d’œil par-dessus mon épaule et constatai que M. Barnes était revenu avec un fusil. En pivotant pour lui faire face, j’envisageai les différents scénarios possibles… malheureusement, la conclusion était toujours la même.

J’étais mort.

Après m’avoir tiré dessus, Barnes pourrait même invoquer la légitime défense parce que je me trouvais sur sa propriété. Et mon personnel me regarderait mourir, saigné à blanc : ce serait leur dernier souvenir de moi, du temps que nous avions passé ensemble. Ou alors…

Je pouvais tenter de jouer mon dernier atout.

— Vous connaissez Rand Holloway ?

Il me regarda d’un œil méfiant.

— Bien sûr, tout le monde connaît Rand Holloway à Hillman, sombre crétin…

Je saluai, la main sur le cœur.

— Je me présente, Glenn Holloway.

Ce fut assez drôle de voir son visage devenir blême. Rand n’était pas le genre d’homme qu’il était sain d’avoir comme ennemi. En fait, ce n’était pas seulement mon cousin (ou plutôt, mon demi-frère) qui provoquait chez les gens une peur pareille, mais le fait que son ranch était peu à peu devenu un petit état. Et Rand employait des hommes plutôt dangereux – dont Mac Gentry, qui avait une bien sinistre réputation. Même la police ne représentait pas une menace aussi sérieuse que les cowboys du Red Diamond 1 !

Quand je vis trembler le fusil, je tournai les talons, traversai la rue et m’approchai de la portière latérale du truck.

Shawnee m’ouvrit un sac de voyage dans lequel je fourguai le ballot de sous-vêtements que je portais toujours. Quand je repris ma place derrière le volant, Josie s’était rhabillée. J’ôtai mon Stetson et le lui enfonçai sur tête, bas sur les yeux.

— Nous allons nous arrêter chez Caffrey pour t’acheter un chapeau. Tu le porteras demain pour travailler.

Elle grimpa sur mes genoux, enfouit son visage dans mon cou et se mit à pleurer. Je décidais que, si je cherchais à la repousser, nous ne partirions jamais.

Je respirai un grand coup, démarrai et filai aussi vite que possible.

Alors seulement, mon cœur se remit à battre.

UNE HEURE plus tard, revenu au restaurant, je demandai à Éric et Jamal de bricoler sur le toit une douche de fortune afin que Josie puisse se nettoyer. Les cheveux coupés dont elle était couverte devaient la démanger horriblement, car elle ne cessait de se gratter. Nous gardions au bureau une tondeuse à cheveux, Kevin la prit et tenta d’égaliser la coupe de Josie, lui laissant une brosse d’environ trois centimètres. Comme je l’avais annoncé, nous nous étions arrêtés en chemin pour acheter plusieurs couvre-chefs : un chapeau de cowboy pour travailler, un bonnet tricoté violet, une casquette militaire bleu pâle avec des étoiles argentées et trois longues écharpes que Josie pourrait se nouer autour de la tête. Nous avons également acquis un flacon de teinture bleu pétrole, ainsi sa brosse aurait-elle au moins une couleur intéressante.

Nous fîmes ensuite l’inventaire de ses affaires. Tout y était, en particulier la guitare et l’ampli, les possessions les plus prisées de Josie.

Quand je l’avais prise dans mes bras pour quitter le pickup, elle m’avait déjà remercié au moins neuf cents fois de « l’avoir sauvée ». Elle avait même noué ses bras autour de mon cou et ses jambes autour de ma taille comme une gamine, alors qu’elle avait au moins dix-sept ans.

Les garçons installèrent un tuyau au robinet du lavabo du vestiaire du personnel et, par la porte arrière, le firent grimper sur le toit – où les filles prenaient souvent le soleil avant de travailler. Ils suspendirent sur des fils d’étendage de grandes serviettes pour donner un peu d’intimité à Josie. Tout ça prit un certain temps, mais quand elle fut lavée, habillée, maquillée, les cheveux teints, l’estomac rempli d’un encart roboratif, et serrée de bras en bras, Josie cessa enfin de trembler et recommença à respirer. Du coup, moi aussi.

Plus tard, je reçus un coup de fil de l’adjoint du shérif m’annonçant que les Barnes avaient déposé une plainte contre moi.

— Alors, que dois-je faire à présent ? demandai-je.

À l’autre bout du fil, il se racla bruyamment la gorge.

— Rien du tout, répondit-il.

Il paraissait très nerveux. Il finit par ajouter, en baissant la voix :

— Écoutez… vous pourriez faire savoir à Rand que nous avons étouffé l’affaire, hein ? Ce serait… ce serait sympa.

— Bien entendu, répondis-je, avec un accent sudiste plus marqué. Il en sera très satisfait, j’en suis certain.

L’adjoint poussa un soupir particulièrement bruyant.

Ça m’arrangeait bien que tout le monde ait une peur bleue de Rand Holloway !

VERS 11 heures le lendemain, alors que Josie dormait sur le canapé de mon bureau, je m’installai au bar sur un tabouret pour m’entretenir avec Kevin, Callie et Marco.

La veille, j’avais fermé plus tôt que d’habitude à minuit au lieu de 2 heures du matin, et convoqué tout mon petit monde dans la salle de repos du personnel.

Tous les yeux étaient fixés sur moi.

Deux jours.

Que tout parte à vau-l’eau en deux jours paraissait incroyable ! Pourtant, c’était le cas.

Dès que je m’absentais, mon restaurant résonnait de cris de colère et de frustration, injures et coups bas s’échangeaient. D’un côté, j’étais heureux d’en connaître enfin la raison et de pouvoir débrider la plaie, de l’autre, j’aurais préféré me passer de tout ce mélodrame.

Je ne supportais pas les drames !

Je m’étais donc adressé à mon personnel :

— Si l’un de vous tombe à l’eau, le bateau tout entier va couler.

Le tintamarre explosa immédiatement. Chacun accusait son voisin, pointait du doigt, s’égosillait. Je les laissai faire, sachant que le bruit permettrait de dissiper la tension qui alourdissait l’atmosphère.

Kevin me rejoignit. Au bout d’un moment, je lui fis signe et il souffla dans une corne de brume. Le hurlement sinistre créa une vague de panique, tout le monde sursauta. Je me redressai, les mains levées, et réclamai le silence à tue-tête. Je l’obtins, mais les regards fixés sur moi étaient franchement furieux.

Je repris la parole :

— Pourquoi n’ai-je pas été averti plus tôt que JT se tapait toutes femmes qui passaient au restaurant ?

Du coup, plus personne n’osait me regarder dans les yeux.

— Il est parti, ajoutai-je.

Et là, à nouveau, tous les regards étaient fixés sur moi, pleins d’espoir. Bien entendu, j’en comprenais la raison. JT avait encaissé son salaire sans rien faire pour le mériter. Et tous avaient pensé que c’était avec ma bénédiction. Pas du tout. La vérité était bien pire – et bien plus ridicule : je n’étais pas au courant. Je prenais JT pour un brave garçon, alors qu’au contraire il avait un fond de cruauté, en plus d’être paresseux et coureur. Kevin et moi l’avions surpris en flagrant délit : dans mon bureau, en train de baiser une cliente de l’hôtel.

Je l’avais viré sur-le-champ. Jamal et Éric avaient pris un grand plaisir à le raccompagner, par la porte de derrière. Et Callie Pena, notre DRH, avait déposé sous un de ses essuie-glaces son solde de tout compte et son dernier chèque, calculé au cent près.

Elle était douée avec les chiffres.

Tout le monde attendait la suite.

— Pour remplacer JT, j’ai promu Kevin directeur, annonçai-je.

D’un signe de tête, je désignai Bailey Kramer qui, assise dans le fond, tenait la main de Josie, et j’enchaînai :

— Bail, tu seras son assistante.

Elle en resta stupéfaite, puis elle m’offrit un lent sourire, un peu penaud, qui révéla ses dents très blanches. Je ne pus m’empêcher d’y répondre.

Puis je continuai :

— J’espère que tout ira bien dorénavant. C’est Marco qui prendra la relève comme chef barman.

L’annonce fut reçue par des applaudissements. Marco se leva, salua, et promit d’être à la hauteur. Je lui faisais confiance : le Bronco était important pour lui. À sa sortie de prison, il avait eu du mal à trouver du travail. Que je lui aie donné sa chance avait fait toute la différence, pour lui et sa famille.

C’était également le cas de beaucoup de mes employés. Mon chef de cuisine, Javier Garza, avait été renvoyé de son dernier poste pour vol (soi-disant), mais d’après lui, c’était du racisme : il était mexicain. J’avais fait le bon choix, car ses nouveaux plats – viande en croûte de pécan, marinade au mesquite 2 ou pilon de dinde pour enfants – avaient complété nos steaks et hamburgers habituels, et très vite remporté un succès foudroyant.

MITCH POWELL, promoteur et propriétaire du King Resort, luxueux complexe golfique, hôtelier et thalasso, devait beaucoup à Rand Holloway. Deux ans plus tôt, il s’était partiellement acquitté de sa dette en me proposant un emplacement à proximité de son golf pour établir mon nouveau restaurant. Nous étions situés assez loin du centre-ville – et des autres restaurants –, aussi personne ne misait-il lourd sur notre succès. Mais moi, le Bronco, c’était mon rêve, il y avait des années que j’y pensais, que j’en planifiais le moindre détail.

Quand le jour vint où je pus me lancer, je n’hésitai pas.

Nous avions recouvert notre parking du matériau caoutchouteux qu’on trouve dans les aires de jeux des enfants, à l’école primaire, monté des poteaux pour éviter aux voitures d’y entrer, placé autant de tables de pique-nique que le permettait l’espace disponible et fait construire une corniche tout autour. Seules les familles avaient accès aux tables. C’était amusant de voir les parents isolés, ou les couples homosexuels accompagnés d’enfants croire qu’ils ne correspondaient pas au terme « famille » – dans sa définition classique. Ils étaient d’autant plus reconnaissants et heureux d’être acceptés, certains nous arrêtaient au passage, moi ou un membre de mon personnel, pour nous remercier chaleureusement. Ils nous expliquaient aussi le plaisir qu’ils éprouvaient, avec des enfants à charge, de pouvoir s’asseoir un moment et décompresser sans se soucier de déranger les tables voisines. Nous laissions également s’attabler les personnes âgées (en général, des grands-parents). Par contre, les jeunes couples ou les groupes d’amis restaient sur la corniche, où ils avaient à peine la place de poser une assiette. Et ils devaient manger debout, en regardant ceux accompagnés d’enfants, bébés en poussettes ou ados, se prélasser sous un parasol.

Nous avions d’excellentes critiques sur Yelp 3, Zomato 4 et TripAdvisor 5, mais aussi sur notre Page Facebook, notre compte Twitter et dans le journal local, le Lubbock Avalanche. Tout le monde s’accordait pour dire que le service était parfait et que le propriétaire du Bronco savait vraiment s’occuper de ses clients. C’était des commentaires bien agréables à lire !

Le jour où Guy Fieri 6 me proposa de tourner chez nous une de ses émissions, Diners, Drive-Ins et Dives 7, je faillis tourner de l’œil. Guy s’était régalé de notre Bronco Burger : de la viande de bison servie avec une sauce ponzu 8. Et même si je n’étais pas l’un des cuisiniers qui avaient préparé son repas, je fus très fier, en lui serrant la main, de l’entendre me remercier d’avoir accepté son offre. C’était mon restaurant, après tout !

J’étais aux anges, mon personnel également et nous affrontâmes vaillamment l’afflux des nouveaux clients que l’émission nous procura. Entre les avis élogieux, les articles de presse, le bouche-à-oreille et les blogs indépendants, l’argent se mit à couler à flots.

D’après moi, notre réussite venait de deux choses : un excellent service et des produits de qualité, parfaitement cuisinés. Au début, à l’ouverture, nous ne proposions que des steaks marinés, avec sauce au vin rouge et à l’ail, et des hamburgers. Il n’y avait rien d’autre sur la carte, sauf les accompagnements, bien entendu, c’est-à-dire croquettes de pommes de terre, patates douces, coleslaw, macaronis au fromage et haricots rouges. Nous n’avions pas de menu enfant, mais pour eux, nous proposions des demi-portions. Et quel gosse n’aime pas les frites, les hamburgers ou les macaronis ? Peu après, nous avons ajouté un tofu-hamburger tout à fait étonnant. Un nom guère inspirant, d’accord, cependant ça se vendit bien. C’était la recette d’un de mes cuistots, Han Jun dont la mère venait des Indes orientales et le père d’Okinawa 9. Plus tard, c’est lui aussi qui ajouta la sauce ponzu