Pécheur - Mary Calmes - E-Book

Pécheur E-Book

Mary Calmes

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Les Gardiens des Abysses, numéro hors série En tant que gardien, Jackson Tybalt est un homme bon, jusqu'à ce qu'il découvre l'homme qu'il aime embrassant quelqu'un d'autre. Trahi et en colère, Jackson flirte avec le danger et la mort, ignorant les appels à la prudence des autres gardiens. C'est un état d'esprit exécrable pour commencer une nouvelle relation, mais cela n'arrête pas le kyrie Raphaël qui veut, plus que tout, que Jackson lui appartienne.  Jackson ne veut pas d'un foyer, ne veut pas d'un amant… il veut juste de la noirceur et de la douleur, alors Raphaël lui donnera ce qu'il veut. Mais parfois, les péchés de la chair sont exactement ce dont un corps a besoin pour panser les plaies du cœur, donc Raphaël cachera la tendresse qu'il éprouve pour Jackson tant que le gardien portera l'apparence d'un pécheur.

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Seitenzahl: 198

Veröffentlichungsjahr: 2017

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Pécheur

 

Par Mary Calmes

Les Gardiens des Abysses, numéro hors série

 

En tant que gardien, Jackson Tybalt est un homme bon, jusqu’à ce qu’il découvre l’homme qu’il aime embrassant quelqu’un d’autre. Trahi et en colère, Jackson flirte avec le danger et la mort, ignorant les appels à la prudence des autres gardiens. C’est un état d’esprit exécrable pour commencer une nouvelle relation, mais cela n’arrête pas le kyrie Raphaël qui veut, plus que tout, que Jackson lui appartienne.

Jackson ne veut pas d’un foyer, ne veut pas d’un amant… il veut juste de la noirceur et de la douleur, alors Raphaël lui donnera ce qu’il veut. Mais parfois, les péchés de la chair sont exactement ce dont un corps a besoin pour panser les plaies du cœur, donc Raphaël cachera la tendresse qu’il éprouve pour Jackson tant que le gardien portera l’apparence d’un pécheur.

Table des matières

Résumé

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

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Biographie

Par Mary Calmes

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Droits d'auteur

I

 

 

J’ÉTAIS SEUL et c’était la mort assurée pour un gardien. Heureusement, je ne me battais pas contre des démons, à cet instant. En fait, j’étais en train de boire, ce qui pourrait s’avérer risqué d’ici quelques heures compte tenu de mon état d’esprit actuel. Mais aussi ivre que je sois, je pouvais reconnaître le compagnon de mon ami Ryan, assis avec d’autres gars à l’autre bout du bar. Je me demandai s’il était sorti pour dénicher quelqu’un, s’il traînait avec ses copains jusqu’à ce qu’il ait repéré le coup d’un soir avec qui il repartirait. Il trompait sans doute Ryan tout comme, Frank Sullivan, mon foyer, l’avait fait avec moi. Et mon pote ne le saurait jamais avant qu’il ne soit trop tard, au moment où il les surprendrait. Oui, Julian Nash était en chasse… Pourquoi ne le serait-il pas ? Que valait le cœur de son compagnon en comparaison d’un corps chaud dans son lit ?

Assis là, berçant mon cinquième ou septième verre de scotch avec glaçons – j’avais perdu le compte depuis des heures –, j’observai Julian rire. Tous les gars qui se trouvaient avec lui avaient son âge, leur camaraderie était évidente, sans doute des collègues qui prenaient un verre après le travail. Au bout d’une minute, je me rendis compte que je n’étais pas le seul à regarder les cinq hommes. Habitué à détailler mon environnement à la recherche de menaces éventuelles, je remarquai l’homme au bar, à trois tabourets de moi, qui les épiait. Je croyais qu’il me faudrait un peu de temps pour découvrir vers qui se portait son intérêt, mais quand Julian se leva pour aller chercher une seconde tournée, l’homme suivit sa progression de la table jusqu’au bar avec une intensité tout à fait inébranlable. Et je le comprenais. Julian Nash était un régal à contempler. Beaucoup d’hommes dans le bar l’avaient dans leur ligne de mire. S’ils lui adressaient la parole, leur désir de l’avoir serait encore plus grand. Il était drôle, intelligent et, surtout, gentil. Je l’avais tout de suite apprécié lorsque je l’avais rencontré. J’espérais vraiment qu’il était juste venu boire un verre avec des amis et qu’il ne cherchait pas un rancard. Une déception de plus serait une de trop.

— Qu’est-ce que je peux vous offrir ?

Je jetai un coup d’œil au bout du bar et constatai que, comme je l’avais soupçonné, l’homme de grande taille s’était penché vers Julian et l’abordait. Le foyer de mon collègue gardien lui adressa un immense sourire. Mon estomac se retourna avec effroi.

— J’ai ce qu’il faut, merci.

— Eh bien, dans ce cas, prenons un siège et le prochain sera pour moi.

— En fait, je bois un coup avec des amis.

Julian lui sourit avec chaleur en ajoutant :

— Mais je suis très flatté.

Il était avec ses amis et n’était pas à l’affût. Cette petite information me rendait ridiculement heureux. Aussi stupide que cela puisse paraître, au fond, je restais un romantique.

— Venez dîner avec moi.

— J’ai prévu de dîner avec mon compagnon après, donc non. Merci quand même.

L’homme sembla soudain chanceler sur son siège.

— Est-ce que ça va ? s’inquiéta Julian alors qu’il récupérait un martini avec un oignon et un grand verre à moitié plein.

— Je vais bien, répondit l’homme en secouant la tête comme s’il avait besoin de s’éclaircir les idées. Mais j’aimerais beaucoup dîner avec vous.

— Et je vous ai dit non, répéta Julian en se détournant.

Le gars se leva tout à coup de son tabouret de bar et se plaça devant lui. C’était le vrai test, car debout, là, offrant à Julian un sourire à tomber qui illuminait ses yeux d’émeraude, l’homme était immense, sombre et très beau.

— Êtes-vous sûr ?

— Tout à fait, mais encore une fois, je suis très flatté, assura Julian tranquillement, le contournant pour reprendre sa route vers sa table.

Je me mis à ricaner et l’homme se retourna au même instant, surprenant mon rire. Ce n’était pas l’un de mes moments les plus glorieux, et en temps normal, j’aurais pu retenir mon rire. Malheureusement, mes réflexes étaient à plat pour le moment.

— Quelque chose te fait rire ?

Je toussai pour m’éclaircir la gorge sans parvenir à retenir mon sourire.

— Nan.

Il plissa les yeux en me fixant avant de venir vers moi.

— Désolé, m’excusai-je dans la foulée.

Le terme beau était très loin de lui rendre justice.

— Cela dit, repris-je en gloussant, tu n’avais aucune chance, mec.

— Non ? Et pourquoi ça ?

Ses yeux me détaillaient, s’assombrissant tandis que la convoitise les envahissait. Je n’étais pas Julian Nash, mais il semblerait que je lui convienne malgré tout.

— Son compagnon est très sexy.

On aurait dit que je venais de le gifler.

Personne ne refroidissait l’atmosphère aussi vite que moi. C’était un don, pas de doute, cette manière de lâcher les vérités que personne ne voulait jamais entendre. Le très bel homme était consterné. Il se reprit en répliquant d’un ton sec :

— Vraiment ?

Son ton, qui indiquait un certain intérêt moins d’une seconde plus tôt, était désormais glacial.

— Tu regardes le Ryan’s Rundown sur Canal 5 ? demandai-je, essayant de ne pas manger mes mots.

— Bien sûr. Tout le monde regarde Ryan Dean, rétorqua-t-il, irrité.

C’était le cas. L’ex-mannequin devenu présentateur était trop séduisant et trop sexy pour ne pas être suivi religieusement. Il était aussi un chasseur de démons très effrayant, avec ses épées.

— Il dort aux côtés de Ryan Dean toutes les nuits, lui dis-je en désignant Julian. Vous pensez que vous avez une chance ?

Son air renfrogné s’accentua.

— Oh ! C’est quoi ce bordel ?

Le grognement provenait de derrière l’Adonis.

L’expression de dédain absolu qui s’inscrivit sur le visage de l’homme était très amusante. Le voir se retourner lentement vers la voix manqua de me faire exploser de rire.

— Malic, lâcha-t-il avec mépris.

— Graham, répondit mon ami.

Son irritation était perceptible pour quiconque l’entendait, tandis qu’il s’installait sur le siège à côté de moi.

Aucun d’eux ne croisa le regard de l’autre, pourtant, même sans cela, leur aversion était parfaitement évidente. Graham faisait un bruit d’arrière-gorge comme si le simple fait d’être dans la même pièce que Malic le rendait malade. La condescendance moqueuse de Malic était tout aussi révélatrice.

Graham tourna les talons et partit. En passant, il jeta un billet de cinquante sur le comptoir, ne s’arrêtant même pas lorsque le barman lui lança un remerciement.

— Seigneur, ce gars te hait, constata Marcus Roth, un autre de mes amis – un gardien lui aussi –, en prenant le tabouret sur ma gauche.

— Comme si j’en avais quelque chose à foutre.

Le genou de Marcus vint heurter le mien et je sentis sa main me tapoter la cuisse pendant une seconde. Il était inquiet. Ils l’étaient tous.

— Tu as besoin de travailler ton aptitude à communiquer.

— Je ne l’ai pas touché. C’est le mieux qu’il peut obtenir, répondit Malic avec une mine renfrognée.

— Mais pourquoi tu laisses venir ce connard jusqu’à toi à chaque fois ?

— Je ne sais pas. Il me prend toujours à rebrousse-poil.

— Depuis combien de temps connais-tu ce gars ? enchaînai-je, avec une question anodine.

— Trop longtemps. C’est un enfoiré, affirma Malic en me regardant à travers ses yeux plissés. Et Leith avait raison : tu ressembles à de la merde écrasée.

— Merci beaucoup.

— Hé.

Je me tournai vers Marcus et le regrettai tout de suite. Ses yeux noirs ne rataient jamais rien et, à cet instant, il braquait ses considérables pouvoirs d’observation sur moi.

— Avec Malic, on se rendait chez moi pour manger avant d’aller patrouiller. Viens dîner avec nous.

Il y avait quelque chose qui n’allait pas avec cette phrase.

— Jacks ?

Je la repassai dans ma tête, analysant les mots, essayant de toutes mes forces de comprendre ce qui déconnait dans ce qu’il avait dit.

Il y avait quelque chose.

Viens manger. Viens manger… Attendez.

— Je croyais que Joey haïssait Malic. Comment tu vas le ramener chez toi ? interrogeai-je tout en réalisant le temps que cela m’avait pris pour comprendre.

En temps normal, mon cerveau travaillait beaucoup plus vite. J’étais vraiment fracassé.

Marcus haussa les épaules en répondant :

— Apparemment, j’avais raté l’évidence. Joe n’aimait pas Malic parce que pendant tout ce temps, il pensait que Malic me voulait.

Je le regardai de travers.

— Mais il ne l’avait pas dit.

— Hum. Alors depuis, quoi… cinq ans, presque six, ton foyer, le gars que tu aimes plus que tout, croyait que ton meilleur ami voulait coucher avec toi ?

Il acquiesça.

— Qu’est-ce qui a changé ?

— Dylan, soupira Marcus. Malic a trouvé son foyer ; Joe a passé une nuit à écouter les tourtereaux ensemble et a tout avoué.

Je reportai peu à peu mon attention sur Malic. Il leva les yeux au ciel avant de me donner un petit coup.

— Quand ai-je dit que c’était sans doute ça, le problème ?

— Je pense que c’était il y avait cinq ans, indiqua Marcus sur ma gauche.

— Et quand ai-je dit que tu devrais jsute expliquer à Joey que tu aimes Marcus comme le frère que tu n’as jamais eu et qu’il n’y avait rien de plus ?

— Le même jour, intervint Marcus.

— Oui, oui, allez vous faire voir tous les deux, gronda Malic en levant sa main pour attirer l’attention du barman.

Je basculai la tête en avant, enfonçant mes mains dans mes épais cheveux bouclés qui m’arrivaient désormais aux épaules. Ils avaient besoin d’une coupe. J’avais aussi besoin de me raser. J’étais devenu négligent avec les poils sur mon visage et à présent, après un mois, peut-être deux, j’arborai une barbe et une moustache pour le prouver. Comme si cela avait de l’importance.

— Vous n’avez pas besoin de me surveiller comme un gamin. Je ne vais pas me tuer.

— Viens manger, répéta Marcus, sa main sur ma nuque, la massant en douceur.

— Non, dis-je en souriant. Je vais laisser Joe renouer avec Malic. Ils ont perdu beaucoup de temps.

— Ils se sont réconciliés, m’assura-t-il. Et maintenant, c’est de Dylan que mon homme est amoureux. Comparés à lui, Malic et moi comptons pour des prunes.

Et je comprenais ça. Dylan Shaw, le foyer que Malic avait découvert il y a peu, était aussi proche d’une sucrerie qu’un homme puisse l’être. À dix-neuf ans, il était dévastateur ; à trente, il aurait le monde à ses pieds. Ce qui me plaisait le plus chez lui n’était pas sa beauté éthérée, mais sa loyauté. C’était un trait de caractère que j’apprenais à admirer depuis peu.

J’étais un gardien et je chassais les démons. Chaque ville avait une sentinelle et, toutes les sentinelles avaient cinq gardiens, comme un poing armé, qu’elles commandaient. Les gardiens, parce qu’ils passaient la plus grande partie de leur vie dans un cloaque de crasse et de crimes, devaient être en mesure de rentrer chez eux dans un sanctuaire, à la fin de chaque journée. Le foyer d’un gardien, son compagnon, le lui procurait. Pendant deux ans, c’était auprès de Frank Sullivan que j’étais rentré. Il avait été toute ma vie, le gars qui avait fait de mon loft, au 18 de la rue Potrero Hill, l’endroit où je voulais être plus que tout. Et puis, trois mois plut tôt, j’avais suivi un démon, lui courant après sur les toits et je m’étais immobilisé avant de pouvoir sauter jusqu’au bâtiment suivant.

— On ne court plus ? avait-il demandé avec ironie.

Il était revenu sur ses pas, vers le bas de la corniche, quand il avait réalisé que je n’étais plus à sa poursuite.

J’avais été incapable de bouger d’un centimètre. Je m’étais figé là où je me trouvais.

— Gardien ?

Il n’était pas un vrai démon, mais c’était une créature que je voulais quand même tuer. Un être que je devais éliminer, afin de garder Malic à l’abri.

— Je…

— Qu’est-ce qui t’hypnotise à ce point ?

Ma bouche s’était ouverte, mais aucun mot n’en était sorti.

— Parle.

Mais j’en avais été incapable. Je n’avais pu que regarder.

J’avais senti le souffle chaud et humide à l’arrière de mon cou, j’avais entendu sa respiration profonde quand je le lui avais désigné de ma main gauche avec la pointe de ma rapière ornementée.

À travers l’abîme entre les bâtiments, sur le marbre du patio d’un appartement terrasse d’apparence cossu, se tenait mon foyer, le comptable Frank Sullivan, avec son client principal, René Favreau. La nuit avait commencé avec pour objectif de sauver Malic, mais maintenant j’allais devoir tuer ce dernier pour avoir un jour présenté ce mec à Frank.

— Qu’est-ce que je regarde, gardien ?

Je n’avais même pas pu faire entrer de l’air dans mes poumons, pendant que je regardais les deux hommes s’embrasser. Et cela n’avait pas été le genre premier baiser hésitant, mais celui où vous saviez ce que vous faisiez parce que vous l’aviez fait de nombreuses fois auparavant. La bouche de René avait fondu sur celle de Frank et il en avait pris possession, une main se refermant dans ses cheveux, l’autre agrippant son cul.

— Oh, il aime ça.

Les mots m’avaient transpercé. Je m’étais retourné, balançant la rapière, prêt à trancher la tête du kyrie.

— Susceptible, avait-il constaté en bondissant en arrière et sur le côté, échappant sans peine à mon attaque précipitée.

— Les tiens ont tué ma famille ! avais-je hurlé après lui.

— Non, avait-il clarifié de sa voix calme, profonde et rauque.

— Si ! avais-je grondé avec une rage meurtrière qui était tout ce qu’il me restait désormais, alors que je le poussais vers l’avant.

Il m’avait contourné en disant :

— Le jour où tu m’as écarté de Malic, tu m’as déjà craché cette accusation obscène, comme quoi un démon de sang avait tué ta famille.

Je m’étais avancé vers lui.

— Et je compatis à ta perte, gardien, mais ça n’avait rien à voir avec moi.

— Kyries, démons de sang, c’est la même chose, avais-je affirmé, d’un ton glacial tout en balançant un coup de poing circulaire.

— Non, c’est faux.

Il avait souri méchamment, ses longues canines scintillant au clair de lune alors qu’il avait poursuivi :

— Les kyries naissent au purgatoire, les démons, eux, en enfer. Les démons n’ont aucune finesse ; les kyries connaissent la différence.

J’avais grogné après lui.

— Et c’est nous, les sauvages ?

Je m’étais jeté sur lui, la rapière s’était élancée sauvagement, avait fendu l’air avec le bruit d’un souffle, rapide comme un fouet. Cependant, c’était un excellent escrimeur et il l’avait déviée sans effort avec son jian chinois, parant, poussant et m’obligeant à reculer. J’avais cherché une faiblesse, un faux pas, toutefois sa position avait été solide et je n’avais trouvé aucune ouverture.

— Gardien !

Sa voix avait ranimé ma rage meurtrière ; mon regard s’était posé sur son visage.

— Je le répète, je suis désolé pour ta famille, gardien, mais un kyrie n’est pas un démon de sang et les miens n’ont rien à voir avec leurs morts.

J’avais fait une roulade en avant, prêt à prendre sa tête.

— Je veux que tu saches la vérité, gardien.

Je n’avais prononcé aucun mot quand je l’avais chargé, malgré tout, il s’était esquivé vite, trop vite, et mon élan m’avait emporté vers le bord du bâtiment de vingt-quatre étages. Avant que je puisse retrouver mon équilibre, il m’avait percuté.

J’avais été poussé à genoux, une main empoignant mes cheveux alors que ma tête avait été tirée en arrière en un geste impitoyable qui avait exposé ma gorge, tandis qu’il avait dirigé mon regard à nouveau vers l’espace ouvert sur le patio.

Ils étaient à l’intérieur, la fenêtre coulissante désormais fermée, les rideaux tirés. Toutefois la lumière était allumée, rendant tout transparent. René Favreau, que j’avais toujours apprécié, n’avait pas pensé à fermer les stores de son appartement en étage. L’immeuble sur lequel Raphaël – le kyrie – et moi nous trouvions abritait des bureaux. Il n’aurait pas imaginé que quelqu’un épiait. Pourtant, cela avait été mon cas. J’avais regardé, et quand Frank, mon partenaire, mon amour, était revenu nu de la salle de bain et s’était jeté sur le lit en riant, j’avais cru que mon cœur allait cesser de battre à ce moment précis. Comme il le faisait avec moi, il avait invité René à se mettre sur les mains et les genoux au centre du lit.

— Est-ce qu’il remue sa queue, gardien ? Comment tu appelles ça ?

Je m’étais débattu, les mains sur l’avant-bras épais, musclé, du kyrie.

— Est-il ton foyer, gardien ?

Je n’avais pas voulu pleurer devant un monstre, en face d’une créature destinée à tuer.

— L’est-il ?

Quelque chose s’était brisé dans ma poitrine ; j’avais senti un rouage se détacher tandis que j’aspirais une bouffée d’air.

— Gardien, avait-il dit d’une voix épaisse, quand tu m’as écarté de Malic, alors qu’il était dans mes bras et que je buvais son sang, je me suis retourné et j’ai plongé mes dents en toi. Tu t’en souviens ?

Ce n’était pas le cas. J’observais les ombres se mélanger, se combiner, devenir une, je ne pouvais pas y être indifférent.

— J’ai pensé à revenir dans la nuit et emporter Malic au loin, à l’entraîner dans la fosse avec moi, à lui montrer l’enfer, le chaos, les anneaux et tous les plans. Je crève d’envie d’avoir un compagnon comme toi, gardien. J’ai besoin d’en avoir un, peut-être encore plus désespérément que toi. J’ai entendu dire que les gardiens devenaient fous, qu’ils pouvaient aller jusqu’à se recroqueviller et mourir sans un foyer, mais les kyries… nous évacuons cette folie. Nous la partageons. Si nous ne sommes pas aimés, nous nous tournons exclusivement vers la chasse et nous ne trouvons du réconfort qu’en tuant.

J’avais poussé un soupir.

— Et un jour, nous devenons ce que nous chassons.

Les ombres s’étaient séparées, l’une s’était levée et l’autre avait étiré ses bras avant que la chambre ne devienne noire. J’aurais voulu hurler de douleur, malheureusement, il n’y avait pas d’air.

— Mais le sang de Malic n’était pas doux ; il ne me procurait aucune subsistance et le prendre ne m’aurait pas apporté de joie. Si tu n’étais pas venu comme tu l’as fait, j’aurais tenu la promesse que je lui avais faite, et j’en aurais pris peu. Pourtant, dans ta ferveur, gardien, dans ta panique à libérer ton ami, ton épaule s’est retrouvée sous mes crocs.

J’avais hoché la tête parce que soudain, je m’étais souvenu. Je l’avais trouvé en train de boire Malic, et tout ce que j’avais pu faire, tout ce qui avait compté, avait été de sauver mon ami du sort qui m’avait arraché ma famille. J’avais bondi en avant, sans voir Leith qui bougeait en même temps. Quand il avait délogé le kyrie de Malic, je m’étais retrouvé entre les deux hommes. Le sang de Malic jaillissait de la blessure, je comprenais que c’était Leith qui l’avait provoquée quand il les avait séparés, j’avais eu juste assez de temps pour basculer sur le côté et sentir la morsure du kyrie au plus profond de mon épaule droite.

— Ton sang…

Sa voix avait grondé au fond de sa poitrine.

— …contrairement à celui de Malic, est le plus doux que j’aie jamais goûté.

J’avais senti les mains du kyrie se transformer en griffes pendant qu’il me tenait fermement. Ses bras et ses jambes étaient enroulés autour de moi tandis que sa bouche trouvait mon cou. Je m’étais débattu avec frénésie pour me libérer. J’avais lutté pour ma vie et, même après que nous avons été séparés, Ryan avait dû me clouer au lit pour que je ne le pourchasse pas. Marcus s’était occupé de Malic, appuyant sa chemise sur sa gorge ensanglantée. Leith avait appelé Jael. La chambre avait tourné, les images étaient devenues floues, alors que j’avais séparé mon passé de mon présent, ne sachant pas si les cris provenaient de Marcus ou de moi.

Je n’avais dit à personne ce qui s’était produit ; personne n’avait vu la morsure, trop concentrés sur Malic. Ils m’avaient vu me débattre avec le kyrie, néanmoins personne n’avait su que le sang était le mien. Je n’avais pas voulu inquiéter Jael, ma sentinelle. Il avait été préoccupé à l’idée que le kyrie revienne rechercher Malic. Je n’avais pas voulu y ajouter de l’inquiétude à mon sujet.

— C’est de toi que je suis affamé maintenant, gardien.

Tout était devenu flou quand mes yeux s’étaient emplis de larmes brûlantes.

Ma tête avait basculé sur le côté. Une langue humide s’était insinuée de mon épaule jusqu’à mon oreille, goûtant, léchant, ses lèvres appuyant contre ma peau avant ses dents. Même la morsure ne m’avait pas incité à bouger, n’avait pas infusé en moi la volonté de combattre. La traction sur ma peau, la première déglutition… même à ce moment-là, j’étais figé par ce que je venais de voir.

Ma famille m’avait été arrachée par un démon de sang, par une meute d’entre eux. Le gardien de la ville où je vivais à l’époque – j’avais grandi à Knoxville, dans le Tennessee – les avait trouvés et les avait tués. J’avais douze ans quand j’étais venu vivre à San Francisco avec ma tante Gail. À seize ans, j’avais rencontré Jael. L’un de ses gardiens avait été envoyé à Paris et il avait besoin d’un remplaçant. J’avais senti l’appel, son appel, l’agitation en moi, au moment où j’avais vu l’homme. Il était comme un père de substitution pour moi ; je ne voulais pas qu’il s’inquiète de voir un kyrie chercher à boire mon sang. Je l’avais gardé pour moi et m’étais mis à chasser Raphaël seul. Je l’aurais tué, mais j’avais vu Frank.

— Est-ce que ton cœur est si brisé que tu me ferais cadeau de tout ton sang ?

Du moins, j’aurais essayé de le tuer. Les kyries étaient des chasseurs de primes extraordinaires ; ils n’étaient pas les êtres les plus faciles à abattre.

— Dis-moi que ton sang m’appartient, gardien.

Sa question m’avait sorti de mes pensées.

— Tu crois que tu m’as trouvé, mais la vérité c’est que… je t’ai laissé faire.

Il m’avait laissé faire ?

— De nous deux, je suis le vrai chasseur. Toi, tu protèges ; moi, je chasse.

Je n’avais pas pu réfléchir. Sa langue s’était glissée sur ma chair perforée, l’avait apaisée et avait atténué la morsure, la pulsation à vif, la douleur régulière.

— Je voulais que tu me trouves, avait-il murmuré. Je l’espérais.

Il l’avait espéré ?

— Tu as le goût de la chaleur et de la vie, gardien.

Il avait soufflé les mots dans mon oreille :

— Je vais te dévorer et tu seras à moi. Je n’ai jamais souffert comme je souffre en ce moment. Il te suffit de prononcer ces mots et je t’emporterai loin d’ici, de cette douleur. Il te suffit de les prononcer.

— De quels mots tu parles ?

— Prends-moi. Dis-moi de te prendre et je le ferai.

J’avais tremblé violemment tant cette idée avait été tentante. La mort et l’oubli avaient semblé agréables.

— Tu veux que je te laisse me tuer ?

— Non, gardien, avait-il soufflé sur ma peau, son nez glissant sur le côté de mon cou. Tu penses que mon désir pour toi est un désir de te voir mourir. Je ne veux pas te tuer ; je veux que tu sois mien.

Tout ce que j’avais perçu à cet instant, c’était l’obscurité en lui, mais je n’étais pas prêt à basculer dans l’abîme. Pas encore.

— Va-t’en. S’il te plaît, avais-je supplié en pressant fort mes paupières pour garder les yeux fermés.