Double feu - Christophe Stener - E-Book

Double feu E-Book

Christophe Stener

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Beschreibung

Dans ce second tome de la trilogie Djihad 4.0, Malik Benamar, lieutenant de la DGSI enquête sur l’assassinat de l’ambassadeur en France du Conseil National Syrien. Mettant au jour le financement de réseaux islamistes par une partie des rétrocommissions sur les ventes d’arme de la France au Qatar, sa vie et celle de ses proches seront menacés. Realpolitik et mensonge d’Etat feront obstacle à sa traque qui le conduiront de Fès à Doha, et de Paris à Lille, en passant par la prison de Fresnes. Imaginée en novembre 2014, l’intrigue a, malheureusement, anticipé sur l’actualité récente.

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Seitenzahl: 268

Veröffentlichungsjahr: 2015

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A Sylvie, en souvenir de Bréhat

Sommaire

Prologue

Je suis Charlie

Assassinat d’un ambassadeur

Morel

La guerre des polices n’aura pas lieu

Al Jazzera

La veuve

Succube ou Mata-Hari ?

Balbec

Ratage

Le cinquième homme

Bréhat

Fès

Robert Cohen

Vengeance

Dah’ech au Maroc

Deuil

Gruson

Itinéraire d’un djihadiste

Solens

Fresnes

Le bon imam

Les barbus

Prière al’dhour

Dans la fosse aux lions

Bellamine

L’oncle Paul

Rivalités et controverses islamistes

Ralliement

Détronché

Les douches

Heureux qui comme Ulysse…

Une entreprise au-dessus de tous soupçons

Montage

Tracfin

Lawrence d’Arabie

Rafale

Coquetel chez l’ambassadeur

Le marchand d’armes

Mensonge d’Etat

Epilogue - Bal au Quai d’Orsay

Prologue

Je suis Charlie

Le lieutenant Malik Benamar de la DGSI, arriva à Fès le 6 janvier 2015 par le vol Transavia de 22 :40. En visite privée pour saluer ses parents, il avait décidé de dormir à l’hôtel avant d’aller déjeuner avec eux dans le quartier de leur petit appartement situé au fondouk el-Youdi, l’ancien quartier juif. Il finit de rédiger un rapport de mission dans sa chambre d’hôtel et, à midi, il cessa de travailler et alluma la télévision pour regarder les actualités sur TV5 Monde.

La chaîne de télévision affichait des images de voitures de police massée dans la rue Nicolas Appert, expliquant qu’un attentat venait de se produire au siège du journal satirique Charlie Hebdo. Malik reconnut les gardiens de la paix en blouson Police nationale, les brassards rouges des officiers de police en civil, une équipe de gros bras le crane rasé, des gars de la brigade anti-criminalité, estima-t-il. Des ambulances, nombreuses. La confusion et la pagaille des catastrophes, lors des premières minutes, avant qu’un échelon de commandement ne prenne les choses en main,

Les journalistes se bousculaient pour aller au plus près de la scène, repoussés peu à peu par un cordon de policiers. Les images statiques de la rue barrée par les forces de l’ordre étaient commentées en boucle avec la même formulation indécise : « Un attentat terroriste se serait déroulé au siège de Charlie hebdo. Presque toute la rédaction aurait été abattue par un ou plusieurs terroristes. » Faute de communiqués du gouvernement, les journalistes décrivaient la scène que chacun voyait à l’écran, de nombreux véhicules de police, des ambulances hurlantes, le désordre immédiat, la précipitation des forces de l’ordre, le mouvement apparemment brownien des secouristes et pompiers.

Malik comprit immédiatement que l’attentat était très grave quand la télévision annonça la venue sur place du ministre de l’intérieur.

Mettant la télévision en muet, il connecta son ordinateur avec la boite de cryptage à la prise ADSL de la chambre. Son identité d’agent secret français était supposée inconnue de l’hôtel mais les consignes étaient très strictes sur les échanges entre un officier en mission et le service central parisien. Il était interdit d’utiliser les réseaux publics comme ceux d’un hôtel pour transmettre des informations sensibles. Les échanges devaient, en cas d’urgence absolue, se faire sur des VPN en mode crypté. Les téléphones de service disposaient d’un brouilleur et d’un logiciel d’encryptage mais ne devaient pas être utilisés à l’étranger car le roaming via des opérateurs étrangers était jugé non sécurisé. Les agents en mission à l’étranger avaient pour consigne d’être le plus silencieux possible et d’éviter, autant que possible, toute activité électronique propice à un repérage par un service étranger hostile.

Si le trafic montant, l’upload, était proscrit, le download de fichiers dument cryptés par la centrale était jugé moins compromettant ; Malik établit donc à travers son ordinateur et sa boite de cryptage une connection sécurisée en VPN sur un serveur dont l’adresse était volontairement anodine pour ne pas attirer l’attention des cyber-analystes des services secrets ennemis. Les geeks de la division informatique de la DGSI avaient eu l’idée de dissimuler le site de diffusion des communiqués du service sur un site maquillé en site pornographique. Potaches, ils trouvèrent rigolo de cacher les flashs d’information sous les fesses callipyges de beautés dénudées. Perfectionnistes, ils allèrent jusqu’à créer des onglets de préférence : blonde, noire, asiatique, arabe… qui permettait aux agents de trouver la sélection de dépêches les concernant. Les agents mémorisèrent rapidement ce mode de navigation ‘naturel’.

Afin d’éviter que le site ne soit indexé par les moteurs de recherche, le webmestre avait paramétré une option de non publication sur le net et, par précaution, le serveur et l’url étaient changés chaque semaine. L’url active était diffusée par note de service interne aux agents. De toute façon, un internaute qui se serait par hasard connecté au site, se trouvait bloqué par une demande de profil préexistant sans lui offrir la possibilité de se créer un profil et donc il restait bloqué sur la page d’accueil qui ressemblait à un site porno comme il en y avait des milliers sur le net.

Malik trouva donc sans effort sur les attentats un communiqué daté de quelques minutes :

Mercredi 7 janvier à 11:30, deux individus ont fait irruption dans les locaux du journal satirique Charlie hebdo et tué huit onze personnes : les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat, l'économiste Bernard Maris, le policier Franck Brinsolaro qui assurait la protection de Charb, le correcteur Mustapha Ourrad, Michel Renaud, fondateur du festival Rendez-vous du carnet de voyage, ainsi qu’un agent de maintenance Frédéric Boisseau. Le gardien de la paix, Ahmed Merabet, est tué sur le boulevard Richard-Lenoir par l'un des deux criminels, au cours de leur fuite. Le bilan final : douze personnes assassinées et onze autres blessées, dont quatre grièvement. Les assassins présumés sont les frères Kouachi dont l’un a oublié sa pièce d’identité dans un véhicule abandonné. Les frères Kouachi sont connus des services. La traque des criminels est lancée dans le cadre du plan Epervier.

La mort plana sur la France pendant deux jours.

Le jeudi 8 février, Amedy Coulibaly, complice probable des frères Kouachi, assassina Clarissa Jean-Philippe policière municipale martiniquaise à Montrouge.

Le vendredi 9 janvier, Amedy Coulibaly tua de sang froid quatre personnes de confession juive au cours d'une prise d'otages dans un supermarché casher à la porte de Vincennes.

Ce même vendredi, à 17 heures le Raid donna l'assaut au supermarché tuant le terroriste. Au même moment, les hommes du GIGN abattirent les frères Kouachi dans l’imprimerie où ils s'étaient retranchés, de Dammartin-en-Goële où ils étaient retranchés libérant un employé qui avait réussi à rester caché, informant les policiers pendant le siège.

Les assassins se réclamèrent d'Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA), qui revendiqua officiellement l'attentat.

Le dimanche 11 janvier 2015, plus d'un million et demi de personnes défilèrent à Paris dans une ‘marche républicaine’. Le Président de la République, François Hollande, défila, accompagné de quarante-quatre chefs d’Etat et de gouvernement, juste derrière les familles des victimes.

Ce moment d’unité nationale fut exceptionnel, n’ayant d’égal par l’ampleur que les défilés du peuple français lors de libération de Paris le 25 août 1944. La foule de 1944 était en liesse, celle de 2015 refusait la barbarie islamiste et célébrait, dignement, pudiquement, le vivre ensemble dans la liberté, la paix et la laïcité.

Malik vécut à distance ces événements, sortant peu de sa chambre d’hôtel. Il appela Madeleine pour lui demander d’aller manifester avec Omar pour que son fils se souvienne de ce moment exceptionnel où le peuple de France s’était uni pour défendre la République.

Seul dans sa chambre de son hôtel à Doha, l’officier de police de la DGSI pleura en regardant, à la télévision, le beau peuple de France défiler. Madeleine lui envoya une photographie d’Omar juché sur les épaules de son grandpère arborant avec sérieux une affichette ‘Je suis Charlie’. Malik fut fier d’être français, flic et musulman ce dimanche où le soleil d’hiver faisait briller les ors de du Génie de la Liberté couronnant le sommet de la colonne de Juillet, place de la Bastille à Paris.

1 - Assassinat d’un ambassadeur

Son Excellence Mustapha Khos, l’ambassadeur à Paris du Conseil National Syrien, le mouvement démocratique qui avait lancé en 2013 les manifestations contre la dictature de Bachar el-Assad en Syrie, dans l’espoir soulevé par les ‘Printemps arabe’, laissa, comme à l’habitude, sa voiture au premier niveau du parking Iris de l’esplanade Défense à Paris.

Ce vendredi soir, les milliers de cadres qui peuplaient les fourmilières verticales du quartier d’affaires, avaient déjà quitté leurs bureaux. Le parking était désert comme un mausolée. Les énormes colonnes de ciment, peintes de couleurs différentes et numérotées pour faciliter le repérage des usagers, formaient des alignements silencieux encadrant le damier des places. L’ancien ingénieur en physique nucléaire, diplômé 1980 de l’Université Lomonossow de Moscou, rangea sa modeste Renault Laguna, achetée d’occasion, avec ses quinze mille kilomètres au compteur, à la place 3056 du parking, près de l'ascenseur H, celui qui était le plus proche de son hôtel, l’hôtel Ibis Paris La Défense Centre où il louait, au mois, une chambre.

Le diplomate ne se résolvait pas à louer à l’année sa chambre d’hôtel ou à prendre un meublé dans le centre de Paris, espérant toujours que le gouvernement français finirait enfin par rompre ses relations diplomatiques avec la Syrie du dictateur au menton fuyant, mais les mois se succédaient, le statu quo perdurait et il gardait ses quartiers dans les quinze mètres carrés de sa chambre.

Certes la France condamnait la dictature et les exactions du tyran alaouite, mais ne se résolvait pas à proclamer hors la loi ce régime coupable de crimes de guerre contre son propre peuple. Les journalistes, après un bref moment, lors de sa prise de fonctions à Paris, de curiosité sympathique, pour le combat laïc et démocratique que Mustapha Khos incarnait, faisaient maintenant leur miel des crimes moyenâgeux d’Abu Bakr, nouvel Attila terrorisant l’Occident honni. Le combat digne des démocrates syriens ne faisait plus recette et, sur le terrain, les troupes de l’ASL avaient été décimées par la tenaille des soldats de l’armée loyaliste et des djihadistes islamistes sunnites.

Le Président français l’avait reçu à l’Elysée, avait posé sur le perron lui faisant une longue poignée de mains sur le perron du palais présidentiel; il l’avait assuré du soutien « indéfectible de la France, pays des valeurs humanistes », bla-bla-bla... Depuis le pas de clerc des américains, reculant devant le bombardement de la Syrie en septembre 2013, et cédant aux manœuvres de la Russie qui, offrant sa médiation auprès de Bassar al Assad pour obtenir de lui l’engagement de destruction du stock d’armes chimiques dont il était avéré qu’il avait été utilisé contre ses propres populations civiles, le représentant de l’opposition syrienne démocrate devait solliciter une audience plusieurs semaines à l’avance avec le ministre des affaires étrangères. Celui-ci, le plus souvent, s’excusait au dernier moment et le faisait recevoir par son directeur de cabinet.

Mustapha Khos revenait, cette fin d’après-midi, d’un colloque organisé par l’université Panthéon-Sorbonne. Bien sûr, les applaudissements d’une assistance, acquise à défaut d’être nombreuse, avaient été réconfortants, mais l’ambassadeur savait que ce n’était pas des colloques universitaires qui influenceraient le gouvernement français. Ces colloques nombreux et consensuels étaient comme la queue d’une comète ayant brûlé toute sa matière, transformée en lumière en entrant dans l’atmosphère. L’énergie du Front démocratique syrien s’était dissipée en vain, se fracassant sur le mur de la Realpolitik occidentale qui apportait, depuis la campagne militaire éclair de Dah’ech de l’été 2014, un répit, pour ne pas dire un soutien de facto au régime d’Assad, en n’interdisant pas le ciel syrien aux avions et hélicoptères de l’armée loyaliste lâchant des barils de TNT sur des écoles et des marchés des villes tenues par les rebelles.

Le Président américain Barak Obama admettait implicitement l’insupportable contradiction de la position américaine qui semblait conforter sur le terrain le dictateur syrien tout en affirmant que ce dernier devait se retirer pour ouvrir la voie d’une solution politique. La France limitait son engagement militaire à l’Irak pour préserver l’apparence d’une cohérence diplomatique. Personne n’était dupe. Le Président russe, Vladimir Poutine, portait, lui, une lourde part de la responsabilité de la perpétuation du chaos de la guerre civile en bloquant les résolutions du Conseil de sécurité pendant l’été 2013, par son soutien inébranlable à la Syrie, avec comme seule préoccupation la préservation de sa base navale russe de Tartous, la seule base russe en Méditerranée. Sans pudeur, la Russie, à nouveau ouvertement impérialiste, critiquait sans vergogne « l’ingérence confuse des occidentaux dans les affaires intérieures syriennes » (sic). La coalition hétéroclite formé de monarchies sunnites, paniquées par la perspective d’un Etat islamique radical de l’Irak au Liban, de l’Iran, soutien de chiites massacrés par les sunnites fondamentalistes de Dah’ech et Jabhat al’Nosra, était vivement dénoncée par la propagande moscovite.

Mustapha Khos avait une fois de plus tenté d’expliquer à son auditoire les origines de cet imbroglio. Ne voulant pas faire usage du droit d’ingérence humanitaire pour des populations massacrées par leur dictateur, les gouvernements occidentaux s’étaient laissé enfermer dans la nasse des compromis et des demi-résolutions. Aux crimes de guerre de Bachar el-Assad avaient répondu les crimes de guerre des barbares islamistes. Dah’ech avait fait de la décapitation et de la crucifixion une arme de propagande pour terroriser les soldats syriens et irakiens et rallier des combattants fanatisés.

Une fois de plus, on avait écouté l’ambassadeur, plaint le martyr du peuple syrien, applaudi sa péroraison et puis chacun avait repris ‘une occupation normale’.

C’était un vendredi soir. Le diplomate en exil trouvait un réconfort dans la perspective de parler et de voir, grâce à Skype, sa famille mise l’abri auprès d’uns sœur installée aux Etats-Unis. Il vivait seul à Paris. Par précaution, et par économie, car le Front national syrien ne recevait, à la différence, des mouvements fondamentalistes de diverses obédiences, aucun financement des pétromonarchies du Golfe. La CIA lui dispensait une maigre allocation, parce qu’il était le représentant le plus légitime de l’opposition démocratique, certes, mais aussi parce que c’était plus facile, comme au casino, de parier sur les noirs et les blancs. Il avait refusé une protection rapprochée proposée, un temps, par le gouvernement français.

Mustapha Khos écouta le flash de France info de 19:30 espérant que la station parle de la Syrie mais, par une convention implicite, les journaux radio et télévision, s’accordaient à réduire à la portion congrue les nouvelles internationales pour libérer du temps de parole aux annonces météo, au programme sportif du week-end, aux chroniques littéraires. On ne parla pas de la Syrie mais longuement d’un supposé tigre échappé en Seine-et-Oise.

Descendant de sa voiture, le diplomate se préparait à verrouiller sa portière avec sa clé car sa voiture était si ancienne qu’elle ne disposait pas d’un verrouillage électronique. Mustapha Khos ne vit pas l’homme, dissimulé dans l’ombre d’un pilier encadrant l’entrée de la batterie d’ascenseur, marcher vers lui d’un pas silencieux sur des semelles en feutre. Le tueur ajusta et tira, à bout presque portant, une balle dans la nuque penchée. Le pistolet à silencieux ne produisit qu’un claquement sourd, résonnant à peine sur le plafond bas du parking. Le tueur retourna du pied le corps et tira trois coups supplémentaires, au front et dans la région du cœur. Sans prendre le temps de chercher les douilles, il marcha d’un pas rapide vers sa victime, fouilla ses poches, y trouva un portefeuille dont il retira une clé magnétique siglée Ibis.

Il se dirigea vers le sas des ascenseurs situé à quelques mètres et remit la clé à un complice puis il en ressortit pour rejoindre sa voiture garée, sur le même niveau, quelques places plus bas, une Renault Laguna, portant un macaron Hertz. Roulant calmement, il quitta sans encombre le parking sous le regard indifférent des caméras qui filmaient les entrées et les sorties de véhicules. Le gardien du parking qui suivait un match de foot sur son téléphone portable ne leva pas les yeux à sa sortie.

Au sortir du quartier d’affaires de La Défense, la voiture du meurtrier obliqua par la voie sur berge vers le nord empruntant la départementale 7. S’arrêtant un instant sur le quai du Président Paul Doumer, à hauteur du pont de Courbevoie, le chauffeur descendit, alluma une cigarette, le temps de regarder des yeux un éventuel promeneur, et profitant d’une pause dans le trafic des voitures, il lança son arme dans la Seine.

2 - Le capitaine Morel

Lundi matin, le lieutenant Malik Benamar de la sous-direction anti-terrorisme de la DGSI découvrit dans la revue de presse quotidienne l’annonce de l’assassinat de l’ambassadeur Mustapha Khos. L’assassinat ayant été commis le vendredi soir, ses collègues de la Criminelle avaient du, raisonna Malik, garder sous embargo pendant quarante-huit heures le crime pour se donner un peu de champ pour enquêter plus tranquillement hors du brouhaha médiatique.

Il alla, à son habitude, partager le premier café de la journée avec le capitaine Morel, son supérieur, qui lui dit avoir reçu une alerte du directeur de la DGSI pendant le weekend. Malik et Morel étaient devenus très complices depuis leur enquête commune sur la libération de Marie Seclin enlevée par un réseau djihadiste lillois (cf. Exposée, T 1 des enquêtes du lieutenant Malik Benamar).

 Tu as appris l’assassinat de l’ambassadeur Mustapha Khos ? lança Morel qui poursuivit sans attendre la réponse de Malik, la Crim’ est chargée de l’enquête mais ils nous demandent un homme pour rechercher les commanditaires du crime vu la personnalité de la victime. J’ai proposé au Directeur que tu sois l’officier de liaison avec la PJ. On n’a pas les coudées franches sur ce coup mais on ne peut pas laisser le Quai des orfèvres agiter le landernau islamiste en France sans discernement.

 Je vois. Tu connais le nom de l’officier chargé de l’enquête ?

 C’est le commissaire Duval. Je l’ai eu comme professeur à l’école de police. Il n’est pas trop bourrin et pas politique pour un sou. Tu devrais bien t’entendre avec lui. Je l’ai appelé ce matin. Il m’a envoyé son rapport sur les premières constatations de la police scientifique. Pas bézef d’indices.

Malik lut rapidement le rapport rédigé lors de la découverte du corps. Pas d’indices, à part cinq douilles de 9 mm et l’espoir d’identifier un suspect grâce aux caméras vidéo du parking. Le dépouillement des images était en cours. Etait joint le compte-rendu de l’agenda reconstitué de la journée de la victime. La facturette de son téléphone portable était attendue dans la matinée.

 Maigre, apprécia sobrement Malik.

 Oui. Des pros manifestement. Je serai surpris qu’on retrouve l’arme. Quand à la voiture, probablement volée et déjà passée au concasseur. Reste le signalement d’un automobiliste sortant du parking quelques minutes après le crime mais c’est tout sauf un meurtre crapuleux, on a retrouvé le portefeuille et la mallette de la victime, apparemment intactes. Donc le, ou les, types sont déjà loin. La Défense est à moins d’une heure d’Orly et de Roissy en voiture. Même un vendredi soir, avec les départs en weekend. Sans compter les TGV et l’Eurostar. On ne retrouvera jamais le tueur. Le tueur avait au moins un complice. La chambre du responsable syrien à l’hotel Ibis a en effet, m’a expliqué Duval, été cambriolé sans effraction. Le deuxième homme a du utiliser la clé électronique volée à la victime après son exécution par le premier complice. On pense que le visiteur a emprunté la rampe piétonne du parking de l’hôtel qui donne sur le même niveau que celui où la victime s’était garée. On a sur la caméra de vidéosurveillance du parking Ibis des images très nettes d’un homme de type européen entrant à 19:35 puis ressortant une vingtaine de minutes après. Il n’est pas fiché. Comme il marchait normalement et était habillé comme un cadre, le gardien a excusé son manque de vigilance en expliquant qu’il n’était pas inhabituel de voir des clients trouver plus rapide de récupérer leur voiture le parking par l’escalier de service desservant le niveau -1 que de passer par la dalle de l’hôtel et le hall de l’hôtel. On ne sait pas ce que les tueurs recherchaient dans la chambre. La chambre a été fouillée. On va essayer de faire parler l’ordinateur. On voudrait bien interroger les proches mais l’ambassadeur n’avait ni secrétaire ni garde du corps. En fait, il était seul membre de la représentation de la Syrie libre, sa famille est réfugiée aux Etats-Unis. C’est par la recherche des commanditaires que l’on pourra progresser. Et, là, c’est notre domaine de compétence.

Malik acquiesça d’un hochement de tête à l’analyse de Morel. Les deux hommes savaient que la police criminelle allait patauger avec aussi peu d’indices et qu’après avoir revendiqué leur primat sur l’affaire, elle allait leur refiler le bébé donc autant s’y mettre tout de suite.

Malik rentra dans son bureau et ferma les yeux pendant dix minutes cherchant à se vider l’esprit. C’était une technique qu’il avait apprise de son épouse Madeleine qui pratiquait le yoga. La relaxation obtenue lui permettait d’écrire sur une ardoise mentale sans préjugé, presque automatiquement, suivant son intuition, un peu comme la dictée automatique des surréalistes.

Malik ouvrit le petit carnet noir qui lui servait à consigner ses cheminements lors des errements de ses enquêtes; il écrivit :

Victime : Mustapha Khos

Fonction : ambassadeur, représentant en France du Conseil national de Libération de Syrie, opposition démocratique au régime de Bachar el-Assad

Formation :

Il rechercha la fiche de Mustapha Khos sur la base de données de la DGSI et nota :

Terminale au lycée français de Beyrouth

Ingénieur en génie atomique, diplômé de l’Université de Moscou 1991

Carrière :

 officielle : Haut fonctionnaire au ministère syrien des ressources naturelles

 possible : coopération avec l’Iran sur leur programme nucléaire (?)

Confession :

chrétien maronite

Famille :

marié à Aïcha Khos, libanaise, musulmane sunnite, trois enfants

Résidence :

Hôtel Ibis - La Défense Centre 92400 Courbevoie

Femme et enfants réfugiés aux Etats-Unis à Newark (New Jersey USA) chez la sœur de Mustapha Khos : adresse inconnue

Commanditaires possibles de l’assassinat :

 Régime syrien : suspect le plus évident; crime signé ‘services secrets’

 Mouvements islamistes : possible mais pourquoi et modus operandi peu crédible

 Qatar : peu probable mais possible, compte tenu de la collusion Qatar/mouvements islamistes dénoncée par Mustapha Khos dans les médias français

Par esprit de méthode, il rajouta, après un instant de réflexion:

 Mossad : provocation mais quel bénéfice ?

 Russie : pour le compte des syriens vu le modus operandi

 Autre : ??

Question centrale : quel était le document recherché dans la chambre de la victime ?

Il ouvrit une seconde page dans son carnet qu’il titra : ‘Commanditaire : Syrie ?’

L’intuition de Malik ne le dirigeait pas d’emblée vers la piste syrienne mais elle s’imposait à lui et il résolut de focaliser ses premières investigations sur celle-ci.

Il nota ses premières réflexions sur la piste syrienne.

Quel bénéfice pour la Syrie ? Le diplomate était une figure respectée de l’opposition syrienne mais en rien un homme clé du Conseil national du Front national de Libération de la Syrie. Il serait remplacé rapidement après les hommages d’usage. Son action en France était plus celle d’un émissaire du Président du Conseil national syrien que celle d’un leader international. La Syrie savait qu’elle serait la première suspectée et, sans preuves, accusée explicitement par les médias français. Même sans risquer une crise diplomatique comparable à celle provoquée par l’assassinat de Chapour Bakhtiar par l’ayatollah Khomeiny en 1991 et à l’exfiltration ratée des agents de la Sawak vers la Suisse, pourquoi exposer la Syrie à la vindicte renforcée des démocraties occidentales alors que, volens nolens, celles-ci remettaient dans le jeu international la dictature alaouite, peste préférée au choléra islamiste. La Russie travaillait sans relâche pour faire de la dictature alaouite une pièce d’un règlement diplomatique de la guerre civile.

Le lieutenant Malik Benamar comprit que seule la fouille de l’appartement du diplomate pouvait orienter ses recherches sur le commanditaire du crime; il appela le commissaire Duval qui lui donna rendez-vous dès le lendemain à la Préfecture de police, Quai des Orfèvres.

3 - La guerre des polices n’aura pas lieu

La ‘guerre des polices’, c’est de la littérature policière. La lutte contre le terrorisme avait renforcé la collaboration entre les divers services du ministère de l’intérieur y contribuant : DGSI, section anti-terroriste de la Police judiciaire, Gendarmerie mais aussi la cellule spécialisée du ministère de la défense, le bureau EMS3 de la Direction de l’administration pénitentiaire au ministère de la justice, chargé du suivi des détenus signalés. Un préfet avait même été nommé pour assurer la bonne coordination.

Le Commissaire Paul Duval de la Brigade criminelle reçut Malik en compagnie d’un autre policier qu’il lui présenta :

- Lieutenant Robert Gentil, chargé de l’enquête ; il va vous faire le briefing.

Malik serra la main de son collègue, âgé d’une trentaine d’années comme lui. Gentil fit la synthèse des éléments rassemblés :

- L’ambassadeur a été tué par un tueur de manière très professionnelle. Nous avons retrouvé sur les vidéos du parking l’entrée d’un véhicule à 18:45 et la sortie du présumé tueur à 19:37. Nous pensons que l’heure de départ du véhicule de l’ambassadeur à la fin d’un colloque à Panthéon-Sorbonne a été signalée par un complice car le tueur n’est entré qu’une grande demi-heure avant l’assassinat, le temps de se mettre en planque mais pas trop tôt pour réduire les risques de se faire remarquer par un éventuel vigile. Un repérage des habitudes de la victime avait certainement été effectué permettant au tueur d’attendre dissimulé à quelques mètres de la place de stationnement, probablement caché derrière un pilier. L’ambassadeur a manqué à toutes les règles de prudence en se garant à la même place le vendredi, place qu’il appréciait pour sa proximité de l’ascenseur et de l’escalier de service. Il s’agissait d’une équipe sur place de deux complices : un tueur et un cambrioleur. Nous pensons que le tueur a agi seul. C’est plus discret et l’analyse balistique conclut à une seule arme, du 9 mm, à silencieux certainement, car aucun des automobilistes en transit aux alentours de 19:30, heure présumée du meurtre, n’a entendu de coups de feu. L’interrogation de tous les automobilistes sortis entre 19 :30 et 20 :00 permet de penser cet homme qui bien est le meurtrier. Le meurtrier aurait pu choisir de venir et repartir à pied mais nous avons deux éléments convergents pour tenir pour suspecte cette voiture en particulier : la plaque de la voiture est celle d’un véhicule louée le matin même par un ressortissant saoudien à l’agence Hertz de l’aéroport Charles de Gaulle sous l’identité de Abou Walid. Nous avons la photocopie du passeport et du permis de conduire du présumé tueur. Le ministère de la police saoudien nous a informés qu’il s’agissait de faux, des contrefaçons, plutôt bien faites selon eux. L’employé de l’agence a reconnu le client sur les images de la vidéo du parking. Il se souvient seulement d’un homme poli, discret, s’exprimant en anglais avec un fort accent arabe. On a retrouvé le passage du soit disant Abou Walid au contrôle de la PAF de Charles de Gaulle pour un vol en partance pour Doha à 21:45 sur un vol Qatar Airways. Le billet business avait été acheté cash à l’agence de voyages Wagons lits de la Défense le matin même. L’agence explique qu’il n’est pas rare que des riches ‘Arabes du Golfe’ paient avec des billets de cent euros leur ‘menues dépenses’. Le suspect a disparu dans la nature à son arrivée au Qatar. On a lancé un signalement Interpol du second homme, le supposé cambrioleur, le 8 en fin de journée, le temps d’exploiter les images de vidéo surveillance du parking de l’hôtel mais je doute de notre capacité à le retrouver sur une alerte vieille de presque 36 heures. J’attends les résultats complets de la section scientifique mais nous pensons que les deux complices étaient gantés et, pour parler franc, je n’en espère pas grand chose; ils se sont évanouis comme un mirage. S’agissant d’un meurtre ni crapuleux ni passionnel mais d’un assassinat commandité et perpétré par des professionnels, Malik comprenait l’absence de pistes concrètes de l’équipe. Il se livra, à voix haute, à une série de conjectures en forme interrogative :

- Ce qui me surprend, c’est le lien entre le meurtre et le cambriolage. Tuer pour récupérer une clé magnétique a peu de sens, sauf à vouloir punir la victime, envoyer un message politique ou éliminer un témoin compromettant. Tuer suppose que l’équipe savait ce qu’elle cherchait et où chercher, dans la chambre, car ils n’ont pas eu le temps matériel de conduire un interrogatoire… Mais ont-ils trouvé ce qu’ils cherchaient ? Le crime n’est pas revendiqué donc il ne peut être signé que par la nature du document, nature que l’on doit rechercher. Un crime visant à la simple élimination d’un opposant au régime alaouite est, me semble-t-il, peu probable. Mustapha Khos n’était pas un dirigeant clé. Si le Président Assad voulait frapper à la tête, c’est Georges Sabra qui aurait été assassiné. Mustapha Khos n’est pas le Chapour Bakhtiar syrien. C’est le cambriolage, bien plus que l’assassinat, qui me semble être l’objectif poursuivi. L’hypothèse d’une complicité au sein des personnes membres ou sympathisantes du Front national syrien, en France ou en Syrie ne peut être écarté à ce stade. La Syrie est le coupable idéal mais, à notre connaissance, la Syrie ne se livre pas à des éliminations d’opposants à l’étranger. Celle de l’ambassadeur serait une première et très risquée pour un régime qui essaie de ré-rentrer dans le jeu diplomatique. La nature du document est à rechercher dans celle des secrets éventuels que pouvait détenir l’ambassadeur Mustapha Khos de ses fonctions actuelles de représentant de l’opposition démocratique ou de ses activités antérieures en tant qu’ingénieur en génie nucléaire. Ce qui ouvre une piste iranienne compte tenu du programme de collaboration nucléaire entre la Syrie et l’Iran. Des preuves des crimes de guerre d’Assad sur son propre peuple ? Peu probable, le dossier rassemblé par les ONG comme Human rights watch est déjà largement suffisant pour traduire el-Assad et sa clique devant la Cour de justice internationale de La Haye. Le dossier des armes chimiques est connu de tous les services de renseignements occidentaux et de la Commission chargé de contrôler leur destruction. Aucune révélation n’est attendue. On sait déjà que le régime triche. La Syrie n’a plus, selon nous, de capacités à intervenir à l’extérieur. La collusion entre la Syrie et la Russie est, quant à elle, publique. Nul besoin de le documenter plus avant. Le mode opératoire pourrait être celui de services secrets russes mais le tueur semble être arabe et je ne vois pas, sauf à vouloir signer Syrie pourquoi employer un tueur arabophone. Donc la piste russe est peu probable mais ne peur être écartée à ce stade. Pourtant, le bénéfice d’éliminer un opposant est faible pour la Syrie au regard du risque de crise diplomatique alors que la Syrie essaie de rentrer dans le jeu international en proposant des plans de cessez-le-feu à Alep et en agitant le spectre de Dah’ech, prétendant jouer le rôle de rempart, d’allié objectif de la coalition internationale. Non, décidément, la piste syrienne, même si elle est la plus évidente, ne me paraît pas la plus probable. Un assassinat commandité par le Président Assad serait une erreur. Ce régime est criminel mais rationnel. Je pense qu’il faut chercher ailleurs le donneur d’ordre.

Le lieutenant Robert Gentil, qui n’avait pas interrompu le long soliloque de son collègue de la DGSI, comprit alors que l’enquête lui échappait mais, pour faire bonne figure, il demanda aimablement :

- Ce qui serait sympa, Malik, c’est que tu m’expliques les tenants et aboutissements de cette guerre civile en Syrie pour que je ne sois pas trop nigaud.

- Volontiers, si tu m’offres un café ! répondit Malik qui le trouvait également sympathique et était rassuré de ne pas se trouver au centre d’une guerre des polices.

4 - Al Jazzera

Devant l’absence d’indices tangibles sur l’hypothèse d’une responsabilité du gouvernement syrien de el-Assad, Malik décida d’explorer la piste qatarie.

- C’est un peu obsessionnel chez toi ! lui reprocha Morel en lui renouvelant ses instructions de la plus grande prudence pour rassembler des éventuelles preuves car un incident diplomatique entre la France et le Qatar pouvait définitivement compromettre le succès de la vente de Rafale à l’émirat.