Eaux mortelles à Vichy - Christophe Stener - E-Book

Eaux mortelles à Vichy E-Book

Christophe Stener

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Beschreibung

Pastiche d’Agatha Christie, le roman narre l’enquête d’un jeune Lieutenant de police dépassé par les dix assassinats perpétrés à Vichy, reine des villes d’eau, par un tueur en série. Les frustrations provoquées par le déclin du thermalisme, l’emprise de la Compagnie Fermière de Vichy, les haines héritées de la sombre période de l’Etat de Vichy, les jalousies conjugales, les supposées visées chinoises sur la ville sont la trame de fond de l’intrigue. Débutant sur un mode humoristique, le livre devient sombre quand le policier découvre la lutte politique entre l’internationale ultranationaliste et les humanistes vichyssois. Ambiance à la Claude Chabrol pour dénouer l’intrigue par un portrait acide des mœurs légères de la gentry bourbonnaise. Une visite de la ville thermale agrémentée de dix meurtres.

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A ma mère,

A la mémoire de mon père,

Sommaire

Fatale eau des Célestins

Raphaël Liousse

Mort subite

Hypocondriaque

Mélissa

La boite de Pandore

Jacques Oridot

Edouard de la Musardière

Cyanure

Bains de première classe

Intrigues vichyssoises

Sporting club

Marie-Josée Levy, DRH

Les Frères trois points

Scrabble mortel

Maurice Moabon, Vénérable Maître

Sunyparks

Peur sur la ville

Fatale eucharistie

Salmo salar

Cavilam

Rav party chinoise

Iron man

Funeste lecture

Le corbeau

Casablanca

Le château des Brosses

La Milice

Où il est question de François Mitterrand et de Guy Ligier

Eagle

Le croate

Rotary

Oustachi

Internationale fasciste

Purge

Ducray

Dupin

Cherchez la femme !

Sophie

Gisèle

Dragomir Grebsa

Adultères

Mélissa

Epilogue : Vichy, reine des villes d’eau

Fatale eau des Célestins

Henri Calou n’était pas malade mais faisait sa cure thermale, depuis dix ans déjà. Son médecin généraliste, le docteur Loisy, consulté pour une grippe, lui avait recommandé d’aller prendre les eaux, remarquant, incidemment, qu’une partie importante des soins était pris en charge par la sécurité sociale et, sur cette précision pécuniaire, l’intérêt d’Henri éveillé, lui avait prescrit une cure à Vichy compte tenu de ses soucis prostatiques. Ce que Henri ignorait, c’est que le beau frère du docteur Loisy était le docteur Paul Ducray, salarié de l’établissement de première classe de la station napoléonienne.

Henri fit ses comptes. La cure ne lui coûterait, s’il optait pour une pension deux étoiles, pas plus cher que le séjour au village-vacances le Sindbad d’Hammamet en Tunisie que son épouse et lui, la regrettée Jeannine, décédée l’année de sa prise de retraite de gendarme, à cinquante ans, avaient coutume de passer, réservant la même chambre tous les ans, en saison creuse, la première quinzaine d’octobre. Sa décision était prise : il irait prendre les eaux en juillet-août. Au pire, cela ne lui ferait pas de mal ; au mieux, il s’en porterait bien.

Trente ans de casernement avait fait de Henri un retraité organisé. Il avait établi le programme journalier de son séjour dans la station thermale bourbonnaise, après trois semaines d’étude attentive des brochures de l’office de tourisme :

7:00 Lever 7:20 Petit-déjeuner à la pension Les Hortensias 7:40 Marche jusqu’à la source des Célestins 7:55 Verre d’eau 8:00 Marche jusqu’à l’établissement de seconde classe 8:30 Bain de boue 9:30 Douche balnéo 10:15 Marche jusqu’au bord de l’Allier 10:45 Partie de golf miniature 11:45 Retour à la pension en étudiant les menus des restaurants 12:15 Déjeuner à la pension 13:15 Sieste 15:00 Promenade dans les parcs et lecture du journal La Montagne 17:00 Demi panaché à la terrasse de la brasserie du casino 17:30 Partie de machine à sous (budget quotidien alloué : 10 €) 18:30 Baguenaudage jusqu’au restaurant choisi le matin 19:00 Dîner 20:30 Séance de cinéma 22:00 Retour à la pension 22:20 Coucher

Henri avait opté pour une demi pension afin de garder sa liberté pour ses sorties le soir et mener ‘une vie de garçon’.

La routine rassurante de ce programme fut bouleversée par l’annonce par le quotidien régional La Montagne de la tenue du championnat national de Scrabble dans les salons du casino le 22 août.

Henri était indécis. Henri pratiquait le Scrabble en amateur et ne manquait pas une diffusion de l’émission ‘Des chiffres et des lettres’ à 18:05 chaque soir de la semaine, même, grâce à TV5, pendant ses vacances en Tunisie. Devait-il sacrifier sa partie quotidienne de bandits manchots au Casino des Quatre-Chemins, pour assister aux prouesses des champions de Scrabble ?

Ce lundi matin 3 août 2015, le dilemme de devoir choisir entre deux plaisirs occupait l’esprit d’Henri. Il en avait mal dormi. Henri marchait vers la source des Célestins, portant en bandoulière son verre enveloppé d’un joli paillage doré. Cela lui faisait comme un baudrier retenant, non plus le Sig-Sauer 9 mm, le lourd pistolet de dotation de la gendarmerie, mais le joli gobelet gravé Vichy en jolies lettres italiennes. Quelques buveurs d’eau, piétinaient, faisant la queue derrière Henri Calou qui se faisait un principe d’arriver toujours le premier, lorgnant, à travers les grilles encore fermées, le bec de cygne en bronze qui dispensait la boisson thérapeutique, affairés, pressés de se désaltérer comme si l’eau précieuse allait à manquer.

Après la seconde guerre mondiale, les jolies serveuses auxquelles les vieux messieurs adressaient des galanteries, avaient été remplacées par des robinets en accès libre accessibles après avoir acquitté pour certaines sources pour un droit modique d’entrée.

L’eau de la source des Célestins était en libre service mais les grilles donnant accès à la source ne se seraient ouvertes qu’à sept heures précises par un employé de la Compagnie Fermière de Vichy.

Vichy s’enorgueillissait de six sources en exploitation, plus trois inexploitées et trois dont le captage avait été bouché. Avant guerre, il existait beaucoup plus de sources, certaines au nom évocateur comme Radium ou Jeanne d’Arc ; plusieurs sources étaient alors la propriété de personnes privées. Depuis l’Etat s’était rendu acquéreur des dernières sources privées, constituant un monopole dont l’exploitation était aujourd’hui concédée à la Compagnie Fermière de Vichy jusqu’en 2030. Les vichyssois n’avaient jamais adopté la nouvelle désignation ‘ Compagnie de Vichy’ supposée faire plus moderne, ‘marketing’.

« Vichy ne s’est jamais relevé de la perte de ses colonies » était la formule consacrée de la gentry locale qui avaient vécu confortablement de la rente aqueuse, depuis la mode lancée par la princesse Eugénie de Montijo, l’épouse de Napoléon III, d’aller ‘prendre les eaux’. Les vieux palaces quatre étoiles avaient été vendus par appartements, les médecins thermalistes vivotaient, les parcs immenses faisaient le bonheur de quelques rares coureurs à pied, un des deux casinos avait fermé tandis que l’autre survivait à peine grâce aux bandits manchots faisant le bras de fer avec des curistes impécunieux. La bourgeoisie vichyssoise neurasthénique se complaisait dans la nostalgie des splendeurs passées, de l’époque où l’argent des coloniaux coulait à flot, comme l’eau vertueuse des robinets dorés. Les français d’Algérie ne venaient plus allonger le pastis de leur sang à l’eau ferrugineuse ni ceux du Tonkin tenter en vain de soigner leur malaria chronique par des enveloppements de bains de boue. La ville gardait de ce siècle et demi de fortune des établissements thermaux trop grands, un opéra déserté, un hôtel de ville prétentieux, un champ de courses inactif et un golf splendide. Toutes ces splendeurs formaient un décor de théâtre aux déambulations lentes des curistes qui musardaient sans rien acheter des trop nombreux commerces. Boutiquiers anxieux et curistes désargentés se dévisageaient à travers les vitrines comme dans un parc animalier. Quelques rares clients peuplaient les salons de thé devant un moka qui les occupait une heure durant.

Henri arriva ponctuellement, à six heures cinquante, dix minutes avant l’ouverture des grilles afin d’être le premier à boire l’eau salvatrice. Cinq autres curistes formèrent derrière lui une file d’attente devant la source, chacun attentif à ne pas perdre sa place mais poli et silencieux tels des paroissiens piétinant devant l’autel attendant de recevoir la sainte communion. A 7:01, Henri remplit sa coupe au bec qui déversait l’eau précieuse, refermant soigneusement le robinet après. Comme chaque matin, l’ancien gendarme se choqua à l’idée du gâchis de cette eau vertueuse par certains curistes désinvoltes qui ne refermaient pas le robinet après le remplissage, laissant l’eau se perdre dans une vasque en forme de bénitier. « Il aurait été si simple de mettre un robinet doseur comme dans les machines à café des autoroutes ! » tempêtait en silence l’ancien pandore.

Il fallait boire l’eau immédiatement, indiquaient les médecins, pour lui garder ses vertus, ne pas l’entonner, mais la boire à petites gorgées. Chaque curiste, son verre rempli, s’éloignait donc de quelques pas, attentif à ne pas répandre une goutte du précieux breuvage et, renversant la tête prudemment, goûtait lentement le liquide légèrement salé et fortement minéralisé, comme s’il s’agissait d’un grand cru. Les bulles d’eau, tiède en toute saison, titillaient la langue avant que le patient ne déglutisse son verre quotidien, avec le sentiment rassurant de se faire du bien, puisque la Faculté l’assurait. Les polémiques sur l’absence d’effet médical avéré des eaux de source, leur bénéfice, au mieux placebo, avaient beaucoup nui au thermalisme mais ici, à Vichy, les curistes ne doutaient pas.

Henri fut surpris du goût de l’eau des Célestins ce matin. Dissimulant la salinité et la densité minérale du breuvage aqueux, Henri sentit une amertume, un peu comme celle des noyaux d’abricots que gardait feu son épouse dans ses confitures. Bizarre cette amertume, pensa Henri en demandant s’il avait bien fait de prendre du poisson la veille à L’atmosphère, la guinguette au bord de l’Allier. La tête lui tourna et, à la stupeur des autres buveurs d’eau qui attendaient en file derrière lui, Henri tituba et s’écroula d’un bloc la tête plongé dans la vasque, en forme de bénitier géant, qui recueillait les débordements des ablutions, sous un décor de mosaïques art déco représentant des jeunes femmes aux seins fermes et au regard dolent. Les autres curistes regardèrent leur verre d’eau avec anxiété. Un adolescent qui accompagnait avec une mine de condamné à mort, son père se saisit de son téléphone et filma le corps immergé avant qu’un homme ne se décide enfin à tirer le cadavre par les épaules pour le sortir de la vasque.

Les pompiers, arrivés sur les lieux en moins de cinq minutes, constatèrent le décès foudroyant du curiste.

Raphaël Liousse

Raphaël Liousse ne s’était jamais imaginé flic quand il était jeune.

Son père, a tempérament artiste, en réalité un dilettante, vivotait de la fabrication de bijoux qu’il avait réussi, un temps, à vendre à des maisons de couture pour des défilés de mode. Sa mère qui l’avait élevé seule, dès la séparation du couple quand il avait six ans, était rédactrice de mode et aussi hyperactive que son ex compagnon était lymphatique. Il avait malheureusement hérité des gènes artistiques du père sans l’énergie positive de sa mère. Doué d’un véritable don, il aurait pu être pianiste de concert avec un peu d’effort. Bon élève, il avait réussi sans peine une maîtrise de droit à l’université Paris Assas, réputée pour être l’une des plus exigeantes, puis s’était demandé de longues journées que faire de ce diplôme. Son bobo de paternel lui avait inculqué le mépris de l’argent ; un avocat d’affaires ne pouvait donc être que le suppôt du capitalisme sans foi ni loi ; avocat d’assises avait de l’allure mais il était un peu timide ; le droit des familles le troublait, lui qui n’avait pas réussi à garder une copine plus de deux week-ends successifs ; le droit social l’attirait car il s’imaginait tel Robin des bois défendre le salarié spolié mais il fallait aussi défendre l’employeur exploiteur pour vivre donc le droit ne lui servait à rien, pensa-t-il à regret. Le cousin de sa mère, un énarque défroqué qui avait démissionné de la fonction publique pour devenir consultant en stratégie, appelé en conseil par sa mère, suggéra au jeune homme une carrière dans la fonction publique. Servir l’Etat, prôna-t-il, était une garantie d’intégrité et la routine conviendrait à son caractère amorphe, jugea-t-il, in petto, lui qui avait démissionné de peur de mourir d’ennui à Bercy. La police nationale recrutait. Raphaël se présenta. Il se retrouva, par hasard presque, élève officier de police, promotion 2012, de l’école nationale de police de Cannes-Ecluse.

Raphaël qui avait trop regardé de séries télévisuelles se voyait déjà profileur, enquêtant sur des serial killers avec une collègue blonde hyper-sexy. Ses notes lamentables aux épreuves physiques et au tir, son indifférence aux cours sur le code de police lui valurent un lointain rang de classement. Quand son tour vint de choisir son commissariat de première affectation, il ne restait que Vesoul, Vierzon et Vichy. Sa mère ayant des cousins vichyssois, Claude et Eliane Sichon, il opta pour Vichy se disant qu’il aurait au moins l’avantage de quelques invitations à déjeuner en famille qui le changerait de la cantine. Il y avait un train entre Vichy et Paris, c’était moins sur pour Vesoul et Vierzon, lui dit son père dont la curiosité touristique s’arrêtait au périphérique parisien. Ce serait donc, un peu par défaut, Vichy.

Le jeune policier y fut accueilli cordialement par son supérieur, le commissaire Alphonse Sornin. Autant Raphaël était un parisien exilé en pays bourbonnais, autant Alphonse Sornin s’enorgueillissait d’être un auvergnat de pure souche. Né à Aubière, il avait fait son droit à Clermont-Ferrand, sans quitter le domicile familial distant de quinze kilomètres et après un exil temporaire en pays bourguignon à la sortie de l’école de police, il avait grâce à un service calme et prudent, sans éclat mais sans boulettes, réussi à se faire muter au commissariat de police de Vichy dont il avait pris la responsabilité depuis dix ans déjà. Quinquagénaire ventru et jovial, il arborait une moustache roussâtre; « la couleur des vrais gaulois » plastronna-t-il.

Vichy était une ville thermale endormie comme la Belle au bois dormant, piquée par le rouet fatal de la décolonisation, sans grand espoir d’un baiser salvateur. Peuplée de petits commerçants, d’une bourgeoisie pratiquant l’adultère sans violence, de rares anciens ouvriers de la Manhurin bénéficiaire du RSA, de fonctionnaires, la criminalité se bornait à des vols de voiture par des manouches, selon la rumeur locale prudemment non confirmée par le commissaire, car expliqua-t-il à Raphaël, les vols étaient commis hors de sa juridiction, dans les campagnes, en territoire de gendarmerie. Outre la communauté manouche, sus citée, tenue à bout de gaffe par Sornin, Vichy comptait une population d’origine arabe assimilée mais jalousée par certains autochtones car occupant les HLM bâtis par un ancien maire bâtisseur Pierre Coulon sur l’un des plus beaux emplacements de la ville, en bord de plan d’eau. Les musulmans cohabitaient harmonieusement avec un fort contingent de pieds-noirs qui, dans l’urgence du départ forcé, avaient choisi les lieux de leurs vacances pour refuge. L’ancien maire, Marcel Schwob, non inscrit, battu aux dernières élections municipales par le candidat du Front national, Gibert Oridot, avait gardé de son passé de directeur d’Emmaüs France, une dangereuse propension philanthropique qui lui avait fait accueillir un fort groupe de réfugiés rwandais qui avaient fondé une église évangéliste. Ce supposé prosélytisme des ‘africains’ avait été un des chevaux de bataille de la campagne électorale perdue.

Raphaël ne savait de Vichy, avant d’y être affecté, que deux choses :

capitale de l’Etat français choisie par Pétain parce qu’idéalement située sur la ligne de démarcation et riches en hôtels,

une marque de produits de beauté utilisée par son ex copine qui l’avait quitté du jour au lendemain lui laissant un mot où elle disait « en avoir marre de le retrouver endormi dans son bain ».

Le commissaire Alphonse Sornin fit à Raphaël l’article sur Vichy avec un enthousiasme non feint :

« Vous êtes un petit veinard d’être affecté ici en sortant de l’école. Vichy se classe au 153e rang en termes de violence aux personnes. C’est une Circonscription de Sécurité Publique peinarde. On a moins d’un meurtre par an, c’est tout dire. Vous allez y apprendre le métier peinardement, sans risquer de vous faire tirer dessus comme dans les quartiers nord de Marseille ou aux Tarterets. »

« Bizarre comme il ressemble à l’acteur Raymond Soupleix, le commissaire Bourel des Cinq dernières minutes, resté dans la mémoire collective pour son apophtegme : « Bon Dieu… mais c’est bien sûr ! » pensait Raphaël en écoutant un sourire crispé aux lèvres le prolixe descendant de Vercingétorix.

Raphaël, diplomate, ne releva pas qu’il y avait 426 CSP, donc que 153e, il n’y avait pas de quoi crier au record. Il laissa le commissaire, « bougnat de naissance et fier de l’être », lui vanter les plaisirs qui l’attendaient : « l’hiver, le climat est sain, froid mais sec, le printemps est idéal pour la pêche au saumon, l’été, la chasse est ouverte aux jolies curistes, heureux célibataire, l’automne, c’est la cueillette de champignons. Chaque saison, ses plaisirs ! »

Le jeune Lieutenant, arrivé depuis trois mois déjà, logé dans le logement de fonctions spartiate du Commissariat, partageait le rata des plantons et s’ennuyait tellement qu’il avait fini par accepter les parties de belote des gardiens de la paix qui le trouvèrent sans prétention. Le Commissaire l’invita l’avant dernier weekend de juillet, juste avant son départ en congés annuels, à déjeuner en famille. L’épouse d’Alphonse, Marguerite, aligna les banalités sur le temps comme des idées, vanta les charmes discrets de la ville d’eau, prenant à témoin son chien aux oreilles de chauve souris comme à un enfant. Le feuilleté aux pommes de terre à la crème, spécialité vichyssoise, fut suivi d’un poulet aux morilles, cueillies par l’époux, d’un saint-nectaire, le tout arrosé de Saint-Pourçain et de cerises à l’alcool. Raphaël opina, mutique et souriant, pendant tout le repas à toutes les trivialités de la dame qui dit à son conjoint, Raphaël partit tôt digérer par une sieste ce copieux repas. La maîtresse de maison prit à parti son commissaire de mari : « Il est pas un peu benêt ton adjoint, Alphonse ? Il n’a pas dit une parole sensée de tout le repas. A la réflexion, je ne suis pas sûre d’avoir envie de le présenter à ma nièce Caroline. »

Mort subite

Ce mardi 4 août, Raphaël était de permanence, le Commissaire étant parti le week-end précédent en congés pour tout le mois. Les cinq gardiens de la paix avaient reçu le renfort de trois CRS qui surveillaient les parcs en draguant les rares jeunes femmes curistes. A 8:10, Paul Vendat, le gardien de la paix au standard téléphonique appela Raphaël qui prenait son café dans sa cagna : « Chef, je viens de recevoir un appel des Pompiers qui viennent de constater le décès d’un curiste après l’ingestion de son verre d’eau des Célestins. Ils disent que ce n’est pas un arrêt cardiaque et ils demandent qu’on vienne sur place. Qu’est-ce que je leur dis ? »

« Dites leur que j’arrive. » répondit le lieutenant, content de se donner un peu de mouvement.

La source des Célestins, à moins de dix minutes de marche à pied de l’avenue Victoria, siège du Commissariat, Raphaël décida d’y aller d’un coup de vélo pour faire montre de la célérité de la police. Arrivé sur place, le pompier lui fit part de sa perplexité. Le curiste ne présentait au dire des témoins pas les signes habituels d’un arrêt cardiaque; il ne s’était pas pressé pas la poitrine avant sa mort, aucune sueur ; il était mort brusquement, juste après avoir bu son verre d’eau. Le pompier recommanda une autopsie car il n’avait jamais rencontré un cas aussi surprenant de mort subite.

Aux côtés des pompiers se tenait, modestement en retrait, un homme, la cinquantaine passée, aux cheveux ondulés poivre et sel, le nez chaussé de lunettes en écaille rassurantes que le capitaine de pompier présenta comme le docteur Pascal Dupin, médecin anesthésiste de la Véranda, la clinique privée de Vichy. « Une vague ressemblance avec Michael Caine » apprécia Raphaël, cinéaste impénitent.

« Je rentrais chez moi, j’habite dans le quartier. Je suis anesthésiste mais j’ai fait beaucoup d’urgences durant mes études ; quand j’ai vu la fourgonnette du Samu, je me suis présenté à l’équipe pour proposer mon aide. Le défunt n’est pas mort, selon moi, en première analyse, d’une crise cardiaque ; on a essayé de le réanimer moins de cinq minutes après qu’il soit tombée d’une masse selon les témoins, mais il n’a répondu à aucun des stimuli. Une foudroyante rupture d’anévrisme pourrait expliquer un décès si brusque. L’autopsie permettra peut-être de confirmer cette hypothèse mais je suis troublé par la tétanisation des muscles comme après un choc électrique. Cela ressemble à une anaphylaxie. Un poison violent du type cyanure, par exemple peut causer ce type de crispation post mortem. Il me semble à moi aussi indispensable de procéder à une autopsie. Cette mort me semble tout sauf naturelle. »

Raphaël remercia le médecin pour son intervention et son exposé médical, nota son nom, lui indiquant qu’il s’autoriserait à le visiter comme conseil à la clinique au vu des résultats de l’autopsie.

« Je reste à votre disposition » répondit posément l’anesthésiste avec une pointe de satisfaction visible d’avoir été le bon Samaritain.

Le corps fut expédié par fourgon sanitaire au service médico-légal de Clermont-Ferrand.

Par mesure de précaution, pour préserver les lieux pour une éventuelle investigation complémentaire et dans l’incertitude sur le rôle jouée par l’eau, le Lieutenant de police fit fermer la source des Célestins par l’employé de la Compagnie de Vichy et appela de son portable, le directeur de ladite compagnie, un dénommé Edouard de La Musardière.

« Coooment ? Un décès inexpliqué après l’ingestion d’un verre d’eau des Célestins ? Mais c’est incroi...yaable ! … Et vous voulez que je ferme la source ?... C’est très ennuyeux … Je comprends ; à vos ordres, mon Lieutenant » obtempéra le sang bleu qui parlait d’une voix affecté de muscadin.

Hypocondriaque

La carte de la pension Les Hortensias fut retrouvée dans le portefeuille de la victime, car dorénavant Raphaël le désignait ainsi. Le jeune Lieutenant reprit sa monture et s’y rendit en quelques coups de pédale. Selon la directrice de l’établissement, une certaine Micheline Desgironde, le curiste occupait, expliqua-t-elle, ravie de se trouver au cœur d’une intrigue policière, seul, la chambre numéro 27 ; la pension ne comportait que 7 chambres mais la dizaine qui indiquait l’étage impressionnait, pensait la tôlière, la clientèle. Accompagnée de la permanentée hôtelière, Raphaël visita la chambre de Henri Calou. Une garde robe bon marché, un désuet appareil photo argentique, des cartes postales non rédigées, pas de téléphone portable. L’adresse communiquée lors de la réservation était celle d’un petit pavillon d’Asnières sur Seine, l’informa au téléphone le commissariat local. Il serait compliqué de retrouver la famille du défunt, veuf et retraité.

Raphaël eut l’idée de consulter les fichiers Ameli de la sécurité sociale pour rechercher les médecins consultés par la victime dans la période récente afin de connaître les éventuels antécédents médicaux de la victime. Henri Calou avait consulté le 17 juillet, dès le lendemain de son arrivée à Vichy, le docteur Paul Ducray, médecin thermal attaché à l’établissement thermal de première classe. Ce n’était pas tout ! Henri Calou avait consulté vingt fois dans la seule année 2014 ! Raphaël retrouva le nom du médecin généraliste référent, le docteur Marion Lardy qui avait prescrit du Laroxyl au mort le 7 juillet, quelques jours seulement avant son départ en cure. Une prescription de diurétique par le même Dr Lardy datait de l’année précédente, le 10 novembre 2014. C’était ce même généraliste qui avait prescrit la cure thermale plusieurs années auparavant. Le Vidal en ligne indiquait pourtant une contre-indication à la prise simultanée de cet antidiurétique et celle de potassium compte tenu d’un risque d’hyperkaliémie. Raphaël, victime de la googleisation non maîtrisée, lut que l’eau des Célestins contenait du potassium (66 mg/L). Pour en avoir le cœur net, le lieutenant de police appela à Paris au téléphone le Dr Marion Lardy qui le prit au téléphone, après dix minutes d’attente sur une musique d’ascenseur, d’une voie de rogomme.

« Calou, vous dites ? Non, cela ne me dit pas grand chose. Vous savez je suis médecin au Semco, un dispensaire. Nous consultons jusqu’à 60 à 70 patients par jour, alors… Vous dites qu’il est mort en buvant de l’eau de source Célestins… Surprenant en effet mais en quoi puis-je vous être utile ? … C’est moi qui lui ai recommandé de suivre une cure thermale en 2010, dites-vous ? Cela ne fait pas de moi une suspecte, j’espère… Et je lui ai prescrit du Laroxyl en juillet dernier ? Savez-vous qu’un français sur quatre a pris ou prendra des antidépresseurs ? C’est plus consommé que les pastilles de Vichy, si vous me permettez cette plaisanterie stupide. … Et je lui aurais aussi prescrit un diurétique contenant de la spironolactone !? … de l’Aldactone … et qu’il y a contre-indication à la prise simultanée de Laroxyl et d’Aldactone ? … si vous le dites, je n’ai pas le Vidal sous les yeux, mais quand lui ai-je prescrit de l’Aldactone ? … en novembre 2014 ? Il y a prescription, si je puis dire; si le patient a pris sans consulter du diurétique en même temps qu’un antidépresseur, je n’y suis pour rien, il n’avait qu’à consulter la notice; les gens gardent des armoires à pharmacie pleine de médicaments et s’en jettent des boites entières dans le godet; on n’y peut rien nous autres les médecins … Bon, excusez-moi mais je dois faire une consultation toutes les cinq minutes si je veux gérer la file d’attente; alors j’ai au moins un embouteillage de dix patients depuis le début de notre conversation, donc si vous permettez, je vais soigner les vivants. A votre disposition ! » conclut l’impatiente praticienne en raccrochant au nez de l’inspecteur.

« Elle a la voix de Bette Davis dans Baby Jane cette toubib » se dit interloqué Raphaël.