Jeux pervers à Quimper - Bernard Larhant - E-Book

Jeux pervers à Quimper E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Plongée dans la double vie d'un jeune dealer assassiné.

Le chien d’un promeneur découvre au Corniguel, le corps d’un jeune homme, lardé de coups de couteau et enfoui sous un tas de sable non loin de la Péniche, la nouvelle boîte de nuit à la mode. La victime, Jérémy Fontan, 23 ans, a un casier de petit dealer. Pourtant, trois années plus tôt, il visait la position de major de sa promotion dans une école renommée.
Pour découvrir l’identité de son assassin, Paul et Sarah vont devoir disséquer la personnalité complexe de Jérémy, garçon intelligent et introverti, afin d’expliquer la chute vertigineuse de ce surdoué de l’informatique.

Suivez pas à pas la nouvelle enquête du capitaine Paul Capitaine et de sa fille dans ce 16e tome haletant ! Parviendront-ils à disséquer la complexe personnalité de la victime pour identifier son assassin ?

EXTRAIT

Le Corniguel avait bien changé depuis l’époque où je m’y rendais avec mon père pour commander le vin de plusieurs mois. Des navires le transportaient depuis l’Algérie et le déchargeaient ici. Un souvenir lointain dans ma mémoire, mais pourtant toujours présent. Je me rappelais qu’à l’époque, la grande maison sur la gauche, en arrivant sur le site, appartenait à une personnalité de la ville, homme politique et résistant, qui, je crois, se trouvait à l’initiative des chais du port de Quimper. Il trouvait alors certainement la vue imprenable sur l’Odet, la baie de Kérogan et le quai du port du Corniguel, un peu comme le panorama pour le capitaine d’un navire, depuis le poste de pilotage.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine, et de sa fille Sarah.  À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

À André Morin pour son expertise de la procédure.

À Lorraine, Brigitte et Domi, pour leur relecture amicale et attentive.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : 56 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Il trouve au sein de la brigade judiciaire une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa fille et partenaire. Il est le compagnon de Dominique Vasseur, magistrate au parquet de Quimper.

SARAH NOWAK : 32 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Elle a découvert en son partenaire Paul Capitaine, le père qu’elle recherchait. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère. Elle partage la vie de Quentin, un jeune pompier.

DOMINIQUE VASSEUR : 49 ans, célibataire, vice-procureure de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle siège dans une importante commission juridique aux États-Unis, un poste qui l’éloigne de Quimper durant six mois chaque année.

RADIA BELLOUMI : 37 ans, commissaire de police. Une surdouée d’origine maghrébine promue jeune à la tête du commissariat de Quimper. Elle a acquis le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka. Proche de Gérald Montaigne, ambitieux secrétaire de préfecture, elle est pressentie pour une haute fonction à Paris.

ROSE-MARIE CORTOT : 31 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. « RMC » pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente et gros atout pour la brigade judiciaire en raison de son génie de l’informatique. Meilleure amie de Sarah, elle partage la vie de Mario, détective privé et ancien policier.

CAROLE MORTIER : 45 ans, divorcée, une fille de 17 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et les incidences de sa passion pour le jeu.

BLAISE JUILLARD : 30 ans, célibataire, lieutenant de police. Le père est un ponte du quai des Orfèvres, le fils ne possède pas son étoffe. Sous ses airs nonchalants qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de vivacité d’analyse. Amoureux transi de Sarah.

MEHDI LANGEAIS : 38 ans, lieutenant de police, tout juste débarqué à Quimper. Ancien garde du corps, il a passé avec succès l’examen d’OPJ. Nouveau venu dans l’équipe, il est discret sur son passé et plutôt solitaire.

PROLOGUE

Il n’y avait rien de plus agréable qu’un dimanche matin estival à la pointe Saint-Gilles, quand on savait qu’on pouvait profiter de la vie, s’offrir le luxe de se prélasser avec indolence. Même si les vacanciers du camping voisin se levaient parfois tôt – comme s’ils se rendaient à leur travail – et souvent de façon bruyante. Mais à bien y réfléchir, ce bourdonnement de ruche ajoutait au plaisir du farniente dominical.

« Dominical. » Ce terme me faisait penser à Dominique, l’absente, repartie précipitamment travailler aux États-Unis pour deux mois dans sa commission internationale. Une tâche qu’elle accomplissait avec sérieux et passion, nourrie par le sentiment de laisser derrière elle l’empreinte indélébile de son savoir-faire juridique. Elle me parlait avec flamme des avancées de l’équipe internationale. L’objectif : mettre sur pied un arsenal de lois visant à contrecarrer les velléités des terroristes et harmoniser les textes des pays concernés pour mieux lutter face aux risques d’attentats et pouvoir punir de manière exemplaire les protagonistes de faits barbares et abjects. Une œuvre de longue haleine.

Dominique absente, j’avais davantage de latitude pour vaquer à ma guise, me direz-vous. Pas faux. Pourtant, elle me manquait bigrement, elle vers qui je me tournais pour savoir si nous allions nous promener vers la mer Blanche, nous diriger vers le phare du Coq ou encore le port, avant un arrêt au casino au retour, pour tenter notre chance. Seul, il me manquait le piment du débat inévitable sur le choix du programme, même si, en définitive, je me ralliais fatalement à celui de ma compagne.

Flemmarder, cela signifiait aussi faire l’impasse sur l’étape du rasage, volupté définitive. Juste une tasse de café en écoutant Breizh Izel, une douche rapide et j’étais sur le pont, prêt à l’abordage. La météo avait promis un superbe week-end que la journée de samedi n’avait pas démenti. Il n’y avait aucune raison pour que le dimanche soit différent.

Et Sarah, me direz-vous ? Elle avait décidé de rester passer la nuit à Quimper. Ce qui me laissait imaginer qu’elle avait renoué avec Quentin Le Gall, un valeureux pompier, de deux ans plus jeune qu’elle, qui avait le mérite, par rapport à Blaise, son rival policier, de se révéler fiable en toutes circonstances, solide et stable dans l’optique d’une vie de couple. Ce qui signifiait aussi qu’un compromis avait été trouvé à propos de leur désaccord majeur : Quentin n’entendait pas sacrifier son dimanche matin de jogging avec des potes, alors que Sarah tenait à sa grasse matinée, surtout quand le samedi soir avait été long et mouvementé. Les premières contingences de la vie de couple, les premières concessions aussi… Mais je crois que ma fille était encore loin de ces considérations d’importance, elle entendait simplement profiter de la vie.

Celle pour laquelle je me souciais le plus, c’était Radia, notre grande patronne. La présidentielle n’avait pas donné les résultats escomptés par Gérald, son compagnon fonctionnaire à la préfecture. Adieu les perspectives de promotion pour l’un et l’autre. Lui au cabinet d’un ministre – peu importait lequel – et elle, à la tête du groupe de sécurité de l’Élysée. Projets rangés dans les cartons après une période électorale ubuesque, ils avaient fait une croix sur leurs ambitions personnelles. Momentanément, bien sûr, le temps de rebondir. Cependant, les secousses avaient lézardé leur duo et je me trouvais souvent face à la Radia d’avant, celle qui doutait avant chacune de ses décisions, celle qui, en se regardant dans une glace, ne voyait pas une commissaire appréciée par ses équipes mais une beurette complexée. Elle ne se confiait pas à moi sur ses déboires conjugaux, mais je savais, pour le constater de visu, que Gérald ne la protégeait plus de sa prestance et de son affection. Peut-être avaient-ils décidé, de s’accorder un break. Livrée à elle-même, Radia se morfondait et cela me faisait de la peine.

Je m’apprêtais à ouvrir les volets de la maison quand je vis une voiture s’arrêter devant le portail, avant que sa conductrice ne sorte de l’habitacle pour ouvrir les battants. C’était Sarah et sa Polo jaune savane. Son arrivée imprévue ne présageant rien de bon, je décidai de terminer mon café. Effectivement, elle avait la tête des mauvais jours et passa devant moi, sans me calculer. Elle sortit un bol du buffet, alla le remplir de café, coupa impoliment le sifflet à Annaïg Haute, la journaliste de France Bleu Breizh Izel qui annonçait les titres de l’actualité et s’installa à mes côtés, tête basse. Je me levai pour lui poser un bisou sur le front et l’interrogeai très vite :

— Une mauvaise nuit, ma fille ?

— Je voulais te parler !

— Une bonne nouvelle ou un souci ?

— Les deux ! Je suis enceinte ! J’ai fait un test, avant-hier en soirée, pas de doute. Je m’en doutais un peu…

— C’est avec Quentin ?

— Oui, bien sûr, avec qui veux-tu que ce soit !

— Je ne sais pas… Blaise, peut-être… Enfin, comment te dire ça, c’est voulu ou c’est un accident ?

— Tu sais bien que j’ai toujours voulu être mère et, mine de rien, les années passent. Et puis, auprès de moi, j’ai d’un côté les regrets de Dominique qui fonce la tête baissée dans le boulot pour compenser le manque et de l’autre le bonheur de Rosie, qui attend un môme elle aussi et est sur son petit nuage…

— Non, Rosie est enceinte ? Je l’ignorais !

— Elle est discrète. Pour l’instant, elle ne veut pas que tout le commissariat le sache. Radia est au courant, je te rassure. Mais bon, Rosie est au septième ciel et cela fait envie…

— Donc, tu veux le garder, ce môme ! Et Quentin, qu’en dit-il ?

— Il ne touche plus le sol ! Un enfant avec moi, c’était son rêve… Il nous voit déjà mariés, moi pouponnant et lui nous protégeant de tous les fléaux de la planète. Il est adorable, il fait des bons de cabri du matin au soir.

— Et pas toi ?

— Ben, comment te dire, une partie de moi est très heureuse et une autre flippe un max. Est-ce le bon moment ? Serai-je une bonne mère, moi qui n’ai quasiment pas connu la mienne ? Comment vais-je conjuguer l’éducation de ce gamin et mon travail ? Enfin, cette fois, je plonge à pieds joints dans la vie des adultes et ça me file un coup de spleen. J’ai l’impression qu’une page se tourne et ce n’est pas facile. Non, en fait, je ne la tourne pas, cette page, je la déchire.

— Dur de faire le deuil de Poupette, appuyai-je en la relevant pour la prendre dans mes bras. Toutes les jeunes femmes en passent par-là, tu sais. Surtout aujourd’hui, devant jongler avec la vie moderne et le stress des emplois du temps. Tu sais que tu peux compter sur ton vieux père, même si je n’ai jamais donné de biberon, ni changé de couches, vu que ma fille était déjà propre sur elle, quand je l’ai connue. Quentin est un garçon responsable et ses parents des gens adorables. En plus ta future belle-mère…

— Je t’en prie, n’emploie pas ce mot, ça me fait à nouveau flipper !

— Bon, alors disons, en plus, Mylène ne travaille pas, elle sera heureuse de s’en occuper, elle aussi. Tu verras, tout va se passer au mieux. Tu sais quoi, à midi, je t’invite à La Vague pour fêter cela ! On va se faire une brochette de coquilles Saint-Jacques au Kari Gosse avec une bouteille de champagne. Tu peux toujours boire du champagne, dans ton état ?

— Papa, cela ne fait que cinq semaines, et j’ai rendez-vous lundi avec ma gynéco, pour confirmation, même si les tests sont fiables.

Nous étions encore tous deux enlacés à nous souvenir de nos sept années de vie commune, depuis le jour où j’avais appris que j’étais le père de l’une des meilleures jeunes policières de la planète, quand mon portable sonna. À cette heure, il ne pouvait s’agir de Dominique, elle devait encore dormir à poings fermés, de l’autre côté de l’Atlantique. En fait, je reconnus la voix de Blaise, qui se trouvait de permanence, bien moins gouailleur que souvent. Il semblait paniqué, me racontait une histoire décousue avec un débit encore plus rapide qu’à l’ordinaire, ce qui rendait son rapport incompréhensible. Je le suppliai de se calmer et de tout reprendre patiemment depuis le début.

— Un retraité qui promenait son chien de bon matin sur le port du Corniguel est tombé sur un corps enfoui sous l’un des tas de sable du quai. Il s’agit d’un garçon d’une petite trentaine d’années et, selon les premières constatations du légiste, il a reçu une dizaine de coups de couteau dans le ventre. Un règlement de comptes, sans doute ! J’avais pensé que si tu étais libre, tu serais plus solide que moi, sur une telle affaire.

— Tu as prévenu le parquet, j’espère ?

— Oui, le substitut Fabien Joinel est là, il espère sans doute la présence de Poupette. Enfin, la vie privée de ta fille n’est plus mon affaire. Si tu veux mon avis, je flaire une embrouille avec la Péniche, la discothèque qui s’est ouverte voilà quelques mois à deux cents mètres de là. La patrouille a dû intervenir à plusieurs reprises, les vendredis et samedis soirs. Enfin, je dis ça, moi…

— Bon, j’arrive parce que tout cela ne paraît pas net, mais tu me chamboules mon programme, mon grand, j’avais des projets, figure-toi ! Je vais voir si Gilles est disponible, avec son taxi, pour me conduire au Corniguel.

Je fermai mon portable et me tournai, perplexe et désolé, vers Sarah, pour lui annoncer, avec la mine de circonstance, que notre déjeuner en tête-à-tête avait du plomb dans l’aile.

— Un meurtre ?

— Oui, un gars d’une trentaine d’années qui a reçu une dizaine de coups de lame près de la Péniche, le nouveau club installé au Corniguel.

— Cela ne m’étonne pas, il m’est arrivé d’y passer la soirée et je n’ai pas du tout apprécié l’ambiance. Les gérants sont glauques comme des tenanciers de bordel à Pigalle et je suis certaine qu’on y consomme de la drogue. Et puis, il faut montrer patte blanche, pour y pénétrer, si tu vois ce que je veux dire. Ne dérange pas Gilles, je t’accompagne. En plus, Fabien est de permanence ce week-end, cela me fera plaisir de le revoir.

— Dans ton état…

— Mon papounet, ça suffit, je ne suis pas en sucre, non plus, se lamenta Sarah, agacée. Et surtout, par un mot sur ma grossesse devant Zeb ou le substitut, je ne veux pas me taper leurs commentaires forcément pénibles. Tu m’accordes cinq minutes, le temps de m’apprêter un peu. Il fait quel temps, dehors ?

— Très beau, mais oublie le maillot de bain, cela ne fait pas professionnel sur une scène de crime. Surtout pour une future maman.

Un peu plus tard, c’était à mon tour de traverser un moment de spleen. Deux êtres allaient prendre plus de place que moi dans le cœur de ma fille, et cela était tout à fait normal, mais me chagrinait quelque peu. Elle serait bientôt l’âme d’un foyer avec son époux et son enfant. Certes, elle travaillerait toujours auprès de moi – du moins je le souhaitais, car rien n’était acquis – mais nos relations ne seraient plus tout à fait les mêmes.

Plusieurs pages se tournaient en peu de temps. En foot, on appelait cela une fin de cycle, lorsque des joueurs, qui avaient fonctionné ensemble durant des années, prenaient des chemins différents. Là, Radia s’apprêtait à nous quitter, même si ce n’était pas pour l’Élysée. Nous allions récupérer un nouveau commissaire, certainement plus appliqué à gérer les comptes de la boîte qu’à épauler les équipes de terrain. Carole venait de rompre une nouvelle fois avec son ex, Guéric Boissard. Nous l’avions appris par leur fille Priscilla qui se faisait du souci pour sa mère. D’ici à ce que celle-ci réclame sa mutation pour changer d’air, il n’y avait pas loin. Rose-Marie était à présent quasiment mariée avec Mario, et si c’est ce qui pouvait lui arriver de mieux, avec la maternité, le jour arriverait sûrement où elle nous quitterait pour travailler avec son époux, dans son officine de détective. De son côté, Dominique s’éloignait régulièrement un peu plus, bien que la distance entre Quimper et New York ou Washington restât la même. Sa mission exaltante la captivait, quoi de plus normal, mais chaque retour dans son bureau de vice-procureure révélait le décalage de plus en plus grand entre sa mission internationale et les petites affaires locales. Autour de moi, c’était Waterloo morne plaine.

— Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te planter, mon vieux papa, je suis toujours là et j’aurai toujours une grosse place pour toi dans mon cœur ! lança Sarah, qui lisait dans mes pensées, me sortant de ma torpeur.

— Pourquoi grosse, tu trouves que j’ai repris trop de poids, ces derniers temps ?

— Gros nounours, va, tu sais très bien ce que je veux dire, mais désormais, c’est fini, je n’entrerai plus dans ton petit jeu. Tu sais à quel point tu comptes pour moi, sinon tu n’aurais pas été la première personne à qui j’en parle, après Quentin, bien sûr ! Même Rosie n’est pas au courant, tu vois. Je sais ce que tu penses, Quentin est trop sérieux pour moi, avec lui, ce n’est pas le coup de foudre du grand amour mais le mariage de raison. Tu sais, à un moment de sa vie, une femme a besoin de ressentir la sécurité, de construire sur du solide, ce doit être cela qu’on appelle la maturité. Comme Rosie auprès de Mario ou Radia avec Gérald, même si ces deux-là ne vieilliront pas ensemble.

— Il faut me comprendre, je ne t’ai pas connue enfant alors sept années c’est court pour me faire à l’idée que tu es devenue une femme. Mais ne t’inquiète pas pour moi, je vais m’y faire, je ne suis pas le premier à découvrir du jour au lendemain que sa fille a vraiment grandi.

— Je te rappelle que j’ai 33 ans, tout de même. Je ne suis plus une jouvencelle depuis quelque temps. Même si j’apprécie toujours autant la sérénité que j’éprouve quand je me blottis dans tes bras. Ils restent encore l’endroit où je me sens la plus protégée de tous les dangers de la vie.

— Oui, encore pour quelques semaines…

I

Le Corniguel avait bien changé depuis l’époque où je m’y rendais avec mon père pour commander le vin de plusieurs mois. Des navires le transportaient depuis l’Algérie et le déchargeaient ici. Un souvenir lointain dans ma mémoire, mais pourtant toujours présent. Je me rappelais qu’à l’époque, la grande maison sur la gauche, en arrivant sur le site, appartenait à une personnalité de la ville, homme politique et résistant, qui, je crois, se trouvait à l’initiative des chais du port de Quimper. Il trouvait alors certainement la vue imprenable sur l’Odet, la baie de Kérogan et le quai du port du Corniguel, un peu comme le panorama pour le capitaine d’un navire, depuis le poste de pilotage.

On était passé devant les chantiers navals et l’entrée de la SPA, ce qui rappela à Sarah l’un de ses anciens béguins. Un peu plus loin, Blaise faisait les cent pas devant un portail largement ouvert, derrière lequel on ne pouvait rater les imposants tas de sable. À l’époque de ma prime jeunesse quimpéroise, ils trônaient sur le quai de l’Odet, depuis la passerelle du Cap Horn jusque devant le palais de justice. Certaines personnes n’hésitaient pas alors, sitôt les monceaux de sable déchargés, à gratter pour dénicher coques, praires et palourdes roses qui feraient leur repas. D’autres venaient récupérer un seau de sable ou deux – qu’il conviendrait de passer au préalable à l’eau douce – pour un petit travail de maçonnerie à la maison. Une autre époque, d’autres relations humaines.

Ma fille m’avait expliqué qu’entre elle et notre jeune collègue, c’était le froid sidéral. Je le constatai très vite de mes propres yeux. Zeb s’approcha de moi pour me remercier d’être venu à la rescousse, sans un regard pour Sarah, qu’il mangeait pourtant des yeux, voilà peu. Il me guida vers une zone délimitée par des bandes bicolores. Noël Sapin, le médecin légiste, se trouvait toujours là, visiblement agacé d’avoir dû attendre mon arrivée pour faire transporter le corps jusqu’à son antre. Blaise me fit un premier compte rendu :

— Voilà la scène de crime, ce tas de sable récupéré du côté des Glénan. Pas de doute, le corps n’est pas arrivé du large avec le maërl, il a été balancé ici par le ou les meurtriers, voilà à peine quelques heures. La moto, un peu plus loin, appartient à la victime. Il faut les aligner, les tunes, pour se payer un tel modèle. Ce monsieur est la personne qui a trouvé le corps, Marcel Perchec, un retraité qui habite le quartier voisin de Kerlagatu. Enfin, le dénicheur du cadavre, c’est plutôt son chien qui a couru directement vers le tas de sable pour gratter et finir par découvrir le corps.

— Il a ça dans les gênes, m’interpella le témoin, un homme d’une bonne soixantaine d’années, aussi longiligne qu’un pylône d’électricité. Il s’appelle Rex, comme le chien de la télé, et il pourrait bien vous aider à boucler certaines enquêtes.

— Pour le flair, j’ai déjà ma fille, ironisai-je pour incorporer, certes maladroitement, Sarah à la conversation. Elle a déjà résolu bien des enquêtes retorses, grâce à son intuition. Le corps se trouvait donc là-dessous ?

— Oui, il était bien caché sous une couche de sable, mais Rex l’a trouvé quand même. J’ai aussitôt fait le 17 et la patrouille est arrivée peu après, suivie ensuite de votre jeune collègue et d’un magistrat.

— Bien, je ne vais pas vous retenir plus longtemps, monsieur Perchec, je vous demanderais seulement de passer au commissariat dès que possible pour signer votre déposition… Alors, Noël, puisque vous aussi semblez pressé, résumez-moi les fruits de votre première analyse. Je suppose que la victime ne s’est pas blessée seule, nous avons donc affaire à un homicide.

— Onze coups de couteau, l’assassin n’y est pas allé de main morte, précisa le médecin légiste. Pratiquement tous dans le ventre, ce qui signifie que la victime n’est sans doute pas morte sur le coup mais s’est lentement vidée de son sang. Il faut être très en colère pour administrer onze coups de couteau à un ennemi. D’où mon hypothèse de règlement de comptes.

— Heure de la mort ?

— Entre 1 et 3 heures du matin, je ne peux être plus précis tant que vous ne m’aurez pas laissé en tête-à-tête avec ce garçon. Je saurai alors aussi s’il était ivre ou drogué…

— Il avait des papiers sur lui ?

— Oui, j’ai ça en magasin, confirma Blaise en se rapprochant de moi avec le portefeuille de la victime, Jérémy Fontan, 23 ans, domicilié rue Eugène Boudin, sur le Frugy. On a aussi trouvé sur lui des cartes de visite à son nom. Il semble patron d’une petite société de réparation de matériel informatique et de téléphones. Autre point, le vol n’est pas le mobile du meurtre, il avait une liasse de billets de 100 euros dans sa poche.

— Bigre, le dépannage d’ordinateurs rapporte beaucoup d’argent, m’étonnai-je, en secouant la tête, interloqué. Ou alors Jérémy avait des activités parallèles beaucoup plus lucratives que son job de façade.

— Soit il allait acheter de la drogue à un revendeur, soit c’est lui qui dealait et avait une clientèle parmi les habitués de la Péniche, ponctua mon jeune collègue, convaincu d’avoir déjà décelé la bonne piste.

— Bon, Noël, j’espère que ce garçon vous fera des confidences en tête-à-tête ! Il est à vous, vous pouvez l’emporter. Blaise, je suppose que tu connais bien cette discothèque, tu vas nous y conduire.

— J’ai eu l’occasion de m’y rendre à deux reprises avec une ancienne relation, lança notre équipier, du dépit dans la voix. Mais ça, c’était avant, du temps où nous étions partenaires, tous les deux.

— Bon, puisqu’on est à présent en petit comité, où se situe le problème entre vous, exactement ? C’est le fait que Sarah se soit remise avec Quentin qui te dérange ?

— Mais elle ne sera pas heureuse auprès de lui, et en plus elle le sait. Un choix de raison, ça veut dire quoi, un choix de raison ? Même pas un an ensemble et elle va se barber comme…

— Sinon, l’alternative, c’est toi, railla Sarah. Un modèle de fiabilité. À peine ai-je le dos tourné que tu vas roucouler avec une jolie brune bien plus jeune que toi. Et tu oses venir me parler de vie à deux, de partenaire solide. Mais grandis un peu, Zeb, prends de la maturité et tu pourras avoir voix au chapitre. Alors, restons bons collègues et fermons le dossier.

— Mais je te connais, Poupette, je ne te donne pas…

— Tu ne m’appelles plus jamais Poupette, c’est clair ?

— Bien, lieutenant Nowak !

— Je vous préviens, tous les deux, votre duo de vieux mariés aigris, pas de ça avec moi ! intervins-je, passablement irrité. Nous sommes là pour bosser, découvrir le meurtrier d’un jeune homme qui aimerait bien pouvoir encore serrer dans ses bras une jolie fille, la taquiner de manière plus ou moins subtile. Je ne veux plus entendre un reproche de l’un vis-à-vis de l’autre.

— C’est pour cela que j’avais fait appel directement à toi, précisa Blaise sur un ton timide, je savais que si Sarah, pardon, le lieutenant Nowak t’accompagnait, elle nous…

— La ferme, Blaise, hurlai-je pour bien me faire entendre.

Comme son nom l’indiquait, la Péniche était une péniche. Sur ce point, il n’y avait aucun doute. Voilà un peu plus d’un an, elle avait été remorquée depuis Amsterdam, où elle avait déjà une fonction de discothèque, jusqu’au port du Corniguel et une fois agencée au goût de ses propriétaires, elle avait été inaugurée en grande pompe. Depuis, elle représentait l’un des lieux prisés des “nuitards” de Cornouaille, essentiellement une clientèle étudiante et relativement jeune de milieu aisé. Située en un lieu où les nuisances sonores, notamment, dérangeaient peu de monde, elle faisait maintenant partie du paysage local et n’était pas plus gênante que les cris des goélands de la baie de Kérogan ou les aboiements des chiens du chenil, avait même assuré un riverain à notre jeune collègue. De plus, ici, aucun problème de stationnement, il y avait de l’espace m’expliqua avec sérieux Blaise.

— Et par temps de verglas, il y a du sable pour couvrir les routes, lui rétorquai-je, sourire au coin des lèvres, ce qui le détendit un peu.

En s’approchant de la passerelle qui permettait d’accéder à l’intérieur de la péniche à toute hauteur de marée, et de la quitter en toute sécurité quel que soit son état d’ébriété, je m’aperçus, par l’un des hublots, que des personnes s’affairaient à l’intérieur, comme si elles désiraient effacer des traces de sang, par exemple. On approchait des 10 heures et le personnel se trouvait déjà sur le pont en ce dimanche matin. Étonnant. Au moins, aurions-nous des interlocuteurs.

Étant le plus âgé, je passai en premier, frappai à la solide porte et entrai d’autorité. Deux personnes s’affairaient effectivement, un homme déplaçait des fûts de bière et une femme passait l’aspirateur dans un grand espace censé représenter la piste de danse. D’un coup d’œil circulaire, je découvris le bar, en face de moi, des tables sur les deux côtés et, un peu plus loin, des portes battantes qui menaient vraisemblablement aux appartements. L’homme s’approcha de nous en hurlant que l’établissement était fermé, avant de baisser d’un ton à la vue de nos cartes de police.

— Pour des clients, peut-être, mais pas pour nous, assurai-je en rangeant ma brème. Vous avez dû apprendre qu’un jeune garçon a été retrouvé mort juste à côté, poignardé à onze reprises. Un dénommé Jérémy Fontan.

L’homme, la petite cinquantaine, chevelure grisonnante et carrure de videur reconverti en patron, posa son fût et se redressa pour afficher une mine décomposée. La femme, une brunette plus jeune à l’allure svelte de danseuse, arrêta son aspirateur pour aller s’appuyer au zinc, comme si elle craignait de défaillir. Il ne faisait aucun doute que le nom de la victime ne leur était pas inconnu. Ils se présentèrent. Enfin, l’homme s’exprima au nom du couple.

— Je me nomme Julien Rominger. Avec mon épouse, nous sommes les gérants de ce lieu. Oui, Jérémy Fontan était l’un des habitués de la Péniche, pourquoi vous le cacher ? Un garçon très attachant, mais très discret.

— Il est venu, hier soir ? poursuivis-je, stimulé par ce bon démarrage.

— Oui, il est passé, mais je ne pourrais vous dire, ni à quelle heure, ni pendant combien de temps, répondit le gérant, avec une gouaille parisienne peu habituelle en Cornouaille. Tu sais à quelle heure il est reparti, Clarisse ?

— Non, je m’occupais du service, comme toi, je l’ai vu passer, comme des dizaines d’autres clients, mais c’est tout, enchaîna l’épouse, sur ses gardes, à l’instar de son mari, mais avec moins de talent pour dissimuler sa panique ou sa tristesse. Il est mort comment ?

— Onze coups de couteau, je vous l’ai déjà dit. On ne lui a laissé aucune chance. Il avait une liasse de billets sur lui, votre établissement cache-t-il un tripot ? Je vous préviens, si vous tentiez de nous dissimuler des informations essentielles, nous le saurions très vite. Et cela pourrait barder pour votre matricule, si vous ne coopérez pas.

— Non, pas de cela ici, jura le gérant, tête haute. Pas de jeux, pas de drogue, pas de violence. Nous tenons à la réputation de notre établissement. Voilà pourquoi nous sélectionnons scrupuleusement notre clientèle, ce qui n’est pas au goût de quelques bandes de voyous de la ville.

— Ce sont bien des caméras que vous avez, autour de la salle ? questionna Sarah, tête levée, visage toujours fermé. Vous avez certainement les vidéos de la soirée d’hier.

— Euh, oui, bien sûr, elles se trouvent rangées dans un coffre de mon bureau, précisa le gérant. Mais notre établissement n’a rien à voir avec la mort de Jérémy, je vous jure.

— Imaginez qu’il soit arrivé au bras d’une fille et que celle-ci le découvre un peu plus tard appliqué à en bécoter une autre, poursuivit Sarah, mordante. Elle s’éclipse discrètement, l’attend près du tas de sable et lui fait payer sa trahison à coups de lame. On ne peut pas lui donner tort, à cette fille, il y a de quoi avoir les nerfs. D’un autre côté, ce n’est pas bien de se faire justice soi-même. Néanmoins, la scène aurait très bien pu être filmée par l’une de vos caméras.

— Pourrions-nous faire le tour des lieux ? réclamai-je devant un Julien Rominger visiblement embarrassé par la tournure des événements. Mes jeunes collègues sont des assidus de votre établissement. Moi, en revanche, à mon âge, je préfère les lieux plus calmes. Mon salon, par exemple.

— C’est que le ménage n’est pas encore fait, intervint la jolie Clarisse, encore plus gênée que son mari, nous offrant la première excuse qui lui passait par la tête, pas réellement la plus pertinente. Pour réduire les frais, nous nettoyons les lieux nous-mêmes…

— Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas très regardant sur la propreté de tout lieu qui pourrait être lié à un meurtre, au contraire, assurai-je en fixant cette femme plus fragile psychiquement que son homme. Donc ici, c’est la vaste salle principale avec le bar, la place du DJ en face, la piste de danse, les tables tout autour. Cela me semble assez propre. Vous avez donc d’autres lieux ouverts au public.

— Oui, les cabines sur le côté, derrière ces portes, me précisa Clarisse. En fait, c’est le nom que nous donnons à des salons particuliers de tailles diverses, conçus pour des groupes de quatre à seize personnes qui souhaitent organiser des soirées privées.

— Ce que, de mon temps, on appelait des baisodromes, assénai-je de façon cinglante.

— Oh non, pas du tout, qu’allez-vous imaginer, s’offusqua la gérante qui rougit aussitôt, moins par pruderie que par confusion. Ils sont plutôt destinés à des jeunes qui veulent passer un moment tranquille, sans risque de se trouver importunés par des gens mal intentionnés. Les cabines sont isolées du bruit et possèdent leur propre sono, pour distiller la musique souhaitée par les occupants. Naturellement, nous les louons pour la soirée, ce qui ne les rend accessibles qu’à des groupes qui ont les moyens de s’offrir ce supplément de confort et ce qui nous garantit leur bonne moralité.

« Comme si l’argent garantissait de l’honorabilité d’une personne », songeai-je aussitôt, sans pour autant formuler ma réflexion à haute voix.

— Et vous contrôlez via les caméras que rien de suspect ne s’y déroule, insista Sarah, s’amusant certainement de la gêne de la gérante, qui ne cessait de se trémousser devant nous.

— Non, les cabines ne sont pas équipées de caméra. Nous faisons entièrement confiance aux clients qui les louent. Naturellement, si nous avions vent d’un dérapage, nous exclurions immédiatement les personnes, mais cela ne s’est jamais produit, Dieu soit loué. Sinon, ces indésirables n’auraient plus le droit de fréquenter la Péniche, ce qui arrive parfois à certains clients de la grande salle, notamment des jeunes hommes, qui après quelques verres, ne sont plus maîtres de leurs gestes. Nous ne tolérons pas les comportements indécents, les règles de conduite sont affichées à l’entrée. Nos clients savent donc à quoi s’en tenir.

— Et cela vous est déjà arrivé de donner des cartons rouges à des membres de groupes pour des faits plus graves qu’une main aux fesses ou un baiser volé ? insistai-je, pour tester nos interlocuteurs

— Oui, une fois, intervint Julien Rominger, pour soulager sa femme. Des gars qui avaient imaginé pouvoir s’offrir un petit joint dans un coin de la salle, en trompant notre vigilance. Sauf que ces imbéciles s’étaient placés sous l’alarme qui avait fatalement fonctionné, comme à chaque fois que quelqu’un veut enfreindre l’interdiction de fumer à bord. Ça commence par une fumette et après, c’est la coke et l’héro. On ne veut pas de ce genre de camelote sur la péniche !

J’invitai Clarisse à nous précéder dans l’interminable couloir, semblable à celui d’un vieux wagon de train, avec sur la droite les accès aux cinq cabines. Au moins, ici, les jeunes apprenaient leur géographie, plus précisément leurs cours d’eau, car les cabines avaient pour nom : Escaut, Sambre, Rhin, Moselle et Meuse, une réminiscence de son ancienne existence batave, certainement. Escaut était la première, la plus petite, pour quatre clients, laissée dans un état pitoyable. Coupes de champagne renversées sur les tables, taches diverses sur le sol et même sur la banquette en moleskine orange, cacahuètes un peu partout. L’une des taches attira plus particulièrement mon œil comme, un peu plus loin, une poussière blanche dans l’encoignure de la table, que je me promis de venir inspecter de plus près dans quelques minutes.

J’invitai notre hôtesse à nous guider vers les autres petits salons aux décors et aux tons tous différents, pour constater qu’eux se trouvaient dans un état impeccable pour trois d’entre eux, et à peine souillé pour le dernier. Des clients plus propres que dans la première alors que celles du milieu n’avaient pas été utilisées. Clarisse nous avait ouvert les portes sans dire un mot. Son mari nous suivait, pas plus loquace. Allez savoir pourquoi, j’avais envie de les faire sortir de leur mutisme, quitte à les choquer. Un môme s’était quand même pris onze coups de lame dans le lard, je n’allais donc pas utiliser la manière courtoise :

— Les locataires de la première cabine méritent de se faire tirer les oreilles, non ? Il n’est pas mentionné dans les clauses de location de laisser les lieux dans l’état dans lesquels on les a trouvés ?

— Vous savez, comme on dit, le client est roi ! m’expliqua le gérant, dans un haussement d’épaules. D’ailleurs, ils ont remboursé les frais pour les dégâts. Vous savez ce que c’est, on fait la fête, on boit un peu plus que de raison, on ne maîtrise plus tout à fait ses gestes. Ce sont des jeunes, nous avons tous été jeunes.

— Si ça ne vous dérange pas, c’est vous qui voyez, c’est votre boutique. En plus du bordel organisé, mais après tout, cela faisait peut-être partie des gestes non maîtrisés, dans le salon Escaut, il y a eu drague et drogue.

— Non, c’est absolument impossible, certifia Julien Rominger. Et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il me semble vous l’avoir déjà expliqué, ce n’est pas le genre de la maison de tolérer de tels comportements, même de ses clients privilégiés. Ensuite, les personnes qui ont loué ce lieu pour une soirée anniversaire sont trois jeunes femmes au-dessus de tout soupçon.

— Je ne connais pas de gens au-dessus de tout soupçon, répliquai-je agacé, juste des gens qui se croient au-dessus des lois. Ou plutôt, j’en ai beaucoup connus, que j’ai fait tomber un peu plus tard. Et qui sont ces trois rosières, je vous prie ?

— Cela, je ne peux pas vous le dire, notre engagement inclut une confidentialité, surtout avec certaines personnes, il faut nous comprendre, notre business tient à…

— Les enfants, sortez vos pinces, nous allons poursuivre cette conversation au poste, ordonnai-je à haute voix. J’ai horreur qu’on se fiche de ma figure.

— Attendez, on va tout vous dire, se dépêcha d’annoncer Clarisse en s’approchant de moi. Il s’agit de Ludivine Pin, la fille de la présidente du département, accompagnée de deux amies, Chloé Staenler et Jasmine Lamaison. Elles sont toutes trois étudiantes en droit et…