Manhattan Tréboul - Bernard Larhant - E-Book

Manhattan Tréboul E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Le cadavre de Eddy Kermorgant, homme ayant fait fortune aux États-Unis, est retrouvé dans la suite de son hôtel avec la commissaire, Radia Belloumi, inconsciente à ses côtés. Paul Capaitain est certain de son innocence, il ne lui reste plus qu'à le prouver !

Événement à Tréboul. C’est l’ouverture du casino de la station, un vieux serpent de mer. L’initiateur ? Eddy Kermorgant, la cinquantaine, qui a fait fortune aux États-Unis dans une chaîne de crêperies bretonnes, veut offrir un cadeau à sa ville natale. Mais voilà, le soir de l’inauguration, on le retrouve mort dans une suite de l’hôtel de son établissement. Près de lui, le corps inanimé de la commissaire  un couteau à la main. Paul Capitaine débute la plus pénible des enquêtes pour tenter de sauver la grande patronne, d’autant que sa chef de groupe, Carole Mortier, doit affronter la police des polices, que Rose-Marie est en voyage de noces en Italie et que Sarah pouponne. Sueurs froides quotidiennes dans un triangle Quimper-Douarnenez-Châteaulin, face à un ennemi mystérieux, mais puissant et implacable.

Accompagnez Paul Capitaine dans le 18e tome de ses enquêtes, avec une pénible affaire liée à un meurtrier mystérieux mais puissant, entre Quimper, Douarnenez et Châteaulin. Un polar breton haletant qui vous filera des sueurs froides !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec cette première enquête d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.

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Couverture

Page de titre

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Aux membres du club des Douarnenistes et de Douarnenez, Devoir de mémoire, pour leur aide dans mes recherches sur le passé de Tréboul.

À André Morin et Jean-Pierre Homo, pour leur regard d’enquêteurs.

À Lorraine, Brigitte et Domi, pour leur relecture amicale et attentive.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : 56 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Il trouve au sein de la brigade judiciaire une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa fille et partenaire. Il est le compagnon de Dominique Vasseur, magistrate au parquet de Quimper, actuellement en mission aux États-Unis.

SARAH NOWAK : 32 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Elle a découvert en son partenaire Paul Capitaine, le père qu’elle recherchait. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère, elle partage la vie de Quentin, un jeune pompier, avec lequel elle a donné naissance à un enfant.

DOMINIQUE VASSEUR : 49 ans, célibataire, vice-procureure de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre et loyale, elle siège dans une importante commission juridique aux États-Unis. Ce poste l’éloigne de Quimper durant huit mois chaque année.

Radia Belloumi : 37 ans, commissaire de police. Une surdouée, d’origine maghrébine, promue jeune à la tête du commissariat de Quimper. Elle a acquis le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka. Vient de rompre avec Gérald Montaigne, ambitieux secrétaire de préfecture, violent avec elle.

Rose-Marie Cortot : 31 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. « RMC » pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur, le plus de la brigade judiciaire par son génie de l’informatique. Meilleure amie de Sarah, compagne de Mario, détective privé et ancien policier, jeune maman.

Carole Mortier : 45 ans, divorcée, une fille de 17 ans, Priscilla, capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et les incidences de sa passion pour le jeu.

Blaise Juillard : 30 ans, célibataire, lieutenant de police. Le père est un ponte du quai des Orfèvres, le fils ne possède pas son étoffe. Sous ses airs nonchalants, qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de vivacité d’analyse. Amoureux transi de Sarah.

Mehdi Langeais : 38 ans, divorcé, lieutenant de police, tout juste débarqué à Quimper. Ancien garde du corps de personnalités, il a passé avec succès son examen d’OPJ. Nouveau venu dans l’équipe, il est discret sur son passé et plutôt solitaire.

PROLOGUE

Samedi 28 avril, 4 heures, brigade territoriale autonome, gendarmerie de Douarnenez, 43, rue Dugay-Trouin

Lorsque la réponse de la patrouille arriva dans les bureaux de la permanence OPJ de la gendarmerie, elle déclencha instantanément un moment de panique.

— L’appel anonyme, ce n’était pas du bidon, on est bien devant un macchabée, allongé sur son lit en tenue d’Adam. Et près de lui, une nana, elle aussi à poil, complètement dans les vapes, mais avec le corps couvert de sang et un poignard à la main. Il faut que tu réveilles le patron, Streiff, c’est du lourd.

— Tu as des témoins ?

— Négatif ! Juste des curieux qui ont rappliqué à notre arrivée, mais on les a éloignés du périmètre. Vu le lieu, ça sent les emmerdes, cette affaire.

— Bon, je préviens Troupel immédiatement ; il ne va pas être jouasse, lui qui est de repos.

L’avantage, dans une gendarmerie, c’est que les membres des équipes sont facilement joignables et rapidement en action. Tel fut le cas pour le capitaine Gildas Troupel, à la tête de la BTA de Douarnenez pour encore deux mois, avant une nouvelle affectation, à qui son collègue, l’adjudant-chef Franck Streiff, relata l’objet du dérangement nocturne.

Au moins, pour lui, pas de rasage matinal, en raison de sa barbe épaisse, un gain de temps évident. Après avoir pesté un moment, il savait ce qui lui restait à faire : sauter dans son uniforme, lacer ses brodequins et donner un rapide coup de peigne à son abondante chevelure châtain. Quelques marches descendues d’un pas rapide et il se trouva dans la salle, au milieu de ses hommes, pour se faire passer immédiatement l’appel enregistré qui avait motivé l’intervention de la patrouille.

— J’ai entendu des cris dans la suite Tristan de l’hôtel-casino « Ker-Ys » de Tréboul, comme si un homme se faisait tuer, puis plus rien, je pense qu’il y a eu un meurtre, vous devez venir au plus vite, ânonna une voix masculine à débit rapide mais sur un ton calme.

Avant que son interlocuteur ne puisse relancer la conversation pour obtenir davantage de précisions, le requérant avait raccroché, comme s’il voulait éviter les questions supplémentaires, notamment sur son identité, selon le point de vue de l’opérateur téléphonique. Ainsi, pas le moindre numéro disponible pour un contre-appel. Cependant, le chef de poste avait décidé de prendre l’affaire au sérieux – le lieu était sensible – et de solliciter l’intervention de la patrouille du PSIG*, justement en surveillance dans la zone littorale de Tréboul, à ce moment de la nuit. C’étaient les trois éléments de cette unité qui se trouvaient sur site.

Troupel se fit repasser le message pour une première analyse rapide. Une voix masculine dont il conviendrait de déterminer la source, sans doute un téléphone prépayé. Un accent qui n’avait rien de douarneniste. Plutôt parisien, mais sans la gouaille d’un titi ; plutôt des beaux quartiers, pas de la banlieue et pas non plus de Ménilmontant ou Montmartre. Une personne impliquée dans l’affaire, à coup sûr, et qui voulait que les forces de l’ordre interviennent avant 6 heures du matin, l’heure légale si l’on n’est pas avisé d’une infraction, à plus forte raison d’un meurtre. Donc, un habitué de la procédure, qui tenait absolument que le corps soit vite retrouvé et identifié.

Gildas Troupel réclama à l’un de ses collègues, le jeune gendarme Kader Slimani, son habituel équipier, lui aussi porteur d’une barbe en collier, de préparer la voiture. Deux minutes plus tard, gyrophare allumé, le véhicule bleu quittait le centre de Douarnenez pour se diriger vers Tréboul. En empruntant le Pont-Neuf, qui enjambait la rivière de Pouldavid et dominait le Port-Rhu, Troupel réfléchissait à haute voix :

— Hier soir, c’était l’inauguration officielle de cet hôtel haut de gamme, avec le casino voisin. Un événement rassemblant tout le gratin de la région, des personnalités nationales. Et aussi les agents de la DGSI, de nombreux gardes du corps qui nous ont pris pour leurs larbins juste bons pour la circulation, je n’aime pas cela. Et bien sûr, tout ce petit monde a décroché sitôt minuit passé, comme Cendrillon, si bien que la responsabilité va nous retomber dessus, comme trop souvent.

— Je pensais que l’hôtel n’était pas encore ouvert, raison pour laquelle les légumes avaient investi divers palaces de la région, s’étonna Kader Slimani, la trentaine, tête bien pleine et flegme à toute épreuve.

— Manquerait plus qu’il s’agisse de squatters, bougonna Gildas Troupel, pas vraiment du matin, alors que le véhicule approchait des lieux, rue des Sables-Blancs, juste après l’intersection avec la rue des Sapins. Dans un établissement de ce standing à peine inauguré, une rixe entre clochards ou petites frappes locales ferait mauvais genre. Je vois cela arriver, gros comme une maison.

— Si j’ai bien compris, il y a une gonzesse, quand même ! Je vois plutôt la partie de jambes en l’air qui dérape, avec l’aide de la drogue et de l’alcool. Dans ces milieux si éthérés…

— Voilà, on arrive, gare-toi devant l’établissement, je vois l’un de nos collègues du PSIG, il doit nous attendre.

Effectivement, l’un de leurs gendarmes en tenue pour les patrouilles de nuit les attendait devant des bâtiments flambant neufs, érigés à la place de vieilles maisons, à deux pas de la superbe plage. L’homme vint à leurs devants et les salua avant de les escorter dans les allées de l’ancien square Emmanuel-Lensyer, à présent englobé dans le périmètre de l’espace hôtelier. Il les dirigea vers le bâtiment de gauche, l’hôtel quatre étoiles, alors que le casino se situait sur la droite, dans le rond-point.

— Je vous préviens, ce n’est pas joli à voir, une vraie boucherie, lança le collègue, pourtant rompu aux scènes glauques et trash, tout en montant l’escalier jusqu’au dernier étage. Elle n’y est pas allée de main morte, la nana. Le médecin légiste va se régaler et les experts de la Scientifique également. Ça fourmille d’empreintes. Et pour la coupable, pas trop de soucis pour vous : une fois son crime accompli, elle s’est endormie auprès de la victime. Soit complètement bourrée, soit shootée aux ecstas, dans ces soirées de la haute, pas étonnant. On attend les TIC*, pour l’identification de la victime et de la gonzesse. Le mec c’est un Blanc d’une cinquantaine d’années, la fille, une beurette, environ la trentaine, bien foutue… Euh, je veux dire, il se pourrait que ce soit une professionnelle, Capitaine. Tenez, c’est en face de vous, la plus belle suite de l’hôtel, avec une vue magnifique sur la baie de Douarnenez. Enfin, quand il fait jour…

Le capitaine Troupel salua ses deux autres collègues et pénétra dans la suite spacieuse et luxueuse. Un superbe salon et, curieusement, dans cette pièce, pas de remue-ménage, comme si le couple était passé directement à la chambre. Là, en revanche, c’était l’apocalypse. Des habits de l’un et de l’autre jonchaient le sol, jupette noire près de chaussettes grises, cravate à hermines à côté d’un soutien-gorge à dentelle très sexy. Et sur l’immense lit, un corps que Troupel reconnut immédiatement.

— Nom de Dieu, putain de bordel, c’est Eddy Kermorgant, le milliardaire américain, le patron des lieux. Ce n’est pas possible, quelle cata, c’est un cauchemar ! Mais vous ne l’avez pas reconnu ? Il fait la une de la presse régionale depuis plusieurs semaines, sa tronche est dans tous les canards.

— Vous savez, à poil, avec une vingtaine de coups de schlass dans le bide et le visage déformé par la souffrance, tous les hommes se ressemblent un peu, bredouilla le gars du PSIG, mal à l’aise. C’est sûr, si c’est un milliardaire, c’est un gros problème en perspective pour vous.

— Et la suspecte, elle se trouve où ? Vous ne l’avez pas laissée s’échapper, j’espère ? s’irrita Troupel, qui imaginait déjà les pénibles semaines à venir, et surtout les emmerdements en chaîne qui l’attendaient dès cet instant, jusqu’à la fin de sa mission à Douarnenez. Alors ?

— Elle est dans la salle d’eau avec Katia, notre collègue, pour respecter la procédure, expliqua le gars, un peu dépassé, qui regrettait déjà de se trouver en ce lieu, à cet instant, face à un tel tableau. De toute manière, on a ses empreintes sur le schlass, sur les draps et certainement aussi sur le corps du mec et sur les habits. Elle est complètement dans les vapes, elle a trop forcé sur le champagne, certainement. Enfin, pas que le champagne, à mon avis.

— Je m’en fous, de ton avis !

Troupel, passablement énervé, poursuivit son chemin, au radar jusqu’à la salle de bains, située pas bien loin, sur le côté de la chambre, même si la suite était spacieuse. Il découvrit deux femmes, une en tenue de gendarme qu’il connaissait très bien ; Katia était l’une des dernières recrues de son équipe, sérieuse et discrète, une solide blonde d’une trentaine d’années, originaire de la Lorraine. Quant à la seconde, sensiblement du même âge, chevelure noire et frisée en bataille, assise sur un tabouret de bois à trois pieds, vêtue d’un peignoir imprimé non fermé, il lui semblait aussi la connaître, sans parvenir à rassembler ses souvenirs pour se rappeler en quelles circonstances il l’avait croisée. La prénommée Katia, qui avait retroussé les manches de son pull bleu ciel pour ne pas le maculer d’hémoglobine, se leva d’un bond, tout en serrant l’épaule de la seconde femme d’une main ferme pour qu’elle ne s’effondre pas sur le carrelage blanc, puis se tourna vers le capitaine.

— Il y a un tube de somnifères sur la table de nuit, lança-t-elle sur un ton dégoûté. Une fois son geste accompli, elle a certainement dû vouloir se foutre en l’air. On peut la comprendre. Une coucherie qui aura mal tourné. Le gars a peut-être voulu abuser d’elle et…

— Vous avez trouvé ses papiers ? coupa Troupel, toujours en conflit avec sa mémoire récalcitrante.

— Affirmatif, son sac à main est posé sur la console, avec le portefeuille à l’intérieur et certainement sa carte d’identité. Mais je n’ai pas encore regardé son pedigree, j’essaie déjà de la maintenir en vie, en attendant les premiers secours. Le type qui a donné l’alerte l’aura peut-être sauvée d’une overdose de médocs. Du moins, si trente années de taule valent mieux que la mort…

— Kader, tu préviens les pompiers pour la prise en charge de la jeune femme, les pompes funèbres pour transférer le corps de la victime à l’hôpital pour autopsie et aussi les TIC, si ce n’est déjà fait par nos collègues, ordonna le capitaine, par réflexe. Moi, je m’occuperai du procureur, mais je crois bien que nous allons avoir deux énormes problèmes, en plus du fait que la scène de crime est complètement polluée, même si nos collègues présents les premiers sur les lieux ne pouvaient pas faire vraiment autrement, dans la panique et l’urgence de la situation. J’espère vraiment me tromper, mais je ne me fais pas d’illusions.

Après avoir enfilé une combinaison blanche et une paire de gants en plastique, Troupel récupéra le portefeuille de la suspecte dans le petit réticule, l’ouvrit pour en retirer une pièce d’identité et, très vite, comprit que le risque de seconde tuile qu’il supputait se vérifiait.

— Eh merde de merde, c’est pas vrai, ce n’est vraiment pas ma journée, hurla-t-il, ce qui affola son équipier, j’aurais mieux fait de me casser une jambe ce matin, tiens.

— Qu’est-ce qu’il y a, Capitaine ?

— Elle non plus, ce n’est pas n’importe qui, figure-toi ! Une professionnelle, tu m’étonnes. C’est la commissaire Radia Belloumi, la patronne du commissariat de Quimper. Mais que pouvait-elle faire dans cette chambre, une lame à la main ? C’est un cauchemar, je vais me réveiller, Kermorgant sera vivant et la policière à son bureau de Quimper ; tout cela n’aura été qu’une hallucination passagère…

— Non, patron, vous êtes bien dans cette putain de chambre d’hôtel devenue une scène de crime. C’est hélas la vérité, il va nous falloir l’affronter.

— Nous, je ne pense pas. Un milliardaire est mort à Tréboul et la coupable est une policière, commissaire de surcroît, à la réputation presque nationale. Je vais vite refiler le bébé à Rennes, ce qui, cette fois, m’arrange bien. J’avise le CORG* de la découverte d’un cadavre. Toi, tu me gèles les lieux, je ne veux plus voir personne à l’intérieur, ni Katia, ni la suspecte, ni tout autre individu, quel qu’il soit. Et pas de fuites sur ce qui se passe ici, d’accord ? Je ne veux pas voir les médias faire le pied de grue autour de l’hôtel, et encore moins devant la gendarmerie… Bon, je vais appeler le procureur.

Julien Vanhamme, lui aussi, devait prochainement quitter son poste de procureur de Quimper après huit années passées à la tête du parquet local. Il n’apprécia évidemment pas de se faire réveiller en plein sommeil un samedi matin, alors que l’un de ses substituts se trouvait de permanence. Mais quand il apprit la mort d’Eddy Kermorgant, lui qui, au nombre des notables invités, avait assisté à l’inauguration de l’hôtel Ker-Ys la veille au soir, soit juste quelques heures plus tôt, il manqua de succomber à une crise d’apoplexie. À son tour, le ciel lui tombait sur la tête. Il se demandait ce qu’il avait pu faire au bon Dieu pour mériter cela. Il se lamentait encore sur son sort lorsque le capitaine Troupel en rajouta une couche :

— Ce n’est pas tout, Monsieur le procureur !

— Quoi, ne me dites pas qu’il y a une autre victime, parmi les personnalités présentes à la soirée, s’emporta le magistrat.

— Pas tout à fait. Quoique… Voilà, dans cette maudite chambre d’hôtel, près du corps ensanglanté et sans vie de Kermorgant, nous avons découvert une femme allongée, complètement azimutée, l’arme du crime à la main. Et pas n’importe quelle suspecte, c’est aussi un personnage très important du département : il s’agit de la commissaire Radia Belloumi !

— Non, vous devez faire erreur, Capitaine, c’est absolument impossible ! D’abord, elle n’était pas invitée hier soir à Douarnenez, je l’aurais bien sûr reconnue parmi les personnalités présentes, peut-être même aurions-nous fait le trajet dans un même véhicule, comme souvent. De plus, elle n’a rien d’une criminelle, évidemment. Ce doit être un sosie. Une autre Maghrébine qui lui ressemblerait vaguement et, dans la panique du matin, vous les avez confondues.

— Pourtant, je vous assure…

— Et pourquoi aurait-elle voulu assassiner un bienfaiteur de la région, je vous prie ? Tout cela n’a pas de sens, Capitaine, convenez-en. Bon, j’arrive au plus vite, je me charge personnellement de cette enquête, même si j’entends déjà une escadre d’ennuis s’approcher de moi. Ah, si seulement Dominique Vasseur s’était trouvée en Bretagne, j’aurais pu m’appuyer sur elle, mieux encore, lui confier le dossier.

*

Tandis que son supérieur se débattait avec le suivi scrupuleux de la procédure, une fois les appels effectués à tous les futurs protagonistes des investigations, Kader Slimani sortit son smartphone et surfa sur Wikipédia pour en apprendre davantage sur Eddy Kermorgant :

Édouard Kermorgant était né le 5 mai 1967 à Douarnenez, il avait donc la cinquantaine, mais aussi un frère, Christophe, son benjamin de trois ans, avocat à Paris, spécialisé dans le droit des affaires. Pour leur part, les parents étaient morts, la mère d’abord, des suites d’une longue maladie, le père quelques années plus tard, d’un infarctus. Après quelques déboires professionnels en France, Édouard était parti en 1995 à New York avec un visa entrepreneur. Vingt années plus tard, après avoir débuté dans une espèce de food-truck pas loin du pont de Brooklyn, puis ouvert une première crêperie sur Broadway, il se trouvait à la tête d’une société nommée « La Galette bretonne », comptant à ce jour plus de deux cents franchises – un chiffre qui ne cessait d’augmenter – entre États-Unis, Canada et Mexique, générant un bénéfice annuel de près de dix milliards de dollars, une véritable “success story” au pays du rêve américain. Il avait su adapter la crêpe bretonne au goût des Yankees tout en imposant sur sa carte quelques irrésistibles recettes de sa ville natale. Un vrai carton. Sa réussite avait incité bien d’autres Français à tenter l’aventure dans des secteurs d’activité voisins, mais avec plus ou moins de talent et nettement moins de succès. Voire à tenter de copier le concept, mais sans la patte – et la pâte – du maître du sarrasin et du froment.

Un autre article, du Télégramme celui-là, proposait une interview du golden-boy, précisant qu’il était divorcé depuis deux ans, un fait qui n’était certainement pas étranger à son désir de rendre à la région de Douarnenez ce que celle-ci lui avait apporté durant les vingt-huit premières années de son existence. Il y parlait en mots sensibles de ses vacances dans la maison familiale de Tréboul – car sa mère était native du secteur et avait tenu à lui donner naissance à Douarnenez, pour qu’il ait des racines bretonnes –, de ses sorties en mer avec des jeunes de la région qui l’avaient initié à la plaisance comme à la gastronomie locale, et d’une jeune penn sardin* qui lui avait appris tous les secrets d’une crêpe et d’une galette réussies, à commencer par la qualité du sarrasin ou du froment. Et comme Tréboul était une station balnéaire sans casino, même si des projets avaient été commencés durant les trente dernières années, l’idée avait germé en lui de combler ce manque avec l’édification, à la place de la résidence familiale, bien vétuste, et de son jardin mal entretenu, d’un hôtel de luxe avec une salle de jeux. D’où la naissance du projet Ker-Ys.

Voilà donc un bienfaiteur de l’humanité à la trajectoire parfaite qui venait de voir son parcours interrompu brutalement, de la main d’une jeune beurette, policière gradée de surcroît. Évidemment, de quoi faire la une de l’actualité durant quelques jours, surtout à notre époque des réseaux sociaux et des chaînes d’infos en continu, friandes de scoops à sensation. Sans oublier, pour les enquêteurs, les pressions extrêmes de la part des autorités supérieures, que le jeune gendarme n’imaginait pas encore, trop novice pour avoir été confronté à une affaire de cette ampleur.

Pendant ce temps, les techniciens en identification criminelle, membres de la police technique et scientifique, étaient arrivés du centre de Châteaulin-Dinéault, et avaient investi la scène de crime. Tout comme était arrivé sur les lieux du drame un fourgon funéraire qui devait mener au centre hospitalier de Brest la dépouille d’Eddy Kermorgant. Une fois les premiers prélèvements sanguins et tests ADN pratiqués sur la suspecte, les médecins tentaient de la ramener à la réalité du moment, ce qui semblait difficile tant elle se trouvait dans le coaltar. Par prudence, mais aussi échaudé par une expérience précédente, Gildas Troupel attendait l’arrivée du procureur pour se placer sous ses ordres. Après tout, il n’était pas encore 5 heures et le soleil n’était pas levé sur la pointe bretonne. Pour la victime, cela ne changerait rien. Pour la suspecte, cela lui donnerait un peu plus de temps pour recouvrer une partie de ses esprits et tenter d’expliquer son geste.

Enfin, le magistrat du parquet arriva de Quimper, dans sa superbe C6 noire. Toujours le même : grand, très mince, chevelure blanche un peu en bataille, costume gris strict, chemise blanche et cravate rouge, imper gris léger pour se prémunir de la fraîcheur matinale. Le visage encore un peu plus fermé qu’à l’ordinaire, le verbe un peu plus rare. Il n’était pas venu seul.

Au passage, il avait récupéré la substitute de permanence, Laure Barbotan, une belle blonde de 35 ans qui avait débarqué à Quimper à l’automne précédent. Ambitieuse, bosseuse, bêcheuse, telle était la devise qui semblait inscrite sur son front, sous sa courte chevelure à la garçonne avec une espèce de banane de rockeur, bien surprenante pour une magistrate.

Gildas Troupel s’approcha du véhicule pour les accueillir et le procureur s’étonna qu’un tel drame ait pu se produire alors que le personnel de sécurité public ou privé était en surnombre durant la soirée et que le milliardaire, notamment, disposait à titre personnel d’une garde rapprochée particulièrement efficace. Comment un criminel avait-il pu pénétrer dans la chambre de Kermorgant sans éveiller la moindre alerte ? De plus, malgré l’évidence des premières constatations, il ne parvenait pas à voir en Radia Belloumi la coupable d’un acte aussi ignoble. Même ivre, même droguée, cela ne lui ressemblait pas. Et comble de l’ineptie, en restant sur place, la lame dans la main, pour qu’on l’arrête facilement. Impensable, inenvisageable pour ce magistrat chevronné.

— Je suis jeune dans le métier, Monsieur le procureur, mais mes cours de droit m’ont enseigné que toute personne est un criminel en puissance, précisa Laure Barbotan, histoire de montrer qu’elle existait, peut-être aussi pour attirer sur sa superbe anatomie savamment mise en valeur les regards des mâles qui l’entouraient. Une histoire d’amour qui tourne mal, une suspicion qui vire au psychodrame, un flagrant délit de trahison personnelle, les exemples ne manquent pas, dans l’histoire de la justice et de l’humanité. D’autant que, pour le peu que je la connaisse, mais par les nombreux portraits qui m’ont été faits d’elle, Radia Belloumi est une femme très ambitieuse.

— Oh, bien moins que vous, Laure, bien moins que vous, murmura le procureur, sans même regarder son interlocutrice. Voilà une affaire très embarrassante. Extrêmement embarrassante et bigrement délicate.

— Enfin, ce n’est pas comme si on n’avait pas de cadavre et pas de suspect, minauda la blondinette, décidée à tenir sa place et enfoncer un peu plus le clou de l’évidence.

Le petit groupe se trouva face à Radia Belloumi, toujours simplement vêtue d’un kimono imprimé, à présent appuyée au mur du couloir de l’hôtel et semblant commencer à émerger des limbes. Enfin, juste un peu, pas encore assez pour saisir la gravité de la situation, des accusations qui pesaient sur elle. D’une voix rassurante et chaleureuse, le capitaine Troupel lui demanda si elle se souvenait d’un détail particulier du déroulement de sa soirée.

— Je suis où ? bredouilla Radia, la bouche pâteuse, les yeux dans le vide avant d’accrocher le visage du gendarme. Il me semble vous connaître, je ne me souviens plus très bien… Tout est brouillé dans ma tête, j’ai des flashs, mais rien de précis, je suis fatiguée, j’ai tellement envie de dormir. Que fais-je dans cette tenue ? Vous aussi, je vous reconnais… Je ne sais plus qui vous êtes, mais je vous reconnais.

— Je suis le procureur Vanhamme, Commissaire Belloumi, nous avons bouclé pas mal d’affaires judiciaires ensemble, durant ces dernières années, vous savez, précisa le magistrat en s’apitoyant sur le sort de la policière, qui n’avait de cesse de refermer les pans du peignoir à présent serré par une ceinture de soie, dans un réflexe ou un instinct de pudeur retrouvée. Vous avez certainement été droguée.

— Droguée ? Je ne sais pas… Peut-être, je ne me souviens plus de rien… La dame voudrait que je lui dise ce que je faisais là, mais je ne sais pas, je ne sais même pas où je suis, je ne me souviens plus de rien. Je ne sais même plus qui je suis, alors… Commissaire Belloumi, vous m’avez appelée ?

— Elle est encore complètement dans le cirage, ajouta Katia, la gendarme du PSIG, restée près de la suspecte, des fois qu’elle simule l’amnésie pour mieux l’embobiner avant de tenter de se faire la belle. Impossible de lui tirer deux mots cohérents. Tant qu’on ne sait pas ce qu’elle a ingurgité…

— Kader, tu appelles en urgence Charlotte et tu lui demandes de rappliquer fissa avec des habits de sa garde-robe pour la commissaire Belloumi, intervint Gildas Troupel, en se grattant le crâne. Une tenue de sport, ça ira. Ou encore un pantalon et un pull. Elles doivent avoir à peu près la même taille et la même corpulence. Même avant l’aube, on ne va pas la ramener à la gendarmerie en peignoir, tout de même.

Une femme, dont personne n’avait remarqué l’arrivée, s’adressa au groupe. Il s’agissait de la gérante de l’hôtel. Elle proposa un café chaud aux uns et aux autres. Malgré le climat printanier, il serait apprécié, ne serait-ce que pour stimuler les neurones. Gildas Troupel ordonna à Kader d’attendre sa collègue avec Katia, auprès de la suspecte. Devant lui, Laure Barbotan prouvait qu’elle se trouvait bien de permanence, brûlant la politesse à son patron.

— Pardon, Madame, je suis la substitute Barbotan, chargée de l’affaire au côté du procureur. Il me semblait que l’hôtel n’était pas encore ouvert au public. Comme se fait-il que deux personnes y aient passé la nuit ?

— Mais, Madame la substitute, sauf votre respect, Eddy Kermorgant était chez lui dans ce palace. Il occupait les lieux comme bon lui semblait, expliqua la gérante, surprise d’une question aussi stupide. Surtout dans cette suite de luxe avec une vue magnifique sur la baie de Douarnenez, qu’il entendait se réserver, lors de ses séjours en France, qu’il espérait de plus en plus réguliers. Une fois la soirée terminée, comme cela était prévu, au lieu de rejoindre sa chambre à l’hôtel de la thalasso, il m’a expliqué qu’il allait occuper la suite Tristan et il a insisté, notamment auprès de ses gardes du corps, pour que personne ne le dérange. Ce qui a été le cas. Ses conseillers et cerbères, certainement rompus à de telles injonctions de sa part, se sont alors éloignés sans poser la moindre question.

— Peut-on imaginer alors que cette jeune femme soit sa maîtresse ? insista la jeune magistrate, que rien ne démontait.

— Si votre interrogation est de savoir si je les ai déjà vus ensemble, la réponse est non. Pas de Radia Belloumi sur la liste d’invitations, puisque telle semble être son identité, selon l’information qu’un enquêteur vient de rapporter à un collègue. Mais je n’ai pas vu son visage, non plus, j’ignore comment elle est…

— Tenez, réagit immédiatement Laure Barbotan en montrant une photo de Radia sur son portable. Ce visage vous dit quelque chose ?

— Non, ce n’était pas une intime de monsieur Kermorgant. Cela, je peux vous le certifier. À moins, bien sûr, que mon patron ne se soit montré d’une discrétion extrême, ce qui me surprendrait. Je suis très vigilante aux détails, notamment à l’entourage de monsieur Kermorgant, c’est mon métier.

— Elle savait donc qu’il allait loger dans cette suite et elle l’y a piégé, déduisit la magistrate, en se tournant vers son supérieur, comme s’il s’agissait d’une évidence.

— Peut-être avaient-ils rendez-vous, pour une raison qui nous échappe encore, nuança le procureur, et ils se sont trouvés en face de malfrats qui ont maquillé l’exécution de monsieur Kermorgant en droguant le commissaire Belloumi pour qu’elle porte le chapeau de leur forfait, ce qui, visiblement, semble fonctionner à la perfection.

— Oui, enfin, sans vous vexer, Monsieur le procureur, souvent, un plus un, ça fait deux, répliqua la jeunette, sans se démonter.

— Dans le passé de la justice de ce pays, de tels raisonnements rapides et simplistes ont aussi mené à de graves erreurs judiciaires, mademoiselle Barbotan, soupira Vanhamme, de plus en plus désolé de l’absence de Dominique Vasseur. Je vous propose de laisser nos enquêteurs faire leur travail et nous livrer les conclusions de leurs investigations, comme dans toute autre enquête. Enfin, pas de nous, mais de me livrer leurs conclusions, car j’ai décidé de m’occuper personnellement de l’affaire, même si votre aide me sera certainement précieuse, mademoiselle Barbotan. Par la précision de votre travail minutieux sur le dossier, pas pour vos conclusions à l’emporte-pièce.

Un petit groupe se trouva installé dans la salle des petits-déjeuners de l’hôtel, et la gérante prit les commandes. Alice Palazzo, la gérante, avait enfilé à la hâte un costume noir et un petit pull gris perle, mais n’avait pas eu le temps de se maquiller. À la demande des magistrats, elle expliqua comment elle avait quitté la réception d’un grand palace new-yorkais pour accepter la gérance du Ker-Ys. Quand elle quitta les lunettes de soleil qu’elle portait depuis son arrivée sur la scène de crime, malgré la nuit noire qui enveloppait le quartier de Tréboul, les uns et les autres découvrirent qu’elle venait de pleurer longuement. Laure Barbotan lui aurait certainement demandé sans sourciller quelle était la nature exacte de ses relations avec la victime, si l’intéressée n’avait pas anticipé la question.

— Eddy Kermorgant était un personnage magnétique, comme on en rencontre peu, dans une vie. J’ai quitté ma famille à 18 ans pour vivre ma passion des voyages et poursuivre mon cursus universitaire aux États-Unis, j’ai fait des études pour travailler dans les plus grands palaces de la planète et j’étais proche d’atteindre mon objectif. Pourtant, il a suffi qu’il me propose de prendre la tête de cet établissement au fin fond de la Bretagne pour que j’accepte, sans même discuter des conditions financières, des missions qui allaient m’être confiées, du travail exact que j’allais effectuer. Il était un homme à qui on ne pouvait rien refuser, mais il était aussi un homme qui ne vous demandait jamais ce que vous ne désiriez pas lui offrir. Il possédait ce talent exceptionnel de viser juste, quand il sondait un interlocuteur. Il savait que j’avais souffert d’une séparation douloureuse ; lui-même avait connu un divorce déchirant, pourtant jamais il ne m’a proposé de passer une soirée intime dans sa chambre, ce qui semble être la question qui vous brûle les lèvres, Mademoiselle. Il me respectait car, dans sa vie personnelle, chaque personne de son entourage possédait sa place. Eddy Kermorgant ne mélangeait pas les genres, il cloisonnait chaque cellule de son existence, dans les affaires comme dans le privé. Son amitié franche, sa confiance sans faille et son contact quotidien me suffisaient amplement.

— Il nous faudra la liste des invités de la soirée d’hier, madame Palazzo, mais aussi les films des caméras de surveillance, réclama le capitaine Troupel, tout en notant deux ou trois renseignements sur son carnet. Je pense aussi que des photos ont été prises de la soirée, il m’en faudrait un jeu complet, pour les besoins de mon enquête.

Un quatuor arriva dans la salle, avec à sa tête Kader Slimani puis trois filles : une grande brune à la peau mate, le gendarme APJ* Charlotte Malvoisy, une autre en uniforme, Katia, tenant par l’épaule la troisième, habillée d’un jogging un peu long et large pour elle et chaussée de baskets elles aussi un peu grandes. Avec également une paire de menottes aux poignets.

— Vous ne faites pas réellement la même taille, grimaça Gildas Troupel, en fixant le regard de la belle et grande Charlotte, après avoir constaté la dégaine navrante de la mise en cause.

— Ce n’est pas non plus comme si c’était un défilé de Miss France, répliqua sa subalterne du tac au tac. Dans les banlieues chaudes, les loulous adorent porter des tenues trop grandes…

— Jusqu’à preuve du contraire, intervint le procureur, tentant de sauver le plus urgent, la commissaire Radia Belloumi est simplement suspecte dans cette affaire. Aussi, les bracelets ne sont pas forcément indispensables.

De nombreux regards le fusillèrent, surtout féminins : Katia, Charlotte et bien sûr Laure Barbotan, qui manqua d’intervenir pour rappeler l’article 803 du code de procédure, avant de se raviser. Le procureur le sentit et anticipa toute polémique inutile.

— J’en prends l’entière responsabilité, si cela doit rassurer quelques esprits carriéristes. Dans son état physique actuel, Radia Belloumi ne me semble représenter un danger ni pour elle-même ni pour autrui. Elle n’est visiblement pas davantage susceptible de tenter de prendre la fuite, surtout avec ces chaussures bien trop grandes pour elle. Aussi, faute d’avoir pu lui trouver une tenue décente, puisque ses habits sont des pièces à conviction, retirez-lui au moins les bracelets.

Un quart d’heure plus tard, trois voitures se garaient dans la cour de la gendarmerie de Douarnenez et la mise en cause – flanquée des deux magistrats – était conduite dans le bureau du capitaine Troupel, qui allait tenter de l’interroger puisque, au fil des minutes et après avoir avalé deux cafés, elle semblait retrouver un peu de mémoire et un début de conscience de la réalité précaire de sa situation.

Cela gênait terriblement l’OPJ de gendarmerie d’interroger la commissaire de police. Il avait parfois eu l’occasion de la rencontrer lors d’affaires dans la région, d’apprécier sa rigueur mais aussi sa facilité spontanée à collaborer avec les gendarmes, ce qui n’était pas forcément le cas de tous les policiers. Un embarras qu’éprouvait aussi le procureur Vanhamme, mais pas le moins du monde Laure Barbotan, égale à elle-même, ce qui ne signifiait pas pour autant qu’elle ne cultivait pas la moindre estime pour la policière. Cependant, dès son premier jour en qualité de magistrate, elle s’était juré de ne pas faire entrer une goutte de sentiment personnel dans son travail. Cela la condamnait à une vie de nonne, la faisait passer pour une bêcheuse mais, au moins, elle gardait son libre arbitre et son indépendance.

En préambule à l’interrogatoire, Troupel demanda à Radia si elle se sentait en état de répondre à quelques questions simples à propos de la soirée d’inauguration et du déroulement des faits qui avaient suivi la fin de la réception. Sa réponse prouva qu’elle émergeait lentement des limbes :

— Je l’ignore, je suis désolée, je me rappelle à présent qui je suis, je sais aussi que j’occupe la fonction de commissaire de police à Quimper. Je retrouve des images de mon passé lointain, en banlieue parisienne, des petits films sur des bribes d’enquêtes dans la région. Pourtant, je suis incapable de vous dire comment j’ai occupé mes dix ou quinze dernières heures, si c’est la période sur laquelle vous souhaitez m’interroger.

— Désirez-vous la présence d’un avocat à vos côtés, mademoiselle Belloumi ? poursuivit le gendarme, conciliant.

— J’aimerais juste avoir une personne auprès de moi, mon seul ami, dont l’image et le nom me reviennent en permanence depuis quelques minutes, le capitaine Paul Capitaine. Je sais que ce n’est pas forcément légal, qu’il n’est pas avocat, que je n’ai pas le droit de dialoguer avec une autre personne que mon défenseur, mais lui seul saura débrouiller le piège dans lequel je viens de tomber. Car je suis tombée dans un piège, je suis innocente de ce meurtre que vous vous apprêtez à me mettre sur le dos. Sans vous vexer, Messieurs. S’il vous plaît, appelez-le, faites venir Paul. Je vous en prie.

*  PSIG : Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, groupe de treize hommes dépendant de la gendarmerie de Quimper, dont il est détaché.

*  TIC : Techniciens en identification criminelle.

*  CORG : Centre d’opérations et de renseignement de la gendarmerie.

*  Penn Sardin (tête de sardine) : nom attribué depuis le XVIIIe siècle aux femmes de Douarnenez, en raison de leur coiffe typique.

*  APJ : Agent de police judiciaire. Sa mission est de seconder les OPJ dans l’exercice de leurs fonctions. Il peut constater crime ou délit ou recevoir la déclaration d’un témoin.

I

Samedi 28 avril, 7 h 35

Départementale 765, à hauteur de Plonéis

— Tu n’es pas bavard, ce matin, Cap, nota avec perspicacité mon ami Gilles Queffélec, venu me chercher au pied de l’appartement de Dominique, que j’occupais seul en l’absence de la propriétaire.

— Non !

— OK, ça, c’est fait…

Depuis l’appel de Gildas Troupel et l’annonce de la garde à vue de Radia, à la suite de sa présence surprenante auprès du corps sans vie d’Eddy Kermorgant, je ne cessais d’être assailli de flashs morbides et d’impressions malsaines. Avec en vedette, Gérald Montaigne, l’ancien compagnon de Radia, sur qui j’avais enquêté discrètement, depuis que je le savais impliqué dans une nébuleuse affaire de prostitution dans les hautes sphères, mais pas seulement. La crapule concernée l’avait appris, lorsque j’avais demandé à Condor, mon référent dans les services secrets, de me trouver des renseignements sur le passé de cet individu suspect. Bien qu’en retraite et agacé par ma requête, Condor m’avait rapporté les infos, car il ne pouvait rien me refuser : Montaigne faisait partie d’un cercle fermé nommé le club Magenta, un groupe puissant, qui influait sur tous les rouages du pays : la politique, les affaires, la justice, la police. Le but : gouverner le monde, puisque le club Magenta avait des structures dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis, mais aussi des alliés solides ou de circonstance sur tous les continents.

J’entendais retentir dans mon crâne les menaces tonitruantes de Gérald Montaigne, me promettant de détruire mon entourage pour que je souffre de les voir tomber les uns après les autres. Je me souvenais de l’appel au secours de Radia, le jour de Noël, alors que son ancien compagnon tambourinait à sa porte depuis une heure. Avant de disparaître, peu avant que la patrouille ne vienne jeter un œil et que je ne rapplique pour la rassurer. Je me rappelais aussi la ferme mise en garde de Condor face au pouvoir de personnes qui n’hésiteraient pas à m’écraser, si je décidais de me placer sur leur route pour entraver leur avancée. Les mêmes conseils de prudence sortirent de la bouche de Dominique, ma compagne, avant qu’elle ne reparte vers Washington, via Paris, peu rassurée de me laisser seule face à de tels monstres.

Radia, pour sa part, tentait de tenir le coup, mais ce n’était pas facile pour elle. Sa sœur Samira habitait et travaillait désormais à Bénodet, mais cela ne rassurait pas l’aînée. Ces fous pourraient s’en prendre un jour à la plus jeune pour mieux la tenir. Une chance, depuis le début de l’année, rien de cela ne s’était passé. Pas le moindre nouvel élément dans le dossier Club Magenta, pas le plus petit soupçon de menace dans mon entourage. Le quotidien avait repris le dessus, pas forcément flamboyant, mais au moins assez paisible.

Certes, Condor m’avait aussi confié un dossier sur le club Magenta, que nous avions consulté durant un week-end, Dominique et moi. J’y avais trouvé des réponses à un certain nombre de mes interrogations, notamment sur le piège qui m’avait cloué pour un temps au Liban, à la suite de la mort d’un homme d’affaires français que j’étais chargé de protéger. Durant ce temps, des financiers français, soutenus par la banque Montaigne, du nom de la famille du fameux Gérald, menaient un business juteux en profitant des conflits dans la région, arrangements scandaleux que la victime s’apprêtait à révéler, raison réelle de sa présence à Beyrouth. Et en cette nuit, Radia venait de tomber dans un piège aussi vicieux que celui qui m’avait coûté un pan de ma carrière, sans doute ourdi par les mêmes personnes, ou d’autres aux mêmes visages infâmes, aux mêmes costards impeccables.

— Voilà, Cap, nous arrivons à Douarnenez. Je te dépose devant la gendarmerie, c’est cela ?

— Et même un peu avant, ce sera plus discret, mon vieux !

— Je t’attendrai le temps qu’il faudra, j’ai pris de la lecture, ajouta mon pote, sans se formaliser plus que cela d’une possible journée de perdue.

— Non, ce ne sera pas la peine. Le procureur est présent, il me ramènera à Quimper. Allez, bon week-end à toi.

— Cap, n’oublie jamais un truc, si tu as besoin de moi, de jour comme de nuit, j’accours à la minute, quitte à planter un client devant le taxi d’un collègue. C’est normal, c’est l’amitié.

— Je ne te mérite pas. On fait trente bornes sans que je te décroche un mot et tu ne me fais pas la gueule.

— Tu as tes raisons, elles ne me regardent pas, ponctua mon pote, en accompagnant ses mots d’un haussement d’épaules. Chauffeur de taxi, on a ses emmerdes, mais flic, ce n’est certainement pas marrant tous les jours.

En marchant vers la porte d’entrée de la gendarmerie, les paroles de Gildas Troupel m’étaient revenues à la mémoire instantanément : « Radia Belloumi a assuré que vous étiez son seul ami et l’unique personne qui pouvait découvrir ce qui lui était réellement arrivé. Elle a refusé un avocat pour pouvoir vous parler. Et le procureur Vanhamme a accepté cette entorse à la procédure parce qu’il la tient en haute estime et ne la croit pas coupable d’un crime aussi abject. » Sitôt entré dans la gendarmerie après avoir montré patte blanche, je fus dirigé par le planton vers le bureau du capitaine. D’autres personnes attendaient mon arrivée. Le procureur, bien sûr, soulagé de me voir, mais aussi une jeune femme qui le collait de près et dont Dominique m’avait assuré qu’elle avait les dents qui rayaient le parquet, ce qui, pour une substitute – donc magistrate du parquet –, était un inconvénient notable. Et aussi trois autres gendarmes, à coup sûr les membres de l’équipe de Troupel, face à une affaire comme jamais les uns et les autres ne s’en étaient coltiné.

— Paul, bonjour, lança le gendarme en s’avançant vers moi, main franche tendue. Je ne pensais pas vous revoir en une circonstance aussi dramatique.

— La dernière fois, si mes souvenirs sont exacts, c’était moi qui avais arrêté votre équipière, me souvins-je, embarrassé*.

— Mais elle était coupable, précisa-t-il, alors que cette fois, selon l’avis de la majorité des personnes présentes dans cette pièce, Radia Belloumi a été piégée. Par qui, pour quelle raison, nous attendons beaucoup de votre dialogue avec elle pour mieux percevoir ce qui s’est réellement passé cette nuit.

— Paul, je ne saurais trop vous conseiller de trouver rapidement une solution, intervint le procureur, de sa voix toujours embarrassée. Pour l’instant, la meute n’est pas au courant, nous menons cette enquête entre nous, si je puis dire. Mais dans quelques heures, les médias seront alertés, les instances supérieures s’empareront du dossier, exigeront que je décide l’ouverture d’une information judiciaire par la saisine d’un juge d’instruction qui n’aura d’autre choix que de mettre votre commissaire en examen. Et l’enquête sera retirée à la gendarmerie de Douarnenez pour se voir confiée à Dieu sait qui.

— La première question d’un fin limier est de se demander à qui profite le crime, avançai-je, sans marge de manœuvre. En l’occurrence, je ne vois pas très bien l’intérêt de Radia Belloumi dans l’affaire. Elle n’hérite pas du défunt, que je sache. J’espère qu’elle sera en mesure de m’en dire davantage.

— Nous allons l’installer dans la salle d’interrogatoire. Nous vous laissons une demi-heure en tête à tête ! précisa Troupel.

— Comment, Monsieur le procureur, vous n’allez pas assister à l’entretien ! s’insurgea Laure Barbotan. Moi, je veux assister à ce dialogue.

— Et risquer un vice de procédure ? questionna le procureur, sarcastique. Radia Belloumi peut réclamer de parler à un proche, si elle le désire, puisqu’elle a opté pour ce choix, plutôt que pour celui d’un avocat. Évitons de futures batailles juridiques, je vous prie, ma chère Laure.

— Mais…

— Voilà, la commissaire Belloumi vous attend, Paul, intervint Troupel, pour couper le sifflet à la péronnelle. Bonne chance, nous comptons tous sur vous pour désamorcer la bombe avant qu’elle ne nous explose entre les doigts.

— J’espère que, en parlant de bombe, vous ne parlez pas de notre commissaire, Gildas, osai-je répliquer pour détendre un peu l’ambiance. Même si en la matière, Madame la substitute Barbotan n’a rien à lui envier, mais avec elle, je risque un procès pour remarque sexiste…

J’avais rarement vu Radia dans un tel état d’abattement. Complètement azimutée, car le produit faisait encore de l’effet sur son système nerveux, et totalement anéantie après avoir recouvré assez de lucidité pour analyser la situation précaire dans laquelle elle se trouvait. Déjà ridicule dans ce survêtement lilas beaucoup trop grand pour elle, avec une paire de chaussures de clown ; mais pire encore face au meurtre dont on l’accusait. Dès qu’elle me vit, elle fondit dans mes bras. C’était la première chose à faire, même si cela allait bouffer un peu de temps. Mais cela prouvait aussi, si les nerfs lâchaient, que l’effet des médicaments s’atténuait. Elle se ressaisit très vite et me regarda avec un visage hâve de vierge martyrisée.