La Torche entre deux eaux - Bernard Larhant - E-Book

La Torche entre deux eaux E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Un malheureux accident ou un meurtre soigneusement prémédité ?

La mort, sur le spot de La Torche, de Charles Jouvain, espoir national du kitesurf et fils d'un juge d'instruction de Quimper, suscite une vive émotion dans la région. Pour les gendarmes dépêchés sur les lieux, il s'agit d'un déplorable accident causé par des conditions climatiques épouvantables. Pour Clotilde, la soeur de Charles, c'est forcément un meurtre.
Malgré de fortes pressions, Paul et Sarah, avec le renfort du jeune lieutenant Blaise Juillard, vont approfondir l'enquête des gendarmes de Pénalec et y relèvent rapidement des incohérences corroborées par le rapport sans appel du médecin légiste. Qui pouvait donc en vouloir au jeune sportif ?

Ce 7e tome des enquêtes du capitaine Paul Capitaine vous emmène dans le monde du sport au large de la Bretagne !

EXTRAIT

"— Ce matin, je suis sur le coup d’une mort accidentelle, à la Torche, durant le week-end, annonça-t-il, après les banalités d’usage. Un jeune kitesurfeur s’est aventuré sur les vagues malgré la tempête. La folie d’un moment d’égarement qu’il paie au prix cher. Drame supplémentaire, il s’agit de Charles Jouvain, le fils du juge et de l’avocate, l’un des grands espoirs français de la spécialité.
—Quel coup du sort pour cette famille ! bredouillai-je, imaginant le drame que serait pour moi la disparition de Sarah. J’ai eu l’occasion d’avoir affaire au juge Clément Jouvain sur deux ou trois dossiers, c’est un type bien en plus d’un magistrat compétent. Il doit être effondré, le malheureux ! C’est la gendarmerie de Pont-l’Abbé qui suit l’enquête, sans doute ?
—Non, ce week-end, c’était la brigade de Pénalec qui était de permanence ! J’ai rencontré le capitaine Martin qui m’a confirmé qu’il s’agissait bien d’un accident. Une stupide imprudence, à peine croyable pour un garçon intelligent et réfléchi comme lui ! C’est jeune, vingt-deux ans, pour mourir, surtout à l’aube d’une carrière prometteuse."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Éditions Bargain, le succès du polar breton." – Ouest France

"Un polar gorgé d’iode et vaporisé d’embruns, implanté en un site incomparable aux multiples visages attachants qui mérite ce coup de projecteur." - Patrick Thibaut, ardenneweb.eu

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

- À Didier Tirilly, fondateur de l’école de surf en Bretagne et figure mythique du site de la Torche, pour sa disponibilité et ses conseils.

- À Matthieu Baré, jeune surfeur, pour son soutien technique dans la mise en place de l’intrigue.

- À Sylvaine et Lorraine, pour leur relecture attentive.

NOTE DE L’AUTEUR

Pour la première fois, vous allez rencontrer, dans ce livre, la ville de Pénalec, censée se situer en Pays bigouden. Ne la cherchez pas sur les cartes de la région, cette ville n’existe pas. Ne souhaitant pas blesser les habitants d’une quelconque localité du secteur, j’ai volontairement inventé ce nom, pour bien souligner qu’il s’agit d’une œuvre de fiction dans laquelle les personnages ne peuvent se trouver comparés à des personnes existantes.

Vous la retrouverez bientôt, dans d’autres enquêtes de Paul Capitaine et Sarah Nowak, tout comme vous apprendrez à mieux connaître certains des habitants de cette localité. Que les amoureux de l’authenticité des lieux veuillent bien me pardonner cette incartade, j’ai trop d’amour et de respect pour le Pays bigouden qui représente la moitié de mes origines, pour risquer de peiner quelques-uns de ses habitants. Merci de votre compréhension.

PROLOGUE

Le mois de mai ne commençait pas bien ! Déjà, le Premier, jour férié, mon père avait laissé le gaz allumé en voulant se faire chauffer du lait. Depuis que nous avions appris la terrible nouvelle, il était atteint de la maladie d’Alzheimer, on savait qu’on pouvait le laisser seul, l’espace d’une heure ou deux, il ne cherchait pas à quitter les lieux et ne commettait pas de fâcheux oublis, mais désormais, sa situation avait empiré et, cette fois, il avait failli faire sauter la maison ! Par chance, Sarah avait remarqué l’odeur en descendant de sa chambre et elle était intervenue à temps pour éviter la catastrophe. De mon côté, j’étais parti plus tôt du bercail pour effectuer une bonne marche matinale, histoire de m’oxygéner. Quand j’avais frappé à la porte de sa chambre pour l’inviter à m’accompagner, ma fille avait grommelé quelques borborygmes pour me signifier qu’elle commençait juste sa nuit. Il est vrai que je ne l’avais pas entendue rentrer de sa soirée de fiesta en solo. À mon retour de balade, elle m’expliqua que, si elle m’avait obéi, la catastrophe n’aurait pas été évitée !

De ce fait, le déjeuner dominical, en compagnie de ma sœur Colette et de sa famille, se transforma en conseil des sages pour prendre une décision. Ma fille Sarah et moi faisions ce que nous pouvions, mais nos fonctions dans la police ne nous permettaient pas d’assurer des horaires fixes et une surveillance permanente. Depuis qu’elle occupait son poste d’assistante du médecin légiste, Colette ne comptait pas ses heures, elle non plus, et son mari Rémy, qui assurait la maintenance informatique pour des sociétés de toute la Bretagne, passait de moins en moins de temps à Quimper, pris entre ses activités professionnelles et les stages de remise à niveau de ses clients. Restaient deux solutions : engager une garde-malade, ce qu’il nous arrivait de pratiquer pour une journée, quand nous ne pouvions faire autrement, ou placer notre père dans une maison spécialisée où un personnel compétent s’occuperait de lui. Le genre de choix inhumain qui me rongeait les sangs. Par chance pour moi, ma sœur était une femme de décision, elle promit de se renseigner sur les deux possibilités et d’en étudier les avantages et les inconvénients.

Durant quinze jours, la femme de mon cœur, le substitut Dominique Vasseur, avait pris du repos, après les dernières péripéties de sa carrière qui avaient causé quelques séquelles sur nos relations déjà passablement complexes. Elle n’avait dit à personne, pas plus à moi qu’à Julie Varaigne, sa secrétaire, quel jour elle partait, à quel endroit elle se rendait ni quand elle rentrait à Quimper.

Rien ne m’exaspérait davantage que ses mystères et ses cachotteries. Pourtant, je parvenais toujours à lui trouver des circonstances atténuantes. Je savais que, plus approchait la date fatidique du procès d’un caïd du milieu marseillais, au cours duquel elle devait témoigner, plus elle paniquait et stressait. Elle pensait voir en permanence des tueurs à la solde du parrain de la Côte, débarqués en Bretagne pour l’éliminer et l’empêcher à jamais de parler. Elle ne vivait plus, ne sortait plus, ne cherchait plus à me rencontrer. Et en grande fille de 45 ans depuis peu, qui s’assumait en toute circonstance, elle ne me réclamait aucune aide et promettait que tout allait bien. Elle comprenait pourtant que je n’étais pas dupe.

J’avais donc pris l’initiative, avec l’accord de Radia Belloumi, notre jeune commissaire, de lui assurer une protection discrète, quand elle se trouvait à Quimper. Un bleu veillait régulièrement devant son appartement, remplacé seulement en cours de nuit, faute d’effectif suffisant, par des rondes régulières des patrouilles. Néanmoins, sans doute davantage par le fait que je tenais profondément à Dominique qu’en raison des risques réels, je finissais par partager ses craintes et voir un possible tueur à gages parmi les badauds que je croisais dans la ville, dotés d’un accent méridional prononcé. Ce mimétisme des sentiments et des réactions me prouvait au moins à quel point j’étais attaché à elle.

Depuis qu’elle s’était fâchée avec Rose-Marie, sa meilleure amie et collègue de bureau, en raison de petits désordres dans leur trio de copines avec l’avocate Joëlle Compan, ma fille Sarah ne me quittait quasiment plus. C’était ainsi à chaque fois que sa boussole affective s’affolait. Elle ne voulait pas s’épancher sur ses peines de cœur, prétendait elle aussi que tout allait bien, mais j’avais appris à la connaître, je savais qu’elle donnait seulement le change.

Par contre, je me faisais du souci à propos de ses soirées en solo, au cours desquelles elle prétendait se lâcher et décompresser de sa semaine de travail, sans que je ne parvienne à savoir auprès de qui elle échouait en cours de fiesta. Je ne désirais pas la harceler de questions, j’aurais juste souhaité la protéger de désillusions plus pénibles encore, voire d’un drame toujours possible quand on quitte le port par mer déchaînée.

Et que dire de l’ambiance au bureau, avec Rose-Marie Cortot, notre soleil des Antilles, qui ne desserrait plus les dents et arborait en permanence des lunettes noires, ce qui ne devait pas l’aider pour pianoter sur son ordinateur. Depuis leur différend, RMC s’appliquait à effectuer le service minimum, avant de partir rejoindre la jeune avocate Joëlle Compan, toujours open, comme disent les jeunes d’aujourd’hui, pour les soirées les plus extravagantes et les plus délirantes. Sarah les regardait partir s’éclater et se consumait de l’intérieur.

Souci supplémentaire, Carole Mortier, notre chef de groupe, ne parvenait pas à se remettre totalement de son récent accident. Elle conservait des séquelles à son genou blessé et avait été contrainte de passer sur le billard pour une intervention bénigne qui nécessitait cependant quinze jours de rééducation. Pour sa part, le dernier élément de l’équipe, le lieutenant Mario Capello, effectuait lui aussi de nombreux passages par les centres de soins, atteint d’une maladie compliquée qui nécessitait un traitement permanent. Nous n’en savions pas davantage sur son état de santé, nous regrettions de ne pouvoir compter sur lui qu’en pointillé, sans pour autant l’interroger sur le mal dont il souffrait. Néanmoins, quand il se trouvait parmi nous, Mario était à la fois un flic compétent et un excellent compagnon de mission, discret et efficace, facile à vivre et utile pour son esprit d’analyse.

Le remplaçant numérique d’Hervé Fouilloux, notre ancien chef de groupe, devait logiquement arriver dans la matinée. Numérique, car il s’agissait d’une jeune recrue tout juste sortie de l’école de police avec le grade de lieutenant, ne comptant qu’une petite expérience en région parisienne. J’espérais que le bleu se mettrait rapidement au diapason de l’équipe, j’en avais connu tellement qui, dans les premiers mois, loin de se révéler une aide, réclamaient quasiment une présence à plein temps, à leurs côtés !

Pour moi, la notion de groupe s’avérait essentielle, autant pour l’ambiance générale que pour l’efficacité sur le terrain. Seulement, avec la guigne qui me poursuivait depuis quelques semaines et l’enchaînement de catastrophes dans mon périmètre, rien ne me semblait moins sûr.

Donc, ce lundi matin du mois de mai était comme tous les lundis matin : morose, lent au démarrage, propice à ranger des paperasses et mettre de l’ordre dans les dossiers et dans les méninges. RMC s’activait sur son ordinateur sans relever ses lunettes, Sarah effectuait un travail administratif à la place de Carole et quand un fax sortit du télécopieur, ce fut pour nous annoncer que Mario Capello, le dernier élément de l’équipe, bénéficiait d’un arrêt maladie, lui aussi, pour une infection virale.

Ce fut l’instant que choisit un jeune ébouriffé à visage poilu et à la dégaine lasse de zonard pour se présenter au bout du couloir, un papier à la main. Il semblait passablement azimuté, tournait la tête dans tous les sens, perdu dans une doudoune sans doute directement importée du pôle Nord.

Il se présenta à RMC qui, d’un signe, le renvoya plus loin.

Il se traîna, dans un colossal effort, jusqu’à Sarah qui, d’un grognement inaudible, l’incita à se diriger vers le bureau du fond, celui que j’occupais.

— Vous pouvez respirer, voilà les forces vives qui arrivent ! me lança-t-il en me tendant son ordre d’affectation. Lieutenant Blaise Juillard, à qui ai-je l’honneur ?

— Capitaine Paul Capitaine ! répondis-je en tendant la main. Je ne suis pas le chef du groupe, mais le capitaine Mortier est absent. Je te souhaite la bienvenue dans son équipe…

— Capitaine Paul Capitaine, c’est marrant cela ! Tu dois souvent te faire chambrer avec un pareil patronyme, non ? C’est un peu comme si mon nom de famille avait été Pascal au lieu de Juillard ; Blaise Pascal, tu percutes ?

— Comme nous sommes appelés à bosser ensemble, malgré la différence d’âge, je tiens à te mettre à l’aise, si tu le désires, tu peux me tutoyer ! répliquai-je pour marquer le coup, comprenant vite que nous n’avions pas récolté le major de la promotion. Laisse tomber, ce n’est pas bien important ! Je vais te présenter les derniers valides de l’équipe, deux éléments sur le carreau, cela réduit l’effectif !

— Mes potes m’avaient pourtant dit que Quimper, c’était un bled cool ! soupira-t-il, les doigts perdus dans la jungle de ses cheveux.

— Sûrement pour ne pas t’effrayer ! lui murmurai-je avec une mine terrifiée, adaptée à mes paroles. Ici, c’est le Far-West, le rodéo au quotidien, les rues de San Francisco, la guerre des clans, le fil du rasoir en permanence ! Les banlieues dures de Paris, c’est Saint-Tropez à côté de Quimper.

— Merde alors, je me demande ce que je fiche ici ! Caner à vingt-sept balais, ce n’était pas le plan de carrière que je m’étais fixé.

Je me demandai comment un môme de son espèce avait pu seulement être accepté à l’école des gradés de la police. Si on lui enlevait son espèce de parka verte, il ne devait pas rester épais en dessous. Il avait la tête d’un gars qui redescendait de Katmandou et allait dans les prochaines minutes lever deux doigts en V et lancer un suave « Peace and Love ! » Une sorte de Zébulon sorti de sa boîte et ouvrant de grands yeux sur le monde des vivants. Sarah nous regardait de loin en riant sous cape, imaginant facilement mes pensées dont l’essentiel devait se lire sur mon visage. J’accompagnai le bizuth pour les présentations et m’avançai en premier vers RMC.

— Voici l’enquêtrice Rose-Marie Cortot, si elle porte des lunettes noires, c’est en raison de sa mission de samedi ! Elle poursuivait deux gars sur le toit de l’une des tours du Braden, un quartier chaud de la ville, et alors qu’elle neutralisait le premier, le deuxième lui a adressé un coup de poing par surprise, qui l’a assommée aussitôt. Par chance, j’ai sauté à temps de l’hélico pour leur tomber dessus, avant qu’ils ne lui tranchent la gorge ! On a beau être habitué à des actions de ce genre, on sent toujours monter l’adrénaline.

— N’exagérez pas, Paul, objecta RMC que j’étais parvenu à dérider, l’espace de trente secondes, l’hélico était à moins d’un mètre du toit de l’immeuble, vous ne risquiez tout de même pas l’entorse ! Pas comme Carole en faisant tomber un malfrat de son scooter, d’un mouvement de karaté qui lui a fichu la rotule en l’air.

— Merde alors, s’étrangla le bizuth, plus pâle qu’un mort vivant, elles sont sacrément musclées, vos interventions ! Moi, justement, je ne cherchais pas forcément l’action, on m’avait dit que le temps des cow-boys était révolu. Mais ça va aller, ne vous faites pas de souci, je vais m’adapter ! Vous avez une salle de muscu, au moins, que je peaufine mes biceps et mes abdos ?

Nous étions arrivés devant Sarah qui se retenait pour ne pas éclater de rire. Et comme, ce matin-là, elle avait gardé ses habits de la veille, une jupe noire en velours et un haut assorti à col en V, qu’elle avait ramené ses cheveux châtain clair bouclés en arrière, tenus par une pince, je compris que le môme était scotché devant elle, la bave prête à couler de la bouche, la testostérone à fleur de glandes.

Il tentait vainement de reprendre sa respiration, on entendait son cœur battre aussi fort que les tambours du Bronx.

— Blaise, je te présente le lieutenant Sarah Nowak, la blonde de l’équipe ! Seulement, la nôtre est aussi le cerveau de nos opérations, la tête pensante qui met au point nos stratégies, l’atout charme qui fait diversion, pour permettre aux gros bras d’intervenir !

— En atout charme, on fait difficilement mieux ! affirma le bleu, après une difficile déglutition, les yeux perdus dans le décolleté du pull, appliqué à fantasmer sur la poitrine pourtant pas réellement énorme de ma fille. Une tête belle et pleine, un corps de rêve, que fais-tu dans la police ? Ta place serait sur les podiums des défilés de mode !

— Comme toi, une erreur de casting certainement ! répliqua Sarah d’une voix suave, chaloupant à merveille des hanches en se levant pour s’approcher du nouveau venu. On se fait la bise ? Tu sais y faire, au niveau compliment, mais n’angoisse pas, je ne suis pas une beauté froide et inaccessible ! Si tu apprends à me connaître, à percer mes secrets et mes mystères, tu découvriras une âme sensible et un cœur généreux. C’est rare comme prénom, Blaise, ce n’est pas désagréable.

J’installai le nouveau venu derrière le bureau déserté par Mario et je lui donnai quelques paperasses à classer, lui assurant qu’il s’agissait de l’activité normale d’un lundi matin, en attendant que les affaires reprennent. J’expliquai à mes collègues que j’allais au Colibri où mon ami journaliste Ronan Feunteun m’attendait, comme le voulait une habitude bien ancrée depuis mon retour en Bretagne, et leur réclamai de rester sages en mon absence. Un moyen pour moi de prendre un peu de recul.

Tout en descendant l’escalier, je fulminais car la loi des séries se poursuivait : je pensais avoir imaginé les pires solutions possibles à propos de notre recrue, j’étais encore loin du compte ! Ce gus possédait la panoplie complète du glandeur professionnel et la dégaine apathique qui allait avec.

Le Colibri, le bar situé en face du commissariat, était un peu notre annexe, notre salle de rendez-vous non officiels, notre lieu de contacts avec des relations extérieures à la boutique, notre base de repli en cas d’invasion hostile. Et Ronan Feunteun, le patron de l’agence quimpéroise d’Ouest-France, un ancien copain de foot, aimait commencer la semaine par cet échange informel, au cours duquel on parlait de tout et de rien, de la ville, des infos du sport et des activités de l’équipe de la Crim’. S’il lui arrivait souvent de m’aider par un tuyau glané au cours d’un reportage, ce que j’appréciais, parce qu’un secret est plus facilement révélé à un journaliste qu’à un policier, en retour, il n’avait pas affaire à un ingrat : il bénéficiait en premier des informations sur nos missions, s’offrant au passage quelques scoops flatteurs qui servaient sa notoriété nationale.

— Ce matin, je suis sur le coup d’une mort accidentelle, à la Torche, durant le week-end, annonça-t-il, après les banalités d’usage. Un jeune kitesurfeur s’est aventuré sur les vagues malgré la tempête. La folie d’un moment d’égarement qu’il paie au prix cher. Drame supplémentaire, il s’agit de Charles Jouvain, le fils du juge et de l’avocate, l’un des grands espoirs français de la spécialité.

— Quel coup du sort pour cette famille ! bredouillai-je, imaginant le drame que serait pour moi la disparition de Sarah. J’ai eu l’occasion d’avoir affaire au juge Clément Jouvain sur deux ou trois dossiers, c’est un type bien en plus d’un magistrat compétent. Il doit être effondré, le malheureux ! C’est la gendarmerie de Pont-l’Abbé qui suit l’enquête, sans doute ?

— Non, ce week-end, c’était la brigade de Pénalec qui était de permanence ! J’ai rencontré le capitaine Martin qui m’a confirmé qu’il s’agissait bien d’un accident. Une stupide imprudence, à peine croyable pour un garçon intelligent et réfléchi comme lui ! C’est jeune, vingt-deux ans, pour mourir, surtout à l’aube d’une carrière prometteuse.

— Il est toujours trop tôt pour mourir, soupirai-je dans un haussement d’épaules. Pour lui, s’il n’a pas souffert, c’est juste fini ; par contre, pour ses proches…

On passa un moment supplémentaire à évoquer les autres nouvelles du week-end devant nos petits noirs, à palabrer sur des sujets plus légers pour nous mettre un peu de baume au cœur, puis l’un comme l’autre, nous reprîmes le cours de nos occupations en nous promettant de rester en contact, comme s’il était indispensable de rappeler une évidence.

Lorsque je revins au bureau, Blaise avait posé ses fesses sur le bureau de Sarah et tous deux riaient à gorge déployée. À l’écart, masquant toujours son exaspération derrière ses lunettes noires, RMC tapait comme une damnée sur les touches de son clavier. Ils ne m’avaient pas entendu monter, et pour cause, leurs rires stridents envahissaient la pièce. Je feignis de me mettre en colère contre eux, je m’en pris plus particulièrement à Sarah. Blaise la défendit aussitôt, prenant les torts à sa charge, avant de plaider sa propre cause en expliquant que ce n’était pas méchant ; de toute manière, il avait fini son classement des dossiers.

Sans même l’écouter, je m’enfermai dans mon bureau où je me penchai aussitôt sur mon agenda pour y consigner un renseignement fourni par Ronan, à propos d’une affaire en cours.

Il ne se passa pas deux minutes avant que j’entende que l’on frappait à la porte ; je criai que ce n’était pas fermé à clé. Blaise se présenta alors, visiblement un peu embarrassé, referma derrière lui avec beaucoup de précaution et s’assit face à moi avant de se racler la gorge.

— Paul, je peux te parler en toute confidentialité, d’homme à homme, d’un sujet personnel ?

— Dis toujours ! répliquai-je, sourcils froncés, en reculant un peu mon siège pour croiser les jambes.

— Je pense que j’ai déjà un ticket avec Sarah, me murmura-t-il, je voulais savoir si elle était maquée…

— Maquée ?

— Ben oui, si elle avait un mec dans sa vie, je ne voudrais pas avoir des problèmes par la suite, tu comprends, pour peu qu’elle fréquente un judoka ou un boxeur… Sinon, je l’ai bien calculée, c’est une vraie bombe.

— À ma connaissance, elle n’a personne, pour l’instant ! dis-je évasivement, avant de rajouter, après un long moment de réflexion : tu vois, si tu en pinces pour Sarah, le problème le plus important, c’est son père ! Il est assez possessif et, si, d’aventure, cela se passait mal entre toi et lui, tu serais mal barré !

— Mince, c’était trop beau pour être vrai aussi !

— Et puis, ne brûle pas les étapes, c’est ton premier jour parmi nous et je te rappelle, à toutes fins utiles, que tu n’es pas dans l’équipe pour draguer une collègue ! Alors, fais déjà tes preuves dans le boulot, mets-toi au diapason du groupe et ensuite, tu verras comment occuper tes loisirs !

— Oui, tu as raison, je ne vais pas précipiter les relations.

— Allez, suis-moi, je vais aller te présenter à la grande patronne ! Attends un peu. Puisque tu es devant moi, j’ai une question à te poser, à mon tour. J’ai connu un commissaire Franck Juillard, à Paris, au 36 ! Existe-t-il une relation entre vous ? C’est un nom répandu, je le sais mais…

— Oui, c’est mon père ! susurra le garçon, tête basse. En fait, c’est sa volonté que je sois flic, ce n’est pas un choix personnel ! Mon stage s’est mal déroulé, à Bobigny, au sortir de l’école. Mon père m’a dit qu’à Quimper, à la Crim’, je serais bien. Il m’a pistonné, pour que je décroche ce poste. Je suis lucide, je ne fais pas l’affaire, vous attendiez un gars plus mature, je suis désolé, je ne suis pas un cadeau ! Même si je sais que vous m’avez embrumé, avec vos histoires de rodéos citadins, je ne suis pas complètement débile non plus.

— Allez, on va voir la patronne, elle nous attend ! coupai-je en me levant de mon siège. Enlève ta parka et va te peigner un peu ! Je pense aussi que tu serais mieux sans barbe, mais cela, c’est ton problème, tu as parfaitement le droit de la garder. Ah, un dernier point : la grande patronne, ne la calcule pas, comme tu dis, même si elle a juste un peu plus de trente ans et que tu trouves que c’est une bombe ; elle est commissaire quand même ! Et ne la tutoie pas non plus avant qu’elle ne te l’ait, éventuellement, proposé, elle déteste viscéralement la familiarité.

Le scénario était cousu de fil blanc ! Franck Juillard, avec qui j’avais entretenu d’excellentes relations, n’avait pas trouvé de meilleur mentor que moi pour son rejeton ! Et pour éviter d’essuyer un refus de ma part, il avait omis de m’en parler auparavant, le vieux brigand ! Je savais que ce gamin allait me créer des cheveux blancs, d’autant plus qu’il s’était mis en tête que Sarah éprouvait un béguin pour lui. Alors que, connaissant assez bien ma fille, je savais parfaitement qu’elle allait le faire tourner en bourrique et le mener par le bout du nez. D’un autre côté, je le trouvais attachant, surtout face à moi. Il avait entamé une relation de confiance que ne lui avait jamais, à coup sûr, consentie son père, aujourd’hui installé à un haut poste de l’état-major de la police nationale, sous les lambris dorés de la République.

Devant les filles, il jouait les fanfarons, utilisait les armes qu’il possédait, l’humour et la dérision de lui-même. Un artifice qui ne ferait pas long feu, surtout avec Sarah qui se lasserait vite, à coup sûr, des sottises de son collègue immature. S’il savait se montrer sans fard en toute circonstance, je me piquai de le former au métier, même si la partie n’était pas gagnée d’avance. Les plus belles victoires ne sont-elles pas les plus inespérées ?

Face à Radia, il se montra respectueux et poli, car il savait aussi utiliser un autre vocabulaire que celui des banlieues. Il avoua appréhender le terrain et craindre les bavures. Notre patronne lui conseilla de rester dans mon sillage, jusqu’à ce qu’il se sente assez solide pour prendre des initiatives, si nécessaire. Elle me suggéra dans la foulée de familiariser ma recrue avec la ville et la région, pour qu’il prenne des repères. Et de le préserver de certains écueils, du style : se trouver piégé dans un bar où des clients vous saoulent volontairement pour rire ensuite devant votre état d’ébriété. Un sort affreux qu’avait connu Radia, dans sa première semaine mouvementée, sans conséquences trop graves pour la suite de sa carrière, par chance.

Il était l’heure de rallier Le Colibri pour le déjeuner. Jean-Luc, le patron, tenta vainement de faire sourire Rose-Marie dont il disait à tous ses clients qu’elle était son colibri des îles et que s’il avait appelé ainsi son troquet, c’était parce qu’il savait qu’elle y logerait un jour ! Car RMC possédait une chambre à l’étage, qu’elle louait à l’année. Comme Sarah, quelques mois plus tôt encore, avant que nous ne fassions tous deux maison commune. D’ailleurs, lorsque je m’inquiétai de savoir si Blaise avait songé à son coucher, il haussa les épaules, imaginant que le lit était compris dans le contrat de travail. Aussitôt, Jean-Luc lui proposa la chambre laissée libre par Sarah, si cela ne dérangeait pas Rose-Marie.

— Comme cela, la taquina le nouveau venu, lorsque deux gars s’en prendront encore à toi, je n’aurai pas besoin d’hélico pour venir te porter secours ! Et je pourrai admirer tes yeux qui sont certainement superbes et profiter de ton sourire dont tout le monde dit qu’il est le soleil de la ville. À mes heures creuses, je deviendrai ton bodyguard, en quelque sorte…

Blaise était une espèce de magicien car Rose-Marie ôta ses carreaux peu après. Premier miracle ! Et elle ne portait plus de traces de coups sous ses yeux, suite à sa supposée lutte avec des malfrats, second miracle. Enfin, elle accepta d’avoir un collègue à la place de Sarah, comme si elle venait de tourner du même coup la page d’une complicité intime entre elles deux. Seulement, de peur de perdre définitivement l’amitié de sa collègue, le premier regard de l’Antillaise fut pour Sarah qui se leva aussitôt pour l’étreindre longuement.

— Tu es et tu seras toujours ma meilleure amie, Rosie ! lui susurra-t-elle à l’oreille, trop heureuse de renouer le contact. On passera encore des soirées, toutes les deux, je viendrai toujours t’embêter dans ta chambre, je pourrais même y pendre à nouveau quelques affaires dans l’armoire…

Surpris par la scène, Blaise me regarda, ne sachant que penser. Je lui lançai qu’il s’agissait d’une affaire de filles ; il ne fallait surtout pas y fourrer notre nez, il risquerait des coups de griffes. Il n’écouta pas mon conseil.

— Si c’est un problème d’armoire pour tes fringues, Sarah, j’ai peu d’affaires à y ranger, tu peux squatter une partie de la mienne à ta convenance, proposa-t-il d’une voix pateline, cela ne me pose aucun problème !

— C’est cela et après tu m’offriras une partie de ton lit, peut-être ? répliqua ma fille en se redressant pour le foudroyer du regard. Je te trouve un peu culotté pour un bizuth ! Tu débarques, tu claques des doigts, tu balances deux ou trois sottises, et tu imagines que nous autres, les filles du bout de la terre, nous allons craquer devant ton talent irrésistible ? Tu n’es pas Di Caprio non plus !

— Là, je t’avais prévenu, tu ne viendras pas te plaindre, tu l’as cherché ! constatai-je, navré pour le môme.

— J’adore les filles de caractère ! répliqua le nouveau venu, dans un sursaut de verve retrouvée et de virilité outragée. Celles qui tombent tout de suite dans mes bras, quel intérêt ? À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, pas vrai ? Bon, on y mange quoi, dans cette gargote ?

— D’abord, mon restaurant n’est pas une gargote, rectifia Isabelle, patronne et cuisinière, arrivée pour prendre la commande, ses tables sont fréquentées par les meilleurs éléments de la police locale ! Ensuite, jeune freluquet, mes plats du jour vous changeront des Big Mac et autres hot-dogs qui nourrissent d’ordinaire les Parisiens, car à votre accent, je me doute que vous débarquez de la capitale… En ce jour, par exemple, j’ai confectionné un lapin chasseur dont vous me direz des nouvelles.

— Je connaissais les chasseurs alpins, pas les lapins chasseurs ! répliqua Blaise en enfouissant à nouveau les doigts dans sa chevelure hirsute, tout en balayant la tablée d’un regard hilare. Celui-là, vous l’avez désarmé, au moins, avant de le cuisiner ? Je ne tiens pas à me coincer un plomb dans une carie ! Bon, servez-nous avant le coup de feu.

— Tu nous le sors d’où, cet olibrius, Paul ? s’inquiéta Isabelle en m’interrogeant du regard. La police aussi, est contrainte d’engager un quota de cas sociaux dans ses effectifs ?

— Mais non, Chérie, intervint son époux Jean-Luc, installé derrière son bar, un torchon sur l’épaule, voilà la nouvelle stratégie mise en place par la boutique d’en face : intégrer dans ses rangs des clowns à l’humour désarmant, pour éviter les bains de sang face à des malfrats enfouraillés jusqu’aux dents ! Au moment le plus crucial, une blague débile de ce comique troupier et les loubards posent aussitôt leur flingue à terre, avant de se tordre de rire !

— Bon, alors combien de portions de mon lapin chasseur ? coupa Isabelle qui commençait à s’impatienter. Pour tout le monde, même pour notre poulbot ?

— Si vous n’avez pas de lapin chat frère, va pour le chat sœur ! bredouilla Blaise en haussant ses frêles épaules.

— Chat frère, elle est trop bonne ! gloussa Sarah, émoustillée par son nouvel équipier. Tu es trop, toi, décidément ! Je ne sais pas si tu es chaud chasseur, en tout cas, tu es un chaud lapin !

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : La cinquantaine, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Désabusé à l’issue de sa carrière à la Cellule-Élysée, il trouve au sein de la brigade criminelle de Quimper une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa partenaire mais aussi sa fille. Tous deux vivent dans la maison familiale de Bénodet. Il est très proche de la magistrate Dominique Vasseur.

SARAH NOWAK : 28 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père, originaire de Quimper, elle va le découvrir derrière les traits de son partenaire et mentor, Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle conserve en elle des rêves d’absolu mais aussi les blessures d’un passé tortueux. Son souci majeur : ne pas avoir encore croisé le grand amour.

DOMINIQUE VASSEUR : 45 ans, célibataire, substitut du procureur de la République. Elle a échoué à Quimper, après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, secrète et mystérieuse aussi, elle est complexée par un physique replet. Elle a vite apprécié la compagnie de Paul et cela fut réciproque. Seulement, entre eux, rien n’est jamais simple et le mauvais sort se joue en permanence de leurs sentiments.

ROSE-MARIE CORTOT : 27 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la brigade criminelle par son génie de l’informatique. Et surtout la confidente et la meilleure amie de Sarah.

RONAN FEUNTEUN : La cinquantaine, divorcé, journaliste et patron de l’agence quimpéroise d’Ouest-France. Camarade de jeunesse de Paul Capitaine. Entre eux, un accord tacite : le journaliste transmet ses informations au policier et en échange, celui-ci lui réserve la primeur du résultat des enquêtes.

RADIA BELLOUMI : 34 ans, commissaire de police. Une surdouée qui se trouve parachutée à la tête du commissariat de Quimper. D’origine maghrébine, malgré son jeune âge, elle va obtenir rapidement le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka.

CAROLE MORTIER : 41 ans, divorcée, une fille de 13 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours difficile, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et des frustrations intimes. Elle sort d’un terrible accident de circulation qui a failli coûter la vie à sa fille.

BLAISE JUILLARD : Jeune lieutenant et glandeur notoire, nommé en renfort de l’équipe sur cette enquête et qui va aussitôt craquer pour Sarah.

I

L’après-midi débutait comme la matinée, sans alerte sur nos téléphones. Je ne me plaignais pas, un peu de calme ne faisait pas de mal. Je n’avais pas fini de savourer ces instants de paix qu’un groupe se présenta à l’entrée de la salle, emmené par une Radia Belloumi décidée, qui arborait un visage grave annonciateur de la reprise imminente des affaires. Quatre personnes l’accompagnaient, au premier rang desquels un homme imposant dont le visage ne m’était pas inconnu : je l’avais déjà croisé au palais de justice, le juge Clément Jouvain. Et pour clore le peloton, fagotée dans l’une de ses improbables tenues volées à des épouvantails, Dominique Vasseur, donc rentrée de vacances, sans s’être encore manifestée auprès de moi. Du moins, semblait-elle en bonne santé, ce qui représentait pour moi l’essentiel.

Le groupe passa sans s’arrêter devant RMC, Sarah et Blaise, je restai leur dernier interlocuteur possible.

Très vite, Radia laissa la parole à Dominique qui me présenta le juge Clément Jouvain, son épouse Claudine et leur fille Clotilde. En quelques mots, elle expliqua que le juge avait une requête à émettre, à laquelle la commissaire avait déjà donné un avis favorable. Ce qui signifiait, dans la bouche de ma magistrate de copine, que j’allais me coltiner une enquête limite qu’il m’était interdit de refuser. J’imaginai également que la visite de cette famille avait un lien avec la mort accidentelle de Charles Jouvain, le fils du couple, sur le spot de sports nautiques de la Torche. Depuis l’annonce de la nouvelle par l’ami Ronan, j’avais eu l’opportunité de sonder auprès de quelques contacts combien la funeste nouvelle avait consterné la population de la ville. Le père prit la parole :

— Sans doute avez-vous appris le décès de mon fils, dimanche matin, alors qu’il pratiquait le kitesurf, son sport favori. Les gendarmes de Pénalec, chargés de l’enquête, ont rapidement conclu à un accident. J’ignore pour quelle raison mon collègue, le juge Pin, aussitôt saisi de l’affaire par le substitut de permanence, n’a pas réclamé une autopsie et un complément d’enquête. Nous avons de bonnes raisons de penser qu’il s’agit d’un meurtre, Capitaine. Nous venons vous demander de reprendre le dossier à son point de départ. Vous saurez comment…

— Pardonnez-moi de vous interrompre, Monsieur le juge, il est délicat pour moi, policier à Quimper, de prendre la suite du gendarme enquêteur appelé sur place pour lui annoncer qu’il s’est planté et que je repasse derrière lui pour réparer les dégâts ! arguai-je en levant les bras au ciel.

— Allons, Paul, coupa immédiatement Dominique, minaudière à l’excès, vous savez vous montrer plus délicat, quand vous le voulez ! À Douarnenez, vous aviez fait équipe avec un gendarme, et cela s’était bien déroulé, non1?

— Si l’on veut… Sarah et moi, nous avions tout de même coffré sa jeune collègue, impliquée dans les crimes que nous cherchions à élucider !

— En revanche, plus récemment, tout avait parfaitement fonctionné avec la brigade de Fouesnant, intervint à nouveau le substitut en feignant un sourire. Ne faites pas attention à la première réaction du capitaine, je travaille souvent avec lui, j’ai l’habitude de le pratiquer ! Par réflexe, il dit toujours non, au préalable, puis il étudie le dossier et il revient me voir. Une forme de timidité, sans doute…

— De toute manière, insista Radia, je me suis engagée à ce que l’équipe de la Crim’ étudie le dossier et, le cas échéant, se charge de l’affaire, si des indices nouveaux permettent d’envisager sérieusement l’hypothèse d’un meurtre. Il n’y aura pas de lézard, Paul, j’assumerai moi-même la prise de contact avec le capitaine qui dirige la brigade de Pénalec, cette charge m’incombe, je le sais ! Il ne s’agit pas de remettre en cause le travail de son équipe, uniquement d’apporter notre aide pour compléter le dossier, à la lumière d’éléments nouveaux qui ne se trouvaient pas en sa possession. Et puis, elle est finie, la guéguerre, nous constituons, pour ainsi dire, une famille recomposée, à présent. Tenez, voilà les quelques documents apportés par Monsieur le juge Jouvain…

Pour me donner une certaine contenance et un peu de recul, je me plongeai dans les photocopies présentées, clichés pris sur le site, feuillets dactylographiés, contenus dans la chemise cartonnée déjà estampillée : « affaire Charles Jouvain ». Un vrai travail d’investigation mené par un professionnel. De toute manière, je n’avais pas le choix ! Je cherchai en quoi ces éléments pouvaient permettre de relancer l’enquête, sans résultat.

La sœur de la victime le sentit très bien, qui s’approcha de moi :

— Charles avait vingt-deux ans dont quinze consacrés à la pratique du surf puis du kitesurf ! martela-t-elle avec conviction, un voile de colère au fond de la gorge. Il était champion de France de la discipline, il avait ridé les plus beaux spots de la planète ! Il vérifiait toujours son matériel et n’aurait jamais pris l’eau avant une préparation longue et minutieuse ! Voilà pourquoi il partait tôt le matin… Il ne possédait pas matériellement le temps de l’échauffement, de la mise à l’eau et de l’accident, selon l’heure officielle de sa mort… Et puis sur cette photo, regardez l’aile auprès de son corps, les boudins ne sont même pas gonflés !

— Vous pensez que votre frère ne s’est pas mis à l’eau et que son accident n’est qu’une simulation ? questionnai-je timidement en tournant mon regard vers ma jeune interlocutrice.

— Oui, c’est absolument cela ! Vous allez nous aider, Capitaine, vous allez reprendre l’enquête, je vous en supplie !

Elle avait de superbes yeux bleu-vert auxquels personne n’aurait résisté.

Je lui donnai vingt-cinq ans, pas davantage, même si la gravité de son visage lui conférait une maturité supplémentaire. Elle était très belle, racée et, en voyant sa mère, même si la première possédait une abondante tignasse brune et la seconde des cheveux châtains, je compris pourquoi : elle avait hérité de la même classe, du même maintien élégant, de la même prestance naturelle !

— Comment avez-vous pu vous procurer ces documents, Mademoiselle ? questionnai-je en me plongeant dans les flots tumultueux de son regard enchanteur. J’imagine qu’ils figuraient dans le dossier de la gendarmerie et n’auraient jamais dû en sortir…

— Je suis journaliste au Télégramme. Bien sûr, je couvre l’enquête, même si je travaille d’ordinaire à la rubrique sportive. Je sais, les enquêteurs vous diront que la tempête soufflait sur la Torche et que pas un seul autre kitesurfeur ne se trouvait à l’eau, ce matin-là. Mais une demi-heure plus tard, ils étaient déjà des dizaines autour du corps.

— Il est mentionné des vents de force 9 ! insistai-je, désireux de ne pas céder aussitôt à la requête. Ce n’est pas courant, même en Bretagne. On a même noté des pointes à plus de 100 kilomètres heure.

— Pour un surfeur aguerri, ce sont des conditions idéales avec des vagues de 3 à 4 mètres de haut ; cela ne faisait pas peur à mon frère, au contraire ! Je sais qu’il s’est passé un événement anormal, sinon Charles ne serait pas mort dans de telles circonstances. Nous savons que vous êtes un superflic. Si vous me dites, à l’issue de votre enquête, qu’il s’agissait bien d’un accident, je vous croirai et je me rendrai à l’évidence. Pour l’heure, je suis convaincue qu’il s’agit d’un meurtre.

— Puisque notre charmante commissaire accepte de nous décharger d’autres missions pour investiguer sur ce dossier et qu’en plus, elle va arrondir les angles avec nos nouveaux demi-frères de la gendarmerie, arguai-je, le sourire aux lèvres, je n’ai plus aucune raison de me défiler. Seulement, je vais devoir fouiller dans la vie de Charles, peut-être aussi dans la vôtre, Monsieur le juge ! Eh oui, s’il s’agit d’un meurtre, l’hypothèse de la vengeance d’un individu que vous auriez condamné n’est pas à écarter. Et vous, madame Jouvain, à ma connaissance, vous êtes avocate dans un cabinet d’affaires ? Autant de pistes d’assassins potentiels que je ne peux me permettre de négliger, et pour lesquelles j’aurai besoin de votre concours, comme de celui de Madame le substitut. Et aussi du vôtre,