Loire, c'est noir - Bernard Larhant - E-Book

Loire, c'est noir E-Book

Bernard Larhant

0,0

Beschreibung

La mort par empoisonnement d'un retraité de la SNCF plonge le commandant Bory et Maître Nadège Pascal dans un nouveau mystère...

Peu après qu'un drame sordide a touché l'équipe du commandant Bory, les policiers apprennent la mort, sans doute pas naturelle, d'un retraité de la SNCF. Après examen minutieux, il s'avère qu'il a bien été empoisonné.

Détenteur de détails livrés par un mystérieux informateur, Philippe Bory oriente son équipe vers un groupe d'investisseurs prêts à créer une zone pavillonnaire sur l'île Pinette et empêchés par ce retraité, propriétaire de parcelles et écologiste convaincu.

Pendant ce temps, l'ancienne avocate Nadège Pascal croupit dans sa cellule de la prison de Nantes, en compagnie d'une infirmière hospitalière soupçonnée d'avoir aidé des patients à mourir.

Cette enquête trépidante va entraîner les policiers, non sans frayeurs, dans les arcanes des contrats immobiliers, mais pas seulement. Notre monde est aussi sombre que les eaux de la Loire sous un ciel d'orage.

Découvrez cette nouvelle enquête palpitante de Maître Nadège Pascal !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Bernard Larhant aime imbriquer plusieurs intrigues dans le même roman et tenir son lectorat en haleine avec des rebondissements théâtraux. - Ouest-France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après un premier roman dont l'intrigue se situe en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes bretonnes du capitaine Paul Capitaine et de sa fille Sarah. Avec l'avocate Nadège Pascal, il vous propose une série de cinq livres dans la région de Nantes.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 399

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

Remerciements

À Lorraine, précieuse correctrice de mes manuscrits, qui nous a quittés trop tôt.

Merci pour tout, petite Québécoise, nous ne t’oublierons jamais.

REMERCIEMENTS

– À André Morin pour son regard de policier, même si ces romans restent de la fiction.

– À Lorraine Briand et Dominique Descamps pour le temps consacré à la relecture et aux corrections.

– Au journaliste Stéphane Pajot, mémoire vivante de Nantes, pour les anecdotes qu’il m’a autorisé à publier dans les pages qui vont suivre.

– À Mélodie et Ronan, jeunes mariés, avec tous mes vœux de bonheur.

LES TITRES PRÉCÉDANT CETTE HISTOIRE SONT : 1) Dans les frissons de Nantes2) Diabolo Nantes

Attention la lecture du texte qui suit révèle des passages importants de ces deux livres.

Nantes, 2008. Maître Nadège Pascal s’efforce de faire la lumière sur une page du passé nantais lié sans doute au sien. Dans un premier temps, elle tente de faire tomber le caïd du milieu local, Tarim Khoury. Pour cela, elle dispose d’un témoin mystérieux. Durant les deux mois qui précèdent le procès, les sbires de Khoury font tout pour faire craquer l’avocate : intimidations, menaces verbales, agressions physiques. Mais Nadège tient le coup. Une fois, elle est sauvée par un clochard qui n’est autre que Philippe Bory, un ancien flic piégé par Khoury, des années plus tôt, comme Nadège au début de sa carrière d’avocate.

Au terme de semaines angoissantes, Nadège parvient à confondre Tarim Khoury mais celui-ci est abattu par un sniper alors qu’il quitte le palais de justice. Sa femme et la maîtresse de celle-ci s’envolent avec la fortune du caïd vers leur résidence secondaire de Saint-Martin. Nadège Pascal part discrètement les récupérer. Philippe Bory, réhabilité et de nouveau policier, veut l’empêcher de faire une bêtise. Mais à son arrivée, les deux femmes sont mortes et, bien que criant son innocence, l’avocate est inculpée du double meurtre.

Nantes, 2009. Nadège Pascal est détenue dans une prison nantaise, dans l’attente de son procès. Le commandant Philippe Bory est chargé par le procureur Pierre Potel de composer une unité spéciale qui va enquêter sur les affaires de Tarim Khoury.

Leur première affaire est particulière. Un meurtre est commis dans la résidence d’un promoteur immobilier. Le crime serait passé inaperçu si les satellites n’étaient passés au même moment pour photographier Nantes pour Google. Ainsi, le forfait est visible par tous. Mais le couple Belliard ne se trouvait pas chez lui ce jour-là. Qui est la victime et qui est le criminel ?

Dans le même temps, derrière les barreaux, Nadège Pascal a fort à faire avec Régine Parizeau, alias la Reine, qui fait la pluie et le beau temps dans la prison. Cette ancienne figure du monde de la nuit nantais cache aussi ses secrets… L’ancienne avocate continue à recevoir les visites de Philippe Bory, qu’elle informe des rumeurs entendues autour d’elle.

L’enquête sur le meurtre initial est menée à bien mais, une fois de plus, le coupable est abattu. Qui tire les ficelles dans l’ombre ?

PROLOGUE

Dimanche 17 janvier 2010, 8 h 30

Parc de Procé, rue des Dervallières, Nantes

Tous les ans depuis qu’elle est installée comme restauratrice à Nantes, durant les quinze derniers jours de janvier, Katya Van Tan ferme son établissement pour se détendre et profiter d’un peu de repos bien mérité, après la rude période des fêtes. Pas question de partir aux sports d’hiver, elle déteste la neige, encore moins de s’envoler vers des destinations exotiques, elle tente de mettre un peu d’argent de côté, chaque mois. Son objectif est de s’offrir tous les deux ans un voyage au Viêtnam, le pays de son défunt époux. Bien sûr en compagnie de sa fille Fabienne, tant toutes deux sont fusionnelles. Elles sont inséparables ; certaines personnes les prennent même pour deux sœurs. La maman fait si jeune, ses traits sont si fins, sa silhouette toujours parfaite, les années ne semblant pas avoir de prise sur elle. Son sourire lumineux et doux irradie toujours la même bonté, les mêmes valeurs pacifiques et positives héritées de la sagesse bouddhiste de feu son mari.

Si la maman, sous sa longue et épaisse chevelure noire, paraît bien moins que ses 55 printemps, on donnerait facilement à sa fille Fabienne plus que ses 32 ans. Elle est toujours très sérieuse, comme si elle portait le monde sur ses épaules et, même si son visage est aussi parfait et lumineux que celui de sa mère, elle sourit rarement et laisse s’exhaler une nostalgie mélancolique qui la rend encore plus irrésistible et mature. Et puis, elle est tellement grande – 1,80 mètre sous la toise – et robuste – par la pratique de différents arts martiaux – qu’elle impressionne au premier regard. Elle impressionne et elle fascine. Elle rayonne à l’intérieur, explique parfois la maman, avec tendresse, pour justifier l’épanouissement contrarié de Fabienne. Et puis, son métier de flic n’est pas facile au quotidien, même si depuis plusieurs mois tout semble aller mieux.

Car depuis quelques semaines, elle partage la vie de son collègue Renan Le Cunff, lieutenant comme elle, Breton introverti et timide, qui a vite été fasciné par la beauté et le charisme de sa partenaire. Fabienne n’oublie pas non plus que, sans l’intervention de Renan, sa mère et elle seraient mortes pour avoir refusé de payer un bakchich à une bande de truands. Le Breton était intervenu à temps, cela scelle à jamais des liens déjà solidement noués. Désormais, il est un peu le fils de la maison et, dans l’appartement situé au-dessus du restaurant, il a sa chambre, juste pour y poser ses affaires, car le plus souvent, il squatte celle de Fabienne.

Ce dimanche matin, comme tous les autres de l’année pour Katya et Fabienne, est dédié au sport. La restauratrice a décidé, dès ses débuts dans la profession, de s’accorder cette journée de repos – ainsi que le lundi – pour faire de l’exercice en compagnie de Fabienne, quand celle-ci n’est pas de service dans l’équipe policière du commandant Philippe Bory, sa nouvelle affectation, groupe dans lequel elle se sent si bien. Et pas seulement en raison de la présence de Renan à ses côtés. D’ailleurs, le récit des exploits récents de l’Eurasienne au sommet de la tour Bretagne pour neutraliser Steven Belliard – un fils à papa qui faisait chanter les femmes de la région – s’était vite répandu dans la ville. Seul bémol, Steven avait été abattu, sans doute par les membres d’une bande rivale, juste avant son transfert à “Waldeck”, le commissariat central, privant les enquêteurs d’explications solides et les victimes d’un procès légitime.

Ainsi, chaque semaine, qu’il pleuve ou qu’il vente, toutes deux quittent leur appartement du quai Magellan de bon matin pour commencer la matinée dominicale par une bonne marche suivie d’un footing dans les allées du parc de Procé. Un coup d’œil par la fenêtre leur permet de s’équiper en fonction de la météo du jour. Elles tiennent à ces deux heures d’activité physique et de détente psychique, indispensables pour recharger les batteries, mais aussi pour se rapprocher l’une de l’autre, si cela est encore possible. Si bien qu’il faudrait vraiment une pluie torrentielle pour les empêcher de sortir, ce qui n’est arrivé que deux fois en une petite dizaine d’années. Pour ce jour, pas de pluie, pas de vent, juste une grisaille tenace que les rayons du soleil ne désespèrent pas de percer.

Fabienne a cessé de tourmenter Renan pour l’inciter à sortir avec elles. La marche et la course, ce n’est pas son truc. Et puis même, son rythme, plus sportif et plus rapide, n’est pas le leur. En fait, il adore flemmarder le dimanche matin et mieux vaut encore un Breton avec le sourire durant le déjeuner que celui qui avait traîné ses semelles derrière elles pour arriver au parc, avant de courir comme un dératé pendant une heure pour finir par les rejoindre à l’endroit où elles pratiquent leurs exercices de relaxation. Là, il les avait filmées à leur insu durant leur séance de qi gong et n’avait pu s’empêcher de partager son œuvre avec les collègues, le lendemain matin, ce que Fabienne n’avait pas apprécié du tout.

Déjà, il faut une demi-heure aux deux femmes pour rallier d’un bon pas l’entrée du jardin public par la rue des Dervallières, avant de quitter la ville – en apparence, bien sûr – pour se trouver au milieu de la nature, de la verdure et, à la belle saison, des chants d’oiseaux et même parfois des ébats d’un écureuil. À cette heure matinale, en cette période hivernale, peu de monde, les grilles viennent à peine de s’ouvrir. Juste d’autres sportifs, quelques promeneurs en compagnie de leur chien, une poignée de courageux épris de paix et de bon air. Ici, c’est le dépaysement total dans ce parc dessiné en 1866 par le paysagiste Dominique Noisette.

Entre les massifs de camélias si superbes au printemps, les azalées et les dahlias, les cèdres ou les séquoias, sans oublier le fameux tulipier de Virginie, on fait un petit tour du monde en une heure de marche. Et pour le flâneur, les citations de grands auteurs comme André Breton, Paul Fort et Julien Gracq incitent à la réflexion, à la rêverie, alors que pour les esthètes, les statues qui symbolisent la Loire, l’Océan ou encore le lac de Grand-Lieu rappellent le talent des artistes d’antan.

Mais pour Katya et Fabienne qui, en raison du climat légèrement frisquet et de l’humidité, ont enfilé une doudoune sur leur confortable survêtement et un bonnet de laine sur leur chevelure noire, sitôt passé le manoir, la première direction est la coulée verte de la Chézine pour une boucle au petit trot, sans se mettre dans le rouge, juste histoire de se dérouiller les articulations et les muscles, de s’oxygéner le sang, d’éliminer les toxines d’une semaine de labeur souvent sédentaire. Ensuite, chemin de retour vers le haut du parc, en marchant cette fois, pour recouvrer leur souffle, respirer à pleins poumons et se détendre les muscles. Le tout sans un mot, pour bien profiter de l’air pur et de la tranquillité du paysage environnant. Et ce jusqu’au moment de passer sous le pont Jules-César, ainsi nommé paraît-il puisque l’empereur romain aurait un jour honoré de sa présence les bords de la Chézine.

À partir de cet endroit, en remontant vers le manège réservé aux enfants, elles sont à l’abri des oreilles indiscrètes. C’est toujours le moment où elles papotent à cœur ouvert, comme si le lieu se prêtait particulièrement à la confidence, à la révélation de secrets intimes. C’est Katya qui se lance, se surprenant à taquiner sa fille, car il est des sujets sensibles qu’il n’est jamais aisé d’aborder.

— Ne prends pas mal ce que je vais te dire, mais depuis quatre mois que Renan partage ta vie, je te vois changer de semaine en semaine, te détendre, lâcher prise, presque t’abandonner, ce qui ne te ressemble pas. Ce n’est pas un reproche, bien loin de là. Rien ne peut me faire plus plaisir, je te sens sur le chemin du bonheur.

— Tu sais, ces sentiments sont nouveaux pour moi, j’avance à tâtons pour ne pas perdre mes repères, tout en sacrifiant un peu de moi-même à nous deux. Renan, c’est un môme de 27 ans, à la fois encore empli d’absolu et intransigeant sur certains sujets, comme sa Bretagne, par exemple, et perdu dans les relations intimes, par manque d’expérience et de confiance en lui. J’ai cinq ans de plus que lui, une maturité tirée de mon vécu, pourtant je ne suis pas plus douée que lui pour diriger l’attelage. Il me fait confiance, presque aveuglément, alors je joue à la grande fille. En fait, j’improvise en permanence.

— Crois-moi, ma chérie, le cœur ne se trompe pas, tes sentiments te mèneront toujours dans la bonne direction. S’il est l’homme de ta vie, tu le sentiras au fond de toi. Tu vois, avec ton père, ce fut une évidence. Il y a eu des hommes avant lui, je les ai tous oubliés en une seconde. Celui-ci me disait les mots que j’avais envie de prononcer et non ce que je voulais entendre. Nous étions le yin et le yang, les deux moitiés d’une même pomme, deux êtres faits pour vivre ensemble.

— C’est cela qui me gêne, en fait, bredouille Fabienne, perdue dans le labyrinthe des émotions intimes. Dans ma tête, les sentiments profonds qui me lient à Renan sont souvent en conflit avec les règles qui guident ma vie depuis ma jeunesse. Je perds la maîtrise d’une partie de moi-même et je me sens démunie, avançant avec hésitation sur un terrain inconnu. Pire, parfois, je me sens en danger, sans une partie de mes armes. En fait, avant Renan, mes convictions et ma foi intérieure me protégeaient, je me sentais invincible car mes pieds reposaient sur un socle solide. Désormais, je ne me sens en sécurité qu’en sa présence, comme si je lui avais abandonné la moitié de ma cuirasse, et que, en son absence, je m’en sente dépourvue.

— C’est aussi cela, l’amour, tu sais, ma grande. On donne une part de soi à l’être aimé et on reçoit une part de ce qu’il est, pour ne plus faire qu’un à deux. Voilà pourquoi, au décès de ton père, j’ai vacillé un long moment. Quand on se retrouve seul, on veut que tout continue comme avant, mais c’est impossible. On ne peut récupérer la part de soi que l’on avait offerte à l’autre et personne d’autre ne pourra vous la redonner. Avec sa disparition, j’ai perdu la moitié de moi-même, que je dois à tout prix récupérer pour retrouver l’intégrité de ma sensibilité. Pas un seul autre homme n’a pu m’apporter une once des valeurs intérieures qui me manquaient. Toi, en revanche, oui, tu m’apaises et me stimules, même si tu dois penser avant tout à ta propre vie, à ton avenir, à ton existence de femme.

— J’avais l’habitude de me gérer toute seule, maman, comme une grande fille. J’avais mes repères, mes codes, mes zones de confort et mes protections instinctives, quand je m’en éloignais. C’est amusant, parce que ce que nous vivons, Renan et moi, me rapproche de Domitille, qui effectue le même cheminement depuis qu’elle s’est acoquinée avec Cédric, même si, entre eux, rien n’est jamais une évidence. Elle aussi a toujours combattu toute seule, pas sur le même terrain que moi ; elle rechigne à perdre ce qu’elle considère comme son indépendance, son jardin secret. Toutes les deux, on échange nos impressions, nos doutes, nos avancées, alors que nous sommes si différentes l’une de l’autre, à la base. Et que nos princes charmants sont si éloignés de ceux de nos rêves, chevaliers blancs aux traits fins, au langage courtois et à l’abord raffiné.

— Tu sais, ma fille, il faut vivre à fond les bons moments de la vie car, quand il arrive un drame, on regrette les instants perdus pour des futilités, des mirages ou des querelles stupides. L’amour, c’est comme la mer, il faut se lancer, plonger sans réfléchir parce que c’est trop idiot de rester sur le bord à regarder les autres s’amuser. Enfin, moi, ce que j’en dis, c’est juste un conseil. Le compagnon parfait n’existe pas plus que la perfection faite femme. Sois moins intransigeante avec toi-même, baisse la garde de temps en temps pour laisser l’inattendu bouleverser ta vie. Lâche prise, éclate-toi, brise les fausses chaînes qui t’enserrent et t’empêchent de plonger dans les flots de l’amour. Renan est un garçon très bien et vous allez si bien ensemble. Vous allez trouver votre équilibre et votre complémentarité, j’en suis certaine.

— Oui, l’amour est une grande aventure à laquelle je ne m’étais pas vraiment préparée, soupire la fille, moitié avec délectation, moitié avec appréhension. Je n’ai jamais autant flippé de ma vie, perdue sans mes repères habituels, loin de mes zones de confort. Et en plus, tu ne m’aides pas en me conseillant de larguer les amarres pour de bon.

— Si tu veux prendre plus de temps pour ta vie personnelle, tu n’es pas obligée de venir, tous les soirs où tu es disponible, faire le service au restaurant. Je pourrais engager une serveuse pour quelques dîners dans la semaine, en extra. Je sais qu’un jour, tu auras ta vie et ne seras plus aussi disponible pour m’épauler, je dois m’y préparer. C’est déjà beau, le temps que tu me consacres chaque soir, en venant servir les clients. Ou encore à cet instant, alors que ton amoureux t’attend dans un lit douillet pour te dispenser ses câlins ! Bien des enfants ont laissé leurs parents depuis longtemps.

— Maman, ne dis pas de bêtises, je suis bien auprès de toi. D’ailleurs, Renan t’apprécie beaucoup, tu le sais !

— Oui, mais c’est avec toi qu’il veut bâtir sa vie, pas avec nous, et il en aura vite marre de cette belle-mère que tu lui fiches toujours dans les pattes, rétorque Katya en donnant un coup de coude complice dans les côtes de sa fille, avant de lui offrir son plus beau sourire, gage de complicité. Allez, ne te tourmente pas, nous sommes ici pour nous détendre, non ? Lâche prise, un peu, laisse-toi inonder de bonnes énergies et tout te semblera ensuite bien plus clair.

— Tu veux que je te dise le fond de ma pensée ? Là, à cet instant précis, je n’ai pas plus de maîtrise sur mes pensées qu’une branche ballottée par les flots d’un torrent. Pour te dire à quel point j’ai changé en quelques semaines, je ne me reconnais même plus.

Elles ont achevé leur marche et se retrouvent en haut du parc, non loin du stade d’athlétisme, pour achever leur décrassage matinal par une séance de taï-chi et de qi gong. Car toutes deux sont adeptes des arts martiaux asiatiques et autres disciplines traditionnelles, qui se décomposent en une série de mouvements lents, fluides et précis, exercices de respiration et de concentration de l’esprit, à l’issue desquels on a libéré ses énergies pour une plus grande sérénité. Une sorte de toilette intérieure aussi indispensable aux adeptes férus de ces pratiques qu’une douche bienfaisante à tout sportif après un effort intense.

Elles ont choisi cet endroit, non loin de l’angle formé par le boulevard Constant et celui des Anglais, car elles sont à l’abri des regards indiscrets, ne souhaitant pas se voir interrompues dans leur pratique par un badaud trop curieux, un dragueur impénitent ou encore un opposant farouche à toute idée venue de l’extérieur de l’Hexagone. En cet angle du parc, derrière l’un des kiosques fleuris, les sportifs sont moins nombreux dans l’allée, les promeneurs bien rares, plus enclins à baguenauder autour du manoir et des bords de la Chézine. Peut-être, de manière pragmatique, en raison de la proche présence des toilettes publiques.

En plus, en ce jour, elles sont aussi un peu à l’abri des petites rafales un peu fraîches. Là, une fois débarrassées de leur doudoune, pour plus de commodité, elles se mettent en position pour ce qui peut être apparenté par certains à une chorégraphie précisément réglée pour un enchaînement d’une centaine de mouvements, exercice qui peut durer une demi-heure, à l’issue de laquelle toutes deux se sentent régénérées et prêtes pour une nouvelle semaine d’activité intensive. Elles font le vide en elles, oublient les miasmes de la ville, les éventuels curieux, les soucis de la semaine, les aléas de l’amour, et même les contraintes d’une vie de flic, pour Fabienne.

Un rayon de soleil vient les saluer. Elles n’y prêtent même pas attention, totalement à leurs enchaînements lents et précis. Vingtième et dernier mouvement, pour renforcer les jambes, racines de l’énergie vitale. Elles se trouvent en plein exercice pour boucler l’harmonie du corps et de l’esprit quand une silhouette féminine, blottie dans une parka matelassée d’allure militaire, capuche relevée sur la tête, s’approche timidement d’elles.

— Désolée de vous déranger, Mesdames, n’auriez-vous pas un mouchoir, j’ai fini mon paquet de Kleenex et je me suis enrhumée en marchant !

Même un peu agacées de devoir interrompre leur ultime exercice, mère et fille plongent simultanément leur main dans la poche de leur survêtement pour extraire un paquet de mouchoirs. C’est Fabienne qui, la première, en relevant la tête, repère que leur interlocutrice vient de sortir une arme à feu de l’intérieur de sa parka. Un pistolet Ruger MK II équipé d’un silencieux dont le canon se lève pour la viser. Elle n’a pas le temps de réagir qu’elle se fait abattre d’une balle dans le front, à bout portant, et s’écroule dans l’herbe humide, que son sang vient maculer de rouge.

Pétrifiée sur place, comme tétanisée par la scène, Katya ne bouge même pas, ne peut non plus crier, quand le pistolet se dirige vers son visage, pour cibler la zone située entre les deux yeux. Nouveau coup de feu au bruit atténué par le modérateur de son, nouvelle giclée de sang. Et un second corps qui s’affale comme une masse sur le gazon, la tête sur la doudoune bleu nuit. Mère et fille sont mortes instantanément en moins de dix secondes, abattues par une femme à la détermination totale et au sang-froid étonnant.

Pour s’assurer de l’efficacité de son tir et se prémunir de toute mauvaise surprise, du bout de sa semelle, la silhouette féminine fait rouler le corps de Fabienne sur le dos pour bien s’assurer de sa mort. Elle reste ainsi quelques secondes à contempler le résultat de son geste, ce superbe corps désormais sans vie, avec ce troisième œil en décoration posthume, un peu au-dessus des deux autres qui la fixent encore, incrédules et ahuris. Satisfaite, elle fait rouler la dépouille sur le ventre, avant de se pencher dessus pour adresser une seconde balle, cette fois-ci dans la nuque à bout touchant, pour l’exécuter.

— Voilà, on est quittes, toutes les deux, sale fliquette ! lance la tueuse en faisant rouler d’un tour de plus le corps de la fille pour le rapprocher de celui de sa mère. Tu m’as volé mon mec, je t’ai piqué ta vie et celle de ta daronne… Maintenant, va griller en enfer, la Chinetoque !

Une fois l’arme enfoncée dans la poche de son survêtement, la silhouette féminine élancée quitte la prairie entourée de grands arbres, comme elle était venue, depuis le stade voisin, laissant derrière elle deux corps gisant dans l’herbe, qui seraient certainement retrouvés plus tard par le chien d’un promeneur, flairant l’odeur du sang. Mais dans l’intervalle, la tueuse serait déjà très loin du lieu de son forfait, évanouie dans la multitude anonyme de la ville, satisfaite de son geste de vengeance, peut-être assise à une table de fast-food, devant un hamburger et un coca.

* * *

Lundi 8 février 2010, 9 heures

Bureaux de la société Belliard, tour Bretagne, Nantes

Pour les centaines de personnes qui travaillaient au sein de la grande société de travaux publics, ou encore chez ses prestataires de services, l’arrestation du couple Belliard avait représenté un énorme coup dur. Car même souvent critiqué, notamment lors des réunions syndicales, le patron leur assurait la pitance quotidienne et du boulot pour pas mal d’années. Certes, peu après, le sémillant Albin Touraine, malgré ses 83 ans, avait rassuré les employés : une solution de reprise serait rapidement trouvée et, dans l’intervalle, il veillerait à ce que les activités se poursuivent et que les salaires soient versés. Le vieux notaire politicard avait dans sa manche l’un de ses “amis” à qui il s’apprêtait à offrir la poule aux œufs d’or pour peu que tous les petits jeux d’écritures comptables qui engraissaient son parti se poursuivent comme avant.

Mais voilà, ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que son gendre se pende en prison et qu’il justifie son geste dans un courrier de repentance qui avait aussi valeur de testament. En effet, il désignait les bénéficiaires de ses parts sociales de la société, soit un peu plus de la moitié. De son côté, la famille Touraine de son épouse Julie, elle aussi emprisonnée, mais à Rennes, n’en disposait qu’à hauteur de 48 %. Et ces surprenants bénéficiaires n’étaient autres que Baptiste et Coralie Morat, dont il reconnaissait être le géniteur, à la suite de sa relation avec leur mère, Régine Parizeau, la discrète maîtresse de Jean-Marc Belliard peu avant sa rencontre avec Julie Touraine, qui allait devenir son épouse. Steven, le fils qu’il avait eu avec cette dernière, décédé, Mélanie, la benjamine, partie vivre aux États-Unis et peu attirée par l’univers des chantiers de BTP, il avait fait le nécessaire pour éloigner Albin Touraine de sa succession. En se suicidant, il y était parvenu. Une perfide vengeance, un retour de bâton inattendu car jamais il n’avait évoqué aux Touraine ces deux enfants illégitimes. Un secret bien gardé, une petite bombe. Un coup dur pour le patriarche et sa seconde fille Sophie – dont l’étude notariale se situait, elle aussi, dans la tour Bretagne –, qui profitaient largement du groupe Belliard pour arrondir leurs fins de mois et graisser la patte de leurs alliés fidèles, notamment dans le monde politique.

Bien que non directement concerné par l’affaire – même si son cabinet d’expertise comptable était chargé de vérifier les comptes que lui transmettait Jean-Marc Belliard –, Aymeric Morat avait décidé d’aider son frère et sa sœur à lancer le nouveau projet qui tombait du ciel. Pour cela, il avait demandé à Solenn Mayeur, l’un de ses bras droits et épouse du policier Philippe Bory, de prendre en charge le suivi comptable de la nouvelle société. Elle s’y était employée d’arrache-pied pendant deux mois, en compagnie de Baptiste et Coralie, un peu dépassés par les événements, propulsés à la barre d’un navire bien trop grand pour leurs frêles épaules et leur expérience quasi inexistante. Pourtant, il avait suffi à la benjamine de regarder la ville de Nantes à ses pieds, depuis le bureau du PDG de la société au sommet de la tour Bretagne, pour se convaincre qu’une telle jubilation intérieure méritait bien des efforts de sa part. Dominer ainsi la métropole représentait pour elle un kif d’enfer, une jouissance quasi orgasmique, une volupté ineffable.

Quant à Baptiste, s’immerger une semaine dans le fonctionnement du groupe lui avait suffi pour comprendre qu’il était taillé pour ce rôle, comme l’avait toujours pensé sa mère, tellement influente, même derrière les barreaux. Il comprenait mieux pourquoi il se sentait proche de Jean-Marc Belliard, pourquoi celui-ci le considérait davantage comme son fils que Steven, pour sa part un bon à rien, un opportuniste vicelard. Il avait hérité des gènes du management, de l’ambition dévorante et de projets ambitieux ; il allait montrer à ses détracteurs de quoi il était capable.

En cette matinée, tous deux se trouvent donc au milieu d’une partie des effectifs de bureau et des contremaîtres des chantiers. Ils veulent présenter la nouvelle équipe de direction, bâtie en une semaine, rassurer le personnel et aussi les investisseurs, un peu sceptiques de voir débarquer deux inconnus de 34 et 32 ans à la tête d’un groupe aussi important, des jeunots qui, à leurs yeux, ont tout à prouver. Avec en filigrane la pensée intime de la grande majorité des présents : ils vont se casser la gueule très rapidement.

Baptiste annonce d’emblée le nouveau nom de la société : Bel Art. Différent d’avant, Belliard, mais pas trop éloigné quand même, pour bien marquer la filiation naturelle. Dans la foulée, il présente Marianne Dumay, ancienne gérante d’une société d’expertise des terrains, bombardée directrice technique et coordinatrice des chantiers, puis Solenn Mayeur, experte-comptable au cabinet Morat de son frère Aymeric, qui est chargée du suivi administratif du groupe.

— Je tiens aussi à dire que tous les tripotages du passé n’ont plus lieu d’être, qu’aucune fraude ne sera tolérée. Ma sœur Coralie et moi, nous voulons diriger une entreprise honnête, même si cela nous coûtera certainement de nombreux chantiers et nous privera de rentrées substantielles, mais malhonnêtes. Votre compétence et votre savoir-faire sont reconnus et nous permettront de remonter lentement la pente après cet épisode particulièrement dramatique et violent, bien délicat pour la pérennité du groupe.

— Pardon, mais, si vous êtes notre nouveau PDG, quel est exactement le rôle de votre sœur ? interroge un chef de chantier, également délégué syndical.

— Je suis chargée des relations extérieures et aussi de la communication, sous toutes ses formes, répond Coralie, très à l’aise dans l’exercice, qui n’attendait qu’une sollicitation pour prouver son savoir-faire. Mon premier objectif est de restaurer l’image du groupe auprès de la population, mais surtout des décideurs, notamment les pouvoirs publics. Nous sommes jeunes, Baptiste et moi, mais nous comprenons très bien que le notaire Albin Touraine, notamment, dépouillé de ses pouvoirs sur le groupe, puisque nous avons retiré tous les dossiers de son cabinet pour les transmettre à l’un de ses confrères, va nous mener la vie dure. Il prenait une marge sur bien des chantiers, ce ne sera plus le cas. Ses amis politiques facilitaient l’obtention des marchés à Jean-Marc Belliard, lors des appels d’offres, ce ne sera plus le cas non plus. Nous allons devoir nous battre avec nos armes pour convaincre que nous sommes les meilleurs. Voilà pourquoi nous avons besoin de chacun de vous, encore plus en cette période d’apprentissage, pour Baptiste et moi, durant laquelle nous allons être testés et devrons faire nos preuves.

— Nous avons six mois pour convaincre, nous le savons, reprend Baptiste, très déterminé. Et quand je dis “nous”, ce n’est pas seulement Coralie et moi, mais aussi chacun de vous, dans la mission qui lui est confiée. Si vous donnez tous le meilleur de vous-même avec loyauté, nous réussirons. En revanche, ceux qui espèrent notre mansuétude à la suite d’un faux pas tomberont de très haut. Notre jeune âge n’empêche pas l’autorité et celui qui nous abusera l’apprendra à ses dépens. Je suis convaincu que vous ferez tous le maximum pour que le rendez-vous de la rentrée de septembre soit sanctionné par un bilan positif du premier semestre. Je vous en remercie par avance.

Une fois les présentations achevées et le vin d’honneur entamé, les nouveaux patrons s’enferment dans leur bureau. Aymeric n’a pas voulu se montrer, préférant rester dans l’ombre, comme souvent. C’est dans sa nature. Et puis, il n’est pas un enfant Belliard, lui. Ce qui ne l’empêche pas de soutenir son demi-frère dans la tâche qui l’attend. Même s’ils sont au sommet de la tour, ils se trouvent au pied du mur. Coralie flippe un peu, le vertige la prend, elle sent une boule lui tenailler le ventre. Ils sont novices, le vieux Touraine va leur pourrir la vie, les élus et les fonctionnaires n’accepteront jamais de leur faire confiance sans une petite carotte devant le nez, comme autrefois. Baptiste la rassure, il sait que tout fonctionnera à merveille. Il n’a jamais été aussi serein de sa vie, comme s’il était né pour ce job et l’ignorait lui-même jusqu’à ces derniers jours. C’est l’année de la métamorphose, du vrai passage à l’âge adulte. Il rapproche sa jeune sœur de lui pour lui faire part de ses convictions.

— Ne t’inquiète pas, Coco, Aymeric a bétonné le projet et possède assez de contacts et de relations pour débroussailler le terrain devant nous. Nous avons déjà des chantiers en prévisionnel, juste de quoi voir venir et rassurer notre entourage. Et ne crains pas les Touraine, notre mère t’a bien dit qu’ils allaient subir bientôt un violent retour de manivelle, elle a agi dans ce sens et je lui fais confiance, comme toujours.

— Oui, mais sera-t-on à la hauteur ?

— À la hauteur ? Personne ne travaille plus haut que nous, dans la ville, Coco. Regarde les fourmis à nos pieds.

— Ne plaisante pas, Baptiste, nous sommes des débutants et…

— Nous sommes très bien entourés. Marianne Dumay a beaucoup à prouver, elle n’a pas droit à l’erreur, elle non plus. Nous lui offrons un tremplin, à elle de saisir sa chance. Le reste de l’équipe n’a pas beaucoup changé, à part les planches pourries et les collaborateurs véreux qui ont giclé de l’organigramme ou des effectifs. Et puis, le fichier de Steven est en ma possession, ne l’oublie pas. Tu ne pensais tout de même pas que je tenais à le récupérer pour continuer sa chasse à la bécasse ? Je me moque de toutes ces nanas et de ces jeux de gamin. En revanche, ce classeur fourmille de renseignements sur des épouses imprudentes, sur des filles à papa aux comportements coupables, sur des femmes placées à de hauts postes et se servant au passage, de quoi inciter certains décideurs à nous suivre, si nous devions en passer par là. Des informations que je suis en train de transférer sur informatique, pour plus de discrétion et d’efficacité. C’est ainsi que fonctionnait le groupe Belliard, ainsi fonctionnera le groupe Bel Art. Pas besoin de verser des pots-de-vin, juste de mettre les membres de certaines familles devant leurs actes coupables, leur offrir le choix entre un séjour en prison et nous suivre contre notre silence.

— Tu ne cesses de m’étonner, tu as vraiment tout prévu.

— Et toi, Coco, tu es la princesse de la ville, tu en seras bientôt la nouvelle reine !

— Oui, comme maman à son époque.

* * *

Lundi 8 février 2010, 9 heures

Bureaux du groupe Bory, boulevard de la Prairie au Duc, Nantes

Chargé de l’enquête sur la mort de Fabienne Van Tan et de sa mère Katya, le commandant François Coulet vient, comme il l’avait promis au moment de sa désignation à la conduite des investigations, faire le point sur les avancées des premières semaines. Si Philippe, Cédric et Domitille ont compris le choix du commissaire divisionnaire de ne pas leur confier le dossier, Renan Le Cunff ne l’accepte pas. Mais alors pas du tout. Il en veut à la terre entière de la mort de Fabienne. Pire qu’une mort, une exécution, un contrat.

Il s’en veut d’abord à lui, qui a refusé de se lever de bonne heure, ce sinistre matin-là, pour les accompagner toutes deux au parc de Procé. S’il avait été là, les événements se seraient passés de manière différente. Il en veut à Philippe ensuite, qui n’a pas insisté pour que le groupe soit chargé du dossier, ce qui aurait été parfaitement légitime. Puis il en veut à Coulet et ses hommes qui pataugent lamentablement.

— Une certitude, explique le commandant, sur un ton convaincu, le flingue qui a servi à tuer les deux femmes, un pistolet Ruger MK II, est le même que celui qui a abattu Steven Belliard au pied de la tour Bretagne. En revanche, selon la balistique, il n’est pas certain que le tireur soit la même personne, je vous laisse prendre connaissance des conclusions techniques. Ici, selon les traces de pas relevées entre le lieu du double meurtre et la piste d’athlétisme, la personne serait une femme alors que, sur la moto, il s’agissait à coup sûr d’un homme.

— Bien sûr que c’est une femme, hurle Renan, qui ne cesse de tourner en rond, puisque c’est Coralie Morat qui a vengé son petit copain, c’est une évidence. Elle a récupéré le flingue chez le mec qui a buté Steven, dont elle connaissait fatalement l’identité, et elle l’a vengé en éliminant à bout portant la jeune policière qui avait piégé son mec, ce jour-là.

— Cela tiendrait la route si Coralie Morat n’avait pas un alibi très solide, confirmé par une vingtaine de témoins, objecte Coulet, sans s’énerver. Le matin du meurtre de Fabienne et sa mère, la potentielle suspecte se trouvait dans la chambre d’un hôtel particulier de la rue de l’Arche, après avoir fêté, jusque tard dans la nuit, l’anniversaire du fils des propriétaires des lieux. Et les photos de la soirée échangées sur les réseaux sociaux la montrent dans un état d’ébriété prononcé vers cinq heures du matin…

— Évidemment, qu’elle possède un alibi, elle n’est pas idiote, s’emporte le lieutenant, qui a épinglé une photo de sa partenaire décédée près de son drapeau breton. Évidemment, que ses potes la couvrent, ils ne sont pas à leur coup d’essai. Pour eux, l’alibi parfait, c’est un sport national et vous le savez pertinemment. Faire semblant d’être bourrée sur une photo, c’est un jeu d’actrice bien simple pour une nana comme Coralie Morat. Elle avait le temps d’aller buter Fabienne et de revenir auprès de ses potes, j’ai vérifié. Cela pue la préméditation à plein nez !

— Nous avons aussi recueilli des photos d’elle, pas très fraîche, durant le petit-déjeuner pris environ une heure après le double meurtre, précise Coulet, sans se départir de son calme. Il faut se rendre à l’évidence, que ça nous plaise ou non, Coralie Morat se trouvait bien dans son pieu au moment des exécutions. Et puis, pour l’avoir longuement interrogée, cette jeune femme n’a pas le mental pour tuer deux personnes de sang-froid. Nous faisons le maximum pour fouiller toutes les pistes et nous parviendrons à découvrir le ou la coupable.

— Et si le meurtre de Fabienne n’était pas lié à l’affaire qui nous occupe, mais aux petits événements du restaurant, ou encore à un dossier traité par notre collègue avant la création du groupe ? suggère Domitille, de sa voix grave. Elle était déjà policière et avait participé à de nombreuses interpellations, ce serait sans doute une bonne idée que d’interroger son équipier de l’époque pour savoir si elle ne s’est pas trouvée sur une affaire chaude qui a pu laisser des traces dans certains esprits. Comme il serait bien de questionner l’aide-cuisinier de sa mère, pour tenter de découvrir un client charmé par la plastique de Fabienne, et aussi accompagné par une femme très jalouse, par exemple.

— Nous avons suivi la seconde piste, sans résultat, pas la première, reconnaît François Coulet. Je vais mettre deux gars dessus dès cet après-midi. Bon, je vous laisse bosser et je pars en faire de même avec mon équipe. Bon courage à vous, je comprends que c’est une sale période pour votre groupe. Croyez que nous faisons le maximum pour trouver la coupable. Je sais que le coup est dur à digérer et, mon équipe et moi, nous sommes vraiment motivés pour découvrir l’identité de l’assassin. C’est juste une question de temps, mais nous coincerons cette criminelle, j’en fais une affaire personnelle.

* * *

Lundi 8 février 2010, 9 heures

Centre de détention, 68, boulevard Albert-Einstein, Nantes

Depuis quinze jours, Nadège se trouve dans sa cellule en compagnie d’une infirmière hospitalière en centre de gériatrie, accusée d’avoir abrégé les souffrances de patients en les aidant à mourir. Sylvette Poisson, 41 ans, veuve à la suite de la mort de son mari d’une leucémie foudroyante, n’a rien d’une criminelle et, quand elle plaide sa cause, Nadège se trouve placée devant le fameux débat sur le droit de mourir dans la dignité. Un sujet passionnant, sur le strict plan juridique, une fois dépassionné et éloigné de son contexte émotionnel. Sa compagne de cellule est une boule de nerfs en révolte, une petite nana décidée, d’allure insignifiante, aux cheveux châtains ramenés en queue-de-cheval, aux traits anguleux et à la maigreur presque étique.

Nadège ne sait pas vraiment ce qu’elle doit penser de cette fille et ce doute l’agace. Elle attend un signe, une parole, qui lui montrera si sa voisine de cellule est une idéaliste ou une mythomane, en boucle sur son système de défense, dans l’attente de son procès. Si l’on se fie à sa dégaine commune, il est impossible de se trouver face à une manipulatrice mais, dans sa carrière, l’ancienne avocate en a connu, des individus sans grande consistance, qui se sont révélés plus tard des meurtriers déterminés et implacables. Aussi se méfie-t-elle de la mièvre Sylvette Poisson qui, de son côté, n’a pas non plus totalement confiance en l’ancienne avocate.

L’heure de la promenade sonne et les gardiennes viennent sortir les prisonnières de leur antre pour les mener à l’air libre, ou du moins en semi-liberté dans la petite cour entourée de hauts grillages. D’abord le long couloir et les regards qui s’épient, les réflexions qui s’échappent sous cape, plus vachardes les unes que les autres. Ici, peu de sentiments positifs, la haine à fleur de peau, une violence latente, résultante fatale de la promiscuité permanente et des tensions ambiantes. Peu de mots, qui peuvent passer pour une provocation et causer une petite émeute. Même les échanges de regards sont interprétés, le plus souvent de la mauvaise manière. La prison, c’est un monde à part avec ses codes, ses règles, ses hiérarchies établies de haute lutte et surtout sa brutalité masquée.

Les premières rencontres entre Sylvette et les autres filles ont été mitigées, le sujet de son incarcération faisant débat, jusque dans les couloirs d’une prison. Pourquoi laisser souffrir une personne âgée par l’acharnement thérapeutique, pensent certaines, sans trop oser afficher leur point de vue. Faire mourir un individu, même en fin de vie, est un crime pour d’autres – se référant souvent aux positions des religieux sur le sujet – qui se gardent bien de faire part de leur sentiment. De sorte que l’ancienne infirmière peut déambuler relativement paisiblement dans les couloirs et se balader dans la cour sans risque majeur d’un coup fourré. Surveillée de près, crainte par certaines qui ne veulent surtout pas la voir tourner autour de l’infirmerie, toisée par d’autres qui n’en feraient qu’une bouchée, si cela devait mal tourner pour la nouvelle venue, elle est parvenue à creuser sa place dans ce si particulier microcosme.

Nadège a pris ses distances avec sa compagne de cellule et se balade en solo quand elle remarque que la Reine s’approche d’elle, pour la rejoindre dans un coin de la cour qui se désertifie très vite. Toujours hautaine, blonde sexagénaire au physique avantageux et à l’allure décidée, elle est immanquablement flanquée de deux de ses courtisanes censées la protéger, si une quelconque détenue venait lui chercher noise. Mais quelle inconsciente aurait le front de se risquer à juste l’importuner ?

Depuis quelques mois, Régine et Nadège se livrent à une guéguerre épuisante pour les nerfs. Depuis la punition infligée à Nadège par l’ancienne surveillante en chef, vexée de se trouver mutée à Marseille pour avoir voulu s’en prendre à l’ancienne avocate qui bénéficie de soutiens extérieurs. Une raclée monumentale sous les yeux de la Reine et d’une autre surveillante, Servane Quinet, qui tiennent depuis Nadège en respect. Le climat s’est donc singulièrement détérioré. Pourtant, une fois remise sur pied, Nadège a renvoyé Régine Parizeau dans les cordes en lui apportant une réponse risquée mais limpide, alors que la Reine la sommait de lui livrer l’identité du possesseur du sulfureux fichier volé à Steven Belliard, peu après sa mort.

— Tu sais très bien que ce fichier se trouve entre les mains de Baptiste Morat, pour la simple raison que ce gars est ton fils et qu’il agit sur tes ordres, avait alors ironisé Nadège, à ses risques et périls. Mais je te rassure, c’est une déduction personnelle, à partir des rumeurs qui parviennent à mes oreilles, des articles que je lis dans la presse locale, de mon expérience en la matière, de mon intuition. Je n’en ai parlé à personne, j’ai appris à garder pour moi mes interprétations de faits qui ne me concernent pas directement. La preuve que je suis clean : à ma connaissance, pas de descente de flics à son domicile, pas le moindre ennui avec la justice pour lui et sa frangine, les enfants que tu as eus avec Jean-Marc Belliard avant qu’il ne parte roucouler avec la sémillante Julie, un peu plus jeune que toi. Bien joué de ta part sur tous les plans. Même ici, tu diriges à présent l’économie de la ville car ton fils va présider aux destinées du groupe de BTP de ton ex. C’est bon, tu es satisfaite de ma réponse ? Tu vois, je ne suis pas une balance ! Je ne suis pas aveugle pour autant, mais je ne suis pas une balance.

Ce jour-là, la Reine n’avait rien trouvé à répondre, médusée par la perspicacité de sa rivale, se contentant de lui conseiller un peu plus tard de tenir sa langue, si elle ne désirait pas recevoir une nouvelle visite désagréable dans sa cellule. Et aussi de filer droit pour éviter tout ennui.

Ce matin, en s’approchant de l’avocate, la Reine a sa mine des mauvais jours, la tête rentrée dans sa doudoune, les mains enfoncées dans les poches, le regard méfiant. Nadège s’adosse au grillage – cela évite de se faire piéger par-derrière – et la contemple longuement, amusée de sentir son aînée en souci. Elle adore ce rapport de force, ce jeu d’influence si excitant, la base d’une partie d’échecs. Un peu plus depuis qu’un nouveau chef est arrivé, un homme d’une cinquantaine d’années que Régine n’a pas pu embobiner comme elle l’aurait souhaité et qui fait régner l’ordre, la discipline et le calme entre les vingt-six détenues. Même Servane Quinet, devenue l’âme damnée de la Reine, fait attention à ses gestes. De plus, le respect et l’estime de quelques filles pour Nadège et ses conseils judicieux ont de nouveau équilibré la partie entre dominante et dominée.

— Tu as un service à me demander, la Reine ? questionne Nadège, amusée, un brin persifleuse. Tu as la tête d’une quémandeuse, pas d’une donneuse de leçons.

— Non, je veux juste te parler des derniers événements, si jamais ils t’avaient échappé. Comme tu l’avais imaginé voilà peu, mes enfants sont devenus les patrons de l’ancien groupe Belliard, au nez et à la barbe du clan Touraine, qui ne va pas manquer de leur pourrir la vie, par tous les moyens. Coralie et Baptiste cherchent un avocat de confiance, que peux-tu me dire sur ton ancien associé, Julien Delapart ?

— Un poltron qui vient d’être nommé bâtonnier de la ville, grâce à ses relations corrompues dans de nombreux cercles, explique Nadège, regard tourné vers le ciel, comme si elle cherchait dans les nuages les souvenirs de son ancienne vie. Il n’aime pas les Touraine, mais jamais il ne s’opposera à eux, il n’a pas assez de c… pour cela. Il était certainement proche de Khoury. Pour preuve, il va défendre le couple de Vallais. Il se forge une nouvelle clientèle et récupère une partie de celle de maître Adrien Fortineau, ceux qui trouvent Augustin, le fils de ce dernier, trop tendre. Julien a bien rebondi finalement. Mais Julien rebondit toujours bien. Pardonne ma surprise après cette question, mais ton fils aîné, Aymeric, possède bien ses propres avocats pour son cabinet d’expertise comptable. Pourquoi ne pas lui demander ce conseil ?

— Parce qu’il tient à conserver une cloison entre ses activités propres et celles de son frère et de sa sœur, réplique sèchement la Reine. Et je suis d’accord avec lui. Les amalgames ne sont jamais bons pour les affaires.

— Oui, une cloison entre ses activités propres et les activités sales de son frangin, ironise Nadège, pas vraiment inquiète de la tournure des événements, au point d’oser la provocation.

— Non, Baptiste a tiré un trait sur le passé équivoque du groupe, répond la Reine, sans s’emporter, malgré le ton arrogant de son interlocutrice. Il veut mener des affaires nettes, il a juste besoin d’un conseiller fiable pour l’aider à fixer les règles du groupe et à s’y conformer. Il a des ambitions, mais pas à n’importe quel prix.

— Il me semble d’ailleurs que Julien Delapart est l’un des avocats d’Aymeric, se remémore Nadège, un peu nostalgique de cette époque. Du moins l’était-il lorsque j’exerçais encore.

— Dans ce cas, qui me conseillerais-tu ?

— Je me serais bien présentée, je possède les qualités idéales pour un tel job, mais je n’ai plus le droit d’exercer. Enfin, plus pour l’instant. Augustin Fortineau, le fils d’Adrien, poursuit l’œuvre de son père auprès des Touraine et d’une partie des autres notables corrompus. Mauvais choix de sa part, ce n’est pas un méchant garçon, mais il a entamé le chemin dans le métier en suivant les ornières de son père. Une erreur. Pour le reste, désolée, je ne connais personne de vraiment fiable dans la région nantaise pour une telle mission, pour le moins périlleuse.

— Tu as bien une petite proposition à m’offrir, non ?

— Si j’osais, je suggérerais à vos enfants de me confier leurs dossiers en sous-main, je les examinerais attentivement pour les guider dans les dédales juridiques de leurs nouvelles fonctions. En fait, pour l’heure, si j’ai bien tout suivi, ils ont avant tout besoin d’un conseiller juridique, pas d’un avocat.

— Pour les coincer un peu plus tard, une fois le navire remis à flot, je ne suis pas suicidaire, s’emporte la Reine, en affichant une moue dédaigneuse. Je savais que c’était une mauvaise idée de te demander un conseil, tu restes une petite vipère toujours prête à cracher son venin. Laisse tomber, je suis une grande fille, je me débrouillerai toute seule, une fois de plus. Et puis, de toute manière, pourquoi m’aiderais-tu ?