Tragédie à L'Ile-Tudy - Bernard Larhant - E-Book

Tragédie à L'Ile-Tudy E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Une jeune femme est retrouvée calcinée dans le coffre d'une voiture. Elle était appéciée de tous, sauf de ses rivales...

Funeste découverte que celle d’un corps calciné dans le coffre d’une voiture non loin de la gare de Quimper. La victime, Théa Le Rouz, une jeune femme de l’Île-Tudy, servait les clients dans le bar de son père. Elle était apparemment aimée de tous les habitants et ne semblait pas avoir d’ennemis. Pourtant au cours de l’enquête, le vernis s’écaille et Paul Capitaine découvre que la lumineuse sirène créait bien des jalousies par sa beauté incomparable et qu’elle aimait posséder un ascendant moral sur ses rivales du bourg. Mais tue-t-on une jeune femme avec autant de sauvagerie pour de tels motifs ?

Plongez dans le 19e tome des enquêtes du capitaine Paul Capitaine et découvrez qui a mené Théa Le Rouz à la mort... et pourquoi !

EXTRAIT

"Quand elle découvrit, dans le coffre d’un véhicule calciné, encore fumant et dégoulinant de l’eau des lances des pompiers, le corps brûlé et méconnaissable, recroquevillé dans un pneu, d’un individu identifié de sexe féminin, la substitute Laure Barbotan ne put se retenir de m’abandonner pour aller vomir son plus récent café derrière l’une des piles du pont qui enjambe les voies ferrées puis l’Odet. Cela me rappela l’une de mes premières enquêtes bretonnes, qui allait ensuite nous mener vers Douarnenez : Dominique Vasseur, magistrate de permanence que je découvrais à peine, avait eu la même réaction à la vision d’un corps dans le coffre d’une voiture. Pourtant rompu aux scènes les plus bestiales, j’avais moimême du mal à soutenir l’horreur du sinistre spectacle.
Il était 4 heures du matin, en ce samedi de permanence, lorsque Quentin, mon futur gendre, pompier à Quimper, m’avait appelé au commissariat, pour me signaler la découverte d’une voiture incendiée sur un parking, au niveau du rond-point de l’Eau Blanche. Une carcasse calcinée avec, dans le coffre au hayon ouvert, un corps, tout aussi calciné et noirci de caoutchouc. J’avais appelé le parquet et la jeune Laure, également de permanence, s’était résolue à passer me chercher au commissariat après un long soupir de désespérance."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Avec le Finistère pour seul décor, Bernard Larhant opère comme un enquêteur pour bâtir ses histoires."  - Carole Collinet-Appéré, France3

"Bernard Larhant nous permet de rentrer totalement dans la peau du Capitaine de police : Paul Capitaine. Contrairement à d'autres polars, dans ce livre, il nous dévoile aussi la vie que ce personnage possède en dehors de son métier." - LudovicKerzic, Babelio

A PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce la profession particulière de créateur de jeux de lettres. Après un premier roman intimiste, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine, accompagné de sa fille Sarah également policière.

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Couverture

Page de titre

REMERCIEMENTS

À André Morin pour ses conseils d’enquêteur.

À Lorraine, Brigitte et Domi, pour leur relecture amicale et attentive.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : 57 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la région. Il trouve au sein de la brigade judiciaire une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa fille et partenaire. Compagnon de la vice-procureure Dominique Vasseur, actuellement en mission aux États-Unis.

SARAH NOWAK : 33 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Elle a découvert en Paul Capitaine, le père qu’elle recherchait. Dotée d’un caractère généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère. Avec son compagnon Quentin, jeune pompier, ils sont les parents de Pauline.

RADIA BELLOUMI : 38 ans, commissaire de police. Une surdouée promue jeune à la tête du commissariat de Quimper. Elle a acquis le respect de ses effectifs par sa baraka. Piégée par le Club Magenta, un groupe influent, elle a récemment fait un séjour en prison qui l’a profondément marquée.

ROSE-MARIE CORTOT : 32 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur, le plus de la brigade judiciaire par son génie de l’informatique. Meilleure amie de Sarah, compagne de Mario, ancien policier et détective privé, jeune maman d’un petit Théo.

CAROLE MORTIER : 45 ans, divorcée, une fille de 17 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et les incidences de sa passion pour le jeu.

LAURE BARBOTAN : 33 ans, célibataire, substitute du procureure. Ambitieuse et besogneuse, elle a trouvé en Paul Capitaine un policier aguerri pour apprendre son métier de magistrate et tracer son sillon au milieu d’affaires retorses.

GAËLLE LE BRIS : 33 ans, célibataire et orpheline. Jeune journaliste casse-cou devenue blogueuse, sa mère était une copine de jeunesse de Paul Capitaine qui l’a prise sous son aile. Dès qu’un danger se présente, elle y saute à pieds joints, confiante en Sarah, son héroïne, pour venir la sauver.

PROLOGUE

Quand elle découvrit, dans le coffre d’un véhicule calciné, encore fumant et dégoulinant de l’eau des lances des pompiers, le corps brûlé et méconnaissable, recroquevillé dans un pneu, d’un individu identifié de sexe féminin, la substitute Laure Barbotan ne put se retenir de m’abandonner pour aller vomir son plus récent café derrière l’une des piles du pont qui enjambe les voies ferrées puis l’Odet. Cela me rappela l’une de mes premières enquêtes bretonnes, qui allait ensuite nous mener vers Douarnenez : Dominique Vasseur, magistrate de permanence que je découvrais à peine, avait eu la même réaction à la vision d’un corps dans le coffre d’une voiture. Pourtant rompu aux scènes les plus bestiales, j’avais moi-même du mal à soutenir l’horreur du sinistre spectacle.

Il était 4 heures du matin, en ce samedi de permanence, lorsque Quentin, mon futur gendre, pompier à Quimper, m’avait appelé au commissariat, pour me signaler la découverte d’une voiture incendiée sur un parking, au niveau du rond-point de l’Eau Blanche. Une carcasse calcinée avec, dans le coffre au hayon ouvert, un corps, tout aussi calciné et noirci de caoutchouc. J’avais appelé le parquet et la jeune Laure, également de permanence, s’était résolue à passer me chercher au commissariat après un long soupir de désespérance.

Un peu plus tard, je reçus les premières conclusions de la patrouille arrivée sur les lieux : « On se croirait face à l’un de ces barbecues en vogue du côté de Marseille, pour les règlements de comptes entre membres de bandes rivales. » Dire que j’avais pris cette permanence à Carole pour la faciliter dans l’organisation d’une rencontre familiale et aussi parce que, depuis la veille, j’étais à nouveau célibataire et donc fatalement déprimé, mais cela, c’était une autre histoire.

— Vous devez certainement avoir une piètre image de moi, ce n’est pas très professionnel comme réaction, s’excusa Laure en se rapprochant de la scène de crime, un mouchoir en papier devant la bouche. Pardonnez ma réaction, c’est la première fois que je découvre un si abominable spectacle, c’est insoutenable.

— Si cela peut vous apaiser, Laure, Dominique Vasseur avait réagi de la même manière, dans une circonstance identique, lors de l’une de nos premières enquêtes en duo. On ne se fait jamais à de tels carnages et, d’une certaine manière, c’est heureux. Cela signifie que nous restons toujours des êtres humains.

— Qui peut infliger un tel martyre à une autre personne, même son pire ennemi, se révolta la magistrate. Regardez la position du corps, recroquevillé dans la position du fœtus. Cette femme a certainement été brûlée vive dans ce coffre de voiture. Les tueurs sont des monstres dénués du plus petit sentiment.

— On peut imaginer une femme entre 20 et 40 ans, à qui la vie souriait, soupirai-je, dépité de constater que la folie des grandes villes gangrenait à présent Quimper. Elle avait décidé d’aller faire la fête à la fin de la semaine de travail. Peut-être est-elle malheureusement tombée sur des pervers qui se seront amusés avec elle avant de l’effacer de la surface de la planète. Quelque part, une famille l’attend depuis le petit matin, inquiète sans doute de son absence, de plus en plus angoissée à mesure que les heures passent. Une fois le corps identifié, ce qui ne va pas être simple, il va nous falloir aller annoncer aux proches la terrible nouvelle en évitant, dans un premier temps, de donner des détails sur l’horreur de la scène. C’est à coup sûr, la corvée que je déteste le plus dans ce métier.

Oui, l’identification de la victime représentait notre objectif prioritaire. Nous allions dans un premier temps, consulter le fichier des disparitions inquiétantes. Il nous faudra ensuite espérer que le corps ne soit pas trop calciné pour que les experts de la scientifique puissent prélever un ADN cellulaire. Mais si la technique du barbecue vise justement à interdire l’identification, elle permet désormais au mieux à en retarder les résultats. Car on peut maintenant également pratiquer des recherches à partir de la moelle épinière, ou encore par une analyse de la denture de la victime. Sauf que cette fois-ci, nous passions alors dans un domaine bien plus complexe et donc plus long, ce qui n’arrangeait pas nos affaires.

De leur côté, les collègues de la Scientifique cherchaient déjà les premiers indices dans le périmètre qu’ils avaient délimité en ce lieu sinistre situé non loin du parking désert d’une enseigne de discount. Aucune trace des vêtements, pas plus que du sac à main ou d’éventuels bijoux. Ils n’avaient rien laissé à la victime, ne se contentant pas de lui voler sa vie mais la privant aussi de sa dignité. Je tentais de me mettre à la place de cette malheureuse femme et de m’imaginer le calvaire abominable qu’elle avait enduré, avant de rendre son dernier souffle. Dans quel monde de barbares vivions-nous pour qu’on efface une existence de la sorte, par crainte de se faire prendre après avoir abusé d’un être sans défense.

— Pourquoi certaines crapules se montrent-elles aussi abominables avec leurs semblables ? questionna à nouveau Laure, collée à mon bras, d’une voix tremblante, autant de terreur et de colère mélangées que de froid, tout en mâchonnant fébrilement un chewing-gum pour s’enlever le goût du vomi de la bouche. Le plaisir de voir souffrir son prochain jusqu’à ce qu’il rende son dernier souffle ? Une vengeance froide et barbare pour sanctionner un adultère ou une autre faute ? La volonté cynique d’effacer toute trace de son forfait pour échapper à la justice ? Que reste-t-il de l’âme humaine, chez certains ?

— Peut-être que nous ne sommes pas aussi éloignés des bêtes sauvages que certains veulent bien nous le laisser croire, répondis-je, désabusé. Peut-être l’espèce humaine est-elle désormais divisée en deux camps, les prédateurs et les proies. Pourtant, certains détails, comme l’absence d’indices autour du corps, me font croire que les agresseurs sont des gens très intelligents, qu’ils ont prémédité leur coup et n’ont laissé aucun détail de leur plan au hasard. Cela ressemble à du travail de professionnels, ce qui signifie que la victime serait un personnage important qui a fait l’objet d’un contrat, même si cela me semble surprenant. À moins qu’elle ne soit tombée sur des experts, des pros du système, qui ne sont pas à leur coup d’essai. Dans ce cas, le mode opératoire aura déjà été utilisé ailleurs, mais les chances de retrouver les coupables sont minimes et s’amenuisent à mesure que le temps passe. À cette heure, ces salauds ne sont sans doute déjà plus en Bretagne.

— C’est ma première affaire de ce genre, cracha Laure, de la haine dans la bouche. Un violeur en série ou pire une équipe de vautours tournant autour d’une victime innocente avant de plonger sur elle pour abuser durant une soirée entière de la malheureuse avant de la tuer en pleine nuit, sans scrupules et pire, avec sadisme.

— Ce n’est qu’une hypothèse parmi beaucoup d’autres, la plus logique, somme toute. Mais attendons de connaître les conclusions du légiste avant de foncer dans une direction encore hypothétique. Il nous faut également identifier le véhicule, ce qui prendra moins de temps, à condition que les criminels n’aient pas maquillé le numéro de série, comme ils ont emporté les plaques d’immatriculation. On peut toujours rêver ! Vous me confiez l’affaire, Madame la substitute ? Je vous promets de mettre la main sur les enfoirés qui sont capables de transformer, en une soirée de fin de semaine, le corps d’une femme irradiant certainement de vie en une masse carbonisée.

— Paul, naturellement, je vous confie l’affaire, me répliqua-t-elle en commençant à s’éloigner pour regagner sa voiture. Je vais me rendre à mon bureau et m’acharner sur les paperasses en retard pour tenter d’effacer de mon esprit cette insoutenable impression. Cela va être difficile mais je vais essayer… Je vous reconduis au commissariat ?

— C’est gentil, Laure, répondis-je distraitement, mais je vais rester avec les enquêteurs pour les soutenir dans leur travail, et aussi attendre l’arrivée du légiste. Je dois rassembler un maximum de petits indices pour commencer l’enquête car je sais que le temps joue contre moi. Ce salaud a sûrement commis quelques erreurs et laissé sur la scène de crime d’infimes traces de son passage, qui me permettront de remonter jusqu’à lui. Je ne crois pas au crime parfait, surtout à Quimper. Tâchez tout de même de trouver un moment pour vous reposer, dans la journée. Vous êtes en état de choc, le sommeil est le meilleur réparateur. Je vous tiens au courant des avancées, le cas échéant, bien sûr.

Trois heures plus tard, je me trouvais face à une Sarah encore endormie et devant un café chaud et les croissants que j’avais achetés en cours de chemin. Noël Sapin, le médecin légiste, s’était mis au travail sur place. Une journée pénible s’annonçait pour lui. Il détestait les brûlés, ce n’était pas sa spécialité. La carbonisation impliquait l’utilisation d’un protocole précis et long. Une manière de m’expliquer que je n’obtiendrais pas le fruit de son labeur avant plusieurs jours. J’attendais donc davantage du travail des experts sur la carcasse de la voiture pour obtenir un premier début de piste.

Comme ma fille, réveillée tôt pour le biberon de Pauline, avait appelé Quentin pour prendre de ses nouvelles, celui-ci lui avait narré le drame de la nuit et annoncé ma présence sur les lieux. Déduction logique, j’allais rappliquer, sitôt les premières constatations achevées, pour tout rapporter à ma partenaire habituelle, ma fille préférée. Bien sûr, Sarah voulait tout savoir du dossier pourtant pas encore ouvert. Le terrain lui manquait de plus en plus, d’où sa présence en face de moi, après avoir déposé la môme chez ses grands-parents, comme très souvent. Sarah avait déjà son avis sur la question :

— Des gars repèrent une nana qui leur plaît dans une boîte de nuit, ils l’isolent de son entourage en toute discrétion, ils l’enlèvent pour prendre du bon temps à leur manière, m’explique-t-elle comme si elle avait déjà vécu la scène. Ils sont à moitié ivres, peut-être drogués, ils abusent alors d’elle sans même prendre du plaisir, avec jubilation et frénésie, et, comme elle jure qu’elle va aller porter plainte, ils l’éliminent pour ne pas risquer d’ennuis…

— Je t’arrête tout de suite, Sarah, ils l’ont déshabillée, lui ont retiré ses bijoux, mais aussi les plaques d’immatriculation de sa bagnole et ils ont cramé la caisse avec le corps dans le coffre, recouvert d’un pneu pour accélérer la combustion et retarder l’identification. Ils ont opéré en un lieu assez discret pour qu’on ne les remarque pas pendant les faits mais suffisamment visible pour que l’alerte soit donnée au petit matin. Il y a, là-dedans, une espèce de jeu pervers presque routinier qui ne me plaît pas du tout. Comme si le ou les criminels voulaient nous narguer, en pros de la méthode, désireux de rajouter une dose d’adrénaline à leurs visées destructrices.

— C’est pas faux, concéda Sarah, comme bien souvent. Tu ne manges pas ton deuxième croissant ? Ils sont à tomber, tu les as achetés dans le quartier ? Allez, un petit écart pour le week-end, ce n’est pas bien grave.

— C’est ton troisième, quand même !

— Mon troisième écart ? Tu exagères, je viens juste de me lever ! Bon, de toute manière, tu n’en sauras pas davantage avant lundi, au plus tôt. Peut-être avec la voiture, et encore, vu son état… Sinon, pour changer de sujet, Dominique est passée me voir avant de repartir aux États-Unis. Tu n’as rien à me dire qui te ruine le moral et qui t’allégerait un peu en le confiant à ta fille adorée ?

— Que veux-tu savoir, au juste ? Oui, hier après-midi, avant qu’elle ne reparte de Pluguffan en direction de Paris, puis de Washington, Dominique a tenu à ce que nous ayons une discussion sérieuse. Nous étions dans la maison de la pointe Saint-Gilles et elle a voulu que nous sortions pour nous installer sur le banc face à la mer, comme souvent, quand nous devisons de manière sérieuse à propos de notre avenir. Pour te la faire courte, elle m’a alors annoncé qu’elle me rendait ma liberté.

— Elle a compris que ses nouvelles responsabilités lui bouffaient tout son temps et qu’elle ne savait pas exactement quand se situerait son prochain séjour en Bretagne, enchaîna ma fille, la tête entre les mains. Elle est honnête avec toi, cela lui ressemble tant.

— Elle m’aime toujours à en crever, mais sa mission passe avant notre amour. Elle estime injuste de me condamner au célibat et à l’ascèse parce qu’elle a pris la décision d’aller au bout de sa charge. Mais que veux-tu que j’en fasse, de cette liberté ? Moi aussi, je l’aime à en crever et ses périodes d’absence me sont de plus en plus insupportables. Même si je comprends son choix et qu’à sa place, j’aurais pris la même décision, la pilule est dure à avaler. Tu me vois dans les bras d’une autre, dans les draps d’une autre, à présent ? Cela ne rimerait à rien, nous sommes liés pour la vie, Dominique et moi, même si nous ne sommes pas mariés et que notre histoire ne ressemble à aucune autre, même si beaucoup de gens de mon entourage ne me comprennent pas. Cela fait une dizaine d’années de vie commune, mine de rien, avec des hauts et des bas certes, mais une passion commune qui passe au-dessus de l’entendement de bien des gens.

— Je le sais, je vis auprès de vous et je ne suis pas aveugle. De plus, Dominique est un peu une seconde maman, pour moi. En fait, si tu veux mon avis, c’est sa plus belle preuve d’amour envers toi. Elle t’explique que, dans l’intervalle, si tu vas voir ailleurs, dans sa grande mansuétude, elle ne t’en fera pas le reproche à son retour. Elle te fait comprendre qu’elle part en sachant que, de toute manière, elle possède la certitude qu’elle est la femme de ta vie et que tes actes en son absence ne seront que la réponse à une nécessité physique, à un désir naturel et humain, que ce ne sera pas une trahison de ta part. Cela fait longtemps que sa mission la passionne et lui bouffe toute la vie. Et chaque semestre un peu plus. En l’intégrant à la commission internationale, Jillian Marlowe a offert à Dominique la possibilité d’exprimer tout son potentiel intellectuel, de participer à une mission exceptionnelle, hors norme, alors qu’elle s’étiolait à Quimper au milieu de la paperasse d’affaires banales.

— Cela, je le perçois parfaitement, ma grande, et si tu savais comme je suis fier d’elle, de la personnalité qu’elle se construit, ou plutôt qu’elle révèle, de sa contribution de plus en plus importante aux avancées de la commission. Mais là, je suis comme un gosse qui se trouve avec un cadeau dans les mains dont il ne peut pas profiter. Tu sais, cela me fait penser à ces enfants qui demandent à leurs parents, accaparés par leurs activités professionnelles, de venir passer un moment avec eux autour d’un jeu de société et à qui l’on balance un billet sur la table pour qu’ils aillent au cinéma. En fait, je comprends la position de Dominique, et pourtant, je ne parviens pas à ne pas lui en vouloir. Une partie de moi s’émerveille de sa réaction et une autre lui en veut de ce cadeau d’adieu empoisonné.

— Allez, nous reparlerons de tout cela, demain je viens à Bénodet avec Pauline, comme Quentin est toujours de permanence…

— Moi aussi, je te signale.

— Je vais tâcher d’arranger ça. Blaise n’a rien à faire, il peut prendre ton tour : il te doit bien ça. Et depuis qu’il est le parrain de Pauline, il ne peut rien me refuser. Je m’occupe du repas, ne te soucie de rien, ça me fait plaisir. Moi, mes vacances, vois-tu, c’est une journée sans voir Mylène ! Elle est adorable, la future belle-mère, mais ce qu’elle peut être envahissante ! Tu ne peux pas t’imaginer…

— Si, je vois très bien. J’ai vécu paisiblement pas mal d’années de vacances à ma manière, avant que tu ne débarques dans ma vie !

— Oh, le chameau, tu ne me mérites pas ! Je vais voir mon homme, tiens, lui au moins, il me couvre de câlins et de mots tendres. Enfin, peut-être pas là, en tenue de combat contre le feu. Ce n’est pas cool. On plaisante alors que cette pauvre nana ne pourra plus le faire. Et ses proches, je préfère ne pas penser à eux, la vie est atroce, parfois, tellement injuste avec certains…

I

Le lundi matin, l’équipe se retrouvait comme chaque semaine autour de Carole, notre chef de groupe, pour faire le point sur les affaires en cours. Naturellement, le dossier du week-end accapara nos discussions, chacun y allant de sa version et de son expérience. Finalement, c’est Mehdi qui avait pris la permanence du dimanche, car Sarah avait invité Blaise pour le déjeuner – il n’attendait que cela, couvant ma fille comme jadis et elle se laissait couvrir de compliments et de mots affectueux et prenait plaisir à le voir veiller sur sa filleule comme s’il s’agissait de sa progéniture. C’est donc Mehdi qui avait récupéré les premiers éléments de l’enquête. Carole, en qualité de chef de groupe, lui demanda de faire le point sur les éléments à notre disposition.

— Bien que l’autopsie pratiquée par le médecin légiste n’ait encore rien donné, par un recoupement entre une plainte pour disparition déposée par un père inquiet à la gendarmerie de Pont-l’Abbé, et des détails exploitables du véhicule calciné, il a été possible d’identifier la victime avec une quasi-certitude. Cette jeune femme se nommait Théa Le Rouz. Elle avait 27 ans, était célibataire et occupait le poste de serveuse dans le café de son père, un troquet nommé la Perdrix, à la pointe de l’Île-Tudy. À ce stade de l’enquête, il ne m’est pas possible d’en dire davantage. J’ai eu un dimanche assez chargé, avec plusieurs rixes aux sorties des bars et des boîtes de nuit de la ville. Les assassins, car il ne fait aucun doute qu’ils étaient au moins deux, n’ont pas laissé un seul indice matériel sur les lieux. De vrais pros ! Maintenant que le doute n’est pratiquement plus permis, il va falloir aller prévenir la famille de la mort de Théa, et surtout leur expliquer les circonstances atroces de son meurtre.

— J’aimerais me rendre à l’Île-Tudy avec toi, Carole, si tu es disponible, intervins-je avec détermination, en sondant la chef de groupe du regard.

— Ce matin, absolument impossible, j’ai rendez-vous avec la grande patronne, s’excusa l’intéressée, sans nous fournir plus de précisions.

— Pas de panique, je suis de retour aux affaires, clama dans notre dos une voix que je connaissais bien.

— Sarah, mais que fais-tu là ? s’étonna Carole, ton congé parental n’est pas encore achevé, que je sache.

— Non, mais j’étouffe, à la maison, avec ma future belle-mère qui rapplique à l’aurore pour s’occuper de sa petite-fille, une fois celle-ci allaitée et propre sur elle. Ce n’est pas méchant de sa part, mais deux têtes pour un seul chapeau, c’est trop ! Autant que je me rende utile en conduisant mon vieux paternel vers de nouvelles enquêtes résolues en duo. De plus, celle-là me tient à cœur, une fille à peine plus jeune que moi…

— Heureux de te revoir parmi nous, Poupette, tu nous as manqué, tu sais, gloussa Blaise en venant faire la bise à sa collègue. Et si tu as des problèmes de baby-sitting pour garder Pauline, un soir où je ne suis pas au boulot, tu sais que tu peux compter sur son parrain pour s’occuper d’elle.

***

Un quart d’heure plus tard, nous roulions sur la Transbigoudène et, tandis que je phosphorais sur les raisons de la rencontre entre Carole et Radia, à la suite d’un week-end que la chef de groupe avait qualifié de crucial pour son avenir, Sarah tenait à me parler d’un autre souci :

— Hier, en cours de conversation, tu as évoqué le sujet de la maison de Bénodet, qui représentait pour toi une charge, du fait que nous ne l’occupions que durant la période estivale, et encore selon nos disponibilités. C’est vrai que, pour l’instant, notre vie est plutôt à Quimper. Je n’ai rien dit devant Blaise car il n’est pas de la famille, certains sujets ne le regardent pas. Tu vois, toi, tu as Quimper, tes amis d’enfance, tes souvenirs, tes attaches, tu es chez toi par ici. Tu connais tous les recoins de la ville, tu y as tes repères, tes jalons pour…

— Oui et où veux-tu en venir, au juste ?

— Moi, je ne suis de nulle part, je n’ai pas de racines. Je n’ai pas le moindre souvenir de la Pologne, je l’ai quittée très jeune. Quant à ma jeunesse dans le Nord, je préfère l’oublier, j’y ai tant souffert. La maison de Bénodet, c’est mon point d’ancrage, j’y ai vu mon grand-père, nous y avons vécu des moments merveilleux ensemble, j’y ai implanté mon imaginaire…

— Tu sais, bredouillai-je, embarrassé, j’en parlais comme cela, nous pouvons très bien la garder, cette maison. Il y a juste quelques travaux à prévoir, mais…

— J’aimerais que pour Pauline et mes autres enfants, ce soit aussi un point d’ancrage, un nid avec des souvenirs de moments heureux, comme ce l’est pour moi. Que nous ayons ce socle en commun. Je ne sais pas comment t’expliquer ce que je ressens. Quand je suis à la pointe Saint-Gilles, il ne peut rien m’arriver, je suis là où je dois être.

— Pas de problème, ma fille, nous conserverons la maison de la pointe Saint-Gilles !

— Nous en avons parlé longuement hier soir avec Quentin. On se verrait bien venir habiter à Bénodet et on te verserait un loyer, naturellement.

— Sarah, tu plaisantes, tu es chez toi dans cette maison, vous êtes chez vous, les enfants. Tu ne vas pas payer pour habiter chez toi, c’est absurde. En revanche, je ne suis pas contre une participation aux frais des travaux, on peut en discuter.

— Cela ne prendra pas plus de temps à Quentin pour se rendre à la caserne des pompiers. Moi, un peu plus pour le commissariat, mais ça ne me dérange pas, même avec un détour pour déposer Pauline chez Mylène, je me lèverai juste un peu plus tôt. Et le soir, aux beaux jours, ma belle-mère a même promis qu’elle serait heureuse de venir se promener à la pointe Saint-Gilles en attendant mon retour. Enfin, pour Pauline, quelle enfance plus saine que de profiter de l’air du large. Ce serait merveilleux…

— Tu sais que ce qui compte pour moi, c’est ton bonheur ! Bon, je m’installerais bien quand même un petit lit de camp dans la buanderie, pour y revenir de temps en temps.

— Mon papounet, tu es bête, tu garderas ta chambre dans la maison, rien ne changera, tu seras toujours chez toi. Mais cette maison a besoin d’entendre résonner les cris des enfants.

— Adjugé !

Pris par notre conversation, nous avions oublié de bifurquer vers Combrit puis l’Île-Tudy. Une chance pour nous, nous avions une bretelle de sortie à l’entrée de Pont-l’Abbé. Désormais, Sarah était perdue dans ses pensées, lunettes de soleil sur le nez, imaginant la vie future au bord de l’océan et non face à la gare de Quimper. De mon côté, je me disais qu’elle avait raison, cette maison avait besoin de vivre et d’accueillir les rires de Pauline et mes parents auraient été heureux de cette décision et l’auraient approuvée. J’éprouvais malgré tout un petit pincement au cœur car, désormais, j’y serai chez les enfants, tout comme, à Quimper, je logeais chez Dominique. Mais je chassais ces idées égoïstes de ma tête, la logique prévalant sur mes états d’âme. Ma vie de crapahuteur professionnel m’avait aussi appris à ne jamais poser mes valises nulle part.

***

Le café la Perdrix se trouvait au bout de la presqu’île, face au port de Loctudy. Il tenait son nom du typique phare à damiers noirs et blancs qui guidait les bateaux dans le chenal. Un cadre magnifique qui, chaque été, attirait de très nombreux touristes. Au fil des décennies, le petit village de pêcheurs et ses conserveries, encore nommées friteries, ont laissé place à des résidences secondaires et des centres de vacances, les bateaux de plaisance ont remplacé les chasse-marée ou malamoks de jadis. Époques fastes et périodes de crises se sont succédé, ici comme partout ailleurs, façonnant les gens du pays autant que le rude climat bigouden.

Aujourd’hui, la grille du café de la Perdrix était restée baissée et une simple affiche, écrite à la main, en fournissait la raison : « Fermé pour cause de deuil. » Les gendarmes de Pont-l’Abbé avaient déjà précisé à la famille que le corps de Théa avait été retrouvé par les policiers de Quimper qui prendraient contact avec eux dès que possible. Sarah appuya sur le bouton de la sonnette placée près de la porte adjacente. Les volets s’ouvrirent à l’étage et un homme nous cria :

— Vous n’avez pas lu la pancarte ? C’est fermé ! Les clients ne respectent plus rien, de nos jours…

— Nous sommes de la police de Quimper, annonçai-je en levant ma carte. Vous êtes certainement le père de Théa Le Rouz et les gendarmes vont ont prévenu que nous avions trouvé son corps près de la gare de Quimper ? Nous comprenons votre douleur et vous adressons nos plus sincères condoléances, nous sommes sincèrement désolés…

— C’est donc bien vrai qu’elle est morte ! bredouilla le père, accroché aux volets de la fenêtre.

— Oui, elle a été tuée, mais nous ne sommes qu’aux débuts de l’enquête. Nous devons vous poser quelques questions pour mieux comprendre ce qui a pu se passer et retrouver au plus vite la trace des assassins de votre fille. Pouvons-nous discuter avec vous pendant quelques minutes, ce ne sera pas long ?

L’homme referma les volets et deux minutes plus tard, il apparaissait à la porte, le pas lent et la tête basse, avant de relever le store métallique. C’était un homme solide, à coup sûr dur au mal, mais comment accepter l’annonce de la mort de son enfant. Il nous tendit une solide main, sans un mot, les mâchoires serrées. Face à lui, nous ne savions pas non plus que dire. Il est des situations pour lesquelles toute parole est inutile et dérisoire.

D’un ton morne, il nous invita à entrer et à nous installer dans le bar, puis il nous proposa un café. Il commença par nous demander quand il pourrait récupérer le corps. Je lui expliquai qu’une autopsie était en cours à Brest et que cela pouvait prendre du temps. François Le Rouz, Fanch pour les habitués, n’éprouvait même pas de colère. Enfin, pas encore ! Il ressemblait à un boxeur assommé par les coups, qui recherchait la direction de son coin et de son tabouret. Un colosse d’une bonne cinquantaine d’années qui avait dû en vivre des vertes et des pas mûres, un solide gaillard taillé dans le granit qu’un uppercut venait de cueillir à froid. Il nous apporta nos tasses et s’assit en face de nous.

— La semaine dernière encore, à cette heure, c’est Théa qui servait les clients, se lamenta-t-il, en secouant la tête, comme pour se réveiller d’un mauvais rêve. Elle connaissait tous les gars qui venaient ici, leurs habitudes, leur vie, leur travail, leurs peines. Ses copines lui demandaient pourquoi elle restait à se morfondre dans ce trou, seulement, ce bar, c’était sa vie, son univers. Pour elle, s’en éloigner, c’était déjà un peu se perdre. Je ne sais pas si elle aurait pris ma suite, je sais juste qu’elle était heureuse ici et que pas un habitué ne se plaignait de sa présence… Et puis là, pfft, plus personne ! L’absence ! Sa mère d’abord, elle ensuite, cela fait beaucoup ! Qu’ai-je fait au bon Dieu, pour qu’il me punisse ainsi ?

— Sa mère a également été victime d’un acte criminel ? interrogeai-je, flairant le début de piste, en sirotant mon expresso.

— Non, elle, c’est la maladie qui l’a emportée, voilà six ans ! répliqua le cafetier, mâchoires serrées. J’aurais fermé le bar depuis longtemps si Théa n’avait pas décidé de m’épauler. Qui pouvait lui en vouloir au point de la tuer ? Elle aimait l’humanité entière, elle désirait la paix dans le monde et ne comprenait pas pourquoi les hommes tenaient toujours à s’entre-tuer dans des guerres stupides…

Une octogénaire vint nous rejoindre, marquée, elle aussi, par le drame. Digne malgré la douleur, droite sous sa tête penchée, elle tenait un mouchoir à la main. Fine Lannuzel était la grand-mère maternelle de Théa et elle ne comprenait pas non plus qui pouvait en vouloir à sa petite, avant d’ajouter :

— C’était tranquille, à “l’Île” avant que les petits loubards ne débarquent à chaque printemps. De la graine de gangster qu’on nous ramène de Paris, pour nous polluer l’atmosphère…

— De qui voulez-vous parler ? questionna Sarah en sortant son carnet et son stylo. Vous avez une piste que nous pourrions suivre ?

— Le maire s’est mis dans la tête de soutenir les jeunes des banlieues en ouvrant le camp du Treustel à une vingtaine d’entre eux, durant les vacances de printemps, éructa-t-elle en se servant un bol de café. Moi, je dis qu’on ne fera jamais du blé avec de la mauvaise herbe ! Par contre, la rouille ou la carie peuvent détruire une belle tige proche de la pleine maturité.

— Vous ne pouvez dire cela, Fine, rectifia le père Le Rouz. C’est vrai que ces jeunes ne vivent pas comme nous, cela n’en fait pas pour autant des assassins. Je sais que l’autre jour, deux d’entre eux se sont montrés incorrects avec Théa, seulement, il y a un grand pas entre tapoter les fesses d’une serveuse de bar ou lui parler de manière vulgaire et la tuer.

— On va vous laisser ! conclus-je, peu enclin à assister à une dispute de famille. Nous allons rencontrer Solenne, avec qui votre fille était sortie, ce soir-là, selon les informations que vous avez communiquées aux gendarmes de Pont-l’Abbé. Elle nous expliquera certainement le déroulement de la soirée.

— Vous ne la trouverez pas à sa boutique de fleurs de l’avenue du Teven, elle ferme le lundi, crut bon de préciser Fine Lannuzel en nous raccompagnant. Elle est certainement chez elle, un peu plus loin, dans la même rue, en direction de la plage, au numéro 25, je crois ! Une maison basse à côté d’un petit immeuble…

Comme il faisait beau et que j’avais des fourmis dans les jambes, je proposai à Sarah de laisser la voiture près de la mairie et de filer à pied jusqu’au domicile de Solenne pour effectuer un premier point de la soirée avec la jeune femme. La température était déjà clémente, le soleil commençait à darder ses rayons sur le miroir de l’océan, les mouettes faisaient des acrobaties dans le ciel et comme la municipalité nous avait gratifiés d’un superbe chemin piétonnier à partager avec les cyclistes, qui menait jusqu’à la plage du Treustel, nous avions l’impression d’être en vacances.

Comme Sarah trouvait le lieu idyllique, je ne pus m’empêcher de lui faire part des bons moments passés en ce lieu dans mon enfance. Mon père affirmait toujours que si Bénodet était le lieu idéal pour vivre, l’Île-Tudy restait la plage la plus agréable, au large de laquelle je pouvais nager sans crainte et où, à marée basse, nous faisions tous deux de sacrées parties de pêche, pendant que ma mère se dorait au soleil ou se promenait, les pieds dans l’eau, le long du rivage. Sarah adorait mes souvenirs de jeunesse qu’elle rangeait discrètement dans une malle de sa mémoire, tellement démunie de richesses de cet ordre.

Quand un drame s’était produit en un lieu, rien de tel que de laisser traîner une oreille, lorsque deux dames discutaient sur un banc face à la mer. Le meilleur moyen d’en apprendre davantage sur les cancans du bourg, bien plus qu’en s’avançant pour les interroger. Ainsi, tout en m’arrêtant pour montrer à Sarah, au large, l’archipel des Glénan qui se dessinait parfaitement à l’horizon, je tendis une oreille. L’une des dames semblait bien informée.

— Tu sais, le petit Matthieu, le fils de Job Larzul, tu vois de qui je cause, il aurait bien dit oui depuis longtemps si Théa ne lui avait pas toujours dit non.

— Moi, je ne les voyais pas ensemble, Channig. Il a le sang chaud et l’alcool méchant, elle méritait mieux, la petite Théa !

— C’est qu’elle était mignonne et pas farouche, celle-là. Il paraît qu’un soir où il était un peu plus gai qu’à l’ordinaire, Alain Marzin aurait tenté d’abuser d’elle. Tu penses, depuis son divorce, l’ancien pêcheur n’avait pas touché une femme et comme il passait ses journées au bistrot, et que la petite avait toujours des tenues de délurée, il a pris ses désirs pour des réalités. Fanch a mis le holà vite fait, tu penses…

— Si tu veux mon avis, le meurtrier n’est pas un gars d’ici ! Bon, un ivrogne du village, la fricoter, à la rigueur, sans se rendre compte de ce qu’il faisait, mais la tuer, ça non. Ici, tout le monde adorait Théa. Alors que les jeunes du camp du Treustel, qui peut dire ce qu’ils ont réellement dans la tête, ceux-là. Moi, même à mon âge, je n’aime pas les croiser.

L’une des femmes remarqua que, mine de rien, nous étions attentifs à leurs propos et nous interpella :

— Dites donc, tous les deux, nos discussions ont l’air de vous intéresser ? Vous n’êtes pas les patrons du camp, au moins ?

— Nous appartenons tous à un camp, Madame, hormis peut-être les Suisses qui savent rester neutres en toutes circonstances, répondis-je en forme de pirouette, pour adoucir le dialogue et amortir l’effet de la sortie de ma carte tricolore. En fait, ma collègue et moi, nous sommes tous deux policiers à Quimper et chargés de l’affaire qui semble vous passionner. C’est moi qui ai constaté la mort de la malheureuse Théa. Son corps a été retrouvé carbonisé dans le coffre de son véhicule, pas bien loin de la gare de Quimper.

— La pauvre fille, se lamenta l’une des pipelettes, ses bourreaux ne lui ont pas fait de cadeau…

— Vous savez, nous, ce qu’on en dit, c’est pour causer, s’excusa la plus grande, en se levant pour poursuivre son chemin. On ne veut porter tort à personne, seulement on l’aimait bien, la petite. Elle avait toujours un mot gentil pour nous et elle faisait beaucoup pour la commune, même qu’elle était entrée au conseil municipal. On espère vraiment que vous arrêterez les salauds qui lui ont fait ça.

Peu après, nous arrivâmes à hauteur du petit square de l’entame de l’avenue du Teven – déserté pour l’heure par les joueurs de pétanque si férus du lieu – et il ne nous fallut pas longtemps pour remarquer un peu plus loin, la maison qui représentait notre objectif. Un petit pavillon sans charme particulier mais cependant très bien placé, à quelques encablures de la plage.

Solenne Morgan était une jolie jeune femme âgée de 27 ans, comme la victime, les cheveux un peu moins blonds que Théa sur la photo que nous avions récupérée d’elle. Pour nous recevoir, la fleuriste se trouvait encore en robe de chambre et s’excusa immédiatement pour sa tenue de lundi matin, surtout quand elle me découvrit dans le sillage de Sarah et de sa carte de police. Elle nous invita à nous asseoir autour de la table de la cuisine et alla nous chercher une tasse de café. Ses yeux gonflés témoignaient qu’elle avait beaucoup pleuré. Elle s’installa en face de nous, un bol fumant à la main. Sarah en profita pour lui demander de résumer le déroulement de la soirée funeste.

— Nous avions convenu de passer quelques heures à la Sirène, une boîte de nuit située entre le bourg de l’Île-Tudy et Combrit, sur la route de Ty Rhu. J’étais passée prendre Théa à la Perdrix vers 21 heures et tout s’est bien passé jusqu’à minuit environ. C’est à ce moment qu’un serveur est venu prévenir Théa que quelqu’un la réclamait à l’entrée pour une raison personnelle. Elle s’est dirigée vers la sortie, moi j’en ai profité pour faire un arrêt aux toilettes et quand je suis sortie à mon tour sur le parking, Théa avait disparu. Il y avait quelques groupes de personnes, des gens qui sortaient de leurs véhicules. J’ai appelé Théa sans obtenir de réponse. De plus, sa voiture avait disparu. J’ai alors interrogé les vigiles de l’entrée, les gens qui fumaient sur le parking, puis j’ai questionné le serveur de la salle, personne n’avait noté quoi que ce soit d’anormal pouvant laisser penser à un enlèvement, mais on n’avait plus la moindre trace de ma copine.

— Si elle n’a pas crié, cela signifie que Théa connaissait ses assassins, conclus-je rapidement. Elle les a suivis sans penser à un traquenard parce qu’il s’agissait de personnes de qui elle n’avait aucune raison de se méfier. Cela élimine la thèse de rôdeurs ou d’inconnus de passage à l’Île-Tudy.

— Ou alors des gens qui se sont fait passer pour ce qu’ils n’étaient pas, rajouta Sarah, en haussant les épaules. Faux policiers, faux secouristes, faux médecins venant lui apprendre, par exemple, que son père avait fait un malaise pour la contraindre à grimper dans leur véhicule. De nos jours, aux informations, on voit tellement d’histoires incroyables que plus rien ne peut me surprendre.

— J’aimerais prendre deux minutes pour me changer, je serais plus à l’aise, si vous me permettez, ce ne sera pas long, réclama la fleuriste en rougissant.

Solenne revint vêtue d’un jean et d’une marinière bien bretonne. Elle s’en voulait de ne pas avoir accompagné son amie au-dehors, ce à quoi Sarah rétorqua qu’un cadavre était déjà de trop. Rien ne dit que, si elles s’étaient trouvées à deux, cela aurait découragé les mystificateurs. Je fis part à ma fille de ma réticence, à propos de sa version, trop voyante, à mon goût. On n’enlève pas une fille, sans que cela se voie ou s’entende. Quel que soit le mobile du crime, selon moi, il s’agissait plutôt de l’acte de proches de Théa, de copains jaloux, de clients frustrés, de dragueurs éconduits et rancuniers, de loubards mouchés désireux de réparer un affront, ou d’une simple vengeance d’intimes pour un sombre secret de famille. Pour moi, avec les maigres éléments dont je disposais, les assassins connaissaient bien la jeune femme et avaient voulu lui faire payer ce qu’ils considéraient comme une faute de sa part.

Solenne avait ramené ses longs cheveux châtains en arrière, avec un chouchou bleu marine. Elle était perdue dans ses pensées, quelque part entre une réalité qu’elle ne maîtrisait pas encore et un rêve éthéré peuplé de souvenirs diffus. Elle nous demanda si nous désirions un second café que nous refusâmes poliment. Je l’interrogeai aussitôt sur les petits copains de son amie et Solenne feignit d’éclater de rire, avant de se reprendre :

— Excusez-moi, s’empressa-t-elle d’avancer pour justifier sa réaction, mais n’imaginez pas que, parce qu’elle était une fille superbe, Théa multipliait les conquêtes. Si elle restait avenante avec les clients, hors du bar familial elle devenait une tigresse qui ne se laissait pas aborder facilement. Si elle sortait, c’était pour ne pas me laisser partir seule dans les discothèques, pas pour draguer. D’ailleurs, elle dansait rarement, préférant rester assise à me voir me trémousser au milieu de garçons prêts à tout pour me séduire. S’il s’en trouvait qui nous rejoignaient à notre table, Théa savait se montrer peste avec eux quand leurs manières ne lui convenaient pas. Elle était courtoise, mais elle avait son caractère, quand même. Et puis, elle était fiancée et passait dorénavant l’essentiel de ses temps libres avec Loïk, son petit ami !

— Et pourquoi pas ce week-end ? s’étonna Sarah, en se redressant, entrevoyant une piste intéressante. Il y avait de l’eau dans le gaz, entre eux deux ? Le grand amour avait pris du plomb dans l’aile ? Elle lui avait fait une infidélité ?

— Pas du tout, rétorqua Solenne, presque outrée, ils s’adorent comme au premier jour, ils sont si craquants, tous les deux. Seulement Loïk est cadre dans une société informatique implantée à Rennes et il ne disposait pas de son samedi. Aussi avait-il décidé de ne pas se déplacer uniquement pour le dimanche. S’il avait été là, le drame ne se serait pas produit. Non, entre eux, c’est le grand amour sans nuages comme nous en rêvons toutes. Cela fait quatre ans que dure l’idylle et tous deux parlaient sérieusement de mariage. Loïk est un garçon d’ici qui a poursuivi des études brillantes et que nous admirions toutes. Et que nous convoitions toutes aussi, pourquoi le cacher. Hélas pour les autres, lui n’avait d’yeux que pour Théa et on le comprend, c’était une fille sublime et très brillante.

— On ne va pas vous déranger plus longtemps. Vous devrez venir signer votre déposition au commissariat de Quimper et, par la suite, nous serons certainement amenés à vous interroger à nouveau, pour mieux cerner la personnalité de Théa. Voici ma carte, si un détail vous revenait dans l’intervalle. Merci pour les cafés.

— S’il vous plaît, retrouvez ces salauds, ne laissez pas ce crime impuni, bredouilla la fleuriste, au bord des larmes.