Psychose sur Bénodet - Bernard Larhant - E-Book

Psychose sur Bénodet E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Deux disparitions inquiétantes…

Le même soir, deux jeunes femmes disparaissent à Bénodet ; l'une est la fille de Jillian Marlowe, célèbre avocate américaine, amie de Dominique Vasseur. Une semaine auparavant une autre vacancière s'était déjà évanouie dans la nature. Paul et Sarah saisissent vite que l'enquête est plus complexe qu'il n'y paraît.
Les trois disparitions sont-elles liées? Jade Marlowe aurait-elle juste fugué ? Quand débarque en Cornouaille un cow-boy de la CIA, gendarmes de Fouesnant et policiers de Quimper comprennent qu'ils vont avoir du mal à garder la main. De Sainte-Marine à Port-la-Forêt, en passant par Camaret, s'engage alors une enquête qui doit déjouer les leurres que s'avèrent être certaines évidences. Mais les enquêteurs, mêmes bretons, n'aiment pas qu'on les mène en bateau...

Accompagnez le capitaine Paul Capitaine dans le 6e tome de ses enquêtes passionnantes en Bretagne !

EXTRAIT

"Une chance, pas un seul véhicule ne s’est placé devant le leur, elles peuvent quitter le parking en toute tranquillité ; la circulation est relativement fluide pour la traversée de la station balnéaire, aussi arrivent-elles rapidement au rond-point de Penfoul. Carole s’engage sans précaution particulière puisque le carrefour est libre ; elle n’a pas vu le bolide arrivant de la direction de Fouesnant, sur sa droite, qui coupe le rond-point à contresens pour remonter au plus court vers la plage. La collision est inévitable, le choc terrible, d’autant qu’il s’agit d’un robuste 4x4. Un adversaire trop costaud pour la vieille guimbarde qui vient échouer, après un ou deux tonneaux, sur le terre-plein central et, par chance, sur ses quatre roues.
Le temps pour la conductrice de recouvrer ses esprits, le chauffard a effectué un rapide demi-tour et repris la direction de Quimper, sans réclamer son reste. Carole parvient à détacher sa ceinture, elle bouge ses membres ; apparemment rien de cassé, un miracle."

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

"Éditions Bargain, le succès du polar breton." – Ouest France

"J'ai surtout apprécié les belles descriptions de Bénodet que j'aime tant et de la région en général. Bref, un polar régional qui tient la route et se lit un sourire bienveillant aux lèvres." - Sallyrose, Babelio

"Une intrigue policière bretonne avec une belle description du coeur de la Riviera Bretonne. Une histoire étonnante, très bien écrite, avec une enquête qui coule de source." - Cathy78, Babelio

"Un polar agréable à lire et qui sent les vacances." - steph89, Babelio

À PROPOS DE L’AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars en créant un personnage de policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Sylvie, ma petite sœur d’éternité.

REMERCIEMENTS

- À Jean-Pierre, retraité de la gendarmerie, pour son concours.

- À Sylvaine, pour son œil exercé.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : La cinquantaine, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Désabusé à l’issue de sa carrière à la Cellule-Élysée, il trouve au sein de la brigade criminelle de Quimper une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa coéquipière mais aussi sa fille. Tous deux habitent une maison de famille à Bénodet. Paul est très proche de la magistrate Dominique Vasseur.

SARAH NOWAK : 28 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père, originaire de Quimper, elle va le découvrir en la personne de son coéquipier et mentor Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle conserve en elle des rêves d’absolu. Son souci majeur : ne pas avoir encore croisé le grand amour.

DOMINIQUE VASSEUR : 44 ans, célibataire, substitut du procureur de la République. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle est complexée par un physique replet. Elle a vite apprécié la compagnie de Paul et cela a été réciproque. Seulement, entre eux, rien n’est jamais simple et le mauvais sort se joue en permanence de leurs sentiments.

ROSE-MARIE CORTOT : 26 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la brigade criminelle par son génie de l’informatique. Et surtout la confidente et la meilleure amie de Sarah.

CAROLE MORTIER : 40 ans, divorcée, une fille de 13 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et des frustrations intimes.

PROLOGUE

Vendredi 8 juillet, 21 heures, quartier du Poulquer à Bénodet.

Dans la petite longère que le couple De Jong a louée pour le mois, à l’entrée du chemin de Ruz Conan, l’atmosphère est à la tempête. Clarika, la petite-fille de 18 ans, tanne ses grands-parents pour obtenir l’autorisation de quitter la maison. Elle veut assister au concert qui se tient sur la butte, un peu plus loin que la plage du Trez. Derek, son grand-père, s’y oppose farouchement : il n’est pas question qu’elle coure la station toute seule. Comme, pour son compte personnel, il n’a nullement envie de se mélanger à une foule excitée pour écouter brailler un chanteur français, il considère le dossier clos. S’ils sont en Bretagne, c’est pour se reposer, sinon autant choisir la Côte d’Azur… Tout en préparant la botte de radis pour le dîner, Herma, la grand-mère, tente timidement de convaincre son époux : après tout, depuis quelques mois, Clarika est majeure. Elle peut donc se prendre en charge et assumer ses choix. D’ailleurs, ajoute-t-elle à voix basse, elle-même, à l’âge de sa petite-fille, cela faisait longtemps qu’elle avait fait ses premières escapades en catimini ; et cela, son mari était bien placé pour le savoir.

Derek marmonne que l’époque n’est pas la même, avant de s’enfoncer un peu plus dans son fauteuil pour se plonger dans la lecture du quotidien De Telegraf, l’unique journal dans la langue de son pays, disponible à la librairie de la Plage, qu’il s’empresse d’aller acheter chaque matin. Qui connaît le Néerlandais sait qu’il reproche surtout à sa petite-fille son short court en jean et son haut qui ne couvre même pas le nombril, une tenue vulgaire de gamine délurée qui lui donne bien mauvais genre… Et encore se retient-il pour ne pas lâcher la vérité sur ce qu’il pense de l’accoutrement de sa petite-fille…

— De toute manière, tes parents seraient là, ils ne t’auraient jamais autorisée à sortir dans une telle tenue ! assène-t-il après avoir chiffonné son journal en l’abaissant d’un geste nerveux pour foudroyer du regard sa petite-fille. Prends le temps de lire une feuille de faits divers de ce quotidien et tu comprendras que j’ai raison de te protéger… Chaque jour, l’actualité réserve son lot de drames, d’angoisses pour des familles comme la nôtre…

— Mais tu vois le mal partout ! De nos jours, toutes les filles s’habillent comme moi, que tu le veuilles ou non ! réplique la jeune femme, rouge de colère et d’exaspération. Surtout avec la chaleur de la journée, je ne vais pas enfiler une combinaison de sports d’hiver… J’en ai plus qu’assez de me sentir gendarmée en permanence, comme si j’avais encore quinze ans…

Décidée à aller au bout de son projet et à agir selon sa volonté, Clarika, solide liane à l’allure sportive et aux longs cheveux d’or, attrape son petit sac à dos posé sur un guéridon instable et s’éclipse sans demander son reste. Pour bien marquer son énervement, elle ne manque pas de claquer la porte derrière elle, laissant ses grands-parents médusés. De leur temps, jamais ils n’auraient osé tenir tête à des aînés… De guerre lasse, d’un échange de regards, ils décident de laisser faire.

Sitôt à l’air libre, Clarika respire un bon coup, consulte sa montre avec fébrilité, remonte en courant la rue du Poulquer en direction de la plage, passe devant les campings en scrutant l’horizon devant elle : pourvu qu’il l’ait attendue… Ce serait trop stupide qu’il se soit impatienté. Pour quelques minutes perdues à parlementer avec un vieux qui semble né pour lui pourrir l’existence… Elle sent son cœur qui bat la chamade et son avancée à vive allure n’y est pour rien. Sa gorge se serre à chaque pas, ses poumons sont proches d’éclater dans sa cage thoracique, elle est amoureuse, elle va connaître une passion hors norme… Elle ne peut pas passer à côté du bonheur de sa vie, ce n’est pas possible qu’elle ait raté cet instant capital de son existence… Enfin, elle arrive au niveau du restaurant “Escapades” et tourne la tête vers le parking sur sa droite, plein comme un œuf ; c’est là qu’ils ont rendez-vous. Il lui a dit qu’il possédait une BMW, Clarika n’en voit pas une seule de garée ; elle manque de défaillir, quand, en redressant la tête droit devant elle, elle remarque avec soulagement la superbe voiture un peu plus loin, de l’autre côté du rond-point, stationnée en bord de mer. Elle soupire d’aise, il l’a vraiment dans la peau, sinon il serait déjà parti. Elle lui adresse un signe de la main, avant de sprinter en slalomant entre les voitures qui continuent tout droit, vers la pointe Saint-Gilles. Il met le moteur en marche, remonte la vitre latérale, chausse ses lunettes de soleil et ouvre la portière côté passager. Elle s’installe en vitesse auprès de lui, encore haletante, sac entre les cuisses, lui pose un bisou sur la joue et justifie son retard :

— Je te demande pardon, les vieux voulaient m’empêcher de sortir ! lui explique-t-elle dans un français scolaire à l’accent flamand.

— Tu leur as parlé de moi ? s’inquiète le mystérieux conducteur en tournant déjà autour du rond-point pour reprendre la direction du centre-ville.

— Bien sûr que non, tu es fou, ils auraient fait une crise cardiaque ! Déjà sortir avec un garçon, ce n’était pas gagné… En plus, un homme bien plus âgé que moi, à peine plus jeune que mon paternel… Pour eux, je dois rejoindre une copine belge rencontrée sur la plage… Nous sommes censées assister toutes les deux au spectacle gratuit…

— Et ta copine, elle est au courant pour nous deux ?

— Non, elle serait folle de jalousie ! Elle te dévore des yeux sur la plage… Elle rêve toutes les nuits de passer une soirée avec toi, elle se fait des films pas possibles… Demain matin, si nécessaire, je la supplierai de dire à mes vieux que nous étions ensemble, elle et moi, s’ils lui posent la question. Sans lui parler de la personne avec qui je me trouvais, bien entendu… Je ne suis pas une imbécile, même si je suis encore jeune, je n’ai pas un pois chiche dans le crâne… C’est notre secret, notre merveilleux secret…

— Si cela ne te dérange pas, je vais aller me récupérer un pull à la maison, j’ai peur que la fin de soirée soit fraîche, malgré la température actuelle, surtout après onze heures ! Je t’en prendrai un également, je ne voudrais pas que tu prennes froid… Cela te permettra de découvrir mon antre ; les filles aiment bien cela, fouiner dans les tanières des garçons, pas vrai ? Tu es superbe, ainsi vêtue, tu fais bien plus que ton âge avec ce tee-shirt moulant… Et ce short te va vraiment à ravir, tu as de superbes jambes…

— C’est gentil de ta part de me dire cela, en fait, je suis un peu stressée, pour tout t’avouer… Tu as certainement déjà rencontré des filles plus expérimentées que moi…

— Détends-toi, ma grande, tu es en vacances, je prends tout en main ! rassure le chauffeur en tapotant la cuisse charnue de la passagère.

— Tu m’as parlé d’un programme différent… Bien loin du spectacle de la Butte… Cela ne me dérange pas, au contraire… Je peux savoir quelle idée tu as derrière la tête ?

— Non, c’est une surprise, sinon où serait le plaisir ? ricane le garçon, roulant à présent à plus vive allure, sur la route de Quimper. Mais je te promets que pour le spectacle que j’envisage de te proposer, tu seras aux premières loges… Juste par curiosité, tu as déjà fait l’amour ou ce sera ta première fois ?

* * *

Vendredi 8 juillet, un peu avant 22 heures, sur l’Odet, passant sous le pont de Cornouaille, en descendant de Quimper, l’Aigrette II, l’un des fleurons de l’armement Monfort.

Cette mini-croisière a été organisée pour fêter les cinquante ans du lancement de la première Aigrette, la vedette qui permet depuis lors à des milliers de touristes de découvrir l’Odet, la baie de Bénodet et l’archipel des Glénan. Les passagers ont été triés sur le volet parmi les notables de la région, personnalités en vue, hauts fonctionnaires et autres membres des institutions départementales.

À l’aller, vers Quimper, tout en savourant champagne et petits-fours raffinés, préparés par un traiteur renommé de la région, les passagers en ont pris plein la vue, s’émerveillant plus ou moins devant les châteaux posés au milieu de l’écrin de verdure où s’écoule le filet bleu-vert du fleuve côtier que certains nomment à juste titre la plus jolie rivière de France. Un guide, quasiment une encyclopédie vivante, relate au fur et à mesure les légendes liées aux différents sites : la Chaise de l’Évêque, rocher où un prélat aimait s’arrêter pour méditer. Le Saut de la Pucelle où une pure jeune fille aurait accompli un bond d’anthologie pour échapper aux avidités d’un galant homme. Les Vire-Court, sorte de chicane naturelle en milieu de trajet et la Fontaine des Espagnols en souvenir de navires ibériques qui, au XVIIIe siècle, désireux de rallier Quimper depuis la mer, avaient fait demi-tour, pensant se trouver dans un cul-de-sac. Les Trois Tourtes, lieu où une paysanne refusant de donner à manger à un ermite, vit sa pitance se transformer en pierres. Et puis le terrible Yann an Aod (Jean de la Grève), esprit malfaisant sur son cheval noir, qu’un lutteur bigouden, le grand Konan Ruz, terrassa en héros, avant de payer l’exploit de sa vie, selon Per-Jakez Hélias ; ce demi-dieu possède d’ailleurs désormais son chemin à Bénodet…

Les organisateurs de la réception papillonnent avec frénésie d’une grappe d’invités à une autre, apportant des coupes emplies de champagne à certains, présentant un plat de petits-fours et de verrines à d’autres, s’inquiétant de savoir si tout se passe pour le mieux. Un mot, une parole, un sourire, avant de poursuivre leur tâche avec un autre groupe, pour que la fête soit parfaite. Puis une fois arrivés à Quimper, alors que la vedette accoste un moment, les convives prennent place à des tables, devant une assiette marquée de leur nom par une petite étiquette stylisée ; des plateaux de fruits de mer les attendent déjà, que les invités auront le loisir de déguster lors de la croisière de retour…

Un peu avant vingt-deux heures, l’Aigrette effectue une ultime balade dans la baie de Bénodet avant de regagner son quai d’attache. Assises à une table du salon panoramique, trois femmes achèvent de déguster leur somptueux dîner ; il ne reste que les reliques du plateau de fruits de mer avec médaillons de homard pour couronner le festin, après une douzaine d’huîtres du Belon sur leur lit de glace pilée.

L’une de ces trois femmes attire plus particulièrement les regards des convives des tables voisines : elle a une cinquantaine d’années, un port altier, une chevelure flamboyante, un regard envoûtant de douceur et de romantisme, un délicieux accent d’outre-Atlantique. Jillian Marlowe est Américaine, avocate à Chicago, reconnue dans la profession comme une poigne de fer dans un gant de velours. Si elle séjourne à Bénodet durant un mois, c’est pour deux raisons : tout d’abord offrir un voyage en France comme cadeau de vingtième anniversaire à sa fille Jade, timide à ses côtés, silencieuse et effacée, comme si la belle enfant pâlissait de l’aura de sa mère. Seconde raison, revoir une amie française, Dominique Vasseur, qu’elle avait prise sous sa tutelle, lors du stage juridique de celle-ci aux États-Unis. Le substitut du procureur de Quimper est d’ailleurs en face d’elles deux, elle n’a pas raté l’occasion, en recevant une invitation officielle pour cette croisière anniversaire, d’en faire profiter ses amies américaines dont la présence ne dépare pas en telle société. Dominique tente de dépoussiérer son anglais hésitant pour soulager Jillian qui maîtrise avec difficulté la langue de chez nous.

En ce vendredi soir, la magistrate a achevé sa semaine de travail, elle n’est pas de permanence et va pouvoir se consacrer entièrement à la maman et sa fille. Tout en participant à la conversation, elle ne peut s’empêcher de se délecter machinalement des derniers bigorneaux qui restent sur le plat, cachés sous le lit de goémon. Les fruits de mer sont son péché mignon ; enfin, l’un de ses péchés mignons…

Un dernier passage devant Sainte-Marine, puis la vedette accoste au quai fraîchement refait de Bénodet pendant que le soleil se cache derrière le “Château Rose”, planté un peu avant la baie de Combrit, offrant encore une superbe lumière malgré l’heure tardive. L’un des multiples avantages de la Bretagne : on y gagne une heure de sommeil le matin et une heure de vie le soir !

Les passagers descendent par grappes, exprimant à voix haute leur émerveillement, les yeux encore emplis des superbes impressions de la croisière, la panse gorgée des délices de la table. Jillian se lance à nouveau pour confier en français son sentiment profond :

— Cela fait à peine une semaine que nous avons posé nos valises à Bénodet et je ne cesse de m’extasier devant les splendeurs de la région. Les rues du Vieux Quimper au charme si fascinant, la beauté sauvage de l’archipel des Glénan aux eaux d’émeraude, la longue plage de sable fin de Sainte-Marine, le littoral si pittoresque de Cornouaille, le jeu permanent des vagues et du soleil, la luminosité exceptionnelle de la Bretagne… Je suis tombée en amour avec la région, comme aurait dit mon ex-mari, d’origine canadienne…

— Tu as toujours des nouvelles de lui ? questionne Dominique qui n’avait pas osé aborder le sujet.

— Oh non, Dieu merci, c’était juste une erreur de jeunesse ! Dans sa grande clémence, le bon Dieu ne m’en a pas tenu rigueur, car il me reste Jade. Elle me procure tant de bonheur, même si elle m’en fait voir parfois, comme toutes les filles de son âge… À propos, où est-elle ?

— Nous étions près de 200 passagers à bord, elle ne doit pas se trouver bien loin, tente de rassurer Dominique en tournant la tête dans tous les sens, pendant que Jillian appelle en vain sa fille. Je vais m’assurer auprès de l’équipage qu’il ne reste plus personne à bord… Ensuite, je te conduirai jusqu’aux toilettes du port ; elle s’y est peut-être tout bêtement précipitée en quittant le navire, pour ne pas risquer de trop attendre…

Un quart d’heure plus tard, la foule s’est dispersée comme une volée de moineaux, restituant le quai du port de Bénodet aux mouettes alanguies. Jillian et Dominique se trouvent seules avec le capitaine du bateau, deux membres de l’équipage et les organisateurs de la croisière, embarrassés par la situation, surtout à la découverte de l’identité de la jeune disparue. Le patron de la compagnie ne peut s’empêcher de penser qu’une situation presque similaire s’est produite une semaine plus tôt sur Bénodet : une jeune femme d’origine allemande s’est volatilisée de bon matin, alors qu’elle s’adonnait à son jogging quotidien du côté de la pointe Saint-Gilles. Depuis, les gendarmes ne sont pas parvenus à retrouver sa trace ; ils ont intimé à tous les proches de l’enquête de ne pas ébruiter la disparition, par crainte de créer un climat de psychose dans la station balnéaire…

— Il existe certainement une bonne excuse à son escapade ! insiste Dominique en posant une main amie sur l’épaule de la maman affolée. Elle cherche peut-être un bureau de tabac ouvert, j’ai remarqué qu’elle fumait beaucoup… Elle va réapparaître dans peu de temps, le sourire aux lèvres, et ta crainte s’estompera en une seconde…

— Non, j’ai un mauvais pressentiment ! balbutie Jillian en secouant la tête de colère contenue. Une mère est sensible à ces impressions désagréables… D’ailleurs, elle n’a quasiment rien dit durant la soirée, comme si elle avait une prémonition… Pourvu que le cauchemar ne recommence pas… Mais cela ne sert à rien de faire le pied de grue, séparons-nous pour fureter dans le centre du bourg…

— Quel cauchemar, Jillian ? Tu peux tout me dire, je suis ton amie et je suis magistrate…

— Non, c’est stupide de ma part ! Je subis beaucoup de pressions actuellement à Chicago, et je n’aime pas savoir Jade seule dans la ville, certains personnages douteux seraient capables de l’enlever pour m’interdire de plaider au tribunal… Mais je déraisonne, nous sommes en France et Chicago est bien loin… Il n’empêche, sa disparition m’angoisse, nous devrions prévenir la police ou la gendarmerie, tu ne crois pas ?

* * *

Vendredi 8 juillet, 23 heures 10, terrasse du Sans-Souci qui domine la plage du Trez à Bénodet.

Le soleil s’est caché derrière le rideau boisé de la forêt de Combrit ; les phares et balises, au large, ont entamé leur jeu de lumières dans l’encre bleu nuit de l’horizon. Carole Mortier sirote un Orangina, perdue dans ses pensées ; sa fille, Priscilla, déguste une pêche melba, son dessert préféré. Elle a insisté et obtenu gain de cause ; de toute manière, mieux vaut attendre une demi-heure pour ne pas se retrouver dans les embouteillages inévitables de la fin de concert ; si toutefois il est possible de quitter le parking avec la voiture, les derniers arrivés se garant n’importe comment et ne se pressant pas, par-dessus le marché, pour libérer la circulation…

— C’était nul, Michel Delpech, je ne comprends pas que tu puisses aimer un chanteur aussi ringard ! sanctionne la fille en relevant la tête de sa coupe.

— Ses tubes ont bercé ma jeunesse, tente d’expliquer Carole, une main perdue dans les boucles châtain de sa fille. Quand j’avais treize ans, comme toi aujourd’hui, j’aimais fredonner Chez Laurette, Tu me fais planer, Pour un flirt ou encore Le Loir-et-Cher… Et même Wight is Wight qui date pourtant de la fin des années soixante… Tu verras, un jour, tes enfants trouveront ringardes les chansons de Lorie et M. Pokora…

— Ma pauvre, tu es dépassée, Lorie et M. Pokora, c’est nul aussi… Parle-moi plutôt de Lady Gaga, elle, au moins, elle déchire vraiment… Les soirées que nous passons avec Paul et Sarah sont beaucoup plus sympas ! Au moins, on s’amuse ensemble et alors, tu ne me prends pas la tête… Nous sommes bien, tous les quatre, non ?

— Priscilla, combien de fois devrais-je te répéter que Paul est un collègue que j’apprécie beaucoup, seulement, il mène sa vie et moi, la mienne ! Et si la compagnie de Sarah t’enthousiasme, je doute que l’inverse soit vraisemblable ; elle a vingt-huit ans et toi, tu n’es qu’une adolescente, je te le rappelle…

— Tu dis cela, seulement je sais bien que tu l’aimes, Paul ! Sinon, tu ne te mettrais pas dans un tel état quand on parle de lui… Je ne suis pas majeure, mais je ne suis pas aveugle non plus…

— Allez, on y va maintenant, la voie doit être libre jusqu’à Gouesnach, il est l’heure d’aller se coucher ! Le carrosse de ma princesse pourra la ramener à son domicile avant qu’il ne se transforme en citrouille…

Toutes deux remontent jusqu’au parking par l’avenue de la Plage, croisant quelques groupes de personnes. Titillée par les premiers picotements de ses treize printemps sur son corps juvénile, Priscilla tente de découvrir un quelconque intérêt pour sa personne dans les yeux des garçons de son âge – et même un peu plus mûrs – qui suivent leurs parents. Au concert, elle devait sûrement compter parmi les plus jeunes spectatrices ; peut-être même être la seule de moins de trente ans, c’est dire… Pas de quoi s’éclater, même pas rêver… Enfin, sa mère est heureuse… Du moins, elle s’est offert un moment de joie… Car pour le bonheur…

Une chance, pas un seul véhicule ne s’est placé devant le leur, elles peuvent quitter le parking en toute tranquillité ; la circulation est relativement fluide pour la traversée de la station balnéaire, aussi arrivent-elles rapidement au rond-point de Penfoul. Carole s’engage sans précaution particulière puisque le carrefour est libre ; elle n’a pas vu le bolide arrivant de la direction de Fouesnant, sur sa droite, qui coupe le rond-point à contresens pour remonter au plus court vers la plage. La collision est inévitable, le choc terrible, d’autant qu’il s’agit d’un robuste 4x4. Un adversaire trop costaud pour la vieille guimbarde qui vient échouer, après un ou deux tonneaux, sur le terre-plein central et, par chance, sur ses quatre roues.

Le temps pour la conductrice de recouvrer ses esprits, le chauffard a effectué un rapide demi-tour et repris la direction de Quimper, sans réclamer son reste. Carole parvient à détacher sa ceinture, elle bouge ses membres ; apparemment rien de cassé, un miracle. Elle se penche sur sa droite ; Priscilla est inconsciente, le corps coincé par la portière emboutie, le visage en sang en raison de l’explosion de la vitre latérale sous la violence de l’impact. Carole s’affole, supplie sa fille de se réveiller, la secoue plus qu’il ne faudrait ; en vain. Elle tente de détacher la ceinture qui bloque sa fille, elle n’y parvient pas. Par chance, un homme s’approche du véhicule, parvient à ouvrir la portière côté chauffeur, aide la conductrice à s’extraire de l’habitacle, lui demande si tout va bien.

— Je vous en supplie, appelez les secours pour ma fille, bégaie Carole, totalement paniquée, qu’ils se dépêchent d’arriver, je ne veux pas qu’elle meure… Je n’ai qu’elle au monde, je ne veux pas qu’elle meure…

I

Samedi 9 juillet, peu avant une heure du matin.

Une fois de plus, je ne parvenais pas à trouver le sommeil. La faute à cette chaleur caniculaire qui avait inondé la région et transformait ma chambre en étuve, malgré toutes les précautions d’usage. Dire que certains clament qu’il pleut toujours en Bretagne… Qu’ils viennent voir l’état de mon bout de pelouse, grillée comme au sud de l’Espagne ! J’avais regardé la télé plus tard que d’habitude, espérant que le mercure tombe au thermomètre de ma chambre ; en pure perte, hélas. Sarah se trouvait de permanence au commissariat de Quimper, elle n’avait pas le même souci, nous avions investi dans un ventilateur. Et puis, derrière les murs épais du bâtiment, on respirait plus aisément… Dominique m’avait proposé de l’accompagner pour une sortie sur l’Odet, pour la croisière anniversaire des cinquante ans de l’Aigrette, avant de se raviser et d’offrir ma place à une amie américaine qui avait débarqué à l’improviste en Bretagne. Cela ne m’avait pas gêné au contraire : j’avais besoin de me retrouver avec moi-même, après une semaine difficile, aussi avais-je appris l’annulation de ce programme avec une certaine satisfaction.

Du coup, j’avais repris la lecture de France-Football, même si, durant l’été, le contenu était moins passionnant que le reste de l’année. Des rétrospectives des dernières compétitions, des dossiers souvent sans intérêt, des pages entières désormais dédiées aux paris sportifs, des faux scoops sur des transferts possibles qui ne survivraient pas à la fin de la semaine… Néanmoins, je trouvais toujours quelques lignes assez captivantes pour me distraire et meubler le temps.

Quand la sonnette retentit, je me demandai qui pouvait venir me rendre visite à une heure aussi indue. Pas Radia : notre commissaire se trouvait en vacances jusqu’au lundi matin. Pas Mario : mon collègue avait prévu un week-end sur l’île de Bréhat avec quelques amis. Pas ma fille, à moins qu’elle ait oublié son rouge à lèvres ou son vernis à ongles, accessoires indispensables, à ses yeux, pour une bonne permanence… Très vite, je pensais à Carole qui devait avoir un souci avec sa vieille Twingo qu’elle devait changer d’un mois à l’autre. Je n’étais pas réellement un champion de la mécanique, mais j’étais le seul homme qu’elle connût bien sur Bénodet et je savais qu’elle n’aurait raté pour rien au monde le concert de Michel Delpech. Je me levai pour aller ouvrir et je découvris Dominique accompagnée d’une superbe femme en larmes. Je n’eus pas le temps de poser la moindre question.

— C’est une catastrophe, la fille de Jillian a disparu, il faut absolument la retrouver, Paul ! Et rapidement…

— Entrez et racontez-moi déjà ce qui s’est passé, répliquai-je avec un maximum de calme pour ne pas rajouter à la panique ambiante. Il ne sert à rien de céder à l’affolement, on ne s’évapore pas comme cela, à Bénodet… Asseyez-vous, je vais vous chercher un verre d’eau à chacune, à moins que vous ne préfériez un alcool…

Toutes deux s’installèrent dans le salon tandis que je ramenais une bouteille de Badoit fraîche. Aussitôt Dominique m’exposa le drame et l’angoisse qui s’était emparée de la maman, l’heure passée à arpenter les rues du centre de Bénodet avant de décider de venir demander de l’aide. J’osai à peine préciser à voix basse qu’une telle affaire était du ressort de la gendarmerie de Fouesnant et non de la police de Quimper.

Dominique me fusilla instantanément du regard en arguant que, s’il s’agissait du sort de Sarah, je remuerais déjà ciel et terre pour la dénicher au plus vite.

— Votre fille est-elle coutumière de fugues ? questionnai-je, les yeux rivés sur le sublime visage de l’Américaine, encore plus troublant dans la détresse.

— Jade ne m’a jamais posé le moindre problème ! s’insurgea la maman sur un ton offusqué. Elle a vingt ans et se consacre exclusivement à ses études de droit. Elle rêve de devenir magistrate, elle est ambitieuse. Ambitieuse et travailleuse ! D’ailleurs, si nous sommes ici, c’est pour fêter ses vingt ans et aussi lui permettre de décompresser d’une année d’efforts intellectuels. Et c’est elle qui a choisi la Bretagne, alors pourquoi fuguerait-elle ?

— La première idée qui me vient à l’esprit est simple, si c’est elle qui a choisi Bénodet ! avançai-je timidement, peu enclin à encaisser de nouveaux reproches. Comme Dominique un étudiant de la région aura fait un stage à Chicago, il aura sympathisé avec Jade et tous deux auront décidé de se retrouver en Bretagne… Comme elle ne vous a pas parlé de cette relation, par peur de votre désapprobation, elle ne pouvait vous demander l’autorisation d’une petite escapade pour aller le rejoindre…

— Capitaine, vous tentez de me rassurer, c’est louable de votre part, en tenant absolument à me laisser croire à une fugue de ma fille, coupa Jillian avec l’esquisse d’un sourire. Admettez que la thèse la plus plausible est celle d’une mauvaise rencontre ! Jade est très belle, elle est étrangère, elle est candide et tant de prédateurs rôdent autour de telles proies, dans toutes les stations balnéaires du monde… Et puis, pourquoi son portable est-il sur messagerie ? Elle ne répond pas à mes appels, cela ne lui ressemble pas, ce n’est pas l’habitude de ma fille… Non, elle a été enlevée…

— Encore eût-il fallu que votre fille s’isole du groupe, car ces prédateurs n’agissent jamais en public et j’imagine que vous n’étiez pas seules à descendre de l’Aigrette, toutes les trois, au terme de la croisière… Un enlèvement ne passe pas inaperçu tout de même ; les badauds auraient remarqué des gesticulations de défense, entendu des cris affolés, donné l’alerte aussitôt, même s’ils n’avaient pas eu le cran d’intervenir… Apaisez-vous, Jillian, elle n’a pas été kidnappée, elle a juste pris un peu de liberté pour une raison qu’elle vous expliquera à son retour et que vous devrez, dans un premier temps, accepter sans lui faire de reproches… Vous avez toujours de bons rapports avec votre fille ?

— Capitaine, nous sommes comme deux sœurs, elle et moi ! Rien ne se passe dans le quotidien de l’une sans que l’autre en soit aussitôt informée… Tel est notre contrat, depuis cinq ou six ans…

— Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous offenser, je cherchais juste à orienter nos recherches… Parfois, les relations entre une mère et sa fille ne sont pas aussi évidentes qu’elles ne le paraissent au premier regard…

— En fait, nous sommes venues en France pour une autre raison, concéda la maman, le front soucieux, je ne voulais pas rester passer l’été aux États-Unis. Sinon, nous aurions passé un mois à Miami, Fort Lauderdale ou Palm Beach, comme d’ordinaire… Pour tout vous dire, j’ai accepté de prendre pour client un cadre d’un grand groupe financier américain ; il a décidé de témoigner sur les pratiques frauduleuses de sa société, justificatifs accablants à l’appui. Et plus j’ai plongé dans ce dossier, plus j’ai compris que j’allais devoir dénoncer plus qu’une magouille de cols blancs ; en fait, il s’agit de détournements volontaires de sommes très importantes au profit de familles mafieuses.

— Bigre, vous me faites froid dans le dos ! intervins-je, médusé de savoir une aussi belle femme prête à affronter les enfants de Capone.

— Le procès doit se dérouler à la rentrée de septembre et ces dernières semaines, j’ai subi des pressions et des menaces pour me faire jeter l’éponge ! Notamment, un appel téléphonique anonyme qui m’a certifié que des gens mal intentionnés s’en prendraient à ma fille, si je ne décidais pas, avant les vacances, de renoncer à plaider ce dossier. Voilà aussi pourquoi nous sommes en France, ici, je me pensais à l’abri…

— Vous pensez des tueurs à gages américains, travaillant pour les notables véreux de Chicago, capables de traverser l’Atlantique au simple but d’enlever votre fille à Bénodet au sortir d’une croisière sur l’Odet ?

— Ces gens-là sont capables de tout, ils ne reculent devant rien ! rétorqua l’avocate sur un ton plus incisif. Tuer un homme en plein centre-ville, kidnapper une personne dans un centre commercial, faire sauter un jet privé, cela ne les effraie pas… Je les pratique depuis trop longtemps, même si cette fois, je me trouve confrontée à ma plus grosse affaire… Pour tout vous dire, elle me dépasse un peu… Il est vrai que je me pensais en sécurité en Bretagne, davantage qu’à Paris… Pourtant, les faits sont là, Jade a disparu…

— Ici, c’est l’Ouest, nous avons des phares, mais ce n’est pas pour autant le Far West ! répliquai-je, peu enclin à abonder dans le sens de mon interlocutrice. De plus, ces agents spéciaux choisissent des occasions plus discrètes que la sortie d’une foule de notables d’un bateau de croisière, pour enlever une personne… Depuis votre arrivée à Bénodet, il s’est certainement trouvé de nombreuses occasions durant lesquelles Jade se trouvait seule, isolée de vous, mais aussi de la masse des estivants… Pourquoi des pros auraient-ils choisi le moment le plus compliqué ? Voilà pourquoi je crois davantage à la thèse de la fugue…

Nous réfléchissions tous les trois, campant sur nos positions et nos convictions, quand la sonnerie du téléphone retentit. Je me levai pour décrocher, c’était Sarah, paniquée elle aussi :

— Papa, c’est affreux, Carole et Priscilla sont aux urgences de l’hôpital de Quimper, elles ont eu un accident de voiture hier soir au rond-point de Penfoul, un chauffard leur a brûlé la priorité avant de prendre la fuite. Je suis auprès d’elles, pour Carole, rien de grave, juste des blessures superficielles, des hématomes, des contusions. Par contre, la Puce est dans le coma et son pronostic vital est engagé. En fait, les médecins craignent des perforations de certains organes… C’est atroce, elle n’avait pas besoin de cela, avec ses problèmes respiratoires quasi chroniques et sa santé fragile… Pardonne-moi, j’ai dû te réveiller, tu ne pourrais pas me rejoindre, j’ai du mal à tout gérer…

— Ce n’est pourtant pas une nuit de pleine lune ! marmonnai-je en me grattant la tête. J’ai Dominique à la maison avec son amie américaine dont la fille de vingt ans a disparu à Bénodet, hier soir également… Je pense à une fugue, c’était à la sortie de la vedette, à l’issue de la croisière à bord de l’Aigrette ; la maman pense à un enlèvement…

— Je ne veux pas vous alarmer, mais nous avons reçu une note de la gendarmerie de Fouesnant nous signalant la disparition d’une jeune Allemande de vingt-deux ans, vendredi dernier, c’est-à-dire le 1er, alors qu’elle pratiquait son jogging matinal entre la pointe Saint-Gilles et la Mer Blanche. Le lieutenant Morteau a d’abord pensé à une fugue ; à présent, sans la moindre nouvelle depuis lors, il envisage davantage la thèse de l’enlèvement… Deux disparitions en une semaine, cela ne dit rien de bon…

— Je te rejoins dès que je le peux ! promis-je pour couper court à une discussion qui risquait d’inquiéter Dominique et son amie. Pour le chauffard de Carole, une piste ?

— Ce sont les gendarmes de Fouesnant qui sont sur l’affaire. Selon Carole dont j’ai recueilli la disposition, il s’agirait d’un 4x4 noir, sans doute un Toyota Grand Patrol. J’ai déjà lancé une recherche sur de tels véhicules immatriculés dans le département, il ne doit pas y en avoir des centaines… Si c’est un vacancier, ce sera plus difficile… Je reste en relation avec les gendarmes ! Et pour la jeune Américaine, que penses-tu faire ?

— Je te rejoins à l’hôpital et on en parle, ma grande…

Je raccrochai et annonçai à Dominique que Carole avait eu un accident avec sa fille qui se trouvait toujours dans le coma, par la faute d’un chauffard qui leur avait coupé la route à un rond-point.

— Peut-être les ravisseurs de Jade ? avança Jillian en se levant d’un bond. Vous avez retrouvé ces barbares ? Vous les avez arrêtés ?

— Mes collègues possèdent une description assez précise du véhicule, mais son propriétaire n’a toujours pas été identifié. Et si la voiture a percuté la portière du côté passager, cela signifie qu’elle ne venait pas du port de Bénodet, mais de l’autre côté, sans doute en provenance de Fouesnant, ce qui exclut tout lien entre les deux affaires.

— Un autre sujet préoccupait Sarah ? intervint Dominique qui commençait à nous connaître. Des nouvelles de Jade ?

— Non, malheureusement, juste un coup de fatigue de ma fille qui réclame ma présence à ses côtés, pour gérer le travail et l’émotion qu’occasionne la situation. Elle n’a pas encore trente ans, cela fait beaucoup pour ses jeunes épaules… Je vais devoir aller la rejoindre à l’hôpital, je suis désolé de devoir vous quitter… Il n’empêche que je pense à votre fille, Jillian, je vais lancer de premières recherches avec le concours de la gendarmerie… Nous allons la retrouver, je vous le promets…

— Oui, mais dans quel état ? murmura la maman.

— De notre côté, nous allons rentrer à l’hôtel, en attendant les nouvelles, suggéra Dominique, une main posée sur l’épaule de l’avocate. Je resterai auprès de toi pour la nuit, jusqu’à ce que ta fille te rappelle… Pas la peine de créer un climat de psychose sur Bénodet…

— Si vous n’avez pas de nouvelles de Jade demain matin, nous irons signaler officiellement sa disparition à la gendarmerie de Fouesnant, auprès du lieutenant Morteau. Mais peut-être que dans les prochaines heures votre fille donnera signe de vie et justifiera sa fugue… La plupart des jeunes en fuite reviennent vers leurs proches dans les premières vingt-quatre heures. D’autant que votre fille ne connaît personne dans la région…

Justement, le portable de l’avocate américaine se manifesta. Il s’agissait d’un SMS, elle en prit connaissance, secoua la tête et replongea dans son désarroi intérieur. Dominique chercha à connaître le contenu du message.

— Jade m’écrit pour me supplier de ne pas me faire de souci, je dois rester calme, elle ne craint rien, mais elle devait agir ainsi, c’est très important pour elle… Je me demande à quoi elle joue… Du moins, si c’est elle qui est l’auteur de ce message, je n’en possède aucune preuve… Ses ravisseurs ont pu lui subtiliser son portable et s’en servir pour brouiller les pistes et gagner du temps. Ces gens-là sont capables de tout…

— À ce stade de l’enquête, on peut imaginer le pire, bien sûr, mais aussi considérer le moins alarmant : en France, chaque année, près de 40 000 jeunes quittent leur maison volontairement, insistai-je sur un ton rassurant. Sur 10 fugueurs, 7 reviennent d’eux-mêmes vers leur famille dont 4 dans les vingt-quatre heures. Au grand soulagement de leurs parents… Et souvent, rien ne laissait présager leur geste. Les cas d’enlèvement sont plus rares ; toujours trop nombreux, mais plus rares… Je vais appeler Gilles Queffélec, mon ami chauffeur de taxi pour qu’il me mène à l’hôpital, cela vous laissera toute latitude pour vous organiser. Vous avez bien votre double des clés d’ici, Dominique ?

— Oui, vous m’avez remis un trousseau le mois dernier et il ne me quitte pas, même si je ne m’en suis jamais servi… Pour ne rien vous cacher, j’aurais préféré une première plus agréable…

Gilles ne devait jamais dormir, il me répondit aussitôt et arriva une dizaine de minutes plus tard. Il fallait dire qu’il habitait désormais du côté de Menez Bily, sur la route de Bénodet, ce qui le rapprochait de moi. En trajet, je lui parlai de l’accident de Carole au rond-point de Penfoul. Il l’avait appris par un collègue arrivé peu après sur les lieux de la collision ; cela s’était passé peu avant minuit et le chauffard avait voulu couper au plus court pour gagner l’avenue de la Mer et la corniche. Je poursuivis mon enquête initiale en lui demandant s’il connaissait beaucoup de 4x4 Toyota Patrol sur le secteur.

— Pas un seul et pour cause ! À ma connaissance, le Patrol est de marque Nissan. Chez Toyota, c’est un Land Cruiser. De plus, tu dois aligner près de cinquante bâtons pour t’offrir un tel bijou… J’en connais bien un de Nissan Patrol, mais tu oublies tout de suite : il a été offert à son fils unique par Thomas Colombier, le PDG de Savor, le patron breton de l’année… Un autre monde que le nôtre…

— Il peut hélas arriver que les deux mondes se croisent et même parfois qu’ils s’entrechoquent… Tant que j’y suis, peux-tu savoir si l’un de tes collègues a pris en charge une jeune Américaine hier soir, vers 22 heures 30, au port de Bénodet ?

— Pas de problème, je vais poser la question au régulateur qui reçoit les appels des clients et que nous mettons au courant de nos courses, par sécurité.

Avant même d’arriver sur le parking de l’hôpital de Quimper, j’avais ma réponse. Un véhicule avait pris une jeune Américaine sur le port de Bénodet ; elle avait réclamé sa présence par un appel téléphonique en début d’après-midi, pour la mener à Quimper où il l’avait déposée devant l’église Saint-Mathieu. Une certitude pour moi : elle n’avait pas été enlevée. J’appelai aussitôt Dominique avant de pénétrer dans l’entrée des urgences de l’hôpital. J’imaginai la nouvelle de nature à rassurer Jillian, il n’en fut rien, je l’entendis jurer à son amie que sa fille était victime d’un chantage et que, si elle avait pris ce taxi, ce ne pouvait être que contrainte et forcée. D’ailleurs, rien ne prouvait avec une absolue certitude que c’était elle qui l’avait commandé.

J’eus à peine le temps de refermer mon portable que je reçus les cinquante-cinq kilos de ma fille dans les bras. Elle éclata en sanglots, susurra que c’était trop affreux, Priscilla n’avait pas encore repris connaissance et les médecins s’inquiétaient de plus en plus. Sa maman et elle avaient voulu sortir pour se détendre et patatras, la catastrophe… Trente secondes plus tôt, une minute plus tard, rien ne serait arrivé… Quand Sarah se trouvait au cinquième sous-sol, j’avais une méthode infaillible, plus rapide qu’un ascenseur, pour la remonter au dernier étage :

— J’ai peut-être une piste pour le chauffard, un 4x4 Nissan Patrol qui appartient au fils de Thomas Colombier, le PDG de Savor…