Stress de Brest à Trevarez - Bernard Larhant - E-Book

Stress de Brest à Trevarez E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Paul Capitaine devra faire un lien entre deux affaires étranges afin de déjouer un potentiel attentat en Bretagne.

Quel lien y a-t-il entre un car-jacking chez un élu départemental à Daoulas et le meurtre d’un producteur de crevettes à Roscoff ? Si l’homme que Paul Capitaine a croisé à l’aéroport de Guipavas est vraiment le terroriste rencontré naguère à Beyrouth, quelle est sa cible en Bretagne ? La mémoire d’un vieux flic est-elle plus fiable que l’intelligence artificielle des ordinateurs des services secrets ? Paul et Sarah doivent mener les deux affaires de front, et découvrent de possibles passerelles entre les protagonistes. Frissons garantis.

Embarquez dans le 20e volet des enquêtes pleines de mystères et de rebondissements de Paul Capitaine !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Bernard Larhant ne nous dresse pas le portrait caricatural habituel d'un flic torturé mais nous raconte une véritable histoire dans laquelle nous suivons et partageons des épisodes de la vie de Paul Capitaine et de son entourage, nous entrons véritablement dans leur quotidien et la psychologie de chacun est très finement dépeinte. Un polar de très bonne facture et surtout un excellent moment de lecture !" - celineFIQUET35, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine, et de sa fille Sarah.

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Couverture

Page de titre

Nous remercions le Conseil départemental du Finistère et tout particulièrement monsieur Le Boulanger, directeur du château de Trévarez, pour son accord de prises de vues de ce site magnifique.

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

À André Morin et Jean-Pierre Homo, pour leurs conseils d’enquêteurs, le premier côté police, le second côté gendarmerie.

À Renan Péron, pour son expertise autour de la scène du sniper et à Stéphanie qui l’a accompagné autour du domaine de Trévarez.

À Dominique Descamps, pour sa relecture amicale et attentive.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : 58 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la région. Il trouve au sein de la brigade judiciaire une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa fille et partenaire. Compagnon de la vice-procureure Dominique Vasseur, actuellement en mission aux États-Unis.

SARAH NOWAK : 34 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Elle a découvert en Paul Capitaine le père qu’elle recherchait. Dotée d’un caractère généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère. Avec son compagnon Quentin, jeune pompier, ils sont les parents de Pauline.

ROSE-MARIE CORTOT : 33 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. « RMC » pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur, le maillon fort de la brigade judiciaire par son génie de l’informatique. Meilleure amie de Sarah, compagne de Mario, ancien policier et détective privé, jeune maman d’un petit Théo.

BLAISE JUILLARD : 32 ans, célibataire, lieutenant de police. Le père a été un ponte du quai des Orfèvres ; le fils ne possède pas son étoffe. Sous ses airs nonchalants, qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de vivacité d’analyse. Amoureux transi de Sarah.

MEHDI LANGEAIS : 40 ans, divorcé, lieutenant de police, tout juste débarqué à Quimper. Ancien garde du corps de personnalités, il a passé avec succès son examen d’OPJ. Il est discret sur son passé mais a trouvé l’amour auprès de Julie Varaigne, secrétaire de Mario Capello dans son cabinet de détective.

LAURE BARBOTAN : 34 ans, célibataire, substitute de la procureure. Ambitieuse et besogneuse, libre et spontanée, elle a trouvé en Paul Capitaine un policier aguerri pour apprendre son métier de magistrate.

PROLOGUE

Jeudi 5 septembre, 9 h 30, voie express Quimper-Brest

Les derniers mois avaient apporté de gros changements autour de moi, pas forcément positifs et, pour me montrer honnête, je ne me sentais pas dans ma meilleure forme morale. Je détestais ces phases mornes et moroses qui semblaient me priver de toute énergie. La vie se déroulait ainsi, de manière cyclique, avec ses périodes fastes et ses zones de turbulences, quand on devait rentrer la tête et fermer les yeux, à cause du vent de face. J’étais plongé dans l’une de ces phases sinistres dont je ne parvenais pas à m’extirper, incapable de me forcer à réagir.

Par chance, Sarah se trouvait sur un petit nuage et allégeait mon quotidien de son ambiance primesautière, même si, au volant, je lui réclamais sans cesse un peu plus de concentration et de vigilance. Elle ne comprenait pas comment un être humain pouvait être plus heureux qu’elle ne l’était en cette période, avec une adorable petite Pauline, le soleil de ses journées, qui faisait déjà ses premiers pas, un mari sérieux et prévenant comme il n’en existait pas deux sur terre, sans oublier le beau magot à l’abri sur son compte en banque, après l’héritage inattendu à la mort de Condor. Car, à l’ouverture de son testament, on avait découvert que Conrad Dormeuil, alias Condor, mon référent dans les services secrets, mon mentor et mon ami, était en fait polonais d’origine et membre de la famille de Beata, la mère de Sarah. Et il avait fait de ma fille l’héritière d’un important patrimoine immobilier.

Comprenant que, même si je me réjouissais pour elle, je ne baignais pas dans la même euphorie, ma fille me demanda où j’en étais dans ma vie amoureuse. Je feignis de ne pas comprendre le sens de la question, bottai rapidement en touche et lui assurai que ma thérapie personnelle fonctionnait parfaitement. Sarah soupira de dépit, je savais que je l’exaspérais parfois par mes cachotteries. Comme si, au prétexte qu’elle était ma fille, je devais ne rien lui cacher de ma vie privée. Même un père a sa pudeur, mince !

En fait, depuis quelques mois, j’avais renoué le contact avec une amie d’enfance, un amour de jeunesse, Françoise Mével, ancienne propriétaire de l’hôtel des Voyageurs, face à la gare de Quimper. Pas facile ni intense, la relation, car Soizig, comme on l’appelait souvent depuis les bancs de l’école, habitait en banlieue parisienne auprès de sa fille et ne venait en Bretagne qu’un week-end tous les deux mois environ. De mon côté, difficile de rallier Paris à cause de mes horaires de fou, avec un total d’heures supplémentaires accumulées ahurissant. Par chance, il restait le téléphone, mais, malgré le progrès permanent, on ne faisait pas encore tout avec un téléphone…

Pour le reste, ce qui me préoccupait le plus, c’était l’arrivée à Quimper d’un nouveau et tout jeune commissaire à la place de Radia Belloumi, mais aussi d’une procureure au passé sulfureux au poste occupé voilà peu par le paisible et sécurisant Julien Vanhamme. Une page de la vie policière et judiciaire de la ville venait de se tourner, mine de rien, et nul ne savait ce que l’avenir allait nous réserver. Pour l’heure, nous restions dans l’expectative, dans l’attente de premières affaires significatives pour juger sur pièce.

Comme on pouvait s’y attendre, Radia Belloumi avait quitté Quimper, où elle n’avait plus rien à prouver, pour prendre une année sabbatique. Les récents événements – surtout son séjour injuste derrière les barreaux – l’avaient profondément marquée, même si elle tentait de n’en rien laisser paraître. Elle rencontrait souvent Katell Pin qui, elle-même, avait quitté ses fonctions de présidente du conseil départemental pour envisager une page nouvelle de sa carrière politique, à coup sûr sur le plan national. Nul ne savait ce qu’elles tramaient ensemble et, comme elles avaient quitté la ville du jour au lendemain, en snobant toutes les cérémonies habituelles en de telles circonstances, les supputations allaient bon train.

Un nouveau commissaire avait donc débarqué à Quimper, frais émoulu de l’École nationale supérieure de police. Guilhem de Wancourt avait une belle gueule de premier de la classe, une tête bien remplie, de la repartie et une certaine prestance. Il lui manquait ce qui faisait défaut à tous les jeunes loups aux dents longues : l’expérience. Il n’avait que 29 ans et, décidé à imposer son style et son autorité, il avait choisi de diriger la boutique selon ses méthodes, avec fermeté et arrogance, sans les conseils parfois avisés des chefs de groupe et autres policiers d’expérience. Une option risquée, selon moi, à l’opposé du management de Radia, tout en concertation et en communication avec ses équipes.

Dans le même temps, comme cela était prévu, Carole Mortier avait officialisé sa mutation à Rennes, où elle allait retrouver son ex – proche de redevenir son mari –, Guéric Boissard, lui aussi OPJ. Priscilla, leur fille, était forcément aux anges, appelant ce rapprochement de tous ses vœux depuis tant d’années. Pour l’équipe, le départ de Carole, la cheffe de groupe, c’était un coup dur. Elle savait mettre de l’huile dans les rouages, prendre les décisions avec justesse, fédérer l’équipe avec fermeté mais aussi douceur. J’avais hérité du poste sans enthousiasme particulier, d’autant que Rose-Marie Cortot, l’enquêtrice antillaise amie de Sarah, était, elle aussi, proche de quitter le commissariat pour rejoindre son époux détective, Mario Capello. L’équipe se réduisait comme une peau de chagrin et il ne restait à mes côtés que Sarah, Blaise Juillard et Mehdi Langeais, tous trois lieutenants. Un stagiaire, dont on ignorait encore l’identité, allait bientôt se joindre au groupe.

Enfin, troisième changement d’importance dans le paysage de la ville, l’arrivée de Consuelo Da Costa, nouvelle procureure de la République. Une superbe femme de 47 ans d’origine portugaise, comme le révélaient son identité et sa chevelure noire, une magistrate dotée d’un fort tempérament. La France avait entendu parler d’elle à la suite de sa décision de remettre en liberté un supposé pédophile qui n’allait pas tarder à repasser à l’acte. Un sujet sensible qui fit couler beaucoup d’encre et avait déchaîné la vindicte populaire. L’affaire s’était déroulée dans le Cher… et elle avait pris cher. La magistrate avait assumé avec courage et honnêteté son erreur de jugement, sans pour autant encourir d’autre sanction qu’une mutation en Guyane. Le procureur général n’avait pas jugé utile de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, au grand dam des familles des nouvelles victimes. Consuelo Da Costa revenait donc en métropole, après une période discrète de cinq années à Cayenne, non dénuée d’un certain esprit de revanche ressenti par les invités de son pot d’arrivée. Pour ma part, j’attendais de la tester sur le terrain pour me faire un jugement.

— Tu crois vraiment que Dominique sera heureuse de nous voir ? questionna Sarah, alors que nous arrivions à hauteur de Châteaulin. Après tout, elle est là pour une réunion importante, qui plus est en compagnie de Jillian Marlowe et d’une partie des membres de sa commission internationale. En plus, son groupe de travail a rendez-vous à Brest avec des juristes renommés et des ministres de la Justice de tous les pays de l’Union européenne, un sacré programme. Elle a d’autres chats à fouetter et ne sera sûrement pas disponible pour nous parler…

— C’est pour cela que je tiens à la rencontrer à l’aéroport, à son arrivée, coupai-je pour me justifier. Même trente secondes, même juste pour recevoir un signe de connivence de sa part, pour découvrir l’une de ses mimiques qui deviennent si vite des grimaces, alors qu’elles se voudraient des sourires. Je veux qu’elle sache que je ne l’oublie pas, que son combat est important pour moi, que je suis toujours à ses côtés, même à des milliers de kilomètres d’elle. Tu sais, on se connaît si bien tous les deux, pas besoin de mots, entre nous. Juste croiser son regard, ce sera suffisant pour constater comment elle va. Bien sûr que je ne vais pas la déranger, tu me prends pour qui…

— C’est peut-être une idiotie de ma part, insista Sarah, mais je pense que si elle avait voulu te rencontrer, elle t’aurait adressé un mail ou un SMS pour convenir d’un jour ou d’une heure de rendez-vous, durant son séjour en Bretagne. Elle ne l’a pas fait, c’est certainement qu’elle ne veut pas de parasitages durant son séjour breton. Bon, moi, je dis ça, je dis rien…

— Dans ce cas, je préfère quand tu ne dis rien…

— OK, bonjour l’ambiance ! Je me demande même ce que je fiche avec toi dans cette galère alors que nous sommes censés aller recueillir le témoignage d’un élu du département victime d’un home-jacking.

— Je te l’ai dit, ce sera l’affaire d’une heure, tout au plus, cela ne va pas entraver l’enquête sur ce vol à Daoulas, expliquai-je à ma fille, fébrile et agacé. Déjà, je ne parviens pas à comprendre pourquoi le commissaire et la procureure ont insisté pour que nous suivions ce dossier. Ce délit aurait dû être étudié par le parquet de Brest, pas vrai ? Ensuite, le substitut aurait confié le dossier à nos collègues du nord du département, ou encore les gendarmes de Daoulas.

— Mon papounet, dis-toi que…

— Tu ne crois pas qu’il serait temps de cesser de m’appeler Papounet, quand même ! Tu vas avoir bientôt trente-trois balais, tu es maman, tu vis en couple et…

— C’est quoi, le problème, au juste ? s’emporta Sarah en tapant sur son volant. Tu sais, même à soixante ans, une fille est toujours l’enfant de son père et les termes affectueux utilisés restent les mêmes au fil des années qui passent. Mais soit, je vais veiller à ne plus utiliser ce terme qui t’embarrasse. Je ne te promets pas de réussir à tous les coups.

— Pardonne-moi, ma fille, je suis un peu stressé, ce matin…

— Je confirme.

— Cela fait si longtemps que je n’ai pas vu Dominique, il faut me comprendre, j’ai le palpitant en plein solo de batterie. Tu sais, près de six mois passés loin de la femme qu’on aime, c’est long, quand même ! Tu te verrais vivre plusieurs semaines sans nouvelles de Quentin ?

— Tiens, direction Daoulas par la bretelle de droite, mais je suis une fille obéissante, je poursuis tout droit jusqu’à Brest. Pour ta gouverne, les policiers de la ville de Brest doivent être aux cent coups avec la gestion de la sécurité de cette rencontre internationale exceptionnelle. Et puis, cet homme politique de Daoulas a confiance en nous pour coincer ses agresseurs, c’est bien qu’on est toujours les meilleurs. Si l’affaire est embarrassante, il ne va pas la confier aux gendarmes du coin, tu penses bien…

Fin de parcours dans les petits embouteillages habituels de la rocade brestoise avec, effectivement, la présence de forces de police et même de militaires aux plus importants ronds-points. Les rencontres devaient se dérouler durant trois jours aux ateliers des Capucins, non loin du téléphérique et de la place de la Liberté. Sarah avait raison, la protection des personnalités présentes allait mobiliser toutes les forces de l’ordre du nord du Finistère, et peut-être même aussi les gendarmes de Daoulas.

Enfin, arrivée en approche de l’aéroport de Guipavas peu avant 10 heures. Là aussi, important dispositif de sécurité. Pour la venue de toutes ces sommités du monde de la justice, les risques d’attentat avaient été pris au sérieux. Je suggérai à Sarah de se garer au parking P1 couvert, malgré le tarif, à présent qu’elle était pratiquement milliardaire. Cela économiserait mes vieilles jambes. Elle s’amusa d’entendre une telle réflexion dans la bouche d’un sportif honoraire, avant de suivre mon conseil. Quelques minutes plus tard, nous déambulions dans le hall de l’aéroport, lui aussi bien surveillé par des militaires et des policiers armés. Plutôt que de faire les cent pas et de se fatiguer inutilement, je m’installai sur l’un des bancs, devant les tapis de livraison des bagages.

Fidèle à elle-même, Sarah était partie lécher les quelques vitrines voisines, en quête d’un accessoire de mode pour compléter une collection déjà imposante. Je la regardai du coin de l’œil, tellement délicieuse avec une jupe plissée d’étudiante, son caban très local et son béret bordeaux sur la tête, duquel s’échappaient ses mèches blondes. Elle était toujours aussi craquante et je m’en voulais de l’avoir brusquée car, si elle avait voulu s’en défendre un moment auprès des intéressés, elle restait toujours Poupette aux yeux de Rose-Marie ou de Blaise, comme je serai à vie son Papounet, n’en déplaise à ceux qui m’en faisaient régulièrement la réflexion avec agacement.

Au bout d’un quart d’heure, Sarah vint s’installer près de moi en veillant à ne pas souiller le tartan de sa jupe. Je la taquinai en lui reprochant de distraire les jeunes garçons en tenue militaire chargés de la surveillance du hall en défilant devant leurs yeux comme un mannequin sur un podium de mode. Elle me donna un coup d’épaule, une marque de connivence que je lui rendis, comme le feraient deux collégiens. Il ne nous restait plus qu’à attendre mais, ensemble, nous étions bien.

Devant nos yeux, les passagers arrivant de Lyon entouraient le tapis, dans l’attente de leurs bagages. L’habituel jeu de celui qui récupérera sa valise en premier avant de se ruer vers la sortie, la chasse à la meilleure place, l’attente puis le rush, la foire d’empoigne, l’agitation habituelle de tous ceux qui jouent leur vie dans une course contre la montre permanente. Avec souvent, à l’arrivée, le bouquet du vainqueur remplacé par un infarctus.

De l’autre côté de la vitre, le visage d’un homme accrocha mon regard. Il se bloqua un instant sur place en remarquant ma présence, avant de faire comme si de rien n’était. Une seconde, une éternité. Ces yeux me parlaient. Ils évoquaient un souvenir précis dans ma mémoire. Précis et sinistre. Une autre seconde, une autre éternité. Un moment dramatique à Beyrouth, au Liban. Un attentat. L’explosion d’une bombe au centre-ville, faisant de nombreuses victimes. Une véritable boucherie sur le lieu de laquelle nous étions accourus depuis l’ambassade de France, à quelques militaires et policiers, alors que les portes avaient été verrouillées derrière nous. Je me levai d’un réflexe en continuant de fixer la silhouette qui attendait son bagage, regard à présent détourné de moi. Il n’avait plus la barbe d’alors ni les longs cheveux noirs et il avait troqué son treillis pour un costard, une chemise et une cravate, mais c’était lui.

— Tu as aperçu Dominique ? questionna Sarah, me voyant scruter l’espace devant moi. Pourtant, c’est le vol de Lyon et elle doit arriver de Paris. Je crois même qu’il s’agit d’un avion spécial avec tous les congressistes internationaux. Tu dois faire erreur.

— Non, mon regard vient de croiser celui d’un fantôme du passé, répondis-je avec une voix de robot. Moktar Al-Varamini, un terroriste responsable d’un attentat à Beyrouth, il y a de cela près de trente ans. Les Américains ont prétendu l’avoir descendu en Iran, bien après ; cela m’avait soulagé de l’apprendre. Mais il est toujours vivant, il est là, face à nous, qui nous observe discrètement.

— Tu es sûr de toi ? bredouilla Sarah, pas rassurée.

— À cent pour cent ! À l’époque, on s’était bousculé dans la cohue de la rue, nos regards s’étaient croisés, je m’étais même excusé, par réflexe, je ne savais pas qui il était. Une seconde ou deux, une éternité inoubliable, indélébile. Il portait ce jour-là un treillis vert et un sac dans le dos, une barbe touffue et des cheveux longs et noirs, mais comment oublier ces yeux porteurs de haine ? Peu après, il avait été désigné officiellement comme le poseur de bombe, et son portrait avait circulé dans le monde entier. Je m’en suis longtemps voulu de n’avoir rien fait, à cet instant. J’avais l’occasion de le neutraliser sitôt son forfait accompli et je l’ai laissé filer après m’être excusé de l’avoir bousculé, alors qu’il venait de tuer des dizaines d’innocents.

— Tu ne pouvais pas savoir que c’était lui…

— Ne le quitte pas des yeux, je vais prévenir le chef de l’une des patrouilles.

Un peu plus loin, trois militaires inspectaient les recoins du hall. Je me dirigeai vers eux en brandissant ma carte de police pour leur expliquer la situation. Ils se montrèrent forcément gênés, un peu paniqués, mais prirent contact avec le chef du dispositif. Ce dernier rappliqua peu de temps plus tard, un peu agacé. Un ponte de la DGSI chargé d’escorter les cars transportant les congressistes jusqu’à la salle des rencontres, ça n’aime pas les contrariétés. Je lui répétai mon récit, il me demanda ce que je fichais à Beyrouth, à l’époque. Comme je lui précisai que j’étais alors membre de la DGSE, il ne put réprimer un rictus d’irritation. Lui aussi me demanda si j’étais sûr de moi ; je réitérai ma conviction profonde. Il haussa les épaules, s’éloigna de quelques mètres avant de parler à son micro pour recevoir des ordres de sa hiérarchie.

Il fallait agir vite. Nul doute que notre cible surveillait nos atermoiements et tergiversations. De loin, Sarah me faisait des signes peu discrets pour me faire savoir que le suspect avait récupéré son sac et s’apprêtait à quitter la salle des bagages. L’agent de la DGSI donna des ordres aux militaires pour l’intercepter en douceur, vérifier son identité et le contenu de son sac, même si ce dernier devait être clean ; nous n’avions pas affaire à un imbécile ni à un débutant. Je m’éloignai pour ne pas les gêner dans leur manœuvre, Sarah s’approcha de moi.

— Alors ?

— Ils vont l’intercepter et le fouiller, expliquai-je en suivant le gars qui s’approchait de la patrouille. Évidemment, il ne va pas transporter la bombe, il n’est pas stupide, il a certainement des complices déjà sur zone. Mais il serait étonnant qu’il passe à travers les mailles des nouveaux logiciels de reconnaissance faciale pour les terroristes.

— Une chance qu’on se soit trouvés là, me murmura Sarah à l’oreille, en se blottissant derrière mon épaule. On a peut-être évité un carnage.

— Attends la suite avant de crier victoire, ces lascars-là ont plus d’un tour dans leur sac !

Une fois intercepté par la patrouille, l’homme dut sortir ses papiers, ce qu’il fit sans sourciller, sûr de son fait, détail qui ne me plaisait pas du tout. L’un des militaires s’éloigna avec le passeport du suspect en main, se dirigea vers le bureau de la police des frontières ; le second le fouilla au corps ; le troisième ouvrit son sac pour inspecter le contenu. Le suspect semblait détendu, presque amusé, sans un regard en ma direction, sans un geste d’énervement. Le chef du trio de militaires revint avec les papiers vérifiés, qu’il restitua à leur propriétaire avant de le laisser filer. Alors, et seulement alors, le suspect me fixa, triomphant, et je crus percevoir une lueur sadique au fond de sa prunelle, réaction qui ne fit que me conforter dans mon intuition.

Près de moi, Sarah s’offusquait de le voir libre ; je la rattrapai par le col avant qu’elle ne cause un esclandre dans l’aéroport. Mon gars le remarqua certainement, mais poursuivit son chemin vers la sortie. Après avoir franchi le sas pour se trouver à l’air libre, il se retourna et adressa une œillade en ma direction, comme un défi ou un signe de nouvelle victoire. Il héla vite un taxi et disparut, nous laissant, Sarah et moi, avec nos interrogations et notre colère ravalée. Le plus gradé des militaires s’approcha, une photocopie à la main, pour nous livrer quelques explications.

— Ibrahim Ben Talal, un homme d’affaires jordanien qui n’est pas mentionné au fichier, m’expliqua-t-il, en me tendant la photocopie de son passeport. Vous avez dû faire erreur. Vous pouvez garder cette feuille, si vous le souhaitez, j’en ai aussi fait une pour la DGSI, on ne sait jamais.

— Merci de m’avoir pris au sérieux, répondis-je, comprenant la gravité de ma requête. Je suis sûr de moi, ce type a fait des dizaines de victimes au centre de Beyrouth, en posant une bombe dans le quartier d’affaires, un engin qu’il avait activé à distance. Je l’ai croisé, sur son chemin de retour, non loin de l’épicentre du drame, ignorant qui il était avant qu’il ne soit identifié, quelques jours plus tard. C’est alors que j’ai compris ma bévue. Un bon réflexe de ma part et je l’interceptais sur-le-champ. Je n’oublierai jamais son regard. Il peut changer de visage, il gardera ses yeux de vautour… Maintenant, si les ordinateurs ne l’ont pas dans leur banque de données, ils ont certainement raison et c’est moi qui me trompe. La science et la technique sont infaillibles, pas vrai ?

— Je ne suis pas convaincu que l’intelligence d’une puce remplace toujours celle d’un être humain, soupira mon interlocuteur, mais cela, c’est un autre débat. Le progrès a aussi ses limites et l’intelligence artificielle ses lacunes. Espérons que ce gars-là ne soit pas celui que vous pensez et qu’il ne débarque pas à Brest pour commettre un attentat. Mais avec ces fanatiques, on n’est jamais à l’abri de rien, les actualités récentes sont là pour nous le rappeler.

Les militaires reprirent leur surveillance et Sarah m’avertit que le vol spécial en provenance de Paris venait d’atterrir. Le visage de cet homme ne cessait de hanter mon crâne. Je revoyais la scène apocalyptique après son geste terroriste, les gens qui couraient partout, la rue jonchée de gravats, les voitures renversées, soufflées par la déflagration, les visages ensanglantés, les corps estropiés, le trou béant. Il me semblait sentir de nouveau cette odeur particulière qui ne me quittera jamais.

Tout en montant derrière Sarah vers le premier étage et la baie vitrée qui permettait de voir les avions atterrir et décoller, je tentai désespérément de chasser les sales idées de mon esprit pour revenir à l’actualité présente, mais cela m’était impossible. Sarah le sentit bien et tenta de me dérider en me rappelant que Dominique n’allait pas tarder à arriver. En pure perte. Pire, je voyais un lien entre le travail de l’équipe de Jillian Marlowe et les « amis » de ce criminel. Jillian quittait rarement les États-Unis, l’occasion était trop belle pour ces fous de frapper un grand coup.

L’avion de la cellule internationale de lutte contre le terrorisme s’apprêtait à se poser sur la piste de Guipavas. Ses membres allaient bientôt fouler le sol breton, une première pour beaucoup d’entre eux. Dominique retrouverait cette terre et ce peuple qui l’avait accueillie et aimée. Mais dans mon esprit, une autre image occultait toutes les autres : un vautour allait s’en prendre aux colombes et je ne pouvais rien faire, une fois de plus.

I

Dix minutes plus tard, les passagers du vol spécial arrivaient dans la salle des bagages et attendaient que leurs valises se présentent sur le tapis roulant. Autour d’eux, de nombreux agents de sécurité parmi lesquels je remarquai Perry Sommers, le garde du corps particulier de Jillian Marlowe, la présidente de la commission, et Dominique Vasseur, membre française que j’attendais de découvrir parmi ces personnalités. Perry Sommers, mon cow-boy de Bénodet*, croisa mon regard et m’adressa un signe de la main spontané et chaleureux. Nous ne nous étions pas souvent rencontrés mais une franche amitié nous unissait désormais, conjuguée à la volonté commune de contribuer à la protection de la population face aux menaces criminelles et terroristes. Un même sang coulait dans nos veines, que nous étions prêts à faire couler cependant pour des bannières différentes.

Enfin, Dominique apparut dans un costume trop classique qui lui donnait un air bien sévère, mais le chic vestimentaire n’avait jamais été son truc. En plus, il me semblait qu’elle avait encore forci. Pas étonnant, les Américains bouffaient n’importe quoi, et comme elle n’avait plus le temps pour une balade au grand air, comme nous les pratiquions régulièrement à la pointe Saint-Gilles, la vie lui profitait encore plus.

Sac à l’épaule et imper à la main, elle discutait fermement avec un homme très chic et très imposant qui mâchonnait un chewing-gum pour se rapprocher un peu plus de la caricature de l’irrésistible crooner de saloon. Aussitôt, je sentis jaillir en moi une pointe de jalousie. Enfin, ma compagne remarqua ma présence et, alors que je lui adressai un large sourire, je reçus en retour une moue de reproche et d’exaspération, à laquelle s’ajouta un froncement de sourcils. Dire que ma présence contrariait Dominique était un euphémisme, je la sentais fulminer intérieurement, elle n’avait jamais su masquer ses sentiments profonds, surtout quand elle était en mission. Et si l’un de ses sourires passait vite pour une grimace à qui ne savait l’interpréter, une mimique furieuse se lisait au premier coup d’œil.

Les différents contrôles passés, les uns après les autres, les congressistes défilaient devant nous par grappes bourdonnantes pour lesquelles l’anglais était la langue reine. Visiblement, peu d’entre eux se tracassaient d’une possible menace terroriste, trop heureux qu’ils étaient de découvrir de nouveaux paysages et un pan de la gastronomie française. À l’inverse, le service d’ordre et les gardes du corps privés, tout à leur mission, visages tendus et gestes nerveux, veillaient à ce que tout se passe sans encombre. Ainsi, quand je m’approchai de Dominique, un vigile voulut me repousser avant que Perry n’intervienne pour expliquer au gars qui j’étais et me permette ainsi d’aller embrasser ma compagne :

— Mais pourquoi es-tu venu jusqu’ici, tu me places dans une position très inconfortable, me reprocha Dominique, à voix basse, en tournant la tête à droite et à gauche, comme si la scène pouvait passer inaperçue.

— Je pensais te faire plaisir en me pointant par surprise. Si tu savais comme tu me manques.

— Ce n’est pas le moment ni l’endroit, Paul ! Et puis je pensais avoir été claire, tout est fini entre nous. Tu as compris, là ? Tout est fini entre nous !

— Désolé de t’avoir dérangé, vraiment désolé.

Je ne pus en dire davantage, assommé par la terrible évidence. Je reçus un sourire chaleureux, affectueux même, de la part de Jillian, comme si elle voulait s’excuser de la réaction de Dominique, puis une tape sur l’épaule de la part de Perry Sommers, toujours cool, du moins en apparence, même en service. J’eus le réflexe de sortir le feuillet de la poche de ma veste et de lui raconter promptement mon histoire en lui montrant la fiche du suspect. Sans tergiverser, il étala le feuillet sur un comptoir de société de location de véhicules pour le photographier avant de me dire, dans son français mâtiné d’accent texan :

— Je vais réclamer une recherche sur ce type à mes anciens collègues de la CIA. Merci de m’avoir prévenu, on n’est jamais trop prudent. Tu fais partie du dispositif de sécurité ?

— Non, j’étais simplement venu dire bonjour à Dominique et…

— Il faut la comprendre, Paul, elle prend sa mission très à cœur et ne veut pas se laisser distraire. Ces trois journées sont importantes pour Jillian et Dominique, c’est une occasion unique d’expliquer leur job et de convaincre des politiciens et des juristes européens de les aider à harmoniser les textes mondiaux. Et puis, Dominique a beaucoup insisté pour que cela se passe en Bretagne ; le choix de Brest n’est pas le fait du hasard, elle est le pivot de l’organisation.

— Si tu glanes des infos sur ce gars, tu as mes coordonnées, je crois. Sinon Dominique…

— Pas de problème, Paul, je m’en occupe. Allez, relax ! C’est Sarah, là-bas ? Elle n’a pas changé, toujours aussi mignonne, ta fille. Bon, je dois y aller ! Il ne manquerait plus que la patronne attende son garde du corps…

Perry courut vers la sortie et me planta au milieu du hall, soudainement beaucoup plus calme, une fois la colonie bourdonnante à l’extérieur de l’aérogare. Je récupérai le feuillet pour le plier de nouveau en quatre et le placer dans la poche intérieure de mon blouson. Ingurgiter une bouteille d’Eddu en une soirée ne m’aurait pas mis dans un état plus lamentable.

Perdu dans mes pensées, je ne remarquai pas ma fille, qui s’était rapprochée de moi.

— Elle est déjà à son discours, à ses séances de travail, tu connais Dominique, insista Sarah, pour tenter vainement de me consoler. Et puis, elle n’allait pas bloquer le cortège pour t’offrir une bière au bar de l’aéroport, cela n’aurait pas fait très pro de sa part… Elle joue gros sur ces trois journées, elle aussi, mine de rien, oublie ses paroles, elle a paré au plus pressé.

— Nous vivons désormais dans deux univers différents. Je ne sais pas si c’est le fait de me trouver ici, mais c’est un peu comme un couple dans lequel lui est steward au sol et elle hôtesse de l’air. Dominique a pris son envol et je ne fais plus partie de sa galaxie. Alors qu’elle est toujours au milieu de la mienne.

— En compagnie de ta fille adorée, quand même, mon pap… euh… Papa ?

— Mon univers n’a pas changé d’un iota, ce sont les vôtres qui ont évolué. Toi, jeune maman accaparée par ta fille ; Dominique, membre d’une commission internationale qui lui prend tout son temps ; Radia partie je ne sais où ; Carole à Rennes avec Guéric…

— Oh, toi, tu me couves une grosse déprime, là ! intervint Sarah d’autorité. Viens, on se bouge, nous n’avons plus rien à faire ici. Et puis, ce gars, c’était peut-être un homme d’affaires jordanien, après tout. Ne te bile pas, ce n’est pas ton problème. Bon, 11 h 30, que fait-on ? On prend la direction de Daoulas ou bien on se casse une petite croûte d’abord. C’est toi, le chef, c’est toi qui décides.

— Allons-y directement, soupirai-je, mal en point. Plus vite cette histoire sera classée, plus vite je pourrai m’intéresser au parcours de Moktar Al-Varamini, au cours de ces dernières années, aux raisons qui le mènent au bout de la Bretagne.

— Mais puisque tes anciens collègues t’assurent que ce type est mort !

— Ils font davantage confiance à un ordinateur qu’à un œil humain. Pourtant, je te le certifie, je n’en démordrai pas, c’est bien lui. Le même regard haineux que je n’oublierai jamais.

De retour à la voiture, je n’étais pas bien. Des images s’entrechoquaient, la voix de Dominique venait se mélanger aux cris de Beyrouth, un goût amer me restait en travers de la gorge. Je pris mon téléphone pour contacter Léanne Vallauri, chef de la PJ brestoise, chargée d’une partie du plan de sécurité des trois jours, même si cela ne rentrait pas forcément dans les prérogatives de la PJ. Une grande blonde aux yeux clairs, âgée d’une quarantaine d’années, qui ne se laissait jamais marcher sur les pieds. Mais qui possédait les instincts de ma génération, la connaissance du terrain, le goût du casse-pipe. Nous avions fait connaissance lors d’un pot réunissant les équipes du département et avions eu l’occasion, à deux reprises, de bosser sur des dossiers brûlants. Même si les contacts avaient été rapides et très pros, cela avait bien fonctionné entre nous, pourtant elle avait ses têtes.

La mienne devait lui revenir. Je possédais son numéro de portable perso, elle fut surprise de m’entendre, pas forcément bien disponible pour m’écouter.

En quelques phrases courtes, je résumai la situation de l’aéroport, mes doutes, pour ne pas dire ma certitude, à propos de la présence d’un terroriste dans les parages, justement au moment où tant de personnalités étaient conviées à Brest pour unir leurs luttes, notamment face à l’islamisme. Elle me prit au sérieux, ce qui me réconforta.

— Si tu peux me passer la fiche de ce mec, je vais faire une recherche pour voir ce que nous avons sur lui.

— Je demande à Sarah de te l’envoyer, je ne suis pas de la génération du cloud. Les gars de la DGSI sont aussi sur le coup, mais comme ils m’ont pris à la légère, je préfère t’en faire part.

— A priori, le quartier est verrouillé, très peu de risques qu’il s’infiltre, mais on n’est jamais trop prudent, ponctua Léanne. Pas la moindre possibilité pour ce Jordanien de passer à l’action si son client se trouve dans le triangle fermé au public. Bon, d’un autre côté, nous n’avons pas non plus fouillé toutes les maisons du pâté mais, s’il quitte juste Guipavas, il n’a aucune chance de pénétrer dans le périmètre, à moins qu’il ne soit un fondu des souterrains de la ville.

— Comme tu l’es, toi ! J’ai vu un article sur tes derniers exploits.

— Mais tu ne devais pas t’occuper du home-jacking, chez Serge Combertin, toi ? Autant te dire tout de suite, je n’ai pas encore compris pourquoi cette affaire est gérée par le parquet de Quimper et par ton équipe, alors que nous devons jouer les gentils organisateurs, comme si j’étais payée pour escorter des congressistes.

— Nous y allons de ce pas. On quitte Guipavas et…

— C’est vrai, ton ex fait partie de l’équipe de Jillian Marlowe, à ce que j’ai appris. C’est dur de tourner la page, je sais ce que c’est, moi aussi, j’ai donné. Bon, je dois absolument te laisser, on m’appelle. Je m’occupe de ton Jordanien et, si j’ai du nouveau, je te mets au parfum.

Une fois passé le superbe pont de l’Iroise, Sarah se rangea sur le bas-côté de la voie express pour procéder à l’envoi de la fiche de l’individu suspect à la commandant Vallauri, avec quelques informations sur le passé de ce terroriste, selon mes souvenirs. Puis ma fille indiqua à son GPS l’adresse de la maison du couple victime d’un home-jacking pendant que j’annonçais à l’élu notre visite dans peu de temps, un petit quart d’heure tout au plus.

Le home-jacking était une version moderne du cambriolage, inspirée du car-jacking, mais pratiquée au domicile des victimes. L’objectif principal des voleurs était, là aussi, le véhicule, mais le mode opératoire était différent. Ainsi, le plus souvent, les intrus ne se contentaient pas de voler les voitures, ils prenaient de plus en plus fréquemment d’autres valeurs faciles à monnayer. Enfin, en plus du premier choc de se trouver face à des voleurs, généralement armés, les habitants subissaient parfois des gestes de violence pour livrer, par exemple, le code de leur carte de crédit ou la combinaison d’un coffre-fort.

L’intérêt, pour les cambrioleurs, était de récupérer le véhicule avec les trousseaux de clés et les papiers officiels, ce qui permettait de revendre plus aisément la voiture dans des réseaux spécialisés. Par ailleurs, en l’absence d’effraction, puisque les habitants se trouvaient chez eux, il était difficile de retrouver les coupables. Habituellement, les habitants du lieu, surpris dans leur sommeil, ne se montraient pas. S’ils étaient menacés par les cambrioleurs, car pas encore couchés, ils étaient trop paniqués pour noter des détails susceptibles d’aider les enquêteurs. Enfin, rodés à la manœuvre, les voleurs ne laissaient en général qu’un minimum d’indices derrière eux, portant une cagoule, des gants fins et des chaussures à semelle lisse, et ne lâchant qu’un minimum de paroles pour ne pas révéler un accent particulier.

Le couple Combertin habitait une superbe demeure à l’extérieur du bourg de Daoulas, non loin de l’abbaye réputée, avec une magnifique vue sur la rivière locale, pour l’heure à marée basse. Certes splendide, la demeure, mais très isolée, ce qui pouvait attirer les cambrioleurs. Une première inspection ne nous révéla aucun détail notable ; aussi Sarah me suivit-elle vers la porte d’entrée, sur le perron de laquelle nous attendait le vice-président du conseil départemental du Finistère, un quinquagénaire un peu froid et hautain que j’avais eu l’occasion de croiser à quelques reprises, dans le cadre du travail.

Il nous invita à le suivre jusqu’au salon, où rien ne semblait avoir été volé. Assise dans un fauteuil, un mouchoir à la main, son épouse avait le visage défait. L’agression l’avait particulièrement marquée, il y avait de quoi. À genoux près d’elle, sa fille tentait vainement de la calmer. Toutes deux se levèrent en nous voyant, s’excusant de se présenter en larmes. À ma demande, le chef de famille relata les faits.

— Nous étions tranquillement installés dans le salon, devant notre télé, mon épouse et moi, quand nous avons entendu du bruit au sous-sol. Nous avons pensé à l’un de nos minous qui utilisaient la chatière, mais nous avons entendu la porte se refermer violemment. Après avoir demandé à mon épouse, qui était rentrée après moi, si elle avait bien fermé le portail du garage à clé, je me suis levé, pensant à un coup de vent. Je descendais les escaliers quand je me suis trouvé face à un homme armé qui m’a forcé à remonter.

— Il était seul ? questionnai-je, tandis que Sarah notait les renseignements sur son fidèle carnet.

— Non, ils étaient trois, habillés de combinaisons noires, le visage caché par des cagoules de même couleur, des types d’une trentaine d’années, à leur allure ; à l’accent maghrébin, pour celui qui donnait les ordres, selon mon épouse. Le chef m’a d’abord dit que si nous étions obéissants, tout se passerait bien. Je lui ai demandé ce qu’il voulait. Il m’a parlé de nos voitures. Nous venions de les changer, nous les achetons en leasing, ce qui nous permet d’en avoir des neuves régulièrement.

— De quels modèles s’agissait-il ?

— J’ai toujours aimé les belles voitures, je le confesse. Il s’agit du dernier modèle de chez BMW, elle n’a même pas trois mille kilomètres. De son côté, ma femme possède une Audi A1, toute neuve, elle aussi. Ils nous ont demandé les deux jeux de clés et les papiers de chaque véhicule. Nous leur avons remis tout ce qu’ils réclamaient, inutile de jouer les héros.

— Ils n’ont rien exigé d’autre ? poursuivis-je, me doutant de la réponse.

— Ensuite, ils ont récupéré nos cartes de crédit et ont voulu en connaître les codes confidentiels. Là aussi, nous leur avons donné les renseignements sans faire d’histoire. C’est toujours le même qui parlait ; un complice récupérait les objets et mentionnait les indications sur un carnet. Le troisième continuait à pointer son arme à feu sur nous, pour nous terroriser. Ensuite, le chef a forcé ma femme à monter dans sa chambre pour se faire remettre ses bijoux.

— C’est là qu’il m’a parlé avec un accent nord-africain très prononcé, quand il s’est mis en colère, enchaîna Blandine Combertin, une robuste femme d’une petite cinquantaine d’années qui prenait sur elle pour ne pas fondre de nouveau en larmes, toujours soutenue par sa fille. Il me tenait par le cou pour me contraindre à le mener vers notre chambre. Bien sûr, j’ai obéi et lui ai remis le coffret, qu’il a ouvert avant de verser le contenu dans un sac de toile. Je pensais sauver un collier de perles de culture qui se trouvait caché sous des foulards de soie, mais il a fouillé le fond du tiroir de sa main gantée et il a découvert la boîte.

— Et il s’est fâché ! intervins-je, au fait des réactions de tels individus quand on tentait de les entuber.

— Oui, il a mal réagi. Il a hurlé, m’a saisie par les cheveux pour me projeter sur le lit. Je l’ai supplié de ne pas me faire de mal, mais il m’a retournée pour me gifler. J’ai même cru qu’il allait abuser de moi, mais il s’est enfin calmé et il m’a relevée pour me forcer à redescendre devant lui. Une fois de retour dans le salon, comme pour se justifier devant les deux autres, il leur a lâché que j’avais voulu la lui faire à l’envers.

Blandine Combertin éclata de nouveau en sanglots, étreinte aussitôt par sa fille Solenn, aux mêmes cheveux auburn, tirant sur le roux, dont j’avais appris qu’elle était étudiante à la fac de médecine. Serge, le mari, costume strict, carrure de rugbyman et crâne presque rasé, reprit le cours du récit. Le trio avait aussi récupéré les portables, avec leurs codes, et quelques bouteilles dans le bar : le rhum, la tequila et le whisky. « Pour la fin de soirée », avait ironisé le chef.

Ensuite, tous deux avaient été saucissonnés à terre, en deux pièces différentes, pour ne pas communiquer : le mari dans le salon et son épouse à l’étage, dans la chambre. De toute manière, ils avaient des mouchoirs dans la bouche, pour ne pas crier. Ils ont entendu vrombir les moteurs de leurs voitures, puis plus rien, juste le silence. Serge avait eu peur que, dans la suite de leur folle équipée, ils ne s’en prennent à Solenn, sur laquelle ils s’étaient renseignés en raison de la présence d’une photo de la fille sur le buffet, avant de rechercher son numéro de téléphone sur le portable.

— Avec de tels cinglés, il faut s’attendre à tout, poursuivit Serge Combertin, les mâchoires serrées. Voilà pourquoi nous avons été doublement soulagés, ma femme et moi, en voyant Solenn arriver au petit matin. Déjà parce qu’on commençait à trouver le temps très long, ensuite parce qu’ils n’avaient pas touché à notre fille.