Les Ombres du Rennes-Quimper - Bernard Larhant - E-Book

Les Ombres du Rennes-Quimper E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Un aller-retour criminel...

Alors que son attachée parlementaire est retrouvée morte dans sa voiture, pourquoi le sénateur Rosmeur, un notable de Rosporden, avance-t-il pour alibi un prétendu trajet entre Rennes et Quimper qui s’avère être un mensonge ? Qu’espérait-il donc cacher ainsi ?
Quant à cette mystérieuse femme qui se présente à Paul Capitaine, qui est-elle ? Une intrigante ? Une personne qui a besoin d’aide ? Partagent-ils ces liens familiaux qu’elle prétend ?
L’enquête mène Paul et Sarah vers Rennes, entre cruelles réalités présentes ou passées et leçons de vie, pour un aller-retour dont ils reviendront différents.

Suivez l'enquête de Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak dans un 9e tome riche en rebondissements !

EXTRAIT

"— Je me nomme Rebecca Marchand, balbutia-telle, embarrassée, les yeux tournés vers ses escarpins, votre père ne vous a jamais parlé de Daniella Marchand ? Non, bien sûr, c’était leur secret. Voilà, j’habite Rennes et si je suis venue à Quimper, c’est parce que… ce n’est pas facile à dire… Jean-Marie Capitaine était mon père. Ma mère et lui…
—Mon père ? Votre père ! bredouillai-je, médusé à mon tour par le bout de ciel qui me tombait sur le crâne. Ce n’est pas possible, c’est une mauvaise plaisanterie…
—Je n’aurais pas dû effectuer ce déplacement, ce n’était pas une bonne idée, je m’excuse de venir causer la zizanie dans votre famille, se ressaisit notre interlocutrice, prête à rebrousser chemin.
—Non, à présent que nous voilà réunis, vous allez tout nous expliquer… m’empressai-je de réagir."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Éditions Bargain, le succès du polar breton." – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute res-semblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À tous les anonymes qui ont un jour tenduune main salvatrice à un inconnu,même au péril de leur vie.

REMERCIEMENTS

- À André Morin pour son regard d’expert.

- À Pierre Remy pour ses souvenirs familiaux.

- À Sylvaine et Lorraine, pour leur relecture de mon manuscrit.

PROLOGUE

— Et vous êtes certaine que vous êtes ma demi-sœur ? lançai-je stupidement à la mystérieuse femme qui se trouvait attablée face à moi. Bien sûr, me repris-je, sinon, quelle raison suffisante vous aurait motivée pour effectuer un aller-retour Rennes-Quimper, au seul but de vous recueillir sur la tombe de mon père, quelques jours après sa mort…

Nous étions installés à une table discrète du Café des Remparts, sur ce qu’on appelait, du temps de ma jeunesse, le Champ de foire – et qui se nomme à présent la place de la Tourbie, ce no man’s land qui sépare le CES La Tour d’Auvergne du Likès. Quelques centaines de mètres plus bas que le cimetière de Kerfeunten où Sarah et moi étions allés ajouter un bouquet de fleurs fraîches sur la tombe déjà encombrée de gerbes et couronnes de mon père. C’est là que nous avions découvert la visiteuse devant la sépulture, dans une attitude de recueillement. Lorsque Sarah lui demanda qui elle était, l’inconnue se tourna vers moi pour m’apprendre l’incroyable nouvelle :

— Je me nomme Rebecca Marchand, balbutia-t-elle, embarrassée, les yeux tournés vers ses escarpins, votre père ne vous a jamais parlé de Daniella Marchand ? Non, bien sûr, c’était leur secret. Voilà, j’habite Rennes et si je suis venue à Quimper, c’est parce que… ce n’est pas facile à dire… Jean-Marie Capitaine était mon père. Ma mère et lui…

— Mon père ? Votre père ! bredouillai-je, médusé à mon tour par le bout de ciel qui me tombait sur le crâne. Ce n’est pas possible, c’est une mauvaise plaisanterie…

— Je n’aurais pas dû effectuer ce déplacement, ce n’était pas une bonne idée, je m’excuse de venir causer la zizanie dans votre famille, se ressaisit notre interlocutrice, prête à rebrousser chemin.

— Non, à présent que nous voilà réunis, vous allez tout nous expliquer… m’empressai-je de réagir.

— Cela a dû représenter pour vous un effort de venir jusqu’ici, insista Sarah en courant pour rattraper la visiteuse par la manche de l’imper. Il est des secrets très lourds à porter toute seule, et, croyez-moi sur parole, je suis bien placée pour en parler.

— Si vous avez un peu de temps devant vous, Rebecca, allons prendre un verre dans un café un peu plus bas, proposai-je sur un ton plus amène. Il s’en trouvera certainement un d’ouvert, même un dimanche après-midi. Sarah, tu ne devais pas aller rejoindre Blaise à sa permanence, au commissariat ?

— Pas du tout, cela peut attendre, s’insurgea ma fille. Ma présence est indispensable auprès de toi, cela me concerne aussi, si la famille s’agrandit.

Je proposai à Rebecca de m’accompagner jusqu’au Café des Remparts, quelques centaines de mètres plus bas. La mystérieuse inconnue ne me répondit pas, mais elle m’emboîta le pas de bonne grâce, aussitôt suivie par Sarah, pas réellement décidée à nous laisser seuls pour ce premier tête-à-tête. Une fois sur le trottoir de la rue de Kerfeunten, je demandai à Rebecca si elle était venue en voiture ou en train. Nous passions justement devant son véhicule qu’elle avait garé devant le bâtiment principal du Likès, une vieille guimbarde un peu rouillée, nantie d’un numéro 35 à l’ancienne. Elle me répondit d’une voix douce mais tremblante que, de nos jours, avec la voie express, il ne fallait pas plus de deux heures et demie pour effectuer le trajet de Rennes à Quimper. Elle avait recouvré un peu de sérénité, même s’il m’était difficile de jauger ses sentiments en raison des lunettes de soleil qui masquaient son regard, mais aussi de mon propre trouble intérieur. Du coin de l’œil, je l’observai cependant, toujours perplexe à propos de son allégation à laquelle pas une seule fuite de mon entourage, durant toutes ces années, ne m’avait préparé.

Je devais concéder à Rebecca une élégance sobre, beaucoup de douceur mêlée à des effluves de nostalgie que la tristesse de l’instant n’aidait pas à dissiper. Elle se tenait droite, dans son imperméable noir, les mains dans les poches, un sac de cuir en bandoulière. Des mèches châtain foncé retombaient sur les épaules. Si la tête demeurait toujours baissée, elle marchait droite comme un i, un port altier qui lui conférait une classe certaine. Ce qui m’inquiétait le plus, c’était son teint blanc, presque diaphane, qui me fit mesurer l’effort qu’avait dû représenter pour cette femme la venue à Quimper, et encore plus sa déclaration, une fois face à moi.

J’avais du mal à imaginer mon père coupable d’une telle incartade, d’autant que je donnais à Rebecca une quarantaine d’années, soit à peu près le même âge que ma sœur Colette, la benjamine de la famille. On ne pouvait donc parler d’une erreur de jeunesse, à cette époque-là de la vie de mon père. Pourtant, je concevais difficilement une femme douée de raison et de sensibilité effectuer le trajet depuis l’Ille-et-Vilaine, au seul but de semer le trouble dans une famille déjà meurtrie par le deuil encore vif dans les cœurs. D’autant que rien ne lui promettait que je me rendrais sur la tombe de mon père en cette journée et à cette heure précise. Aussi m’impatientai-je d’écouter les explications de Rebecca avant de me forger une opinion.

Et voilà comment je me retrouvais installé à une table discrète du Café des Remparts, en face d’une inconnue dans les veines de laquelle coulait peut-être un peu de mon sang. Par chance, même si elle nous avait suivis, Sarah avait su rester en retrait de la conversation et continuait à nous observer, sans doute était-elle tourneboulée par cette nouvelle si incroyable… On commanda trois cafés que je réglai aussitôt, pour que le patron ne nous dérange pas plus tard. Je contemplai plus longuement le visage de madone de Rebecca qui avait enfin ôté ses lunettes aux verres sombres, mais je peinai à y découvrir quelques traits de famille, ressentant pourtant un doute ou plutôt un trouble s’immiscer en moi. Elle s’était débarrassée de son imper pour révéler un tailleur bleu qu’elle portait avec un chemisier ivoire ; plus sobre, cela ne devait pas exister, hormis une tenue de religieuse. D’autant que pas le moindre falbala ne venait agrémenter ce vêtement, pas davantage de bijou que de foulard coloré, de rouge à lèvres ou de fard à cils ; ma potentielle demi-sœur aurait été une Fille de la Charité, servante du bon Dieu, qu’elle n’aurait pas adopté tenue plus discrète. Nous dégustâmes machinalement la première gorgée de notre expresso, puis je me lançai maladroitement à réclamer quelques explications à Rebecca sur son parcours et les raisons qui lui laissaient penser qu’un lien familial nous unissait. Elle tenta de répondre timidement, après un pesant moment de réflexion meublé à tourner méticuleusement la cuiller dans la tasse, alors qu’elle n’avait pas touché à son sucre.

— Je sais que mon histoire vous semble difficile à croire. Surtout maintenant, après la mort de votre père. Pourtant, c’était maintenant ou jamais. Sans doute est-ce même déjà trop tard… En fait, j’ignore pour quelle raison exacte j’ai pris la route de Quimper ce matin, je n’imaginais pas vous trouver au cimetière, mais je ne vis plus depuis que j’ai appris par le journal le décès de Jean-Marie.

— Vous l’appelez par son prénom ?

— Ma mère et votre père étaient très liés puisqu’il venait souvent nous rendre visite à Rennes. Par contre, je n’ai jamais su exactement la nature de leurs relations, car ma mère restait très mystérieuse sur sa propre existence dont je n’apprenais le cours que par bribes, même si nous avons vécu toutes deux ensemble jusqu’à sa mort. Il faut dire que ma mère a emporté la plupart de ses secrets avec elle, dans la tombe. Pratiquement tous, hormis celui-là qu’elle a tenu à me révéler. J’ignorais également qui était exactement votre père. Je savais qu’il se nommait Jean-Marie et qu’il m’apportait toujours un livre car il avait eu vent de ma passion pour les romans un peu fleur bleue, ces belles histoires d’amour qui n’existent que dans les fictions. Je me souviens aussi des cartes postales que nous recevions de lieux où votre famille devait partir en vacances : Grasse, Biarritz, Arcachon, Annecy, l’Alsace, la Bourgogne.

— Effectivement, il s’agissait bien de villes ou de régions que nous avions visitées en famille, reconnus-je en opinant du bonnet. Enfin, pour certaines, car par la suite, j’avais déjà pris mon envol.

— Et jamais votre père n’a évoqué devant vous le prénom de Daniella ?

— Non, je m’en serais souvenu, ce n’est pas un prénom courant ! Pardonnez ma question, je ne mets pas en doute votre histoire, seulement vous avez précisé tout à l’heure que vous ne connaissiez pas la nature de leurs relations. Dans ce cas, comment pouvez-vous certifier que…

— Ma mère est morte voilà maintenant dix-sept mois, coupa Rebecca sur un ton plus sec, que je mis davantage sur le compte de sa volonté de ne pas pleurer que sur l’intention de blesser ses interlocuteurs. Au dernier moment, elle m’a appelée auprès d’elle pour m’expliquer que Jean-Marie Capitaine était mon père, l’unique personne en qui je pouvais avoir confiance si j’avais un gros souci dans la vie. Avant d’ajouter que je possédais aussi un demi-frère, Paul, qui était policier et qui avait un grand cœur.

— Pourquoi votre mère a-t-elle attendu le dernier instant pour vous révéler l’identité de votre père ? m’étonnai-je, hébété devant une attitude aussi irresponsable.

— J’ignore quasiment tout du parcours de ma mère, au-delà des grandes lignes. Elle se fâchait quand j’abordais le sujet. Ce que je sais, je l’ai appris au compte-gouttes, par des indiscrétions que je parvenais à glaner, comme les pièces d’un puzzle. Je peux juste vous dire que notre famille est juive et presque entièrement morte en camp de concentration, à l’exception d’une grand-mère que je n’ai pas connue. Seulement, de son passé, Maman n’a rien conservé d’autre que les souvenirs matériels rassemblés dans notre maison et les objets ne parlent pas, même quand on les interroge. C’est à moi d’imaginer leur histoire en les contemplant. Nous avons vécu toutes les deux entre les livres et la musique, dans une atmosphère de non-dits. Ma mère jouait divinement bien du piano et je ne me lassais pas de l’écouter interpréter les préludes de Chopin. Par contre, elle refusait d’entrer dans toute discussion qui évoquait la dernière guerre.

— Vous me mettez dans l’embarras, intervins-je, perplexe. D’un côté, j’ai bien du mal à accepter, même intellectuellement, que mon père ait pu tromper ma mère. Ils s’aimaient tellement, tous les deux ; jamais une dispute, jamais une anicroche, jamais un mot qui aurait pu me laisser imaginer un problème entre eux deux. D’autant que vous semblez du même âge que ma sœur Colette…

— J’aurai bientôt 40 ans.

— Et Colette trois de plus ! D’un autre côté, en cet instant ultime, pourquoi votre mère vous aurait-elle confié un tel secret, s’il agissait d’un mensonge ? Et puis, il y a les cartes postales, quelqu’un les a bien expédiées à votre adresse. Il est un fait qu’aujourd’hui, mon père disparu, votre irruption n’a plus le même écho. Mais même un an plus tôt, j’ignore s’il aurait pu authentifier vos dires, à cause de la maladie d’Alzheimer qui lui rongeait lentement le cerveau.

— J’ai tenté de vous appeler au commissariat, voilà environ deux mois. J’ai pris mon courage à deux mains après avoir découvert un article sur vous, dans Ouest-France. Mon correspondant m’a répondu que vous n’étiez pas là, mais qu’il me passait votre fille. Donc vous, Sarah. Vous m’avez demandé de me présenter, je n’ai rien pu dire, je suis restée pétrifiée, le combiné à la main. Puis j’ai raccroché honteusement, incapable de prononcer un traître mot. Cette semaine, j’ai vu l’annonce dans les avis mortuaires, j’ai éprouvé un choc épouvantable, je me suis sentie seule au monde. Il m’a fallu plusieurs jours de torture intérieure avant de me décider à affronter mes démons. Je ne vous dis pas qu’en chemin, l’envie ne m’a pas tenaillée de faire demi-tour.

— Sur la voie express, ce n’est pas recommandé, intervins-je, histoire de détendre l’atmosphère ou plutôt de permettre à ma propre soupape intérieure de décompresser un peu.

— C’est certain ! ponctua Rebecca, une esquisse de sourire aux lèvres. Et puis je l’aurais regretté toute ma vie, même si ma démarche ne devait pas aboutir. À présent, la balle est dans votre camp, si je puis m’exprimer ainsi, je sais que ce n’est pas un cadeau. Je ne vais pas vous déranger trop longtemps, et puis, j’ai de la route. Voici mes coordonnées : mon adresse, mon numéro de téléphone à la maison, je suis désolée, je n’ai pas de portable. À présent, je vais devoir rentrer à Rennes, j’ai cours demain matin.

— Vous êtes enseignante ?

— Oui, professeur de philosophie !

— Cela tombe bien pour moi. Quand une fille a débarqué dans ma vie à brûle-pourpoint, il m’a fallu pas mal de philosophie pour l’accepter. Je ne sais pas encore s’il m’en reste suffisamment en stock pour accueillir une demi-sœur, aussi sympathique et attachante soit-elle…

Rebecca avait à nouveau esquissé un timide sourire de Joconde et haussé les épaules pour toute réponse. Rien ne m’avait jamais davantage fait craquer que la timidité d’une femme, cette fragilité apparente qui incite à tendre une main amie et protectrice. On s’était levés d’un même élan pour quitter le bar et remonter la rue de Kerfeunteun jusqu’au véhicule de Rebecca. Ma fille n’avait pipé mot, perdue dans des pensées qui la ramenaient certainement en Pologne, dans sa plus tendre enfance, auprès de sa mère. On échangea une franche poignée de main. Puis l’enseignante eut une question étonnante en se tournant vers Sarah :

— Votre mère est-elle d’origine juive ? Car Sarah est un prénom de chez nous.

— Voilà une question que je ne m’étais jamais posée, répondis-je car ma fille avait perdu sa langue. La maman de Sarah se prénommait Beata, elle est décédée. Je l’ai connue à Gdansk, durant les événements de Solidarnosc, le temps d’une soirée et d’une nuit. Nous avons refait le monde, conclu d’un commun accord qu’il pourrait être meilleur demain et le résultat fut Sarah, la huitième merveille de la planète. Je n’en sais pas davantage sur son passé, je suis désolé.

— Moi non plus ! bredouilla ma fille, complètement chavirée par l’instant que nous vivions.

— Surtout, Paul, rappelez-moi, même pour m’apprendre que vous ne souhaitez pas donner suite à ma démarche, cela me permettra de ne pas espérer inutilement. Je comprendrais parfaitement que vous ne désiriez pas chambouler votre existence pour moi, je débarque dans votre vie comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

— Pourquoi ne pas convenir déjà d’une date pour poursuivre le travail mutuel d’apprivoisement ? suggérai-je en témoignage de bonne volonté. Dimanche prochain, je suis de permanence au commissariat, mais le suivant, je n’ai rien de prévu. Une fois la première stupeur passée, nous aurons certainement une tonne de questions à nous poser…

— Ce serait merveilleux ! coupa Rebecca, les yeux enfin vivants. Je vous invite pour le week-end, j’ai de quoi vous loger. Je vous montrerai les cartes postales que nous adressait votre père et le jardin du Thabor dans lequel Jean-Marie venait nous rejoindre, Maman et moi. J’ai déjà hâte de vivre ce moment. Embrassez votre sœur Colette pour moi. À bientôt, Paul. Prends soin de toi, Sarah.

La personne qui reprenait place au volant de son véhicule n’était plus tout à fait la même que celle qui était entrée dans le bar.

Elle nous adressa un signe de la main en passant à notre hauteur. Je restai planté sur le trottoir avec le souvenir ensorcelant de ses yeux verts empreints d’une nostalgie dont je commençais à percevoir les raisons profondes.

Quand le véhicule disparut dans la descente vers le centre-ville, après avoir fait le tour du parking central, je me ressaisis en me rappelant la présence fantomatique de Sarah à mes côtés, totalement chavirée au point d’avoir perdu sa langue.

— Tu en penses quoi, ma grande ?

— La vie n’est pas avare en coups de théâtre ! J’en ai représenté un sur ta route qui a bouleversé ton quotidien. Rebecca en est sans doute un autre, tout aussi complexe à gérer.

— Je ne pense pas mon père capable d’un fait aussi honteux.

— Pourquoi voir toujours le mal quand il existe sans doute une autre explication, m’expliqua calmement Sarah en posant sa main sur mon avant-bras. Un flash m’est apparu à l’esprit, en cours de conversation. Je me souviens d’avoir entendu Micheline1 évoquer le souvenir très lointain d’une jeune Juive que tes grands-parents avaient hébergée durant la guerre, malgré les risques d’une telle présence dans leur foyer. Elle t’en apprendra certainement davantage si tu évoques le sujet avec elle… Tu es certain que ton père ne t’a jamais parlé d’un fait aussi extraordinaire ? Ce n’est tout de même pas banal, comme histoire, et assez exceptionnel pour qu’on s’en gargarise. Je ne parle pas de la relation possible avec cette femme, je parle de l’acte d’héroïsme que constituait à cette époque le fait d’héberger une jeune Juive.

— Non, pas une seule fois, un sujet aussi poignant n’est parvenu à mon oreille.

— D’un autre côté, quand on a passé sous silence un fait durant des années, il est souvent difficile de le déterrer. Regarde, pour le passé de ma mère, de ma famille, jamais personne de mon entourage n’a voulu aborder le sujet, il était tabou, comme s’il brûlait les langues. À croire que ma mère était une criminelle ou une terroriste, aux yeux de tous.

— Et dire que Dominique se trouve encore à Paris avec le juge Porcher à propos des suites de l’affaire marseillaise et la chute des notables impliqués2 ! Voilà une histoire qu’il m’est impossible de lui narrer par téléphone, et pourtant j’ai besoin d’en parler de vive voix à quelqu’un de proche.

— Oublie ta sœur, elle est partie en week-end à Saint-Malo dans sa belle-famille, avec mari et enfants, précisa Sarah en se dirigeant vers notre voiture, d’un pas à nouveau décidé. Et puis, je la connais, elle va vouloir faire des analyses sanguines pour authentifier les liens familiaux. Donc, il ne reste plus que moi. Ne t’inquiète pas, cela m’a fait un choc sur le moment. À présent, j’ai repris le dessus et je suis prête à tout entendre. Je peux juste t’avouer un détail : j’aurais eu une grande sœur, j’aurais aimé qu’elle ressemble à Rebecca. Elle se rapproche de l’image que je cultive de ma mère ; non pas physiquement, bien sûr, mais dans ce mélange de douceur et de fermeté dont elle était pétrie.

Nous connaissions déjà le sujet qui alimenterait notre conversation du dîner. Colette m’appela pour un détail matériel, je ne pus lui cacher la surprise de l’après-midi. Sa position fut catégorique, jamais notre père n’aurait pu tromper notre mère, cette femme n’était qu’une usurpatrice, une coureuse d’héritage, et elle espérait que, rapidement, j’allais mener sur elle une enquête efficace pour la confondre et la faire condamner. Une fois de plus, Sarah avait raison, Colette était ainsi, cassante avec tout ce qui pouvait porter atteinte au noyau familial qu’elle protégeait comme une tigresse. Naturellement, je me gardai bien de confier à ma sœur la position que j’avais adoptée, conscient qu’elle comportait bien des risques dont je ne savais s’ils étaient ou non justifiés. Paradoxalement, je me surprenais à m’appuyer sur l’intuition de Sarah et sur la nouvelle piste, bien hypothétique, qu’elle venait de me suggérer en fouillant dans la boîte à malices de ses conversations avec Micheline, l’amie de mes parents, un peu aussi leur confidente, de toute époque.

En fait, depuis le dernier soupir de mon père, je me trouvais paralysé par une sensation bizarre : tant qu’il était présent, même diminué, il représentait la référence, le patriarche, la figure de proue, malgré mon expérience professionnelle et la maladie qui le diminuait. Inconsciemment, sans même y prendre garde, je me plaçais dans son sillage pour me défausser de certaines responsabilités, par facilité. À présent, ce ne serait plus possible, j’étais le nouveau patriarche, la référence familiale, et cela me donnait un sacré coup de vieux. Et des bouffées d’angoisse…

Une fois le dîner expédié, Sarah alla chercher l’un des deux albums dans lesquels Père conservait les photos les plus marquantes de son existence et de celle de ses parents. Il s’en trouvait de l’immédiat après-guerre, mais aucune d’elles ne révélait une jeune fille dans le cercle de famille. Dans mon esprit, le mystère demeurait entier et j’avais horreur de ces situations où mon cœur balançait en permanence. Demi-sœur ou affabulatrice ? Je ne possédais pas encore la réponse.

Peu après, je fus heureux d’entendre Dominique qui revenait, épuisée physiquement mais détendue moralement, d’une visite dominicale au château de Versailles qui lui avait ruiné les mollets. En maudissant les lenteurs du système judiciaire qui la contraignaient à rester à Paris, les premiers jours de la semaine suivante et peut-être même davantage car l’effet de dominos faisait tomber davantage de pièces qu’il n’avait été imaginé initialement. D’ailleurs, elle avait réclamé la présence de Bruno Bracci, mon alter ego dans la police marseillaise, pour parvenir à retrouver ses petits dans le micmac de cette affaire à tiroirs. Je compris alors que la visite de Versailles, ils l’avaient effectuée ensemble. Ce qui me fit marmonner que depuis qu’elle avait accepté de partager ma vie, à bien y réfléchir, elle n’avait jamais été aussi éloignée de moi, en kilomètres et en durée. Sans prêter attention à mes états d’âme, elle me demanda comment cela allait, me trouvant moins guilleret que d’ordinaire.

— Il s’est passé un événement dont j’aurais aimé te parler de vive voix, en présence de Sarah, car il nous concerne tous. J’ai mon sentiment sur la question, je pense connaître celui de Sarah, je sais celui de Colette, j’attends ton arbitrage…

— Bigre, que de mystère ! répliqua Dominique que les histoires alambiquées passionnaient toujours autant. Tant que tu ne m’avoues pas avoir renoué dans la semaine avec une copine d’enfance qui aura su, en mon absence, éponger ta peine…

— Tu n’es pas loin de la vérité ! Je viens de me découvrir une potentielle demi-sœur.

— Décidément, avec la famille Capitaine, rien ne se passe jamais de manière rationnelle ! gloussa Dominique que je sentais, à l’autre bout du fil, excitée comme une puce de sable sur la grève de Sainte-Marine. Pas le moindre risque de sombrer dans le train-train et la monotonie auprès de vous ! Chaque journée apporte son rebondissement imprévisible. Tu vas me raconter tout cela par le détail, j’en salive à l’avance…

— Au téléphone, cela va être long et peu commode.

— Par pitié, ne me laisse pas dans une telle attente ! J’ai tout mon temps, je suis dans ma chambre d’hôtel, j’ai un forfait illimité et la télé ne propose aucun programme intéressant.

Je dus me résoudre à évoquer par le menu notre surprise de la journée. D’abord perplexe sur ce hasard étonnant, Dominique finit par se rallier à notre point de vue. Le doute devait profiter à Rebecca à qui il avait fallu bien du courage pour effectuer une démarche aussi délicate, et notre rôle était de découvrir le passé de sa mère et ses liens avec mon père. Tout en conservant une distance avec elle, pour ne pas nous trouver liés, s’il s’avérait que l’enseignante rennaise nous avait finalement abusés avec son histoire rocambolesque, ce qu’elle imaginait difficilement.

La semaine suivante n’apporta aucun élément nouveau, hormis le fait que Dominique prolongeait un peu plus son séjour à Paris, en tractation avec la chancellerie au sujet de son avenir, ce qui ne nous ravit pas spécialement. Sa volonté de demeurer à Quimper ne facilitait pas la tâche de ses supérieurs. Elle avait fini par faire admettre à son autorité de tutelle qu’elle ignorait tout du plan que les policiers avaient mis sur pied pour mystifier le caïd. Ainsi elle évitait une sanction qui, au vu de l’éclatant résultat, n’aurait sans doute été que symbolique. Quoique, dans notre société où il semble si difficile de se tenir du bon côté de la ligne jaune… Bien sûr, Sarah s’était rapprochée de Rose-Marie pour lui demander de chercher tout ce qu’elle pouvait trouver dans les réseaux sociaux sur une dénommée Rebecca Marchand, prof de philo à Rennes. Hélas, l’enseignante n’était visiblement pas une adepte de la modernité et les renseignements glanés se résumaient à son parcours professionnel, limpide et sans anicroche.

En revanche, le dimanche, lors du repas familial auquel je parvins à participer en suppliant Carole de me remplacer pour la permanence du week-end, il en alla tout autrement. Colette n’en démordait pas et me considérait comme un traître d’imaginer notre père capable d’une pareille incartade, deux ans après la naissance de sa fille. Chacun à son tour, on tenta de la persuader que, désormais, une bonne explication valait mieux qu’un flou définitif. Il devait exister une justification valable qu’il nous fallait dénicher en fouillant dans le passé de nos parents, à partir de l’indice révélé par Micheline qui n’avait pas voulu se joindre à nous pour le déjeuner dominical, encore trop meurtrie par la disparition soudaine de notre père. Sarah multipliait les hypothèses : un amour de jeunesse retrouvé trois décennies plus tard, une relation particulière en raison des circonstances de la guerre ou encore un mensonge des parents pour cacher à Rebecca une réalité plus sordide que la simple absence d’un père ; un viol, par exemple !

— Tu ne peux nier les cartes postales adressées depuis les lieux où nous partions en vacances, tout de même ! m’offusquai-je pour tenter de faire réagir Colette. Nous ne serions pas la première famille à receler un secret que les parents auraient emporté avec eux dans la tombe. De toute manière, j’irai au bout de ma démarche et je te rassure, j’ai autant que toi confiance en notre père et autant que toi le respect de l’exemple que furent en permanence nos parents pour nous. Il n’empêche que toute question appelle une réponse.

— Tu ne vois même pas que tu peux mettre en péril notre famille avec un comportement de ce genre ! se lamenta Colette en s’arrachant les cheveux. En admettant que ce soit vrai, tu as réfléchi aux conséquences pour nous tous ? On ne la connaît pas, cette fille. On va peut-être faire entrer une louve dans la bergerie…

— Cela, c’est absolument impossible ! assurai-je, péremptoire.

— Et pourquoi donc ?

— La louve est déjà entrée dans notre bergerie, quand on a accueilli Sarah. Et désormais, c’est un bon toutou bouclé qui ne montre plus jamais les crocs. Surtout depuis qu’elle est sortie avec Julien, ce sympathique employé de la SPA qui semble nous l’avoir parfaitement dressée en quelques mois, avant de me la rendre.

Nous attendions tous une réplique violente de Sarah, elle nous surprit, une fois de plus, en nous ramenant à l’essentiel :

— Personne ne peut imaginer le calvaire quotidien que devait endurer une jeune Juive durant la guerre. Même après avoir lu le Journal d’Anne Franck, on reste loin de la vérité de la réalité quotidienne. On pense savoir, mais tant que l’on n’a pas vécu de telles atrocités, c’est impossible de mesurer la souffrance intérieure amassée, la terreur de chaque instant, le destin de bête traquée. Et quiconque aura osé donner de l’amour, un peu plus tard, à cette jeune femme ballottée par les vents de l’Histoire ne peut être blâmé, au contraire ; il lui aura redonné une étincelle d’humanité et un sens à sa vie. Personnellement, si les faits étaient avérés, je n’adorerais plus Papy comme avant, même s’il a été cet homme empli de tendresse et d’humanité, avec lequel j’ai juste esquissé une connivence si douce à mon cœur. Non, moi, au su de son geste hors norme, je le vénérerais encore davantage !

1 Amie de longue date de la famille et voisine de chambre de Jean-Marie au foyer-logement où il a terminé sa vie.

2 Voir Du pastis dans l’Odet, même auteur, même édition.

PERSONNAGES PRINCIPAUX

PAUL CAPITAINE : La cinquantaine, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Désabusé sur la société à l’issue de sa carrière à la CelluleÉlysée, il trouve au sein de la brigade criminelle de Quimper une seconde jeunesse, notamment grâce à Sarah, sa partenaire mais aussi sa fille. Tous deux vivent dans la maison familiale de Bénodet. Il est très proche de la magistrate Dominique Vasseur, qu’il vient de sauver des griffes d’un caïd de la pègre marseillaise.

SARAH NOWAK : 28 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père, originaire de Quimper, elle va le découvrir derrière les traits de son partenaire et mentor Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle conserve en elle des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours intègre. Elle s’est un brin amourachée de Blaise, la jeune recrue.

DOMINIQUE VASSEUR : 45 ans, célibataire, substitut du procureur de la République. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle est complexée par un physique replet, Elle apprécie la compagnie de Paul et c’est réciproque. Grâce au plan monté par les policiers à son insu, elle échappe à la mort et peut témoigner pour le procès du caïd marseillais qui l’avait jadis piégée.

ROSE-MARIE CORTOT : 27 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde, Rosie pour les plus proches. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la brigade criminelle par son génie de l’informatique. Et aussi la meilleure amie de Sarah, même si elle souffre souvent du tempérament entier de cette dernière.

RADIA BELLOUMI : 34 ans, commissaire de police. Une surdouée qui s’est trouvée à la tête du commissariat de Quimper alors qu’elle effectuait un stage et a été nommée à ce poste. Dotée d’une intelligence supérieure, d’une étonnante vivacité d’esprit et de solides connaissances juridiques et comptables, elle ne rate jamais une opportunité d’épauler l’équipe de la PJ.

CAROLE MORTIER : 41 ans, divorcée, une fille de 13 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et des frustrations intimes. Elle vient de renouer avec son ex, à la grande joie de leur fille.

MARIO CAPELLO : 33 ans, célibataire, ancien lieutenant de police. Un gros problème de santé vient de le contraindre à quitter son poste à la PJ. Tout s’effondre alors autour de lui et l’équipe tente de lui maintenir la tête hors de l’eau.

BLAISE JUILLARD : 27 ans, célibataire, lieutenant de police, tout juste débarqué à Quimper. Son père est l’un des pontes du quai des Orfèvres, le fils ne possède pas son étoffe. Cependant, sous ses airs nonchalants qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de flair ni de vivacité d’analyse. Et comme il veut éblouir Sarah…

RONAN FEUNTEUN : La cinquantaine, divorcé, journaliste et patron de l’agence quimpéroise d’Ouest-France. Camarade de jeunesse de Paul Capitaine. Entre eux, un accord tacite : le journaliste transmet ses informations au policier ; en échange, celui-ci lui réserve la primeur du résultat des enquêtes.

COLETTE ARNOULT : 43 ans, mariée, deux enfants. Agent d’amphithéâtre à l’hôpital de Quimper depuis un mois. Colette est la sœur de Paul. Mariée à Rémy, informaticien, mère de Quentin et Melody, elle est l’assistante du médecin légiste de la ville.

JULIE VARAIGNE : 31 ans, célibataire, secrétaire du substitut Vasseur. Grande blonde élancée, elle a été, un temps, la maîtresse de Paul. Franche, loyale, à l’écoute des bruits de couloir, elle met souvent, même involontairement, le policier sur la bonne piste. De plus, Julie est un fin cordon-bleu.

I

Le lundi matin, le commissariat se trouvait en pleine effervescence et Carole me remercia – un rictus pincé aux lèvres – du cadeau de la permanence du week-end. Une affaire d’importance, sans doute, puisque Radia apparut avec sa tête des mauvais jours et l’haleine encore emplie de sa toute dernière cigarette. Après avoir effectué un petit détour pour faire la bise à Rose-Marie, Sarah s’approcha de moi pour m’apostropher d’un hochement de tête, me pensant au fait de l’affaire ; geste auquel je répondis par un haussement d’épaules signifiant mon ignorance. Carole mit fin à nos interrogations en effectuant un compte-rendu circonstancié de sa journée de dimanche :

— Vers midi, deux cyclotouristes nous ont appelés car, en passant auprès d’un véhicule garé sur le parking de Penvillers, ils ont remarqué un corps féminin allongé sur le siège arrière. La voiture était fermée à clé, ils ont tambouriné, la femme n’a pas bougé. Ils ont d’abord pensé à un état d’ivresse avancé, avant de se résoudre à contacter le commissariat de Kerfeunten qui m’a aussitôt alertée. En arrivant sur les lieux avec une équipe et en effectuant les premières constatations, j’ai tout de suite compris que la malheureuse avait été étranglée.

— Il doit s’agir d’une personne importante, pour que le commissariat soit dans une telle panique, inter-vins-je avant que Radia ne prenne le relais.

— Cora Cheminant, 28 ans, célibataire, attachée parlementaire du sénateur Rosmeur, expliqua la grande patronne en scotchant au tableau une photo de la superbe jeune femme. Les premiers témoignages recueillis sur elle auprès de son entourage évoquent une brillante énarque dont les dents rayaient le parquet. Pour elle, le Finistère semblait ne représenter qu’une courte étape, un premier tremplin dans un plan de carrière bien plus ambitieux.

— Dans le portefeuille de la victime, enchaîna Carole, nous avons retrouvé ses papiers d’identité, son portefeuille avec ses cartes de crédit, et aussi 250 euros en espèces. Le vol n’est donc pas le motif du meurtre, d’autant que, si cela avait été le cas, les malfrats auraient forcément récupéré sa Volvo X60 toute neuve. Et comme par ailleurs, malgré une tenue chic et sexy d’executive woman en goguette, elle n’a pas été violée, on ne peut même pas avancer sur la piste des pervers qui repèrent les jeunes beautés seules dans leur bagnole.

— Reste la piste professionnelle, me hasardai-je à murmurer.

— Ou le plan de drague qui a mal tourné, coupa Radia, sourcils froncés. Nous venons de recevoir les premiers résultats de la scientifique : si son corps ne porte pas d’empreintes, le foulard qui a servi à l’étrangler est truffé de traces des paluches de son patron, Jean-Paul Rosmeur. Comme les accoudoirs de la voiture et aussi les deux poignées de portières, à l’avant et à l’arrière. Et là, Monsieur le préfet n’aime pas cela du tout.

— Nous allons devoir attendre les premiers résultats du médecin légiste pour savoir si elle a eu des relations sexuelles consenties avant sa mort ; et si oui, avec qui, poursuivit Carole, accompagnant ses mots d’une moue éloquente. Un fait est certain : cette affaire ne sent pas bon ! D’autant que, malgré ses soixante-quinze printemps, notre cher sénateur passe pour un fieffé coureur de jupons. Les créateurs du Viagra n’ont pas pensé aux jeunes femmes. Il a déjà eu affaire avec la justice, après la plainte pour harcèlement, d’une secrétaire de mairie, voilà quelque temps. Tout s’était finalement arrangé à l’amiable, mais là…

— Eh bien, voilà une affaire rondement menée ! ricanai-je en me dirigeant vers mon bureau. Rien d’autre à se mettre sous la dent pour occuper notre semaine ?

— Attends la suite, Paul, reprit Carole, Jean-Paul Rosmeur possède un alibi en béton, c’est le cas de le dire, même si la matinée n’est pas à l’humour potache ! Il se trouvait samedi soir en réunion à Betton, une commune de la banlieue de Rennes avec deux autres collègues, m’a-t-il certifié hier après-midi, quand je suis allée l’interroger. Par malchance pour lui, il s’agissait d’une rencontre informelle. De plus, il ne possède pas de preuve de son retour à Quimper par le premier train du dimanche matin, qui quitte Rennes à 9 heures 38. Dès son arrivée au terminus, l’imbécile a jeté son billet qu’il a payé en espèces. Pas de ticket de restaurant, pas de facture de chambre d’hôtel pour justifier que, vers deux heures du matin, moment de la mort de Cora Cheminant, selon les premières estimations du légiste, il dormait bien du sommeil du juste.

— Il n’a donc pas d’alibi solide, intervins-je. Il a très bien pu faire le trajet vers Rennes en bagnole, une fois son forfait commis, avant de grimper dans le premier train pour Quimper…

— Oui, mais il possède des témoins pour déposer sous serment qu’à minuit, il se trouvait encore dans la salle de réunion de Betton. Et pas n’importe qui, deux autres sénateurs, des dinosaures de la politique. Même s’il est coupable, il s’en sortira donc grâce aux témoignages de ses deux collègues.

— Et cela semble soulager Monsieur le préfet, qui préférerait voir l’enquête s’orienter vers le geste d’un loubard et une mauvaise rencontre, exprima Radia, goguenarde. Nous recherchons donc une petite racaille, si possible d’origine étrangère, un Rom lui conviendrait très bien en ce moment, qui accepterait d’expliquer à la cour qu’il a alpagué une petite bourge au physique craquant dans sa superbe bagnole, pour le seul trip de l’étrangler, sans lui piquer son fric, sans lui taxer sa tire, sans tenter d’abuser d’elle. Encore un peu, et les autorités vont nous charger d’une enquête en incluant au dossier un portrait-robot du coupable idéal, pour nous faciliter complètement la tâche. On nage vraiment en plein délire !

— Avec un peu de persuasion, lança Sarah sur le même ton, on pourrait aussi lui mettre sur le dos les affaires de caillassage du TGV sur la ligne Rennes-Quimper, ces derniers mois, et les incendies volontaires dans les lycées de la région…

— Voilà pourquoi, dès le reçu du rapport complet du médecin légiste, vous allez effectuer une enquête dans l’entourage de Cora Cheminant, ponctua notre grande patronne, sur un ton autoritaire. D’abord sa famille ; elle est originaire de Nantes. Ses proches ensuite, son éventuel petit copain, ses relations politiques, ses sources de revenus pour pouvoir se payer un tel petit bijou de bagnole avec une paie d’attachée parlementaire. Et aussi ses hobbys, ses passions, ses travers, puisque désormais, plus aucune déviance ne peut nous surprendre.

— Et si on ne trouve rien de concluant ? se hasarda à suggérer Carole.

— En dernier recours, vous fouillerez dans la vie de l’homme politique, histoire de nous donner bonne conscience, sans cependant trop gratter dans ses écarts de conduite, et pas seulement au volant. Et vous irez récupérer les témoignages des collègues de Rosmeur réunis autour de lui pour la soirée autour d’un projet top secret, puisqu’il semblerait que si peu de gens en aient été informés qu’ils soient les seuls dans le secret. Un programme assez consistant, cependant, pour les retenir autour d’une table jusqu’à une heure du matin. Allez, au boulot, je veux des résultats !

Chaque lundi, mon premier devoir consistait à traverser la rue pour me rendre au Colibri afin d’y rencontrer mon pote journaliste Ronan Feunteun. Dès mon arrivée à “l’annexe”, Isabelle et Jean-Luc, les patrons, s’inquiétèrent de l’évolution de mon état moral à la suite du décès de mon père. Je leur lançai que le temps faisait son œuvre et cicatrisait les plaies. Ronan se montra empressé de m’entretenir de l’essentiel. Une fois n’était pas coutume, on occulta les résultats sportifs pour passer directement à la mort de Cora Cheminant, une nana exceptionnelle, selon mon copain, à l’aplomb étonnant eu égard à son jeune âge, et aux ambitions démesurées, mais pas extravagantes quand on considérait son abattage et son charisme.

— J’avais eu l’occasion de l’interviewer, se rappela Ronan, une pointe d’émotion dans la voix. Elle m’avait clairement laissé entendre qu’elle ne moisirait pas en Bretagne. D’ailleurs, elle possédait déjà des touches pour rebondir en région parisienne. Tiens, comme je savais que nous parlerions d’elle, je t’ai apporté une copie de l’article et aussi quelques photos. Elle n’aurait pas fait tache sur un podium de mode, pas vrai ? Il faut dire que de nos jours, si tu es une femme et que tu veux réussir, même en politique, la beauté est un facteur aussi important que les compétences ou le cursus universitaire. Et le caractère également ! Miss Cheminant se trouvait nantie de tout cela. Un beau gâchis, en fait.

Je posai devant moi les trois clichés. Trois attitudes différentes, une même volonté évidente dans le regard. Debout sur l’une des passerelles franchissant l’Odet, un classique de la rédaction de Ouest-France de Quimper, puis une seconde sur laquelle Cora se trouvait assise, jambes croisées face à Ronan, main en avant, formant un o de deux doigts, pour mieux faire passer son idée. Enfin une troisième, installée dans un fauteuil, répondant à son portable, sans doute à la demande du photographe. Cora Cheminant possédait le visage anguleux des femmes qui savent ce qu’elles veulent et les yeux de braise de celles qui connaissent le meilleur moyen de l’obtenir. Cheveux bruns ramenés en arrière pour s’achever en petit chignon, cou droit et long, poignets parés de bracelets voyants, chemisier léger volontairement ouvert de deux boutons. Et puis des jambes sublimes s’offrant au regard depuis le pli d’une jupe courte jusqu’aux escarpins vernis, galbées dans des collants blancs qui en soulignaient les contours parfaits. Je comprenais aisément l’effet qu’elle avait eu sur Ronan. La femme fatale dans toute sa splendeur, beauté vénéneuse au look étudié dans ses moindres détails.

Voilà pour l’illustration. Le contenu de l’article allait m’apprendre que Cora Cheminant venait d’une famille de tradition gaullienne : grand-père serviteur du général, père fonctionnaire préfectoral, comme son frère aîné, d’ailleurs. Alors que Ronan s’étonnait dans son article d’une légère différence de sensibilité politique entre son patron actuel, Jean-Paul Rosmeur, et elle-même, elle avait fait comprendre au journaliste qu’il ne s’agissait, dans sa carrière, que d’une première étape qu’elle entendait passer très vite. À moins qu’une opportunité électorale ne se présente pour elle en Bretagne.

Comme l’avait exprimé Ronan en préambule, le discours de Cora Cheminant était convaincu, dépourvu du moindre état d’âme, excessivement ambitieux, à la limite du supportable, surtout pour un lectorat breton – et un électorat – si attaché aux relations de proximité et à la fibre locale. Avait-elle froissé quelque sensibilité ? Avait-elle frayé avec des gens peu recommandables lui proposant un chemin de traverse pour accélérer son ascension ? Avait-elle seulement voulu éconduire un freluquet qui avait eu l’outrecuidance de tenter sa chance ? L’hypothèse Jean-Paul Rosmeur écartée bien vite à mon goût, le champ d’investigation n’en demeurait pas moins vaste et je souhaitais bien du plaisir à Carole pour avancer sur des terrains aussi mouvants.

Pour notre part, Sarah et moi avions décidé de nous offrir quelques séances d’exercices au pas de tir pour ne pas perdre la main. Si, sur des cartons, ma fille se révélait régulièrement meilleure que moi, je savais que, sur le terrain, devant un être humain, fût-il un criminel en puissance, elle se bloquait et ne parvenait pas à appuyer sur la détente, ce qui avait déjà failli lui être fatal1. Et cela m’inquiétait plus que je ne souhaitais lui montrer. Comme elle avait toujours refusé une aide psychologique, elle se satisfaisait de ses prouesses sur des cartons et je n’y pouvais rien.

À notre retour à la boutique, on apprit que Radia désirait nous rencontrer. Enfin moi, plus particulièrement. Mais comment écarter Sarah d’une confidence sans s’attirer ses foudres pour la journée ? Elle m’accompagna donc. Au visage crispé de la grande patronne, j’imaginai qu’il s’agissait d’une pression supplémentaire de la part des services préfectoraux. Il n’en était rien.