La Madone du Faouët - Bernard Larhant - E-Book

La Madone du Faouët E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Le cadavre d'une femme anonyme est repêché...

Le corps d'une femme est retrouvé dans l'Odet par un enquêteur de police à la retraite, lors d'une partie de pêche. Après trois semaines passées dans l'eau, aucun signe ne permet de préciser l'identité de la victime. Commence une longue recherche d'indices pour Paul, Sarah et Jacques, le retraité jadis confronté à une énigme similaire restée irrésolue. Cette enquête complexe va mener les policiers sur les traces de l'inconnue, au Faouët, à Langonnet et même à Strasbourg. S'y révéleront des facettes bien opposées de l'âme humaine : la jeune femme à qui tous prêtent la pureté de madone ne pouvait pas lutter contre la bassesse à laquelle elle osait s'affronter...

Embarquez dans le tome 10 des enquêtes policières de Paul Capitaine, avec une intrigue qui s'annonce complexe et riche en rebondissements !

EXTRAIT

"— C’était un cadavre, Capitaine, j’en mettrais ma main à couper. Tu vois, au début, j’ai pensé comme toi : tiens, encore l’un de ces vestiges de frigo ou de four à micro-ondes que les gens balancent dans l’Odet pour ne pas se compliquer la vie. Mais quand j’ai cherché à savoir ce que c’était, à l’aide de ma rame, le bout s’est enfoncé dans la matière et cela m’a fait penser à une ancienne enquête, un corps qui avait trempé près d’un mois dans la flotte, en baie de Kérogan. C’était devenu un bibendum que l’on perçait du bout des doigts, quand on voulait le toucher. Je te le promets, j’ai encore mon flair, je suis tombé sur un macchabée."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Une histoire retors menée grâce à l'aide d'un policier expert en identification criminelle et d'une magistrate de Quimper. Sur fond humain et émouvant, l'enquête est pleine de rebondissements." – Ouest France

"Éditions Bargain, le succès du polar breton." – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après avoir passé une longue période dans le Sud-Ouest, il est revenu dans le Finistère, à Plomelin, pour poursuivre sa carrière professionnelle. Passionné de football, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Stade Quimpérois, puis en senior. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l'écriture de polars avec les enquêtes d'un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine et de sa partenaire Sarah Nowak. À ce jour, ses romans se sont vendus à plus de 110 000 exemplaires.



À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

NOTE DE L’AUTEUR

Je souhaiterais dédier ce livre à Anne-Sophie Deval (1989-2006), jeune actrice française trop tôt disparue.

En imaginant le personnage de Pauline, son visage romantique et son regard lumineux se sont imposés à mon esprit.

Par ces quelques lignes, je désirais lui confier qu’il est des étoiles filantes dont le souvenir magnétique est indélébile.

Lien : Association Anne-Sophie Deval - www.annesophiedeval.com

REMERCIEMENTS

- À David Choisy, chef de cellule d’identification criminelle à la gendarmerie, pour son regard d’expert sur la scène de crime.

- À Fabrice Joncour et aux Sapeurs-Pompiers de la caserne de Quimper pour leurs précieuses informations.

- À André Morin pour son regard avisé sur la procédure de l’enquête.

- À Sylvaine et Lorraine, pour leur lecture attentive de mon manuscrit.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : La cinquantaine passée, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Désabusé sur la société à l’issue de sa carrière à la Cellule-Élysée, il trouve au sein de la brigade criminelle de Quimper une seconde jeunesse, notamment grâce à Sarah, sa partenaire mais aussi sa fille. Mais aussi grâce à la magistrate Dominique Vasseur, sa compagne depuis quelques mois, même si rien n’est simple dans leurs relations intimes.

SARAH NOWAK : 29 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Engagée dans la police pour retrouver son père, originaire de Quimper, elle va le découvrir derrière les traits de son partenaire et mentor Paul Capitaine. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle conserve en elle des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère.

DOMINIQUE VASSEUR : 46 ans, célibataire, substitut du procureur de la République. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle a trouvé en Paul un compagnon solide, d’abord dans le travail, ensuite pour les sentiments. Depuis quelques mois, tous deux vivent sous le même toit, une cohabitation parfois délicate pour deux célibataires endurcis.

ROSE-MARIE CORTOT : 28 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur permanente, le plus de la brigade criminelle par son génie de l’informatique. Et aussi la meilleure amie de Sarah.

RADIA BELLOUMI : 35 ans, commissaire de police. Une surdouée qui s’est trouvée parachutée à la tête du commissariat de Quimper. D’origine maghrébine, malgré son jeune âge, elle va obtenir le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka.

CAROLE MORTIER : 42 ans, divorcée, une fille de 13 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux. Elle vient de renouer avec son ex.

Blaise JUILLARD : 28 ans, célibataire, lieutenant de police. Son père est l’un des pontes du Quai des Orfèvres, le fils ne possède pas son étoffe. Si son air nonchalant lui a valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de flair et de vivacité d’analyse.

RONAN FEUNTEUN : La cinquantaine, divorcé, journaliste et patron de l’agence quimpéroise d’Ouest-France. Camarade de jeunesse de Paul Capitaine. Entre eux, un accord tacite : le journaliste transmet ses informations au policier ; en échange, celui-ci lui réserve la primeur du résultat des enquêtes.

ISABELLE et JEAN-LUC CONFORT : La cinquantaine tous deux, patrons du Colibri, un bar-tabac situé en face du commissariat, un peu “l’annexe” de celui-ci. Ils se retrouvent souvent au centre des enquêtes, par les discussions animées dont ils sont les témoins.

COLETTE ARNOULT : 44 ans, mariée, deux enfants. Agent d’amphithéâtre à l’hôpital de Quimper. Colette est la sœur de Paul. Mariée à Rémy, informaticien, mère de Quentin et Melody, elle est l’assistante du médecin légiste de la ville.

JULIE VARAIGNE : 32 ans, célibataire, secrétaire du substitut Vasseur. Grande blonde élancée, elle fut la maîtresse de Paul. Franche, loyale, à l’écoute des bruits de couloir, elle met souvent, même involontairement, le policier sur la bonne piste. De plus, Julie est un fin cordon-bleu.

PROLOGUE

Les lundis matin n’incitent pas souvent à l’entrain et au dynamisme. Certains encore moins que d’autres. Comme celui-ci, l’un de ces lundis de novembre balayés par une pluie glaciale que nous apportait de Scandinavie un vent du nord particulièrement agressif. Le temps de passer du confort d’un habitacle de voiture chauffé au refuge du commissariat, un grain m’avait glacé jusqu’aux os, traversant toutes les couches de mes vêtements et peut-être même ma peau. Il me faudrait bien une demi-journée pour me réchauffer, en passant un maximum de temps à côté du radiateur du bureau.

Le week-end avait déjà été gris et sinistre ; nous avions pourtant décidé de le passer dans notre maison de Bénodet, dans l’espoir d’éclaircies qui nous permettraient de nous dépoussiérer les neurones à l’air du littoral, par une marche revigorante de la pointe Saint-Gilles jusqu’au phare du Coq et retour. Un itinéraire connu de bien des Quimpérois qui ralliaient l’embouchure de l’Odet au premier rayon de soleil, heureux de se balader devant l’un des plus beaux paysages du pays et aussi de rencontrer des connaissances pour palabrer un peu. Hélas, durant ce week-end, point d’éclaircie, pas la moindre embellie, l’horizon était demeuré désespérément bouché, un paravent opaque de nuages d’acier nous privant même de la vue des Glénan, au lointain.

Voilà pourquoi nous étions restés installés devant la cheminée, Dominique et moi. Pour sa part, Sarah avait accompagné Rose-Marie, l’avocate Joëlle Compan et l’inénarrable Blaise Juillard à un concert de Superbus, le groupe pop-rock français emmené par Jennifer Ayache, le samedi soir, à la salle de la Cité à Rennes. Ils avaient loué deux chambres dans un hôtel du centre-ville – j’imaginais aisément la répartition du groupe – et allaient y passer le dimanche à traîner dans les rues et les pubs proposant des animations.

Les fesses collées au radiateur du bureau, je revoyais la scène déjà classique de nos soirées en duo : fidèle à mes lectures habituelles, j’avais attrapé mon France-Football et je lisais, ou relisais plutôt, les analyses comparatives de Messi et Cristiano Ronaldo à propos de la remise du Ballon d’or. Installée dans le second fauteuil, celui-là à la droite de la cheminée, Dominique avait troqué ses habituels pavés pondus par de prolixes auteurs américains, pour se plonger dans des dossiers qu’elle feuilletait frénétiquement avant d’en noter des passages sur un bloc-notes posé sur l’accoudoir. Avant de passer à la page des résultats des championnats étrangers, je m’étais hasardé à un commentaire évasif en tournant la tête vers ma compagne :

— Tu m’avais promis de ne pas apporter de dossiers de travail à la maison, le week-end ! Tu n’as pas pu t’empêcher d’en planquer un dans tes bagages, c’est plus fort que toi…

— Tu n’y es pas du tout, il ne s’agit pas d’une affaire à traiter, mais de quelques documents que j’ai récupérés sur Internet. Des témoignages de femmes qui sont devenues mères bien après leurs 40 ans. En fait, j’ai la confirmation de ce que je pensais : avec les avancées de la science, c’est possible et sans trop de risques. Pas une seule ne regrette d’avoir franchi le pas.

— Et tu te vois, à 50 balais, aller chercher ton môme à la sortie de l’école ? Pas moi ! Ce truc-là, c’est bon pour les cougars qui s’amourachent de gigolos en pleine force de l’âge, ce qui n’est ni ton cas ni le mien !

— Tout de suite c’est non, avec toi ! s’était emportée Dominique, bougonne, en ôtant ses lunettes pour me fusiller du regard. Pas de dialogue possible, pas le moindre espoir d’envisager seulement l’hypothèse d’un cas de figure favorable. De toute manière, je ne te demande rien, je défriche le terrain, c’est tout.

Depuis que nous avions évoqué le sujet, quelques semaines plus tôt, nous étions en total désaccord. Je comprenais le désir de maternité de Dominique, mais je le jugeais irréaliste et pas seulement en raison de risques possibles. Un enfant changerait radicalement notre vie et avec nos professions sans horaires fixes, c’était une folie. J’avais rappelé à ma compagne qu’elle considérait Sarah comme sa fille et que celle-ci le lui rendait bien. Dominique en avait convenu, elle aimait les moments où toutes deux faisaient les boutiques à Quimper, voire Brest, Nantes ou Rennes, passaient des moments d’intimité qui, selon elle, contribuaient à son équilibre de femme. L’idée avait même germé dans sa tête qu’elle pourrait adopter Sarah, orpheline de mère, pour officialiser l’affection qu’elle lui portait. C’était sans mesurer la place que prenait Beata, sa propre maman, dans le cœur de ma fille. Malgré tout l’amour qu’elle portait à Dominique, jamais personne ne remplacerait celle qui lui avait donné le jour, guidé ses premiers pas dans la vie et à qui elle s’adressait si souvent, les yeux tournés vers le ciel, quand elle se trouvait devant un cas de conscience personnel.

De guerre lasse, sans doute agacée par mon avis arrêté, Dominique rangea ses paperasses, se pencha pour récupérer un dernier best-seller de John Grisham qui se cachait dans le porte-revues, entre le programme de télé et deux magazines féminins achetés par Sarah au gré de sa fantaisie et surtout de l’accroche de la couverture.

Ainsi s’était écoulé notre dimanche de grisaille, sans éclats de voix supplémentaires, sans plaisirs particuliers non plus. Je savais Dominique blessée dans son existence de femme, je ne pouvais cependant oublier que, tous les deux, nous n’étions plus des jeunes adultes débordant de l’énergie nécessaire pour assumer l’éducation d’un enfant et que, par ailleurs, mon substitut du procureur de compagne pouvait se retrouver mutée à l’autre bout de la France, au détour d’une promotion qu’elle méritait largement. Et comment élever un marmot quand l’un des parents se trouve à Dijon et l’autre à Quimper ? À vingt ou trente ans, c’est envisageable, pas à plus ou moins cinquante balais. Du moins, tel était mon raisonnement.

Week-end maussade donc, que le retour de Sarah le dimanche soir avait un peu illuminé, surtout animé au point de nous laisser penser qu’une tempête en mer n’était, à bien y réfléchir, qu’une banale rafale de vent, face au tempérament impétueux de ma fille. Lundi matin maussade aussi, une fois Sarah et moi débarqués devant le commissariat par Dominique qui poursuivait ensuite son trajet vers un palais de justice en plein lifting. Oui, le covoiturage fonctionnait bien dans le Finistère, même au sein d’une famille. Sarah était allée en courant retrouver Rose-Marie dans sa chambre à l’étage du Colibri, sans doute n’avaient-elles pas trouvé le temps de tout se raconter durant le week-end. Quand j’entendis des pas dans l’escalier, je pensai qu’elles arrivaient enfin. En fait, c’était le bleu de l’accueil qui venait m’annoncer qu’un visiteur désirait me parler en personne. Lorsque je lui demandai ce qu’il en pensait, il me répondit seulement que l’homme avait affirmé être un ancien de la boutique. Je lui indiquai de demander à l’inconnu de monter jusqu’à mon bureau. Deux minutes plus tard, celui-ci se pointait dans le couloir, regardant les pièces et les murs, sans doute étonné des changements ou, peut-être, à l’inverse, déçu de constater que rien n’avait réellement bougé. Je me présentai en lui proposant de s’installer sur la chaise qui me faisait face, il m’emboîta le pas. Je regagnai mon fauteuil et scrutai le mystérieux visiteur. Il s’agissait d’un solide octogénaire aux épaules de déménageur, à la barbe vénérable, parfaitement taillée, au nez fleuri par les morsures du froid et les excès d’alcool, aux billes encore vives et malicieuses.

— À mon tour de me présenter : Jacques Villenave, un ancien de la maison, près de vingt années passées au commissariat de Quimper, m’annonça-t-il d’une voix caverneuse mais encore bien vigoureuse. J’étais inspecteur à l’époque, maintenant ce grade n’existe plus, je le sais.

— Et que puis-je pour vous, cher collègue ? questionnai-je en approchant de moi une feuille de papier et un stylo.

— Je suis passé vendredi, tes collègues m’ont dit que tu ne serais à ton poste que lundi matin, je voulais te parler personnellement. Voilà, je suis propriétaire d’une petite barque et je pêche régulièrement dans l’Odet. Je taquine le bar, j’en ai même sorti récemment un de cinq kilos. Parfois, je ramène une daurade ou un lieu, ce n’est pas mal non plus. Bref, jeudi dernier, un peu en aval de la baie de Kérogan, à peu près à la hauteur des Trois Tourtes1, mon hameçon est resté coincé au fond.

— Je ne suis pas un spécialiste, mais cela doit arriver souvent, avec les pierres, les algues, sans parler de tous les déchets plus ou moins encombrants qui doivent polluer le cours, me permis-je de suggérer. Je ne vois pas en quoi je puis vous aider…

— C’était un cadavre, Capitaine, j’en mettrais ma main à couper. Tu vois, au début, j’ai pensé comme toi : tiens, encore l’un de ces vestiges de frigo ou de four à micro-ondes que les gens balancent dans l’Odet pour ne pas se compliquer la vie. Mais quand j’ai cherché à savoir ce que c’était, à l’aide de ma rame, le bout s’est enfoncé dans la matière et cela m’a fait penser à une ancienne enquête, un corps qui avait trempé près d’un mois dans la flotte, en baie de Kérogan. C’était devenu un bibendum que l’on perçait du bout des doigts, quand on voulait le toucher. Je te le promets, j’ai encore mon flair, je suis tombé sur un macchabée.

— Et qu’attendez-vous de moi ?

— Comment, ce que j’attends de toi, tu connais ton boulot, non ? grogna mon devancier dans un haussement d’épaules. Tu ouvres une enquête, tu fais appel aux plongeurs de la brigade fluviale pour inspecter le secteur et je suis certain qu’ils découvriront “mon” cadavre dans le périmètre que j’ai délimité sur une carte du secteur. Si tu veux mon avis, pour qu’il ne remonte pas à la surface, il a été lesté de pierres ou de poids de vingt kilos, comme à l’époque de ma première affaire.

— Vous le comprendrez certainement, je dois en référer au commissaire, je ne peux par moi-même prendre l’initiative d’une telle recherche, d’autant que nous n’avons, ces dernières semaines, aucune annonce de disparition sur la région.

— Tu me prends pour un vieux débris qui perd la tête, c’est cela ?

— Pas du tout, répliquai-je en me levant, sinon je vous aurais fichu dehors à coups de pied aux fesses depuis belle lurette, alors que là, je vais prendre le risque de me faire rire au nez par la grande patronne en lui soumettant votre requête.

— C’est vrai qu’à présent, c’est une femme qui se trouve à la tête de la maison, et une jeune, en plus ! Les temps changent…

Je priai le visiteur de m’attendre et je traversai le bâtiment pour aller toquer à la porte du bureau de Radia. Personne ne répondit. Des bruits de pas dans mon dos m’incitèrent à me retourner. C’était elle, un gobelet de café à la main, qui maugréait pour la forme qu’elle ne pouvait même plus démarrer sa semaine en douceur. Elle me fit la bise, pénétra dans son antre, posa le gobelet fumant sur son bureau, se départit de son long manteau bleu marine, sans lequel elle ne serait plus elle-même, ramena ses cheveux frisés en arrière avant de les fixer à l’aide d’une pince. Elle avala une gorgée et me regarda. Je lui exposai les doléances du vieux collègue. Elle me fixa avec un peu plus de stupéfaction et me demanda ce que j’en pensais. Je haussai les épaules avant de répondre que si je n’avais pas pris ce gars au sérieux, je ne serais pas face à elle.

— Contacter la brigade fluviale, avec si peu d’éléments, cela risque de s’avérer compliqué. C’est tout un pataquès avant qu’ils n’interviennent et si ce gars dit vrai, chaque heure compte, non pour sauver la personne, hélas, mais pour trouver des éléments exploitables à l’autopsie. Je vais essayer de m’organiser avec le chef de brigade des pompiers. Si l’une de ses équipes de plongeurs pouvait vérifier sur site, dans le cadre de leur entraînement, cela nous aiderait. J’espère que ton vétéran est fiable, sinon tout aîné qu’il est, il va entendre parler de moi, tu peux me faire confiance !

L’après-midi, les conditions climatiques n’étaient pas meilleures, encore du vent, toujours de fortes averses à vous tremper en dix secondes, une marée montante qui allait atteindre son plus haut niveau. Nous avions suivi notre guide jusqu’au château de Kerbernez, sur la commune de Plomelin, où une petite crique, que prolongeait un étang, servait d’abri à quelques embarcations de pêcheurs. Comme aux plus beaux jours de sa carrière, Jacques Villenave fournit les indications précises aux pompiers qui venaient de mettre leur canot à l’eau. À l’aide d’un plan, il leur signala la zone délimitée, située dans le chenal, entre le site des Trois Tourtes, sur la rive droite de la rivière, et l’anse de Saint-Cadou, sur l’autre berge.

Moins d’une heure plus tard, le Zodiac revint vers la terre ferme et, d’un geste de la tête, pouce levé, l’un des plongeurs nous confirma l’exactitude de l’intuition de l’ancien policier. Avant de préciser, une fois débarrassé de son équipement, qu’il avait bien repéré un corps féminin lesté de poids de fonte et attendait à présent les ordres pour savoir comment procéder avec ses collègues. J’appelai aussitôt Radia et je ne sus si le « Bordel ! » qui ponctua mon annonce correspondait à une excitation, à l’aube d’une enquête forcément complexe, ou à une exaspération devant de nouveaux soucis en perspective face à une affaire qui démarrait de manière plutôt tordue. Elle prit un temps de réflexion, toujours très court chez cette femme, dotée d’un esprit d’une vivacité stupéfiante.

— J’avise d’abord Dominique de la situation et, dès que j’ai obtenu son aval, je préviens immédiatement le médecin légiste. Surtout, ne sortez pas le corps de l’eau avant qu’il ne vous l’ordonne ! décida la patronne de sa voix la plus grave. Sa présence sur les lieux est indispensable pour qu’il effectue les premières constatations, peut-être les seules possibles. Si le corps a baigné dans l’eau depuis plusieurs jours, il ne lui restera plus beaucoup d’éléments exploitables pour la suite, je le crains…

— Donc, on attend son arrivée avant de lancer l’opération ?

— Les plongeurs peuvent tout de même rapprocher la dépouille de la rive, après l’avoir délestée, mais avec précaution pour ne pas la présenter en charpie. Ceci dit, ils connaissent leur boulot et même s’ils ne sont pas aussi compétents que des TIC2, ils ne vont pas faire n’importe quoi. Naturellement, une fois le corps récupéré, tu prélèves des morceaux de liens et les poids en fonte pour analyses.

Il fallut une heure au praticien et à son assistante, ma sœur Colette, pour nous rejoindre sur les bords de l’Odet. Le docteur Sapin – un nom adapté pour un médecin légiste, d’autant que son prénom était Noël – s’inquiéta aussitôt de savoir si le corps se trouvait toujours dans l’eau. Il réclama une combinaison à l’un des pompiers car il voulait absolument le visualiser encore immergé. Dans son sillage, Colette pestait contre la boue qui crottait les bottes en caoutchouc dont elle avait pris soin de se munir, comme du K-way dans lequel elle s’emmitoufla très vite en se moquant totalement de son apparence féminine. Elle n’était pas là pour un défilé de mode, mais sur une scène de crime. Elle qui se plaignait si souvent de ne jamais quitter le labo, cette fois, elle était servie.

Installé près de moi, Jacques Villenave ne perdait pas une miette des événements. Loin de lui l’idée d’une quelconque autosatisfaction, il humait l’atmosphère d’une scène de crime, partageait la fébrilité ambiante des équipes, éprouvait dans la gorge la sensation particulière de tout flic quand une affaire d’importance s’annonce, et rajeunissait simultanément de quelques décennies. Il était redevenu l’enquêteur d’hier, les sens en alerte comme un chat prêt à bondir sur sa proie.

Je sentis qu’il me fixait, je tournai mon regard en sa direction.

— Il ne t’est jamais arrivé de te trouver en face d’événements qu’il te semble avoir déjà vécus ? C’est ce que je ressens en cet instant, le destin me repasse un vieux plat devant le nez. Je me retrouve vingt-deux ans plus tôt, devant une affaire similaire. Un corps féminin découvert en baie de Kérogan lors de l’une de ces journées de nettoyage de l’Odet, auxquelles des jeunes de la ville, des membres d’associations et de nombreux bénévoles participaient, à marée basse. Un groupe avait découvert le cadavre dans la vase, lesté de poids de fonte ; cela faisait certainement plus d’un mois qu’il se trouvait là, la boue l’avait recouvert, il ne ressemblait plus à rien.

— Chaque fois que l’on retrouve un noyé, c’est un peu la même situation, répondis-je évasivement, soucieux de ne pas m’étendre sur cette évocation morbide. Enfin, les corps ne sont pas toujours lestés de fonte… Il s’agit le plus souvent de noyades accidentelles ou de suicides.

— Ce cadavre se trouvait dans un tel état de putréfaction que le médecin légiste n’avait rien pu en tirer d’intéressant pour ses analyses. Jamais la malheureuse n’a pu être identifiée. On pouvait seulement émettre des hypothèses, en fonction de femmes qui avaient disparu les mois précédents, sans jamais réussir à établir un lien entre ce corps et l’identité de l’une des disparues de la région. Une attente particulièrement difficile pour les parents de ces mômes… Cette affaire restera mon plus cruel échec, en un peu plus de trente années de carrière. Tu comprends mieux pourquoi je savais que je ne me trompais pas…

— À mon tour de relever le défi et de parvenir à donner un nom à la victime de ce jour, répondis-je, volontairement positif dans mon timbre de voix, tout en suivant de loin les gestes lents et précis du médecin légiste dont Colette enregistrait les commentaires sur un petit magnétophone, premier bilan des constatations qui serait ensuite retranscrit sur informatique. Espérons qu’avec les progrès permanents de la science, notamment dans le domaine médical, les moyens informatiques dont nous disposons de nos jours, les recoupements de fichiers, je ne ferai pas chou blanc… Par expérience, je sais qu’il est beaucoup plus difficile d’identifier un corps qui a séjourné dans l’eau depuis plus d’une semaine, malgré les technologies nouvelles. Mais comme je suis d’un naturel optimiste…

Le praticien donna des consignes précises aux pompiers pour extraire le corps de l’eau avec méticulosité, de manière à le récupérer en un seul morceau. Du moins en ce qui concernait le squelette, vu que chair et peau partaient déjà en lambeaux répugnants. Un véhicule des pompes funèbres était arrivé entre-temps sur les lieux, pour transporter la dépouille vers l’Institut Médico-Légal, dans les plus brefs délais, car telle était la procédure. Le brancard supportant le corps placé dans une housse mortuaire y fut installé, le praticien le suivait de près avant de s’installer dans le fourgon, près de son “client”. Colette s’approcha de moi avant de rejoindre son véhicule, convaincue que j’allais la questionner pour une première approche du cas. Elle n’avait pas tort et anticipa mon intervention, me connaissant par cœur :

— Pour l’heure, mon patron peut juste affirmer qu’il s’agit d’une femme de type caucasien âgée de 30 à 50 ans. Elle a séjourné dans l’eau depuis au moins quinze jours, mais peut-être bien davantage, ce qui va rendre notre travail plus complexe. Il nous sera déjà très difficile, voire impossible, de savoir si la victime était morte, quand on l’a balancée dans l’Odet, d’autant que la peau des pieds et des mains s’est déjà décomposée. Une chance pour mon patron, nous sommes en saison hivernale, ce qui accroît la période durant laquelle il nous sera possible de pratiquer des analyses, sitôt le corps arrivé au labo. Il a déjà prélevé des bouts de muscles et d’os, pour des analyses ADN.

— Il vous sera quand même possible de l’identifier, cette mystérieuse femme ?

— On pourra miser sur la prise d’empreintes dentaires par l’odontologiste, dès que nous posséderons quelques éléments supplémentaires sur la victime, mais plus sûrement, sur une étude des vêtements de cette femme. Avec un peu de chance, l’un portera une marque distinctive, même si, de nos jours avec les boutiques franchisées, nombre d’entre eux se trouvent partout. Nous pratiquerons aussi un examen anthropologique du squelette, malgré son état de décomposition avancée.

— Tu me tiens au courant dès que vous avez du nouveau ? questionnai-je stupidement.

— Non, je garderai les infos pour moi, comme d’habitude ! répliqua Colette en se débarrassant de ses bottes de caoutchouc puis de son K-way, avant de remettre ses chaussures de ville et de s’installer au volant de sa voiture. Mais je te préviens tout de suite, vu l’état de décomposition du corps, nous n’allons pas t’apporter beaucoup d’éléments exploitables. Cela, tu le savais déjà, j’imagine…

Colette démarra aussitôt, décidée à rattraper le fourgon mortuaire avant l’arrivée à l’hôpital. Les pompiers rangèrent leur matériel, à la fois satisfaits de ne pas avoir effectué un déplacement pour rien, même si cette opération aurait pu constituer un entraînement sur zone, et marqués par la vision de ce corps déjà attaqué par les poissons et crustacés. Car, comme me l’avoua l’un d’eux, même après des années d’expérience, il était impossible de faire une telle découverte sans que cela ne remue les tripes pendant des heures. Je les remerciai sincèrement de leur intervention si professionnelle, comme d’habitude. Le chef du groupe posa une main complice sur mon épaule comme s’il cherchait à dire qu’à présent, le plus dur me revenait : remonter jusqu’au criminel.

— Bon, maintenant, que fait-on ? m’interrogea Jacques Villenave, le plus guilleret d’entre nous.

— Comment cela, que fait-on ? rétorquai-je, sidéré par son aplomb. Vous, vous rentrez chez vous, vous retournez tranquillement à vos occupations de retraité. Moi, je vais agir comme toujours lorsque je me trouve confronté à un meurtre de ce type. D’abord en consultant le registre des disparitions sur le plan national car, de nos jours, on peut buter quelqu’un à Menton et se débarrasser du corps à Quimper. Puis je vais parcourir le fichier des maniaques sexuels parce que, le plus souvent, quand une femme est éliminée, si cela n’est la conséquence d’une histoire d’amour qui a mal tourné, il s’agit d’une mauvaise rencontre. Et nous possédons un fichier des spécialistes de la région… Ensuite, je vais attendre les premières conclusions du légiste et, si possible, établir une fiche signalétique et un portrait-robot de la victime, d’après les éléments anthropométriques recueillis, que nous ferons circuler. Peut-être se trouvera-t-il un pékin capable de reconnaître notre mystérieuse femme…

— Il n’est pas question que tu me débarques ainsi de cette affaire, petit ! s’emporta le retraité en m’agrippant par la manche de mon blouson, presque menaçant. Il ne se trouvera pas une autre personne plus compétente que moi pour te seconder, je connais cette rivière comme ma poche, mais aussi les habitués des lieux, les pêcheurs amateurs, les plaisanciers locaux, les randonneurs adeptes des sentiers des bords de l’Odet. Et puis, deux fois le bec dans l’eau sur des affaires si proches, je ne le supporterais pas !

— De toute manière, cette décision non plus n’est pas de mon ressort, Villenave. Il me faut en référer à ma patronne. Je dois la rencontrer pour lui faire part des premiers éléments, si vous le désirez, vous m’accompagnez à son bureau et là, tâchez de vous montrer convaincant, car la partie n’est pas gagnée d’avance. Enfin, pour que tout soit clair entre nous, j’ai déjà mon équipière, nous avons l’habitude de fonctionner ensemble.

— Je sais, ta fille !

— Flic un jour, flic toujours, vous avez même enquêté sur moi !

— Non, je suis juste abonné au Télégramme, je lis vos exploits, pourquoi crois-tu que j’ai réclamé à te parler personnellement ! Tu es le meilleur !

— Donc, si la commissaire accepte votre candidature, on peut toujours rêver, voici mes conditions : nous deux, Sarah et moi, en première ligne, et vous, dans notre sillage, vous observez, vous écoutez, vous analysez et, quand nous sommes entre nous, alors vous pourrez nous livrer votre point de vue…

— C’est absolument comme cela que j’envisageais notre collaboration. Je vais appeler Josette pour lui dire que je suis sur une grosse affaire et que je risque de ne pas rentrer pour l’heure du dîner, cela va la rajeunir de vingt ans, elle aussi. Josette, c’est ma femme !

— Sans blague, je ne l’aurais pas imaginé une seconde…

Naturellement, devant l’insistance du vieux grognard, après avoir scruté du regard ma réaction, Radia finit par accéder à sa demande. La recrue d’expérience pensait avoir accompli le plus dur, mais Villenave ne connaissait pas encore Sarah. Comme je lui présentai l’affaire, puis notre ancien collègue qui avait repéré le corps au bout de sa canne à pêche et ponctuai mon speech par l’annonce du précieux concours d’un élément d’une telle expérience pour nous épauler, Sarah eut exactement la réaction que je craignais :

— Tu plaisantes ou quoi ? Regarde-le, il peut à peine se traîner, moi je ne suis pas payée par l’État pour servir de garde-malade à un vieux croûton qu’il va falloir aider à s’installer à l’arrière de la bagnole ou encore…

— Dis-moi, Capitaine, ta drôlesse, tu l’as élevée comment ? coupa le retraité, rouge de colère, lèvres tremblantes. Pas dans le respect des anciens, visiblement ! Parfois, il y a de bonnes fessées qui se perdent…

— Et c’est toi qui me la donnerais, peut-être ? hurla Sarah en étouffant d’un rire excédé. Même pas en rêve, vieux pervers ! Je te signale d’abord que tu t’adresses à un officier de police judiciaire, alors un peu de respect !

— Un peu de respect, c’est la meilleure, celle-là, c’est le monde à l’envers ! rétorqua Villenave, prêt à bondir sur ma fille. Qui m’a traité de vieux croûton, voilà trente secondes ? Et toi, tu ne dis rien ?

— C’est ce que l’on appelle un choc de générations, bredouillai-je, embarrassé, le sourire un peu crispé, dans deux jours, vous serez inséparables et je ne compterai plus pour vous. Du moins, si vous parvenez à passer demain ensemble sans que l’un ne tue l’autre, ce qui n’est pas gagné, apparemment.

1 Les Trois Tourtes : selon la légende, des pains transformés en rochers par saint Cadou, ermite de Gouesnach, pour punir la femme du passeur qui lui en avait refusé l’aumône.

2 TIC : Techniciens d’identification criminelle, pour certains spécialisés dans le milieu subaquatique.

I

Le mardi matin, la tempête s’était enfin calmée. Je veux dire dans le ciel, car dans le crâne de Sarah, il était encore inconcevable qu’un vieil acariâtre lubrique lui file le train à longueur de journée, pour baver sur son popotin. Je me demandais comment cela allait se passer, vu que Jacques Villenave faisait déjà les cent pas dans le bureau de Carole, notre chef de groupe, quand nous arrivâmes tous deux à la boutique. Rose-Marie se trouvait installée derrière son ordinateur, comme presque toujours. Sarah passa devant elle sans un regard, tout à sa colère. De son côté, Blaise était parti la veille en région parisienne suivre un stage d’une semaine pour une formation aux techniques scientifiques, ce qui réduisait notre équipe. Une chance, rien d’important sur le feu, hormis l’enquête qui débutait. Radia avait dû briefer Carole ; en effet, celle-ci occupa un long moment le terrain de la parole avant de répartir les rôles :

— Rose-Marie, tu vas te coltiner toutes les recherches sur les disparitions dans la région, qui pourraient correspondre à notre victime. Dès que nous découvrirons des éléments nouveaux, cela te permettra d’affiner les résultats. Colette a téléphoné. Elle voudrait nous voir à l’IML, son patron a du nouveau. Seulement, comme il paraît que ce n’est pas beau à voir et qu’il faut avoir le cœur bien accroché, Jacques Villenave pourrait accompagner Paul, tandis que toi, Sarah, tu pourrais m’aider à…

— J’en ai vu d’autres, des cadavres, coupa Sarah, virulente, je peux très bien les accompagner dès le début puisqu’il paraît que nous devons faire équipe tous les trois, désormais.

— Bon d’accord, concéda Carole, faussement soucieuse, mais si tu ne supportes pas la vue de ce corps en lambeaux, tu sors de la salle immédiatement. Il n’y a pas de honte à avoir la gerbe devant un tel spectacle, moi-même je serais incapable de…

— Ne te fais pas de souci pour moi, tout va bien se passer, promit Sarah tout en sortant les clés de la voiture de la poche de son blouson de cuir. Bon, les garçons, vous êtes prêts, on a un cadavre à identifier, je vous le rappelle !

Noël Sapin n’était pas un bavard. La cinquantaine bien tassée, il se complaisait au milieu de ses analyses, jonglait avec le jargon scientifique du métier, possédait une patience d’ange pour faire parler un bout de peau ou de bidoche, mais il possédait un défaut rédhibitoire aux yeux d’un OPJ, il était dénué du plus mince esprit de synthèse. Selon lui, tout était dans le rapport, et les siens ne comportaient jamais moins d’une quinzaine de feuillets qu’il nous fallait ingurgiter sans forcément en comprendre le sens véritable. Par chance, Colette était dotée d’un stoïcisme à toute épreuve et aussi d’un certain don pour capter la parole sans que son patron en prenne ombrage. Et son résumé nous convint :

— Voici ce que les premières analyses nous ont permis de déceler ou de confirmer. D’abord pour les critères d’orientation : notre victime est une femme de type caucasien d’environ 40 ans, d’une taille d’un mètre 60, d’un poids de 48 kilos, à la chevelure brune pouvant tirer sur l’auburn. Une chance, malgré le décollement du cuir chevelu, il restait encore une touffe de cheveux à l’arrière du crâne. Par contre, l’examen microscopique n’a rien donné, le prélèvement de l’humeur de l’œil a été impossible pour les raisons que vous savez, et nous ne possédons pas encore les résultats des examens du squelette. Nous avons adressé un morceau de cinq centimètres de fémur congelé au laboratoire de Rennes et les analyses ne nous arriveront pas avant cinq jours.

— Si je te suis, tu nous as fait monter jusqu’à l’hôpital pour deux ou trois renseignements que tu aurais pu nous transmettre par mail, gloussai-je par impatience.

— Non, ce n’est pas tout, que ceux qui le désirent me suivent près du corps, ou plutôt de ce qui en reste. J’ai affaire à des courageux, c’est bien. Première information intéressante ; si cette femme avait à ses doigts des bagues qui lui ont certainement été enlevées par son assassin, elle ne portait par contre pas d’alliance à l’annulaire, ce qui tendrait à laisser penser qu’elle n’était pas mariée. Par ailleurs, ce coup sur la tempe qui a laissé un hématome peut signifier qu’elle a été frappée avec un objet contondant et qu’elle a donc été assommée avant d’être jetée à l’eau. Mais de cela, nous ne pouvons être certains. Elle a pu aussi tomber sur un rocher dans sa chute, ou encore recevoir un coup de pagaie avant de rendre son dernier souffle…

— Et pourquoi pas celui adressé par notre vénérable collègue, pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une épave de frigo ? questionnai-je en me tournant vers Villenave.

— Il est vrai que j’ai appuyé sur le corps avec le bout rond de ma rame, bredouilla le vétéran, presque comme une excuse. Mais je n’ai pas senti la résistance d’un os.

— Vous savez, après un séjour de quinze à vingt jours dans un milieu hydrique à fort dosage de sel, la résistance d’un os équivaut à celle de la chair, répliqua Colette, sans accabler son interlocuteur. Mais si cette marque avait été causée post mortem, nous ne serions pas en présence d’un hématome.

— Peux-tu savoir si elle a été violée ? interrogea Sarah, pâle comme un linceul, mais encore parmi nous.

— Non, nos analyses ne nous permettent pas de le diagnostiquer. Par contre, avec une recherche de diatomées dans les organes – il s’agit d’algues microscopiques résistant à la putréfaction – nous pourrions savoir si elle est morte noyée ou si elle a été tuée avant son immersion. Mais cela aussi va prendre du temps.

— Et pour les bases d’un éventuel portrait-robot ? poursuivis-je avec l’espoir de pouvoir lancer la recherche la plus précise possible.

— Ce sera possible, puisque le crâne est quasiment complet, mais sûrement pas immédiat. Il existe bien des procédés modernes, hélas pas à Quimper. Mon patron se renseigne. Dès que nous obtenons un accord, nous adresserons le squelette de la tête pour une reconstitution faciale. Nous attendons l’odontologue pour l’analyse dentaire. Si cette femme était soignée par un spécialiste, il se pourrait qu’elle possède un dossier, seulement sans indication précise de sa région d’origine, cela va représenter un travail de Romain. Nous allons déjà lancer une recherche sur la région bretonne auprès de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, mais si cette femme n’était pas une habitante du secteur…

— Bref, nous piétinons, murmurai-je, un peu découragé.

— Ensuite, il restera le résultat de l’analyse génétique par un spécialiste qui doit arriver de Rennes, poursuivit Colette, plus pugnace que moi. Il faut comparer l’ADN avec les relevés du FNAEG1, en espérant qu’il y figure, ou au moins celui d’un proche, père, mère, enfant, frère ou sœur. Déjà, vous possédez une bonne fiche signalétique ; une femme brune d’une quarantaine d’années, d’un mètre 60 et de 48 kilos, qui a disparu depuis quinze à vingt jours, même peut-être un peu plus. Il ne doit pas en exister des milliers en Bretagne, ni même en France. Ah, j’allais oublier l’essentiel, la victime portait sur l’épaule un tatouage que j’ai pu en partie reconstituer à partir d’un amalgame de peau et de chair. À mon sens, ce serait un papillon.

— Un papillon sur l’épaule, cela me fait penser à un film de Jacques Deray avec Lino Ventura, soupirai-je, un tantinet goguenard et désireux d’alléger l’atmosphère.

— Ce que je sais, c’est que cela va vous aider dans votre recherche, exprima Colette, à fond dans son affaire. Lorsque cette femme se trouvait en maillot ou en débardeur, un tel tatouage ne devait pas passer inaperçu.

De retour au bureau, je demandai à Sarah de préparer l’avis de recherche et de le diffuser aux collègues du pays, aux gendarmeries, mais aussi aux médias de la région, à la presse écrite surtout. Il se trouverait peut-être une personne qui aurait remarqué une femme correspondant à ce profil, même si le risque était de nous trouver submergés d’appels sans intérêt. D’autant qu’en cette saison hivernale, la victime ne devait pas exhiber ses épaules, donc son joli papillon… RMC se proposa de le diffuser aussi sur les réseaux sociaux, cela pourrait s’avérer efficace. Elle nous apprit que Carole était partie avec un bleu questionner un aviculteur de Plomelin, Michel Constant, parce qu’il possédait un casier judiciaire, après avoir abusé d’une jeune femme, voilà une vingtaine d’années, dans la région de Vitré. Même s’il semblait se tenir à carreau depuis lors, le fait que son exploitation avicole se situe non loin du lieu de la découverte du cadavre, avait mis la puce à l’oreille de notre chef de groupe, attentive aux coïncidences.