Mort sur Erdre - Bernard Larhant - E-Book

Mort sur Erdre E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Nadège Pascal et Philippe Bory parviendront-ils à démêler les magouilles de ceux qui agissent dans l'ombre ? 

Dans la prison de Nantes où elle est infiltrée, la magistrate Nadège Pascal passe des heures très difficiles. Elle doit partager sa cellule avec une boxeuse violente et tyrannique. Un douloureux imprévu qui compromet ses plans.
Pendant ce temps, Philippe Bory apprend que le corps d'un proxénète serait caché depuis des années sous une dalle de la Maison de l'Erdre, sur l'île de Versailles. Stark, la victime, était alors en rivalité avec Régine Parizeau, alias la Reine, elle aussi incarcérée à Nantes. Mais si la Reine est bien la commanditaire du meurtre de Stark, qui sont ces gens qui, dans l'ombre, œuvrent à retarder le travail des policiers et surtout, qui donne les ordres ? Plus qu'un corps, Bory et son équipe vont découvrir un nouveau pan du sulfureux passé nantais.

Une enquête haletante qui vous transportera au cœur de la ville de Nantes pour y révéler ses secrets enfouis.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine, et de sa fille Sarah.

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Stéphanie et Renan, elle Bordelaise, lui Nantais, qui se retrouvent dans deux des lieutenants de l’équipe de Philippe Bory.

Merci pour votre précieuse amitié et bon vent à tous deux.

REMERCIEMENTS

– À André Morin pour son regard de policier, même si ces romans restent de la fiction.

– Au journaliste Stéphane Pajot, mémoire vivante de Nantes, pour les anecdotes qu’il m’a autorisé à publier dans les pages qui vont suivre.

– À mon collègue, auteur et ami Rémi Devallière, pour ses précisions dans le déroulé des scènes médicales de l’histoire.

LES PRINCIPAUX PROTAGONISTES

NADEGE PASCAL : Avocate quadragénaire au fort tempérament et au passé mystérieux, s’est donné pour mission de révéler les méfaits de certaines familles intouchables de la ville de Nantes. Mais prise à son piège, elle se retrouve en prison avec l’une de ses cibles, Régine Parizeau, et y vit des jours difficiles. Ce qui ne l’empêche pas de tirer encore quelques ficelles, car elle a de la ressource et un contact régulier avec le commandant Philippe Bory.

PHILIPPE BORY : Commandant de police renvoyé après avoir été piégé, il est réhabilité grâce à Nadège. Il partage à nouveau la vie de son ex, Solenn Mayeur et de leur fille Morgane. Avec le soutien inconditionnel du procureur Potel, il peut rassembler une équipe chargée de creuser le contenu de vieux dossiers mis au jour par l’avocate. Autour de lui, on trouve son fidèle équipier, Cédric Cazal, Domitille de La Bauxière, issue d’une famille de notables, Renan Le Cunff, un jeune Breton et Stéphanie Bordage, la nouvelle recrue.

LA FAMILLE DE LA BAUXIÈRE : Édouard, le patriarche, en mauvaise santé, a laissé les rênes du groupe familial à son fils Gonzague. Avec son épouse Bertille, ils sont aussi les parents de deux filles : Domitille, devenue policière, la rebelle de la famille et Guillemette, la benjamine couvée et programmée pour bientôt épauler son frère.

REGINE PARIZEAU : l’ancienne reine des nuits nantaises est tombée pour proxénétisme et surtout pour meurtre. Un crime qu’elle prétend ne pas avoir commis.

Elle purge une lourde peine de prison. Elle a trois enfants : Aymeric, expert-comptable, Baptiste nouveau golden-boy en apprenant qu’il était le fils illégitime d’un riche patron de BTP et enfin Coralie, versée dans la communication.

Tous trois n’ont qu’une idée : prouver l’innocence de leur mère.

LE CLAN TOURAINE : Si la famille Touraine est décimée à la suite de la dernière enquête du groupe Bory, elle possède des ramifications. Bertrand Combesson, expert en art mondialement reconnu, en est désormais le chef. Discret et influent, il est dans le collimateur de Nadège et du groupe Bory. Combesson est défendu par deux jeunes avocats aux dents longues, Julien Delapart et Marie-Flore Balaguer.

MARINA KAPPEL : Juge d’instruction d’une cinquantaine d’années, est un personnage ambigu dont les liens avec le milieu local ont été avérés, mais qui reste à son poste, par bienveillance et grâce à ses relations. Bien que ses agissements restent sous surveillance permanente, elle bénéficie cependant d’une relative confiance de la part de Philippe Bory et Nadège Pascal.

PROLOGUE

Lundi 8 mars 2010, 9 heures – Bureau du procureur Pierre Potel – Palais de justice, Nantes

Après les événements retentissants des semaines précédentes, l’atmosphère n’est pas vraiment à l’optimisme entre le magistrat du parquet et le commandant Philippe Bory, policier en charge – avec son groupe – du dossier Touraine. Les documents sulfureux retrouvés lors de la perquisition, dans la pièce secrète du manoir de la Perdrière, livrent leurs secrets au compte-gouttes. Et pour cause : les effectifs sont insuffisants, mal formés pour les analyser. Et puis, comment synthétiser, en quelques jours, plus de soixante années de travail inlassable et minutieux de détectives privés qui ont, jour après jour, espionné chaque membre des plus influentes familles de la ville ? Tout cela pour répertorier les travers de chacun, les manipulations financières, les tripotages électoraux, les écarts de conduite, les faux pas coupables, les perversions inavouées, les moments de faiblesse. Et ce, le plus souvent, avec documents officiels ou photos à l’appui, pour des chantages plus efficaces. Qui est le mystérieux commanditaire, dont il est même impossible de cerner l’identité ?

Une certitude, ce personnage n’est pas Albin Touraine, le notaire, ancien élu de la ville, puisqu’il n’était pas le propriétaire du manoir à l’époque des faits originaux. Du moins connaissait-il l’existence de cette pièce aveugle puisqu’il avait repris à son compte le chantage sur quelques figures de la ville. Mais aussi procédé à la mise à jour régulière de dossiers relatifs aux écarts de membres contemporains de familles plus anciennes. Le lien semble donc évident avec la famille de son épouse Xavière, les Cordouan, anciens propriétaires des lieux, notamment durant la dernière guerre.

Coupable de l’actuel chantage et de quelques autres forfaits, Albin Touraine se trouve désormais en prison, en détention provisoire après sa mise en examen, mais d’avoir voulu attenter à la vie de la juge Marina Kappel va le conduire derrière les barreaux pour une longue période. Un camouflet pour cette personnalité qui se considérait intouchable, une fin de trajectoire pitoyable pour le sémillant octogénaire qui avait régné sur la ville durant plus de quarante ans. De leur côté, sa femme Xavière et leur fille Sophie, elles aussi mises en examen pour des faits moins graves, se trouvent placées sous contrôle judiciaire avec obligation de ne pas s’absenter de leur domicile hors des motifs autorisés par le juge. Et équipées de bracelets électroniques, système de surveillance particulièrement humiliant pour des femmes de leur rang, même si elles portent leur infamant anneau avec un maximum de discrétion.

Dans l’intervalle entre la présence des Cordouan et celle des Touraine, la propriétaire du manoir était Régine Parizeau, l’ancienne reine des nuits nantaises, qui avait transformé la belle demeure en luxueux lupanar pour parties fines destinées à un public trié sur le volet. En raison de ses hautes relations, elle n’avait jamais été inquiétée jusqu’à ce qu’elle tombe dans un traquenard, se trouve accusée du meurtre de l’une de ses “filles” et prenne vingt années de prison. Il s’est avéré plus tard que Tarim Khoury, un homme d’affaires véreux, avait récupéré le marché du sexe et était en fait, avec l’appui de soutiens dans les milieux policiers et juridiques, l’instigateur du piège machiavélique dans lequel était tombée sa rivale.

Pour revenir aux fameux dossiers sulfureux découverts par les policiers, rien ne prouve que Régine Parizeau ait su un jour l’existence de la pièce secrète où ils étaient cachés, dans le manoir que son mari, Claudius Morat, lui avait offert lors du revers de fortune de Louis Cordouan, le précédent propriétaire. Ce dernier s’était bien gardé d’en faire mention, les acquéreurs ont donc vécu en ce lieu dans l’ignorance de cette cachette, dont le moyen d’accès leur était inconnu. Une pièce qui ne figurait pas sur les plans du manoir, construite sous le plancher de cinq autres salles autour, la bibliothèque, le boudoir, le salon d’apparat, le bureau secondaire et la salle de billard. Cette dernière recelant dans un angle, derrière un petit bar, le système d’ouverture permettant d’accéder à la fameuse cachette par un escalier.

C’est donc la famille Cordouan qui intéresse à présent la Police et la justice car il est vraisemblable que Louis Cordouan, personnage aussi mystérieux que machiavélique, manipulateur de l’ombre car influent mais toujours en retrait, soit le commanditaire et le premier bénéficiaire de ce fichier doublement enrichissant. Un homme au comportement très controversé durant la guerre, qui s’est prétendu résistant mais recevait à sa table les sommités nazies de la région, un double jeu révélé par de nombreux documents d’époque. Pour sauver les apparences, avait-il répondu en guise de justification, lors des interrogatoires, avec assez de persuasion et de soutiens de notables pour passer au travers des mailles de l’épuration, au bénéfice du doute. Certainement aussi grâce à ses moyens de pression sur de nombreux personnages en vue, grâce à ce qu’il savait sur eux ou leurs proches, à la faveur des fameux dossiers secrets de la pièce aveugle.

— Comment cet homme a-t-il pu être aussi important dans la région, et que nous possédions aussi peu d’éléments sur sa vie, sur sa famille, sur ses affaires, sur l’origine de sa richesse ? s’emporte le procureur Potel en consultant les quatre ou cinq feuillets d’un dossier famélique.

— Parce que, malin comme un vieux singe, dès qu’il le pouvait, il effaçait, ou faisait effacer, toute trace de son parcours et de celui des siens dans les papiers officiels, répond Philippe Bory, après avoir siroté son café. Dans les registres de police, dans ceux de l’état civil, dans les archives de la presse locale, dans les documents photographiques et autres cartes postales de l’époque, il faisait opérer un nettoyage permanent et chirurgical. Il avait compris avant l’heure que dans le monde moderne, pour durer, il faut rester dans l’ombre. Ne filtraient que les faits qu’il souhaitait voir demeurer pour la postérité, les images positives, les projets fédérateurs, les médailles et les remerciements officiels.

— C’est bien notre veine, marmonne le magistrat.

— Les quelques informations que j’ai récupérées sont officieuses et émanent de la famille de La Bauxière. Le père de Domitille s’est souvenu de trois enfants au sein de la famille Cordouan : deux garçons, un militaire et un religieux, et une fille, Xavière, devenue plus tard l’épouse d’Albin Touraine. On peut imaginer que celle-ci a voulu récupérer le manoir, non pas pour la beauté du cadre, même si la vue sur l’Erdre est exceptionnelle, mais pour la pièce secrète et les documents confidentiels dont elle connaissait l’existence depuis sa tendre enfance. Il nous faudra l’interroger à ce sujet, mais aussi sur un autre point dont je ne vous ai pas encore entretenu, Pierre. Un nouveau sujet bien ennuyeux et délicat.

— Et de quoi s’agit-il ?

Philippe tend à son interlocuteur l’une des photos de douze fillettes nues, issue d’une série de clichés pris au manoir dans les années 80. Une fois ses lunettes chaussées, le procureur s’en émeut aussitôt. S’il est prêt à encaisser tous les coups bas de la racaille locale, qu’elle vienne des banlieues populaires de la périphérie ou des milieux aisés du centre de la ville, il ne supporte pas que l’on s’en prenne aux enfants. Sa colère qu’il peine à dissimuler, est à son comble et il est soudainement un peu plus fébrile. Plus encore en découvrant les noms des malheureuses, inscrits au dos du cliché, y relevant des patronymes familiers. Une étape de plus dans l’horreur qui lui donne l’envie de vomir. Pâle comme un suaire, il retire ses verres du nez, relève les yeux vers Philippe Bory pour réclamer quelques explications supplémentaires.

— C’est tout récent, je n’en sais pas davantage et en plus, je dois me confesser, Monsieur le procureur. Oui, j’ai enfreint la loi en conservant ces pièces à conviction près de moi. Elles ne figurent pas dans le dossier officiel dont la juge Kappel a la charge. Avant tout pour protéger Domitille et sa famille, puisque cette photo figurait dans son fichier personnel à l’intérieur du dossier de La Bauxière. Et si c’était à refaire, j’agirais de même, par respect pour mon équipière et ses proches, mais aussi pour ses infortunées camarades de la photo. Douze fillettes, douze noms, mais pas de date exacte. Regardez comme les mômes sourient, ces gamines ont certainement été droguées ou saoulées auparavant, pour réagir ainsi, alors qu’on les a forcées à se dévêtir.

— Cela ne vous ressemble pas de dissimuler des preuves, Philippe, mais je dois avouer que j’ignore comment j’aurais réagi, à votre place, aussi je ne vous blâme pas.

— Mon intime conviction est que si Domitille a voulu travailler aux archives de la police, ce n’est pas pour découvrir dans ses ancêtres un possible trafiquant d’ébène, comme elle cherche à nous le faire croire. C’est vraisemblablement pour faire la lumière sur une page de sa vie qui doit lui revenir par bribes, de manière floue et confuse, mais forcément traumatisante. Elle conserve un souvenir diffus de ces instants subliminaux, les morceaux en vrac d’un puzzle qu’elle ne parvient pas à reconstituer.

— Que vous a-t-elle dit de plus, quand vous lui avez montré ces photos ? Elle a dû être atterrée devant la réalité crue de son drame d’enfance.

— Je n’ai pas encore eu le courage de lui faire part de ma découverte, répond le policier, embarrassé. En fait, j’attends le bon moment. Même si je sais que depuis notre inspection du manoir de la Perdrière, elle aura réussi à remettre de nombreuses pièces de son puzzle à leur place véritable et à se faire une idée plus précise de la raison de sa présence en ce lieu, dans sa jeunesse. Néanmoins, je souhaite rassembler plus de renseignements avant de la tourmenter. J’aimerais notamment savoir avec certitude si la scène date de la période Cordouan ou de celle de Régine Parizeau, pour qu’elle puisse mettre le visage d’un ennemi face à sa haine légitime. À une ou deux années près, peut-être même à quelques mois d’intervalle, on change de propriétaire et toute notre enquête en est modifiée.

— Et quel serait le lien avec l’exécution de Tarim Khoury ? interroge le magistrat.

— Certainement aucun, mais nous devons absolument savoir ce qui se passait dans ce manoir, pour le compte et le plaisir abject de qui et faire la lumière sur des pratiques intolérables, soupire le commandant Bory, visage grave.

— Comme pour la mort de Fabienne Van Tan, je vous dirais que vous êtes trop impliqués, votre équipe et vous, pour suivre ce dossier. Et puis, vous avez d’autres chats à fouetter, actuellement. Je peux mettre une autre équipe sur l’affaire.

— Je me permets d’insister, Pierre. Je ne veux pas offrir le passé de Domitille en pâture à nos collègues, dont certains œuvrent peut-être encore pour les personnes que nous voulons faire tomber. L’exposer de la sorte signifierait la violer une seconde fois. Elle et les onze autres fillettes de la photo. Et combien d’autres, peut-être, si ce spectacle grand-guignolesque n’était pas un cas unique. Les clichés passeraient de main en main, seraient reproduits, distribués et Domitille deviendrait l’objet de quolibets blessants et de moqueries vachardes. Voilà pourquoi j’ai conservé les dossiers les plus récents près de moi, laissant à nos collègues tous ceux qui concernent un passé plus lointain. Dans l’équipe, on bossera davantage, les uns et les autres, mais on sera capable de mener les deux dossiers de front, je vous donne ma parole.

— Ce n’est pas une bonne idée, je le sais par avance, mais c’est d’accord, je vous suis, vos arguments sont légitimes et frappés du sceau du bon sens, entérine le procureur, conscient de l’aspect sensible des informations. Je ne veux pas risquer de voir certains pervers se délecter de la mise en circulation de ces photos odieuses.

— Merci beaucoup, Pierre, surtout au nom de Domitille et de ses petites camarades !

— Bon, revenons à ce corps qui serait enseveli dans la dalle de ciment de la Maison de l’Erdre, sur l’île de Versailles, vous pouvez m’en apprendre davantage à propos de ce mystérieux individu ? lance le magistrat, soucieux de changer de conversation pour en arriver au motif premier de la rencontre.

— Les renseignements de la fiche en notre possession sont assez précis pour que seules les trois marches du parvis soient défoncées. Concernant l’identité présumée de la victime, il s’agirait de Jean-Michel Stark, un proxénète notoire, proche de Khoury et rival de Régine Parizeau. Selon la note du carnet de l’avocate Sandrine Lamy, récupéré auprès du corps de cette dernière à Saint-Martin par Nadège, la Reine aurait demandé à ses hommes de main d’exécuter ce traître. Mais rien ne le confirme et c’est par un truand repenti que Nadège a su où se trouvait le corps. Peut-être que ce cadavre sera un peu plus loquace qu’un sbire emprisonné et muré dans le silence. Les technologies avancent et puis, toujours selon Nadège, sa remontée à la surface devrait faire bouger pas mal de lignes, peut-être permettre à certaines langues de se délier, à coup sûr faire sortir certains loups des bois. Vous connaissez la stratégie de Nadège : créer un écran de fumée et voir la réaction des protagonistes autour d’elle, ce qui nous permet d’orienter les recherches dans une direction précise. Pour l’instant, on peut dire que ça nous réussit, non ?

— Philippe, à propos de Nadège, vous avez des nouvelles récentes d’elle ?

— Non, je dois vous avouer que, depuis la découverte de ces documents sulfureux sur le passé sombre de familles nantaises, toute l’équipe y consacre ses journées et une partie de ses nuits. Je n’ai pas pris le temps de retourner la rencontrer, je m’en veux beaucoup, je sais à quel point ces parloirs sont importants pour elle. D’un autre côté, elle ne m’a pas fait passer de message, non plus. Vous savez ce qu’on dit : pas de nouvelle, bonne nouvelle.

— Foutaise que ces phrases toutes faites, s’emporte le magistrat. Pour moi, l’absence de nouvelles de Nadège signifie plutôt inquiétude, figurez-vous !

— Et de plus, pour une raison que j’ignore, depuis une petite émeute au sein de l’établissement, un surveillant m’a expliqué de manière lapidaire que notre parloir hebdomadaire a été supprimé, comme tous les autres de la prison. Pourquoi cette angoisse, vous avez d’autres informations ?

— Eh bien oui, je me fais du souci pour elle, figurez-vous. Mon ami Martial Tranchant, le directeur de la prison, s’est absenté pour une quinzaine de jours, hospitalisé pour une intervention bénigne, programmée de longue date. Son adjoint n’a jamais été disponible pour répondre à mes appels, mais je sais qu’il ne me porte pas particulièrement dans son cœur, pas plus qu’il ne vous apprécie, d’ailleurs. En plus, le surveillant-chef qui protège Nadège est en stage de perfectionnement durant quinze jours, et donc absent lui aussi. Je n’aime pas ces mauvais concours de circonstances, j’ai un mauvais pressentiment… Sans compter que mon troisième réseau ne me donne plus aucune nouvelle, lui non plus, d’où mon souci sans cesse croissant. Je n’aime pas ça alors oui, j’angoisse pour elle.

— De mon côté, j’ai réclamé un nouveau parloir pour m’entendre répondre par mon interlocutrice que, suite à une mesure disciplinaire, les visites aux détenues étaient suspendues jusqu’à nouvel ordre, précise le policier. Cela arrive dans un centre pénitentiaire mais, vous avez raison, l’enchaînement de hasards peut nous mettre en alerte. Je connais Régine Parizeau, elle est capable d’avoir monté un plan pareil pour se débarrasser de Nadège en toute discrétion. À la réflexion, cela ne me dit rien de bon, non plus.

— Et que peut-on faire sans griller son infiltration, si jamais il s’agit d’une fausse alerte ?

— J’ai beau chercher, retourner la situation dans tous les sens, je ne trouve pas une seule idée géniale. D’un autre côté, je me dis que s’il lui était arrivé un drame, j’aurais forcément été prévenu. Ceci dit, comme vous, je serai plus tranquille quand le contact sera rétabli, Nadège est sur le fil du rasoir en permanence. Elle aime cela mais, lors de notre dernière rencontre, je l’ai sentie lasse et soucieuse. Elle a de la ressource, nous le savons tous deux, mais ce n’est qu’un être humain avec ses limites…

— Bon, je vous laisse travailler, Philippe, je vais tenter, par une voie détournée, de reprendre contact avec le sous-directeur de la prison, pour savoir ce qui se passe. Et n’oubliez pas, la priorité, c’est le corps de ce Stark coulé dans une dalle de béton sur l’île de Versailles et la possible culpabilité de Régine Parizeau dans sa disparition. J’ai beaucoup d’affection pour Domitille, moi aussi, mais jusqu’à preuve du contraire, cette tragique affaire de fillettes dévêtues dans un salon du manoir de la Perdrière n’est pas liée au dossier qui nous occupe. Donc, on se focalise sur Stark.

— Bien reçu le message, Monsieur le procureur. Bonne journée et bonne semaine à vous. Et pour Nadège, une idée germe dans ma tête pour en savoir davantage. Enfin, rien de bien évident, pour l’instant…

***

Lundi 8 mars 2010, 9 heures

Centre de détention – 68, boulevard Albert Einstein, Nantes

Rarement, au cours de son existence, Nadège Pascal n’a passé une période aussi difficile que celle qu’elle endure depuis presque une semaine. L’irruption inattendue dans sa cellule de Sacha Makine, colosse de près d’1,80 mètre, boxeuse de profession et tête brûlée par vocation, a bouleversé son quotidien et remis en cause ses plans pourtant méthodiquement planifiés. Elle, d’ordinaire si habile à tirer les ficelles et manipuler les gens pour les inciter à aller dans son sens, n’est plus maîtresse de son destin, du cours de ses journées, du fil de ses secondes. Désormais, c’est Sacha qui fixe les règles, donne les ordres, fait plier l’ancienne avocate à tous ses désirs, la tient en respect. De plus, sa colocataire, mandatée par un mystérieux commanditaire pour obtenir des réponses à des interrogations précises, a posé un ultimatum qui s’achèvera à l’aube du 11 mars par la mort de sa compagne de cellule, si celle-ci ne fournit pas auparavant les explications suffisantes. Et les journées passent si vite même si le temps lui semble long, enfermée en permanence dans cette cellule qu’elle ne quitte plus que pour les repas et les douches.

Depuis la première promenade de la nouvelle venue dans la cour, quand elle était allée se présenter à la Reine, après avoir terrassé les deux cerbères de Régine Parizeau, qu’elle l’avait forcée à se dévêtir devant les autres, avec la mansuétude complice de la surveillante Servane Quinet, Nadège avait senti poindre les soucis. Le directeur absent, le chef également, Servane régnait sur ses jeunes collègues et le sous-directeur avait décidé d’adopter un profil bas, partisan de la politique de l’autruche. Ou lui aussi complice des intrigues que Nadège subodorait.

Elle ne combattait pas dans la même catégorie que la boxeuse qui avait fait mordre la poussière aux gardes du corps de la Reine, deux viragos pourtant impressionnantes. Et que dire de Régine, menée vers l’angle de la cour par le colosse aux impressionnants bras tatoués, pour une discussion d’une petite dizaine de minutes, avant de forcer son interlocutrice à un effeuillage complet en public. Humiliation ultime pour l’ancienne reine de la cour, contrainte de céder la place à sa rivale et de rentrer dans le rang.

Nadège avait perçu des bribes de conversations entre les deux rivales, mais rien de réellement logique permettant de découvrir l’identité du commanditaire qui en voulait à l’ancienne grande prêtresse des nuits nantaises. Elle se souvenait aussi de l’humiliation qu’elle avait elle-même subie de la part de Sacha, la saisissant par le cou pour la bécoter longuement devant les autres filles, histoire de montrer aux autres que la baveuse, elle aussi, lui appartenait. Au grand plaisir de Servane Quinet, la surveillante que l’avocate avait un jour mouchée dans un tribunal, défendant une détenue qu’elle avait rudoyée. Servane avait été sanctionnée pour ce comportement violent. Et comme elle avait une bonne mémoire et qu’elle avait promis à Nadège qu’elle se vengerait…

Nadège avait passé la nuit suivante à penser aux réponses qu’elle fournirait à son interlocutrice, quand celle-ci l’interrogerait sur ses relations avec Philippe Bory ou avec la Reine. Pour celle-ci, pas de problème, leur antagonisme était connu de tous, même si les relations s’étaient améliorées depuis quelques semaines. Pour les visites du policier, c’était plus délicat, mais elle avait une stratégie, élaborée de longue date, pour un cas comme celui qui se présentait. Et le lendemain, lors du premier interrogatoire de Sacha, elle avait dû livrer sa version des faits qui l’avait menée derrière les barreaux. Exercice périlleux quand on ne sait pas dans quel camp joue la boule de muscles qui vous questionne. Mais un gain de temps pour Nadège qui avait décidé de bien détailler les événements, alors que son interlocutrice enregistrait tout sur son poste de radio.

Elle était parvenue à éviter de froisser la boxeuse en lui donnant du grain à moudre, ce fut une autre histoire le soir venu quand, alors qu’elle s’apprêtait à enfiler son pyjama, Nadège fut soulevée comme une crêpe par sa coturne, plaquée sur sa paillasse et forcée, malgré ses gestes désespérés, de s’offrir à l’appétit débordant de sa partenaire de cellule. Elle choisit rapidement de ne pas résister, au risque de se faire massacrer par le colosse, d’autant qu’une fois calmée, elle se révéla plutôt douce et délicate, ce qui s’avérait surprenant pour une sportive musculeuse et tatouée de partout. Comme quoi les clichés, parfois… Et depuis cette première fois, puisqu’il fallait en passer par là, Nadège avait pris l’option de s’offrir et de se plier aux désirs de sa maîtresse, finalement pas trop vicelards. Plutôt brute de décoffrage en matière de pratiques sexuelles, affamée, certes, insatiable même, mais pas le moins du monde perverse ou sadique. Une chance dans le malheur.

Le plus dur, pour l’ancienne avocate, était à coup sûr la privation de promenades, l’impossibilité de respirer l’air frais, de humer l’odeur des livres dans la bibliothèque, de tourner en rond dans sa cage carrée. Et puis aussi d’écouter les commentaires blessants de la colocataire quand elle faisait sa toilette devant elle, autant de raisons de péter les plombs et de recevoir une punition, aussi prenait-elle sur elle-même pour se taire, serrer les poings et encaisser les humiliations sans moufter.

En revanche, chaque soir, Nadège avait le droit, de la part de Sacha, à tous les détails du traitement qu’elle faisait endurer à Régine Parizeau durant les deux heures de sortie dans la cour. Pour la punir de ne pas répondre aux questions précises, notamment concernant les intentions de ses enfants, à présent patrons du groupe Bel Art. Une certitude, cette nana ne bossait pas pour la Reine, ou alors elle cachait bigrement bien son jeu. Mais alors, Khoury mort, Touraine hors du coup, Régine Parizeau au tapis, qui pouvait rester en lice pour fomenter tous ces coups bas ? Nadège avait beau chercher, elle ne parvenait pas à trouver l’identité d’un possible commanditaire.

En ce lundi matin, début du cinquième jour de partage de la cellule, Nadège s’apprête à prendre son mal en patience, comme chaque matin, lorsque Sacha se poste devant elle.

— Il fait quoi au juste, ton flic, il paraît que ce matin, il va tenter de découvrir un corps enseveli dans la dalle de béton de la Maison de l’Erdre, sur l’île de Versailles.

— D’abord, sans te fâcher, je te l’ai déjà dit, ce n’est pas mon flic, c’est le salaud qui m’a coincée à Saint-Martin, alors que j’avais réussi le coup parfait. Et depuis, ce connard me relance en permanence pour tenter de savoir qui m’a aidée à monter ce plan foireux, mais il peut toujours attendre, je ne suis pas une balance.

— Y’a qu’à moi que tu le diras, le moment venu, avant que je ne te quitte, après avoir buté la Reine sous la douche, ma chérie, répond Sacha en serrant la nuque de son interlocutrice, de sa main aussi solide qu’un étau. Tu me le diras pour ne pas crever, ce sera notre secret à toutes les deux.

— Je ne peux pas, je te l’ai expliqué, je suis une avocate et je suis soumise à des règles que je ne peux enfreindre, même une fois radiée, c’est comme ça. Donc, tu me buteras après avoir éliminé la Reine, sans le moindre état d’âme car, de toute manière, pour toi, je ne suis qu’un contrat comme tant d’autres. Tu frappes, tu baises, tu butes, tu oublies !

— En règle générale, oui, réplique la boxeuse, en se collant à Nadège, mais pas toujours. Tu vois, avec toi, j’ai un petit plaisir supplémentaire. Déjà, tu es intelligente et, même si tu as peur, tu ne le montres pas trop, c’est courageux de ta part. Ensuite, tu es bandante, mine de rien, et ça ne gâche rien, vois-tu. Pas canon physiquement, mais bandante, je ne sais pas si tu vois la différence.

— Vas-y, développe !

— T’es pas un mannequin de défilé, mais tu as un truc qui te rend attirante, c’est tout. Tu n’es pas mieux depuis que tu as balancé les soutifs, regarde comme c’est bon de se chatouiller du bout des tétons, pas vrai ?

— Si tu le dis ! bredouille l’avocate, pas très à l’aise.

— Nadège, il a quoi dans la tête, ton flic ? Ne m’oblige pas à te frapper, j’ai besoin d’une réponse et c’est urgent !

— La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a, alors moi qui ne suis pas canon ! bredouille Nadège, avant d’enchaîner rapidement, pour ne pas se faire dérouiller. Il m’a juste dit que, pour lui, l’affaire Khoury n’était pas finie, mais comme j’ignore qui est ce gars au milieu de la dalle de ciment, je ne peux t’en dire davantage.

— Ton pote va trouver le corps de Jean-Michel Stark, un ancien proxo de la ville et même si elle prétend le contraire, malgré les coups reçus, je sais que c’est la Reine qui l’a fait buter car elle avait horreur de la concurrence, à l’époque.

— Dans ce cas, tout me semble logique, si mon intuition est bonne : Bory soupçonne la Reine d’avoir commandité l’exécution de Khoury, aussi, mais il n’a pas de preuves. Je pense même que, si je me trouve ici et s’il me tanne régulièrement, c’est pour recueillir les confidences de la Reine et les lui apporter contre une réduction de peine. Mais d’une, la Reine est une tombe, elle ne m’a rien lâché encore, de deux, je ne suis pas une balance et de trois, plutôt crever que d’aider ce poulet à boucler son enquête.

— Tu sais que si tu es très gentille avec moi, je peux la lui faire cracher, à la Reine, ton info à propos de la mort de Khoury ? ponctue Sacha avant de bécoter langoureusement sa compagne de cellule. Désormais, elle est seule en promenade, l’ancienne terreur, ses anges gardiens n’ont pas envie de s’en prendre à nouveau plein la gueule. Comme elle ne peut plus rien me refuser sous peine de se faire dérouiller, je peux la questionner de ta part. Dire qu’elle vous faisait toutes flipper et qu’en quatre jours, je fais d’elle ce que je veux. Comme de toi, d’ailleurs !

— Merci pour l’info que j’attends, si tu peux la décrocher !

— Évidemment, il y aura une petite compensation ce soir, ma chérie, je ne suis pas mère Teresa non plus. Allez, j’y vais, c’est l’heure de la promenade. Elle doit déjà se pisser dessus depuis une petite heure, l’ancienne terreur !

***

Lundi 8 mars 2010, 10 heures

Bureaux du groupe Bel Art – Tour Bretagne, Nantes

Comme chaque lundi matin, Baptiste Morat a réuni son staff dans son bureau, au dernier étage de la tour Bretagne. Rien que des femmes, selon sa volonté. À 34 ans, il a pris en quelques semaines une dimension de patron que son entourage ne soupçonnait pas, son frère aîné Aymeric, en priorité, qui se trouve lentement évincé d’une affaire qu’il pensait diriger, avec son jeune frangin – ou plutôt demi-frère car ils n’ont pas le même père – en guise de prêtenom. Mais Baptiste trace son sillon avec précision, ne commettant aucune faute de parcours, attirant à lui la confiance de décideurs, d’entrepreneurs, de promoteurs, assurant au groupe un carnet de commandes plein pour plusieurs mois. Et ceci alors qu’il vient d’avaler la société de son ancien adversaire Jérôme Cheminant, à la suite du suicide de ce dernier. Autant d’ouvriers sérieux et de contremaîtres chevronnés supplémentaires qui lui permettent de se développer un peu plus, tout en éliminant du chemin son concurrent le plus sérieux.

En parlant de la famille Cheminant, qu’il a non seulement sauvée de la faillite et de la ruine en rachetant l’entreprise, il a aussi soulagé Jessica, la veuve ruinée, en remettant en état, en huit jours et à ses frais, la belle demeure familiale, après les ravages causés par la tempête Xynthia. Une toiture neuve et quelques travaux intérieurs pour permettre à la maman et ses deux filles de loger à nouveau dans leur domicile. Maintenant, devant la nécessité de faire rentrer de l’argent, il vient de proposer à Jennifer Cheminant, l’aînée des deux filles, le poste de secrétaire de direction à ses côtés. Une promotion inespérée pour la belle de 22 ans, à l’aube d’achever un premier cursus dans ses études, bombardée à un poste à responsabilités, avec le salaire correspondant. Cela alors que ses copines de cours poursuivent leurs humanités pour décrocher un master avec l’espoir, au bout du parcours, d’un poste de ce type, après quelques premières expériences aux échelons du dessous.

Une fois de plus, Baptiste a dû affronter la colère de sa sœur Coralie, irritée de le voir subjugué à ce point par toutes les belles filles qu’il croise et surtout celle-là qui, un jour, lui a craché à la figure qu’il représentait à ses yeux l’individu le plus exécrable de la planète. La réaction de l’avocate Arielle Valmier ne fut guère différente, elle qui avait entendu de ses oreilles le réquisitoire accablant de l’intéressée. Et encore à cet instant, avant que la réunion de travail ne commence, il doit convaincre sa frangine du bien-fondé de sa décision.

— Coco, pour la dernière fois, je ne suis pas un philanthrope à la générosité débordante, encore moins un pervers qui bave devant des belles cuisses ou un décolleté plongeant. Steven Belliard était ce garçon, pas moi. En revanche, ma cote a singulièrement monté dans la région depuis mon coup de main à la veuve, je te signale. Ces gestes généreux se savent vite, comme le fait d’avoir repris tout le personnel de Cheminant. Et dans un milieu particulier comme le BTP, c’est important pour un novice comme moi d’obtenir le respect de ses semblables et aussi l’appui des syndicats.

— Si tu le dis…

— Jessica, la mère, est à présent mon meilleur agent de publicité, elle explique à qui veut l’entendre comment je lui ai sauvé la vie. Si tout fonctionne bien, je pense même lui trouver un poste dans le groupe, dans quelques mois, si tu veux tout savoir. Elle est bien introduite dans les milieux sportifs et nous aiderait lors d’appels d’offres pour des gymnases, des stades, des piscines, dans la région nantaise.

— Parfois, j’ai du mal à te suivre, glousse la sœurette, assez têtue. Tu ne m’enlèveras pas de l’idée que la sémillante Jennifer ne te laisse pas indifférent et que tu vas tenter de la séduire. Je suis prêt à parier un mois de salaire que tu l’auras mise dans ton lit avant la fin de l’année.

— Si tu veux perdre ton argent, Coco ! Jennifer n’est pas qu’une jolie poupée, elle est aussi une nana opportuniste pour qui un tel job est certes une aubaine, mais qui ne nous décevra pas.

— Et comment peux-tu en être aussi convaincu ?

— D’abord, elle est au pied du mur, par rapport à ses accusations trop rapides à mon égard. Ensuite, elle est orgueilleuse, comme sa mère, et va vouloir me prouver ce qu’elle vaut. Pour elle, c’est un énorme challenge, elle n’a pas le droit à l’erreur, la survie de sa famille dépend d’elle. Je l’attends donc au tournant. Elle va bosser d’arrache-pied et, de plus, jamais elle ne me trahira car, si elle le fait, cela reviendrait à condamner ses proches. De ma part, c’est de la stratégie, rien de plus. À un tel poste, je ne peux me permettre d’engager une taupe qui va nous savonner la planche ou rancarder nos adversaires. Ce qui est certain, c’est que jamais Jennifer Cheminant ne renseignera nos concurrents, ce n’est pas du tout son intérêt. Pire, ce serait suicidaire de sa part, pour elle, pour sa mère et pour sa jeune sœur. À part toi, elle est la seule à m’apporter cette absolue certitude. Convaincue, à présent ?

— Tout cela me dépasse un peu, mais puisque tu me jures que tu ne la kiffes pas, je vais te faire confiance. Méfie-toi d’elle quand même, qu’elle n’ait pas accepté ta proposition pour prendre une revanche avec le temps ! Et avant d’engager sa mère, attend que la fille ait donné des gages de fiabilité, après, on verra bien.

Une demi-heure plus tard, Baptiste est installé dans son fauteuil et, même s’il promet ne pas ressembler à Steven Belliard, il ne peut s’empêcher de saliver de plaisir, entouré de toutes ces jeunes femmes. Bien sûr, sa sœur Coralie, mais aussi Anne Delafontaine, chargée des relations commerciales, Solenn Mayeur, l’épouse du commandant Bory, responsable du domaine comptable, Marianne Dumay, la directrice technique et enfin maître Arielle Valmier, l’avocate du groupe. Parmi toutes ces jeunes femmes, la plus fraîche et la plus éclatante, c’est évidemment Jennifer Cheminant, que les autres découvrent avec le regard particulier, à la fois envieux et méprisant, révélateur de considérations internes que les femmes savent réserver à une nouvelle rivale. Pourtant, timide et réservée, toute de noir vêtue, période de deuil oblige, la nouvelle venue semble embarrassée. Crispée même, de se trouver en ce lieu, le plus élevé de la ville, avec une vue impressionnante sur la campagne alentour et le fleuve.

— Bon, avant de parler des chantiers, je vous présente Jennifer Cheminant, qui occupera la fonction de secrétaire de direction. Elle sera ma plus proche collaboratrice et, après une rapide formation à ses nouvelles responsabilités, elle sera votre interlocutrice pour toutes les questions techniques et administratives. Je sais, elle est jeune, elle a 22 ans et pas la moindre expérience, si ce n’est son vécu familial. Chacun de nous a commencé un jour et, comme j’ai donné sa chance à toutes, je souhaiterais que vous facilitiez Jennifer dans sa mission. Parenthèse fermée, qui veut intervenir ?

Marianne Dumay embraie en évoquant ses difficultés à se faire accepter par les ouvriers de l’ancien groupe Cheminant, habitués à avoir affaire à un homme et méfiants à propos des capacités d’une femme à diriger des chantiers. Anne Delafontaine poursuit en annonçant la participation du groupe Bel Art à trois nouveaux appels d’offres, avec de bonnes chances d’en remporter au moins deux, peut-être même de réussir le grand chelem. Du côté d’Arielle Valmier, rien qui ne concerne le staff, si ce n’est le renforcement prochain de la position financière du groupe par la réintégration dans les comptes de sommes indûment prélevées par l’étude notariale de maître Sophie Touraine. Un arrangement à l’amiable a été trouvé qui permet d’éviter de longues procédures néfastes pour les deux parties et de faire rentrer dans les caisses une coquette somme qui permettra d’amortir un peu plus facilement l’assimilation de la société Cheminant.

La rencontre se poursuit par d’autres détails techniques souvent rébarbatifs, pourtant très importants, et s’achève vers midi par un pot de bienvenue à l’attention de Jennifer. Puis chacun repart vers ses activités, s’accordant une petite demi-heure pour une légère collation entre deux rendez-vous. Une fois seule face à son frère, Coralie l’apostrophe :

— Je vais tenter à nouveau d’avoir des nouvelles de notre mère, ce long silence ne lui ressemble pas, je commence à m’inquiéter. Mon contact m’a expliqué que le directeur est en soins et que son adjoint fait de l’excès de zèle. Tous les portables ont été récupérés dans les cellules et les parloirs sont refusés pour une période indéterminée. De plus, le surveillant en chef est absent, lui aussi, j’ai peur que certaines personnes profitent de cette période de flottement pour lui chercher des noises. Tu crois que c’est un coup de la baveuse, pour s’en prendre plus facilement à notre mère ?

— Ce serait tordu de sa part et puis, si c’est elle qui fiche la panique, pourquoi attendre le départ du directeur, puisqu’elle est parvenue à se le mettre dans la poche, répond Baptiste, soucieux, lui aussi. Va voir si tu peux en savoir davantage et, sinon, nous avons un joker : ces deux flics qui bossent avec Bory, le pote de Nadège Pascal. Invitons-les ce soir au Diabolo lounge, et tentons d’en savoir davantage sur cette histoire. Soit directement, en jouant la carte de la franchise, soit en leur demandant discrètement de se renseigner auprès de leur boss. Si c’est silence radio de leur part, là, c’est inquiétant. Bon, moi, je vais aller rencontrer le leader syndical de l’équipe de Cheminant qui est en train de boucler un chantier à Trentemoult pour tenter d’établir un premier contact avec les ouvriers.

Coralie s’éclipse à son tour. Baptiste revient vers Jennifer, seule dans le bureau, appliquée à regarder la carte de la région, sur laquelle le PDG inscrit les positions de ses équipes sur les différents chantiers, ainsi que le faisait avant lui Jean-Marc Belliard, ce véritable père qu’il a trop peu connu. Il susurre à l’oreille de sa secrétaire qu’il ne désespère pas de devoir, dans quelques mois, troquer cette carte du bassin nantais pour une autre du Val de Loire. Puis il lui demande si elle ne s’est pas sentie impressionnée devant ses collègues, toutes plus âgées qu’elle, plus expérimentées, plus mûres et assurées. Elle hausse les épaules, intimidée certes mais toujours orgueilleuse et soucieuse de relever le défi, ne sachant que dire, que faire pour cela. Baptiste la met à l’aise et lui propose un programme pour l’après-midi.

— Je vais rencontrer les ouvriers de ton père et tu vas m’accompagner. S’ils rechignent à la tâche, je vais leur parler de la chance qu’ils ne savent pas apprécier d’avoir un emploi dans un groupe solide, quand ils pourraient se trouver au chômage. Puis je vais leur poser la question de confiance : ceux qui ne se sentent pas bien, dirigés par une femme comme Marianne Dumay, peuvent quitter le groupe et aller chercher un emploi ailleurs. Enfin, si tu es d’accord, parce que tu es la fille de leur ancien patron, je vais leur proposer de te contacter directement, s’ils considèrent certaines méthodes actuelles comme moins performantes que celles utilisées par le passé auprès de ton père. Nous aviserons après sur pièces. Qu’en penses-tu ?

— Vous savez, c’est beaucoup de responsabilités pour moi, bredouille la jeune secrétaire de direction, tête basse, placée devant ses limites et son manque d’expérience.

— Tu vas commencer par me tutoyer, tu vas voir, tu auras l’impression d’avoir dix ans de plus. Et puis, il va te falloir oublier tes tenues d’étudiante et trouver un style vestimentaire plus mature, plus affirmé, pour faire autorité. Dans ce domaine, fais confiance à Coralie, elle est de bon conseil, c’est elle qui s’occupe de ma garde-robe. Ensuite, tu dois prendre confiance en toi car, à peu de chose près, nous sommes à la même enseigne, je te signale. On m’aurait dit, voilà quelques mois, que j’allais devenir PDG d’un groupe de travaux publics, j’aurais éclaté de rire. Et pourtant… Nous devons faire nos preuves face à des personnes qui doutent de nos capacités, on va leur prouver qu’on a de la moelle.

— J’ai souvent entendu mon père parler de ses difficultés à faire passer le message à ses ouvriers…

— Sans te mettre la pression, tu n’as pas le droit à l’erreur et ce, pour deux raisons. La première, tu es un peu chargée de famille, désormais. Le sort des Cheminant repose sur tes frêles épaules, je le sais et je sais que tu le sais. Mais tu as la chance de ne pas démarrer au SMIC, comme beaucoup de jeunes, c’est un beau tremplin, une motivation supplémentaire.

— J’en suis consciente, vous sa… euh, tu sais ! J’ai une pression énorme.

— La seconde, je mise sur toi, tu n’as pas plus le droit de me décevoir que de lâcher ta mère et ta jeune sœur. Tu peux te tromper autant que tu veux, je ne t’en voudrais pas puisque, comme moi, tu apprends sur le tas, mais ne me trahis jamais… Ne déçois pas la confiance que j’ai placée en toi, car je serai implacable. Je t’offre un poste exceptionnel, à 22 ans, mais avec un père dans le métier, dont tu vas découvrir jour après jour à quel point il t’a aidée dans ton démarrage professionnel. Tous tes souvenirs auprès de lui vont te revenir, tous ces instants où il revenait heureux d’un marché remporté, dépité d’un manque de soutien de ses équipes, perplexe devant un problème technique en apparence insoluble. Ces souvenirs t’aideront à tracer ton propre sillon. Allez, on y va ?

— Oui, Monsieur, je vous… Euh, pardon… Oui, Baptiste, je te suis.

— À la bonne heure ! J’espère que tu n’es pas végétarienne, je t’offre une pièce de bœuf à l’Odéon, ce n’est pas trop loin du chantier de Beauséjour et, en plus, j’ai un service à demander à un habitué des lieux. Tu es pâle comme un linge, tu as besoin de retrouver de l’énergie. Un bon bout de viande ne te fera pas de mal. Et puis, cool, je m’aperçois que je ne te connais pas encore avec un sourire aux lèvres.

— Enfin, je viens quand même de perdre mon père !

***

Lundi 8 mars 2010, 13 heures

Maison de l’Erdre – Île de Versailles, Nantes

Après un long moment de mise en place du démarrage du chantier, les travaux ont commencé au marteau-piqueur, au niveau du muret gauche de la troisième marche du seuil de la Maison de l’Erdre. Il est évidemment bien ennuyeux de troubler le calme bienfaisant du jardin japonais, mais le moment qui se joue est d’importance. Deux possibilités : soit le corps de Jean-Michel Stark se trouve bien en ce lieu et c’est l’entame d’une enquête vers l’inconnu, car les policiers connaissent peu de détails de la vie de cet homme, malgré son lourd passé judiciaire. Soit le corps ne s’y trouve pas et cela remettrait en cause bien des théories, des stratégies, des plans sophistiqués, à commencer par la présence de Nadège Pascal derrière les murs du centre de détention de Nantes.

Voilà pourquoi toute l’équipe est autour de son chef. Domitille de La Bauxière, jamais loin de Cédric Cazal, son compagnon mais plus encore son pilier dans les périodes de tempête. Deux personnages différents, deux univers opposés et pourtant un duo efficace dans les enquêtes et complice dans l’intimité, même si tous deux sont discrets à propos de leur relation.

De l’autre côté du boss, les deux jeunes. Le benjamin, Renan, Breton introverti d’un peu moins de trente ans et son équipière Stéphanie, Bordelaise éprise de moto, qui, elle, a dépassé la trentaine. Elle est parvenue à se faire accepter de Renan, qui a longtemps vécu dans le souvenir de sa partenaire précédente, Fabienne Van Tan, récemment assassinée en compagnie de sa mère, un dimanche matin, dans le parc de Procé, par la compagne d’une petite frappe, tué par une voiture, alors qu’il tentait de se soustraire à un contrôle d’identité. Renan était fasciné par Fabienne, aussi pour Stéphanie, le challenge est difficile à relever.

Avant le début des travaux, Domitille, la mémoire nantaise de la ville, ne peut s’empêcher de brosser l’historique de cette île et de la naissance du jardin japonais. Elle a évoqué le marais de Barbin, nom de cette prairie grasse rattachée au hameau sur la rive voisine, puis l’île Le Gall, du nom de son acquéreur de l’époque, après avoir été remblayée à la suite du creusement du canal de Nantes à Brest.

— Puis elle devint île de Versailles, du nom d’une propriété voisine, le Petit-Versailles, accueillit un chantier naval mais aussi une blanchisserie, différents artisanats et même la taverne du diable, bien longtemps avant, poursuit Domitille, pour qui Nantes n’a quasiment plus de secrets.

— Du diable, s’étonne Cédric, sourcils froncés.

— Son propriétaire, Orsini, y accueillait les manants et malandrins qui buvaient jusqu’à plus soif et plus d’heure, poursuit son équipière. Leurs chants paillards à gorges déployées faisaient frémir d’effroi les maisonnées environnantes, d’où le surnom. Enfin l’île fut aménagée progressivement en jardin, au fur et à mesure des cessations d’activité des artisans. C’est à partir de 1986 que fut décidée, par la municipalité de l’époque, la création du jardin japonais avec cette ambiance zen si particulière et les trois habitats typiques, la capitainerie, la Maison de l’Erdre et le restaurant, intégrés aux paysages de plantes asiatiques, de pièces d’eau, de cascades et de rocailles.

— Un parfait endroit pour reposer en paix dans une robe de béton, note Cédric à voix basse.

— Une opportunité pour la pègre locale, comme il se dit que de nombreux corps sont cachés dans les fondations de différents édifices de la région, précise Domitille, de sa voix grave, entre deux bouffées de cigarette.

Cela fait plus d’une heure que les ouvriers s’emploient avec leurs marteaux-piqueurs quand l’un d’eux lève le bras. Philippe Bory s’approche et découvre ce qui ressemble à un bout de sac plastique bleu, vraisemblablement la housse qui a permis de transporter le corps jusque-là. Pour le policier, c’est un soulagement, l’info était exacte et à partir de cet instant, avant même le boulot des experts, il est convaincu qu’il s’agit de Jean-Michel Stark. Le responsable du groupe de la Scientifique s’approche pour constater que, même en lambeaux, le plastique épais a assez bien tenu. Et comme Philippe lui pose la question de l’état du corps, l’homme de l’art sourit :

— Il ne restera pas grand-chose de lui, la vermine qui lui aura bouffé les entrailles ne vient pas de l’extérieur mais des bactéries et parasites actifs du corps. Donc nous ne trouverons vraisemblablement que les parties les plus dures du squelette, mais c’est déjà une base pour bosser. À son identification, à la cause de sa mort, à son état de santé avant de mourir, de quoi vous faire un peu avancer dans votre enquête. Mais il ne faut pas être pressé, Commandant, ça va prendre du temps.

— Dans ce cas, on va faire comme si c’était notre homme, pour ne pas lanterner des semaines, réplique Philippe Bory en se retournant vers le procureur qui l’apostrophe.

— Je vais m’occuper des médias, leur expliquer qu’il faudra du temps avant d’identifier la victime, leur préciser qu’il pourrait s’agir d’une figure liée à la pègre locale des années 80, puisqu’il leur faut du blé à moudre.

À la tête de son équipe, Philippe Bory reprend la passerelle métallique pour rejoindre les véhicules garés sur le quai Henri Barbusse. En cours de chemin, il s’approche des jeunes lieutenants pour leur parler en privé, de manière discrète :

— J’aurais un petit service à vous demander ! Puisque vous êtes proches des enfants Morat, vous serait-il possible de les rencontrer pour leur demander s’ils ont obtenu des nouvelles de leur mère durant ces derniers jours ? Apparemment, le centre de détention est coupé du monde en raison de mouvements de contestation du personnel pénitentiaire, mais j’aimerais en obtenir la confirmation de leur part, sans la demander moi-même.

— Vous avec des inquiétudes à propos de votre copine ? interroge Stéphanie, toute de cuir vêtue, comme souvent quand elle est arrivée à moto.

— Ce n’est pas ma copine, juste une informatrice qui m’a, par exemple, glissé le tuyau de ce corps caché dans le béton de la Maison de l’Erdre. Me renseigner par moi-même grillerait sa couverture, l’extraire est peut-être prématuré s’il ne se passe rien de grave. Voilà pourquoi j’avais pensé qu’en se rancardant auprès des Morat, on pourrait obtenir des précisions.

— Ce sont des relations, Chef, pas des potes, tient à préciser Renan. Avec eux, un service n’est jamais gratuit et puis, la dernière fois, ils nous ont expliqué que, pour leur business, fréquenter des flics n’était pas très recommandé. Mais on va voir ce qu’on peut faire.

— Je vous fais confiance, c’est important pour moi !

Pendant ce temps, Domitille n’a pu s’interdire d’aller faire la bise à son amie Dorothée. En la voyant pousser la porte de l’institut de beauté, Philippe Bory éprouve un pincement au cœur. Il pense au destin de ces deux filles, liées dans leur subconscient par une journée abominable, endurée quand elles n’avaient qu’une poignée d’années. Un drame qui doit hanter leurs nuits de cauchemars nébuleux et abscons. Comment s’en prendre à des enfants ? Quels monstres peuvent en arriver à des plaisirs aussi vils ? Il se promet de faire aussi toute la lumière sur cette affaire, mais pour cela, il devra, un jour, faire part à Domitille des documents en sa possession. Il attend le bon moment, mais existe-t-il un bon moment pour faire exploser une bombe ?

— Tu te demandes ce qu’une fille comme elle peut faire avec un gars comme moi ? lui susurre Cédric à l’oreille.

— Elle a fait le bon choix, mon grand ! C’est une nana très complexe, mais très attachante, bien plus sensible qu’elle ne le laisse paraître. Dans son milieu, si tu ne te forges pas rapidement une carapace, ou encore un personnage, tu te fais bouffer à la première soirée mondaine où, à bien y réfléchir, nous ne sommes pas bien loin des atmosphères étouffantes de la cour de Versailles. Un homme influent approche et les papillons de nuit lui tournent autour. Qu’il accorde ses faveurs à une fille et les autres vont tout faire pour la torpiller. Alors, un gars sain, franc du collier et attentif comme toi, c’est une oasis de détente pour Domi.

I

Lundi 8 mars 2010, 17 heures 15

Bar le Brummell – Place du Bouffay, Nantes

Installé à une table discrète de ce bar chic du centre-ville, l’avocat Charles Steiner lit les infos locales pour passer le temps. Il a rendez-vous, comme les trois derniers lundis soir, mais comme la semaine précédente, il lanterne depuis un quart d’heure. Et comme la patience n’est pas sa qualité principale, il bouillonne à l’intérieur. Il pousse sa tasse de café vide pour sortir son calepin et se remémorer les moments importants de sa semaine. Le constat est simple : alors qu’Arielle, son associée, ne touche pas terre, le nombre de ses clients personnels se réduit comme peau de chagrin. Si elle n’était pas là pour faire tourner le cabinet, ils auraient déjà mis la clé sous la porte.

Pour l’heure, quand ils abordent le sujet ensemble, Arielle se contente de lui rappeler que, si les clients leur font confiance, et notamment le plus important d’entre eux, Baptiste Morat, le PDG de Bel Art, c’est aussi grâce à son talent à décortiquer un dossier pour en retirer la quintessence, travail minutieux dont elle se sent parfaitement incapable. Ce qui est en partie vrai, il se passionne pour les détails, et en partie faux, sa partenaire en serait, elle aussi, capable, si nécessaire.

Quand la porte s’ouvre, il voit son petit ami arriver enfin, bonne nouvelle, mais accompagné par deux gars qui n’ont pas des visages de poètes, plutôt même des mines de racailles. Aussitôt, il se demande ce qui se passe, interroge Mikaël d’un geste de la tête, sans obtenir de réponse du beau brun qui avance, tête baissée. Tous trois s’installent à sa table sans lui demander son avis et commandent des demis, puis l’un des inconnus apostrophe l’avocat :

— Alors, ma grande, on a quitté la capitale pour goûter à la chair provinciale ?

— Qui êtes-vous, que me voulez-vous, à quoi tout cela rime, Mika ? questionne Charles, coincé entre le mur et un gars assez costaud dans un blouson noir en simili cuir.