Chasse à l’homme au Ménez-Hom - Bernard Larhant - E-Book

Chasse à l’homme au Ménez-Hom E-Book

Bernard Larhant

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Beschreibung

Le corps d'un criminel originaire de banlieue parisienne est retrouvé mort au centre-ville de Quimper.

Le corps de Sylvain Barrier, un homme de 35 ans originaire de Seine-Saint-Denis, est découvert mort au centre-ville de Quimper. L’individu avait disparu quelques mois plus tôt après un casse en banlieue parisienne. En l’absence de Sarah, Paul s’occupe de l’affaire en compagnie de Blaise. Ils découvrent vite que la victime était un ami d’enfance de Radia Belloumi. Venait-il à Quimper lui réclamer de l’aide ? Pourquoi avait-il trouvé refuge dans une ferme, propriété d’une mystérieuse Irlandaise, sur les pentes du Ménez-Hom ? Une enquête plus complexe qu’il n’y paraît, sur les traces des dernières heures de Sylvain en presqu’île de Crozon. Si les évidences sont souvent trompeuses, les légendes ont parfois un fond d’authenticité. Quelque part entre Camaret et Châteaulin, entre Dinéault et Cast, il est des personnes qui connaissent la vérité.

Embarquez dans le 17e volet des enquêtes pleines de mystères et de rebondissements de Paul Capitaine, et découvrez que les légendes ont parfois un fond d'authenticité... 

EXTRAIT

— Vous ?
— Je sais que je vous déçois. Je n’étais pas, ce jour-là, pour cette opération, mais je ne veux pas me dédouaner, pour autant. J’ai fait partie de la cellule-Élysée, un peu plus tard et si, à cette époque, on m’avait demandé d’accuser des innocents, j’ignore si j’aurais eu le courage de me rebeller et d’aller à l’encontre de la raison d’État.
— Allez, mangeons notre omelette, elle va être froide, ordonna Moira sur un ton sec, en se plaçant en bout de la longue table, comme si elle ne voulait pas croiser mon regard.
Long moment de silence. Je félicitai la cuisinière pour sa recette, mais mon sentiment sonnait creux. Pourtant, je ne regrettais pas d’avoir dit qui j’étais réellement, car je me sentais un peu plus propre, un peu plus digne de partager la table et le dîner d’une jeune femme au cœur pur. Je me surprenais même à envisager que, si je devais laisser ma peau dans cette pièce pour sauver la sienne, j’aurais alors redoré un peu l’honneur de mon pays, de ses dirigeants et de sa police. Une hypothèse idiote car rien ne saurait réparer ce que Mary Reid avait enduré à tort. Comme tant de victimes innocentes d’ordres lancés pour sauver les apparences, en France, partout dans le monde, sous toutes les latitudes et sous tous les régimes. — Mary Reid est toujours en vie ?

A PROPOS DE L'AUTEUR

Bernard Larhant est né à Quimper en 1955. Il exerce une profession particulière : créateur de jeux de lettres. Après un premier roman en Aquitaine, il se lance dans l’écriture de polars avec les enquêtes bretonnes d’un policier au parcours atypique, le capitaine Paul Capitaine, et de sa fille Sarah.

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

À Erwan Chartier-Le Floch, pour le partage amical de son savoir sur le Ménez-Hom et la vie de sainte Brigitte.

À l’équipe du Chasse-Marée, au club des Douarnenistes, pour leur aide dans mes recherches sur les vieux navires.

À André Morin pour son regard aiguisé de policier.

À Lorraine, Brigitte et Domi, pour leur relecture amicale et attentive.

PRINCIPAUX PERSONNAGES

PAUL CAPITAINE : 56 ans, capitaine de police, ancien agent des services secrets français. Natif de Quimper, il connaît bien la ville et la région. Il trouve au sein de la brigade judiciaire une seconde jeunesse grâce à Sarah, sa fille et partenaire. Il est le compagnon de Dominique Vasseur, magistrate au parquet de Quimper.

SARAH NOWAK : 32 ans, d’origine polonaise, lieutenant de police. Elle a découvert en son partenaire Paul Capitaine, le père qu’elle recherchait. Dotée d’un caractère fort et généreux, elle cultive des rêves d’absolu. Le plus souvent attachante, parfois irritante, toujours franche et sincère. Elle partage la vie de Quentin, un jeune pompier, duquel elle est enceinte.

DOMINIQUE VASSEUR : 49 ans, célibataire, vice-procureure de la République, compagne de Paul Capitaine. Elle a échoué à Quimper après une affaire confuse à Marseille. Intelligente, opiniâtre, loyale, elle siège dans une importante commission juridique aux États-Unis, un poste qui l’éloigne de Quimper durant six mois chaque année.

CHASSE À L’HOMME AU MÉNEZ-HOM

RADIA BELLOUMI : 37 ans, commissaire de police. Une surdouée d’origine maghrébine, promue jeune à la tête du commissariat de Quimper. Elle a acquis le respect de ses effectifs par son sang-froid et sa baraka. Proche de Gérald Montaigne, ambitieux secrétaire de préfecture, même s’il y a de l’eau dans le gaz entre eux.

ROSE-MARIE CORTOT : 31 ans, d’origine antillaise, enquêtrice de police. RMC pour tout le monde. Le rayon de soleil de l’équipe par sa bonne humeur, le plus de la brigade judiciaire par son génie de l’informatique. Meilleure amie de Sarah, compagne de Mario, détective privé et ancien policier, elle attend son premier enfant.

CAROLE MORTIER : 45 ans, divorcée, une fille de 17 ans, Priscilla. Capitaine de police et chef de groupe. Un excellent flic, mais une femme au parcours tortueux, souvent empêtrée dans des soucis familiaux et les incidences de sa passion pour le jeu.

BLAISE JUILLARD : 30 ans, célibataire, lieutenant de police. Le père est un ponte du quai des Orfèvres, le fils ne possède pas son étoffe. Sous ses airs nonchalants qui lui ont valu le surnom de Zébulon, il n’est pas dénué de vivacité d’analyse. Amoureux transi de Sarah.

MEHDI LANGEAIS : 38 ans, lieutenant de police, tout juste débarqué à Quimper. Ancien garde du corps, il a passé avec succès son examen d’OPJ. Nouveau venu dans l’équipe, il est discret sur son passé et plutôt solitaire.

PROLOGUE

En ce début de décembre, nous traversions une zone de turbulences et les conditions climatiques détestables sévissant sur la pointe bretonne n’avaient rien à y voir. Je me demandais comment cela allait se terminer. Je détestais affronter de telles ambiances au travail, quand chaque mot pouvait se révéler l’agent déclencheur d’une explosion inattendue. Certes, les conditions de travail devenaient de plus en plus stressantes, certains quartiers de la ville causaient quelques soucis aux patrouilles, la pression était toujours de plus en plus importante, mais là n’était pas la cause réelle du marasme latent.

Je sentais Radia Belloumi, notre grande patronne, fébrile comme rarement, taciturne et irascible, bref, un comportement qui ne lui correspondait pas. Je connaissais la cause de ses tourments : les relations houleuses avec Gérald Montaigne, son compagnon. Je me refusais à aborder le sujet tant qu’elle ne l’évoquerait pas devant moi. Malgré les infos que j’avais glanées sur les fréquentations douteuses du secrétaire de la préfecture, malgré mes suspicions et mes craintes. J’hésitais à mettre les pieds dans le plat, pas totalement assuré de mes sources, embarrassé face aux conséquences possibles d’un grand déballage pour l’unité du groupe et l’harmonie des équipes. En de nombreuses circonstances, il était urgent d’attendre, telle était la position que j’avais adoptée.

Du côté de Carole, la situation ne s’améliorait pas. J’ignorais si elle avait cessé de fréquenter son tripot favori situé du côté de Douarnenez, si elle avait régularisé la situation face à ses dettes de jeu. Je constatais simplement qu’elle était à cran, prête à réagir de manière épidermique à chaque évocation du sujet sensible. Nombre de fois, Mehdi, son équipier, était venu vers moi pour s’épancher des réactions bizarres de sa partenaire, souvent disproportionnées au vu de la situation. Je ne savais que lui répondre, et lui expliquais que notre chef de groupe vivait une période personnelle difficile, comme cela arrivait à nombre de policiers au cours de leur carrière, un état psychologique qui demandait à son entourage patience et indulgence.

Comme Rose-Marie nous avait abandonnés pour préparer sa toute proche maternité, que Sarah – qui la suivait de trois mois – se trouvait régulièrement indisposée et contrainte de passer de longues heures allongée pour ne pas souffrir, je faisais équipe avec Blaise, qui se faisait plus de souci pour ma fille que Quentin, le compagnon de celle-ci, d’un calme et d’un flegme à toute épreuve. La force de caractère d’un soldat du feu, certainement, maître des situations et du stress, impassible en toutes circonstances. Du moins en apparence, car je savais aussi le garçon doué d’une étonnante sensibilité.

Bref, cette conjonction de petits événements personnels expliquait en grande partie le climat fébrile qui régnait au commissariat, plus particulièrement au sein de l’équipe amaigrie de la police judiciaire. Ajoutez la période des fêtes, si souvent cause de vols à l’étalage qui pouvaient mal s’achever, de drames familiaux, de graves conséquences de plaies sociales, et j’avais brossé un tableau peu reluisant de la fin d’année.

Dans cette morosité ambiante, seul rayon de soleil au tableau, Dominique était rentrée des États-Unis. À mon plus grand bonheur. Au moment des retrouvailles, à l’aéroport de Pluguffan, je sentis avec soulagement que la joie était partagée. Je n’en doutais pas véritablement, mais il me faisait chaud au cœur d’en ressentir la confirmation. Même si le premier réflexe de ma compagne fut de réclamer des nouvelles de Sarah, qui n’avait pas pu me véhiculer, je sentis que mes craintes étaient injustifiées. Et comme la Bretagne l’accueillait sous la grisaille, ce vendredi-là, une fois reconduits ensemble à l’appartement de la rue Vis par Gilles Queffélec, mon ami taxi, nous passâmes le week-end à cocooner à l’appartement. Cocooner représentant la version soft, à l’américaine, du contenu de notre emploi du temps que je souhaite recouvrir d’un drap de pudeur.

Bien sûr, très vite, Dominique me raconta par le menu les avancées de son travail, les premières décisions visibles, la toute proche organisation d’une unité européenne dotée de pouvoirs importants en matière de terrorisme et de lutte contre les paradis fiscaux. Mais cela me rassura de constater qu’avant tout, elle était heureuse de retrouver “son homme”. Elle confessait un énorme besoin d’affection, nous étions deux en carence de tendresse. Deux à s’être vengés sur la bonne chère pour compenser, aussi. Elle voulait perdre quatre kilos superflus, je lui suggérai un régime d’amour et d’eau fraîche qui lui convint parfaitement. Ainsi se déroulèrent nos retrouvailles au cours desquelles la complicité se retrouva très vite, dans les gestes intimes, les mots de connivence et les signes de tendresse.

Fatalement, le retour à son bureau de vice-procureure fut moins réjouissant pour ma compagne, mais elle se fit très vite une raison et reprit ses marques. Cela me libéra l’esprit de lui confier mes soucis du moment, à propos de Radia avec son ex, Gérald Montaigne et de Carole avec le jeu. Désormais, nous étions à nouveau deux pour affronter les vagues et maintenir le cap que nous jugions le meilleur. Finalement, une seule ombre dans le quotidien de Dominique mais elle n’était pas de nature à altérer le soleil de nos retrouvailles : Sarah et Quentin n’avaient pas voulu connaître le sexe de l’enfant. Comment allait-elle faire pour choisir la couleur de la laine avant de confectionner de chaudes layettes ?

Bref, des conditions climatiques détestables à Quimper qui nous incitaient à profiter du confort de l’appartement de Dominique quand, dans une nuit de vendredi au samedi, le téléphone retentit. En général, il s’agissait de l’OPJ de permanence, souvent Blaise, par la force des choses, puisque le tour de garde revenait plus régulièrement en raison des absences et que notre brave Zébulon vivait une longue période de disette sentimentale, donc de disponibilité nocturne. Un appel téléphonique, cela signifiait le plus souvent que les affaires allaient reprendre rapidement.

— Paul, c’est Blaise, je suis devant le corps d’un gars qui vient de se faire refroidir à la Glacière !

— Tu crois que c’est la meilleure circonstance pour oser ce jeu de mots scabreux ? m’insurgeai-je, même si je voyais de quel lieu il parlait. D’autant qu’à ma connaissance, ce lieu de stationnement a changé de nom.

— Oui, enfin, le parking de la Providence, si tu veux, mais pour ce mec, cela ne change pas grand-chose, au final. Il a été roué de coups à mort. Ses agresseurs lui ont pris son pognon, mais ils lui ont laissé ses papiers. La victime se nomme Sylvain Barrier, ce gars avait 35 ans. Il devait se balader par-là, il est tombé sur une bande de noctambules et la rencontre aura dégénéré.

— Eh bien, tu connais ton boulot, mon grand…

— Si je t’appelle, c’est parce que le médecin légiste est convaincu, après les premières constatations, que le malheureux n’est pas mort à cet endroit. Il a été balancé sans ménagement dans les plates-bandes, au bord du Steïr, à hauteur de la Maison de la Petite Enfance. Sans doute par deux, trois ou quatre individus. Selon toute vraisemblance, les occupants d’un véhicule, mais ils n’ont évidemment pas laissé de carte de visite. Tu ne penses pas que cela pourrait avoir un lien avec notre récente affaire et la fermeture de la Péniche au Corniguel ? La bande impliquée dans le trafic de drogue étant au placard, des petites frappes se battent pour récupérer le business, un combat de coqs qui laisse l’un d’eux sur le carreau. Comme la nature, la pègre a horreur du vide.

— Tu as prévenu le substitut de permanence ?

— En fait, c’est Fabien Joinel et je n’ai pas trop d’atomes crochus avec lui. J’avais pensé que tu pourrais venir avec Dominique. Elle disait récemment que, depuis son retour en Bretagne, elle n’avait rien de consistant à se mettre sous la dent. Mon pif me dit que cette affaire nous réserve des surprises.

— Je lui en parle et je te rappelle !

Naturellement, la sonnerie du téléphone avait réveillé ma compagne. Logiquement, elle voulut savoir ce qui se passait. Comme je m’y attendais, après mon résumé du message de Blaise, elle maugréa en rappelant qu’elle n’était pas de permanence. Pourtant, alors que je finissais de m’habiller chaudement pour me rendre sur la scène de crime, elle quitta le lit pour me prévenir qu’elle m’accompagnait. Elle voulut appeler le substitut pour l’avertir qu’elle prenait le relais. J’intervins pour lui avouer que Blaise ne l’avais pas alerté, convaincu que Dominique prendrait le dossier en charge. Il la connaissait si bien, lui aussi. Elle secoua la tête en accompagnant son geste d’un sourire complice. Elle prit cependant contact avec Fabien Joinel pour le tenir au courant de la découverte macabre et de sa décision de suivre l’affaire personnellement, puisque je me rendais sur les lieux.

Dix minutes plus tard, sous une fine pluie et dans l’obscurité d’un matin de début décembre, nous nous trouvions auprès du cadavre recouvert d’une couverture en plastique, près du petit pont de bois qui mène à la maison de la Petite Enfance. Noël Sapin, le médecin légiste, me présenta la victime et m’expliqua qu’en plus des coups au visage, le malheureux portait quelques ecchymoses sur le corps, preuve qu’il avait été passé à tabac, mais aussi des marques à l’arrière de la tête, dont il ignorait encore si elles faisaient suite aux coups ou étaient intervenues plus tard. En effet, les traces aux poignets et chevilles prouvaient qu’il avait été balancé sans ménagement, probablement d’un coffre de voiture.

— Il fallait que ses assaillants soient costauds car c’est un solide gaillard dans la force de l’âge et sans doute sportif, ajouta le croque-mort en affichant la mine de circonstance. L’autopsie m’en dira davantage sur les causes de sa mort. Je pense que les coups violents au thorax, ont peut-être fait éclater des viscères et causé une hémorragie interne. C’est le cas le plus fréquent, dans ce genre de disputes. En revanche, ce qui me surprend beaucoup, est qu’il n’y a pas la moindre empreinte de chaussure sur l’herbe.

— Les gars sont des pros, à cet endroit, pas de caméras de surveillance, pas non plus de témoins potentiels, me lamentai-je en jetant un coup d’œil circulaire. Plus près du Cinéville, au fond du parking de la Providence, ils auraient été filmés. Comme de l’autre côté, en direction de la rue Kéréon ou de la place Terre-au-Duc. Sans doute une bande organisée, des gars du secteur qui connaissent la ville comme leur poche. J’irai quand même rencontrer l’équipe de surveillance vidéo, à tout hasard.

— Cela ne change rien à notre affaire, Paul, intervint le médecin légiste, mais pour votre gouverne et par souci de précision, à cet endroit, nous sommes bien sur le parking de la Glacière. Plus loin vers les salles de cinéma, là-bas, nous sommes sur le parking de la Providence. Je sais, c’est un détail sans importance, mais beaucoup de personnes font la confusion.

— La victime était fichée, Paul, intervint Blaise, à peine visible sous la capuche de sa parka. Une affaire de vol en bande organisée, en région parisienne. Il a juste pris une peine avec sursis car il n’était pas directement impliqué. En revanche, j’ignore ce que ce titi de banlieue venait faire en Bretagne.

— C’est ce que nous allons devoir découvrir, mon grand. Bon, je vais faire un petit rapport à Dominique, restée à l’abri dans la voiture, puis je me rends au bureau. Toi, Blaise, tu restes attendre les gars de la scientifique et tu les briefes. Ah, Noël, une petite idée de l’heure de la mort ?

— Vraisemblablement hier soir, dans une fourchette entre 20 heures et minuit. Je sais, c’est large, mais je vais affiner cela dès que je serai de retour au labo. J’espérais une fin d’année paisible, il faut que ce cadavre tombe sur moi.

— Vous n’avez pas idée de tous les sapins qui tombent avant Noël, compatis-je en tapotant l’épaule du croque-mort.

— Celle-là, personne n’avait osé me la faire depuis la maternelle, feignit de s’emporter mon interlocuteur. Je vous ai connu en meilleure veine.

— De toutes les veines, j’ai toujours préféré la cave, murmurai-je en m’éloignant, pour prouver à l’homme de l’art que j’avais aussi suivi quelques cours d’anatomie.

Une heure plus tard, installé à mon bureau du commissariat, je vis Radia arriver vers moi, mise au courant d’un crime perpétré durant la nuit. Même un samedi, elle voulait se tenir informée d’une affaire criminelle. Et puis, je pense qu’elle se morfondait, toute seule chez elle, broyant du noir et ressassant de vieilles querelles. Je lui narrai les faits et les premières conclusions, elle réagit immédiatement en entendant le nom de la victime :

— Sylvain Barrier, c’est certainement une coïncidence, mais j’en ai connu un, dans ma jeunesse. Pas en Bretagne, bien sûr. J’ignorais alors que j’allais commencer ma carrière au bout du pays. Il est né où, ce garçon ?

— À Saint-Denis, dans le 93.

— Non, ce n’est pas possible, s’étouffa Radia, les doigts perdus dans ses mèches noires et frisées, quelle tuile me tombe encore sur le crâne ? C’est un cauchemar, je vais me réveiller et tout va redevenir normal.

— C’était qui, ce Sylvain Barrier ?

— Tu me promets de garder pour toi ce que je vais te confier ? Il a été mon premier amour. Je sais, il a deux ans de moins que moi, mais il était beau, mature pour son âge, et surtout il m’a sauvé la vie, un jour où une bande de skins voulaient se payer une beurette. Il s’est pris la baston de sa vie pour me permettre de déguerpir et de ne pas me faire embarquer pour une ratonnade en règle. Plus tard, j’ai tenu à le retrouver pour le remercier de son intervention et de son courage. Je me sentais un peu redevable, et puis il était beau, rassurant, si différent des autres gars de la cité. Il était passionné d’informatique et surtout de gros cubes, mais savait aussi parler aux filles avec douceur et délicatesse. Bref, je ne te fais pas un dessin…

— Nous avons tous connu un amour de jeunesse, une histoire qui reste cachée dans un recoin de notre cœur. Cela a duré longtemps, entre vous ?

— C’était difficile, je n’étais pas souvent disponible, j’étais une grosse bosseuse. Par la suite, j’ai suivi mon cursus, Sylvain ne collait pas avec mes ambitions, il aspirait simplement à avoir un métier peinard derrière un ordinateur et à s’adonner à sa passion pour la moto. Je me suis éloignée de lui sans éclats de voix, mais je lui ai dit en guise de mot d’adieu que s’il avait besoin, il pourrait toujours compter sur moi.

— Et tu as reçu de ses nouvelles, depuis cette époque ? Il avait un petit casier pour une vague participation à un vol en bande organisée.

— Tu sais, nous habitions dans une cité peu reluisante de Saint-Denis. Autour de nous, c’était la zone, les friches industrielles entre l’autoroute et la Seine, une espèce de no man’s land dans laquelle régnait la loi du plus fort. Il fallait en vouloir pour s’en sortir, pour ne pas subir les règles particulières du secteur, surtout pour une fille, beurette de surcroît. Le quartier a bien changé depuis avec la création du centre d’affaires Périnord, notamment. Enfin, à ce qui se dit car je n’y suis jamais retournée depuis que je suis en poste à Quimper, et je ne reconnaîtrai pas grand-chose. Tiens, je viens même d’apprendre que c’est aussi par-là qu’il est envisagé d’implanter le futur village olympique. Encore un quartier qui va disparaître, des familles qui seront relogées, un nouveau pan de mon enfance qui va s’effacer. Tu vois, ma cité, ce n’était pas le 16e arrondissement, mais cela, tu t’en doutais, je pense. Ce n’était pas non plus la banlieue parisienne qui posait le plus de problèmes, d’autres secteurs étaient bien plus chauds, même à Saint-Denis.

— Assez, quand même, pour que tu te fasses agresser.

— Non, tu ne dois pas faire d’amalgames faciles, Paul. Cela s’était passé assez tard dans la soirée, après des cours du soir que je prenais à Paris, en revenant de la gare et en me dirigeant vers mon bus à destination de la rue Ampère où vivait alors la famille. Le quartier n’était pas désert, d’autres personnes circulaient, à pied ou en voiture. Ces gars m’avaient repérée de loin, certainement car c’est leur méthode. Il s’agissait de skins comme on en connaissait quelques bandes dans le département, toujours prêtes à casser du reubeu, des hordes dont on apprenait à se méfier.

— Par chance pour toi, un preux chevalier a volé à ton secours !

— Oui, mais sa monture à lui avait un moteur puissant. Sylvain n’a pas hésité à s’arrêter pour me venir en aide, même si le combat était perdu d’avance, malgré son énergie à donner des coups de casque à mes agresseurs. J’ai couru pour m’éloigner et, de loin j’ai vu d’autres badauds intervenir pour le sauver, avant qu’une patrouille de police ne rapplique. Sylvain était fondu de moto, certains prétendaient qu’il aurait pu faire une carrière en cross. Mais pour cela, il faut de l’ambition, du charisme et aussi des partenaires financiers, sans compter un peu de chance. Sylvain était bon de fond, mais il était influençable. Je peux facilement imaginer qu’une bande du quartier lui aura demandé le service de conduire une moto pour un braquage et qu’il aura accepté. Il n’avait pas son pareil pour se faufiler entre les voitures aux heures de grande circulation. Mais aussi pour échapper à des flics à ses trousses.

— C’est tout de même étonnant que tu te trouves à Quimper et qu’il vienne se faire buter à Quimper, non ?

— Qu’insinues-tu exactement, Paul ?

— Holà, rentre tes griffes, la tigresse, je ne t’accuse de rien, loin de moi cette idée. Je trouve juste la coïncidence surprenante. Je ne tire aucune conclusion. J’imagine simplement, en vieux flic pas très pote avec le hasard, qu’il venait peut-être te réclamer ce coup de main que tu lui avais promis. Une embrouille avec des skins, par exemple, et il prend le train pour demander ton aide. Ce coup de main que tu lui avais proposé, des années plus tôt, soutien qu’il n’aura pas eu le temps de te demander.

— C’est stupide, nous n’avions même pas vingt ans, à l’époque, rétorqua Radia, redevenue sauvageonne, l’instant d’un dialogue à couteaux tirés. Il ne sait même pas que je suis commissaire, j’en suis certaine. Il est passé à autre chose depuis longtemps, et moi aussi, d’ailleurs.

— Toi, oui, lui, peut-être pas. Quand on a vécu auprès d’une nana de ta trempe, comment passer à autre chose ?

— Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi ? Déjà que Gérald me tanne pour qu’on se remette ensemble, me jure qu’il regrette ses maladresses et ses paroles blessantes, et me répète sans cesse que, nous deux, c’est pour la vie.

— Si tu veux un conseil de ma part, prends tes distances. Ce mec est un arriviste qui ne te mérite pas, un opportuniste de la pire espèce. Il se sert de toi comme marchepied et il te jettera quand il sera parvenu là où il désire accéder.

— Mais de mon côté, c’est tout à fait pareil, Paul, répliqua la grande patronne, en experte du contre-pied. Sans doute parce que je suis issue de cette banlieue que je viens de te décrire, sans doute parce que j’ai sacrifié les plus belles heures de ma jeunesse sur l’autel des études, sans doute parce que ma famille s’est saignée les veines pour que je devienne ce que je suis. Je ne suis pas prête à tout pour réussir, j’ai des valeurs morales en moi, mais je veux prouver aux miens ce que je vaux vraiment, qu’ils soient un jour fiers de moi. J’ai rêvé de ce poste à l’Élysée et Gérald me l’offrait sur un plateau, jusqu’à ce que tout dérape à la présidentielle. Il avait la rage et moi tout autant que lui. Seule différence, pour lui, à présent, c’est juste reculer pour mieux sauter alors que pour moi, une telle opportunité ne se représentera plus. J’ai raté un train qui ne passe qu’une fois dans une vie. Il y aura peut-être un commissariat plus grand car je ne pense pas finir ma carrière à Quimper, vois-tu, mais sans doute pas davantage !

— Si je n’étais pas ton ami, Radia, je ne te dirais pas ce que je pense vraiment. Gérald a eu une mauvaise influence sur toi. Il veut te façonner à son désir, mais tu n’es pas cette fille-là. Je te connais assez pour savoir qu’avant de le rencontrer, tu ne m’aurais pas parlé de la sorte, même si tu es la grande patronne, que tu es ambitieuse, et que tu te prétends nantie de valeurs morales auxquelles tu ne dérogeras pas.

— Il faut que tu te fasses une raison, je ne suis plus la petite stagiaire paumée qui a débarqué au fin fond de la Bretagne sans savoir où elle allait poser ses valises. Avant de me trouver parachutée, dès le premier jour, à la tête de ce commissariat, avec en face de moi, dans les yeux de mes subalternes, au mieux de l’ironie, le plus souvent de la méfiance, au pire du dégoût. J’ai mûri, je me suis émancipée de bien des tutelles, même si je ne renie pas ton amitié, ni celle de Dominique. Ces derniers mois, je me suis construit de nouvelles bases intérieures, une nouvelle stature adaptée à mes compétences réelles et à des objectifs réalistes. Entrevoir un avenir parisien, une possible place à l’Élysée, m’a fait comprendre que je piétinais à Quimper.

— Gérald t’y a certainement beaucoup aidée, non ?

— Cesse de lui chercher sans cesse des poux dans la tête, comme si tu te sentais jaloux de mon choix. Une vie, c’est un livre que l’on écrit page à page pour arriver au bout de l’histoire. Quimper a représenté pour moi un tremplin important que je ne renierai jamais. Mais ça y est, j’ai pris mon envol, même si j’ai été retardée au décollage. On envisage pour moi un poste de commissaire à Nice, cette destination m’ira parfaitement. Voilà peu, tu me disais que tu comprenais la volonté de Dominique de participer aux travaux de sa commission internationale, un poste à la mesure de ses compétences. Moi aussi, je sens que je m’encroûte dans ce commissariat et dans la vie, il y a des moments où, si tu n’avances pas, tu finis par reculer.

— Si tu sens les choses ainsi, soupirai-je, à bout d’arguments. Sache que même si je ne cautionne pas le chemin que tu prends, je serai toujours là pour toi. Je conçois ton ambition, je l’approuve même, je ne veux pas te clouer le pied à Quimper, ad vitam aeternam. Je pense juste que tu ne prends pas le bon train sur le bon quai. Et pas dans le bon wagon, avec les bons compagnons de route. Comme je pense, en flic, que ce n’est pas le hasard qui a conduit Sylvain, ton ancien béguin, au fin fond de la Bretagne. Tu sais ce que je pense et tu sais que je suis ton ami, alors je ne peux rien te dire de plus, tu as les cartes en main.

Sans doute le ton aurait-il monté, tant je sentais Radia irritée, prête à exploser, si Blaise ne s’était pointé, avec un ensemble de poches plastiques rassemblant sans doute les pièces à conviction. Dans le portefeuille de la victime, il avait découvert un ticket de caisse au nom d’un bar, les Folatières à Dinéault. Comme je ne parvenais pas à me rappeler où se situait cette commune, Zeb me rafraîchit la mémoire.

— C’est le patelin où sont formés les gendarmes, près de Châteaulin. Ce n’est pas bien loin du Ménez-Hom, m’a précisé un bleu qui va régulièrement pratiquer la randonnée dans le secteur avec sa femme. Ce ticket est vieux de trois jours, ce qui signifie que Sylvain ne venait pas de débarquer dans le Finistère. Il trafiquait dans le secteur depuis déjà quelque temps.

— Tu vois, Paul, cette affaire ne me concerne pas directement, gloussa Radia, caustique, presque rancunière et revancharde comme si nous étions rivaux. Ce gars n’est peut-être pas celui auquel je pensais et son parcours n’a peut-être rien à voir avec le mien. Le plus court chemin entre deux points n’est pas forcément celui qui mène à la vérité.

— Je ne comprends pas grand-chose à ce que vous racontez, tous les deux, mais ce n’est pas grave, reprit Blaise, à fond dans son enquête. On a aussi retrouvé dans ses papiers la carte grise d’une moto, une KTM 450 cm3, ce n’est pas rien, comme bécane. L’idéal pour les cross-bitume de banlieue, non ?

— Étonnant, un fondu de moto, persiflai-je pour taquiner la grande patronne.

— Enfin, troisième indice, une carte de fidélité provenant d’une pizzeria : le Portofino, boulevard Finot à Saint-Denis.

— Portofino, dis-tu ? intervint Radia, en ravalant sa salive.

— Ce nom éveille en toi un souvenir de jeunesse ? m’étonnai-je, en fixant la grande patronne, replongée dans un passé à propos duquel je constatais que j’ignorais tout.

— Elle existait déjà à mon époque, rien de plus. Je l’ai fréquentée, rien à dire, juste quelques souvenirs qui me reviennent en mémoire, rien d’important pour votre enquête.

— J’en termine avec l’ultime découverte d’un bleu, pas forcément inintéressante : sous les santiags de la victime, des traces de crottin de cheval, plus rare sur le parking de la Providence que le crottin de Chavignol des samedis matin, à l’étal du fromager.

— Et de marcher dedans, cela ne porte visiblement pas bonheur, me lamentai-je.

Radia s’apprêtait à rentrer chez elle, sans doute auprès de Gérald, qu’elle allait fatalement retrouver, lorsque le téléphone du bureau retentit. Un appel du responsable de l’auberge de jeunesse, bien paniqué, selon le planton qui l’avait en ligne. Effectivement, mon interlocuteur avalait la moitié de ses mots, ce qui m’obligea à lui demander de répéter plus lentement :

— Quatre hommes dans une voiture noire attendent la sortie d’une jeune femme qui loge chez nous depuis deux nuits. Elle est totalement paniquée et m’a demandé de la protéger parce qu’ils veulent lui faire la peau. Je lui ai certifié qu’elle pouvait rester le temps qu’elle voulait, mais je ne l’ai pas prévenue de mon appel, j’ai peur qu’elle ne fuie la police…

— Ne faites rien, gardez-la près de vous, rassurez-la, soyez vigilant, on arrive.

J’expliquai la situation à Radia. Blaise se lamenta : il y avait des jours où les emmerdes s’enchaînaient et celui-ci en faisait partie. Il n’était même pas 7 heures du matin et nous avions déjà deux affaires bizarres sur le dos. La grande patronne nous suggéra de nous rendre sur place avec une dizaine de gars, par prudence, mais de faire attention à ce que cela ne tourne pas au carnage, si jamais les quatre suspects étaient enfouraillés.

Sur place, un quart d’heure plus tard, cela se passa presque sans encombre. Obnubilés par la porte de sortie de l’auberge de jeunesse, les lascars ne surveillaient pas leurs arrières et quand ils voulurent se défendre, il était déjà trop tard. Ils avaient été neutralisés. Je notai vite la plaque d’immatriculation de l’Audi : 93. Comme l’origine de Sylvain Barrier, le département de Seine-Saint-Denis. Nouvelle coïncidence, de celles que je détestais dans le déroulement d’une enquête. Cela commençait à en faire beaucoup à mon goût, d’autant que la grande patronne se trouvait possiblement impliquée. Et comme les quatre olibrius n’affichaient pas des gueules d’enfants de chœur, je commandai aux bleus de les embarquer et de les enfermer dans des cellules séparées.

Le premier souci réglé, en compagnie d’un Blaise bien discret, je me dirigeai vers l’entrée de l’auberge de jeunesse. Le responsable me vit arriver avec, à la fois, soulagement et crainte. Satisfaction de voir les forces de l’ordre intervenir mais également peur d’une expédition punitive de la part des potes de ces quatre-là, s’ils apprenaient l’identité de l’individu qui les avait balancés aux flics. Je tentai de le rassurer, y parvins un peu en lui expliquant que, débarquant de la région parisienne, ils avaient d’autres chats à fouetter. Il me conduisit jusqu’à son appartement de fonction, où il avait caché la jeune femme. Là, je me trouvai face au portrait craché de Radia, plus jeune et plus grande que notre commissaire. Une jeune femme sur la défensive, visage hagard, prête à bondir elle aussi comme une tigresse, attitude qui me rappelait notre commissaire, à son arrivée à Quimper, lorsque les réflexes habituels des proies de tant de prédateurs aux profils variés, incitaient à se défendre, avant même d’avoir été agressée.

— Vous n’avez plus rien à craindre, Mademoiselle, les quatre individus ont été neutralisés, vous pouvez vous détendre. Vous aussi, vous êtes de Seine-Saint-Denis ?

— Pourquoi moi aussi ? questionna de façon surprenante mon interlocutrice.

— Parce que vos quatre agresseurs utilisaient une voiture immatriculée dans ce département, expliquai-je, de la voix la plus sereine possible, pour ne pas brusquer la jeune femme. Mais c’est vrai, après tout, peut-être s’agit-il d’une voiture volée.

— Je ne vous ai pas appelés, je ne veux pas avoir affaire à la police. J’ai paniqué, ces garçons ne m’ont pas agressée, je ne veux pas porter plainte contre eux, je veux rentrer chez moi.

— Vous comprenez bien qu’à présent que nous nous sommes déplacés et que nous avons embarqué quatre individus suspects, nous allons vous réclamer un minimum d’explications. Même s’il ne s’est rien passé de répréhensible, nous devons justifier notre intervention. Vous avez bien demandé à ce monsieur de vous protéger ?

— J’ai paniqué, je vous dis, je suis à cran, en ce moment. Je me suis fait un mauvais film, je voudrais rentrer chez moi.

— Mais au fait, c’est où, chez vous ?

Mon interlocutrice s’effondra sur le canapé du salon, comme si ma question avait pour réponse un secret inavouable. Elle noya ses doigts fins dans son épaisse chevelure noire et frisée, ainsi que le faisait si souvent notre patronne, se cacha le visage à l’aide de ses bras et éclata en sanglots. Je ne comprenais pas pourquoi mon interrogation la mettait dans un tel état, elle était la victime, pas une criminelle. Mais on voyait tant de comportements surprenants, depuis quelques années, que je laissai le temps faire son œuvre avant de me hasarder à une nouvelle interrogation.

Blaise arriva à la rescousse, le registre des entrées à la main. Il avait une question et m’interrogea du regard pour voir s’il pouvait se lancer. De toute manière, que risquions-nous, la situation ne serait pas forcément pire après. Aussi acquiesçai-je d’un mouvement des yeux. Mais loin d’apaiser la situation et de détendre notre interlocutrice, l’intervention de Blaise représenta une nouvelle bombe, pour la jeune femme comme pour moi :

— Si j’en crois l’identité que vous avez déclinée à votre arrivée en ce lieu, vous vous appelez Samira Belloumi, n’est-ce pas ? Par hasard, ne seriez-vous pas de la famille de notre grande patronne, la commissaire Radia Belloumi ?

I

Lorsque les deux sœurs se trouvèrent face à face dans mon bureau, il se passa un long moment de silence. Radia avait des pistolets dans les yeux, Samira la tête basse, comme une gamine prise en faute. L’aînée ordonna sur un ton autoritaire à la benjamine de la suivre dans son bureau. Sans doute habituée à obéir aux injonctions, la plus jeune obtempéra. J’emboîtai le pas, peu décidé à laisser le dialogue s’achever en crêpage de chignons. La grande patronne se fâcha, rappela que c’était elle qui dirigeait le commissariat. J’étais résolu à ne pas concéder un pouce de terrain, quitte à ce qu’elle menace de me coller un rapport pour insubordination. Ce qu’elle ne ferait pas, évidemment. Surtout dans une telle situation, un imbroglio familial.

— C’est une histoire de famille, cela ne te regarde pas, Paul.

— C’est une enquête de police dont tu m’as chargé, et plus les coïncidences s’accumulent, moins les cachotteries me conviennent. Vous travaillez au Portofino, Samira, pas vrai ? Blaise a découvert rapidement ce détail en fouillant dans vos affaires personnelles. Sylvain Barrier fréquentait le Portofino, pizzeria de Saint-Denis et les quatre individus qui tournent en rond dans les cellules, en récitant le dictionnaire des jurons de la zone, semblent aussi arriver de Seine-Saint-Denis. Bizarre comme coïncidence, non ? Comme je ne crois pas à la réunion décennale des anciens du quartier du carrefour Pleyel au centre de Quimper, j’ai besoin de connaître le lien qui vous unit, les uns et les autres. Et ensuite, si bon vous chante, vous vous crêperez le chignon entre frangines et en privé.

— Je n’ai rien à vous dire, ni à l’un, ni à l’autre !

— Dans quel pétrin t’es-tu fourrée, Sam ? questionna Radia, tout en ouvrant la porte de son bureau. Ne me dis pas que Sylvain et toi ? Non, tu n’as pas profité de mon départ pour…

— Il t’a sauvé la vie et toi, après t’être amusée un moment avec lui, tu n’as rien trouvé de mieux que de le planter dans la nature sans lui donner de nouvelles. Ni à ta famille, d’ailleurs, soit dit en passant. Tu as honte de nous, c’est cela ? Pas une visite de ta part depuis six ans, ça fait beaucoup, non ? Pas une seule nouvelle de toi, non plus, et pourtant je remarque que le téléphone est arrivé en Bretagne, sans doute même Internet ?

— Si tu connaissais mes horaires de…

— Jamais tu ne t’es demandé, une fois que tu as quitté la cité, ce qui avait pu arriver au gars qui avait empêché des petites frappes de te passer à tabac ? Parce qu’ils ont fini par découvrir que tu voulais devenir flic, figure-toi ! Pas une seule fois tu as pensé aux représailles sur ta famille, à la vie de notre mère, du fait que, puisque tu étais partie, ils pouvaient vouloir se venger sur ta frangine ?

— Ne me dis pas que ces salauds s’en sont pris à toi ?

— Non, ils ne l’ont pas fait. Pour l’unique raison que Sylvain a passé un deal avec eux. Il collaborait sur des coups avec sa bécane, en échange, la bande me laissait tranquille. Eh oui, grande sœur, c’est comme cela que ça se passe, là où tu es née, que tu le veuilles ou non. C’est sûr que c’est plus facile de faire la loi en Bretagne, et même la une des journaux, parce que nous, on suit ta carrière, on découvre régulièrement tes exploits. Mais nous, c’est à Saint-Denis qu’on t’attendait, dans la cité dans laquelle nous avons été relogés quand les vieilles baraques ont été rasées pour laisser place à un quartier d’affaires. Notre mère est sûrement fière de voir que tu es devenue quelqu’un, même si à tes yeux elle n’est plus personne. Nous avons peut-être changé d’adresse, mais notre numéro de téléphone est toujours le même.

— Vous veniez retrouver Sylvain à qui vous aviez donné rendez-vous ou vous vouliez parler à votre sœur, en faisant le voyage vers Quimper ? intervins-je, pour recentrer la conversation.

— Je ne vous dirai plus rien. Enfermez-moi si vous le voulez, mettez-moi tout sur le dos, cela n’a pas d’importance, désormais. Laissez-moi, maintenant, je suis fatiguée.

Il se passa un long moment durant lequel personne ne bougea, jusqu’à ce que Samira, à bout de nerfs, n’aille se recroqueviller dans le fauteuil de salon du bureau de sa sœur. Sacrées têtes de mules, les deux frangines, tout de même ! Je compris que ma place n’était plus à cet endroit. J’avais obtenu quelques renseignements, pas de quoi tout comprendre, juste le minimum pour échafauder quelques scénarios plus ou moins tordus, sans doute bien éloignés de la réalité, comme souvent. Pour privilégier l’un d’entre eux, il me fallait d’autres informations, des précisions sur les faits de la nuit, sur le passé aussi, sans doute.

Une chance, j’avais conservé au chaud quatre spécimens de la faune banlieusarde qui, même s’ils ne se montraient pas coopératifs – il ne fallait pas rêver, non plus – devaient posséder des pedigrees qui nous fourniraient des indices sur leurs relations, leurs activités, leur rayon d’action. Avec une infime probabilité que celui-ci englobe la Cornouaille.

Blaise était déjà au travail et sortait les dossiers du quatuor, de vrais pavés bien solides. Pas de grosses peines, mais de fidèles clients des commissariats de la région, et même des tribunaux pour deux d’entre eux. Mon jeune collègue me laissa éplucher le palmarès du plus âgé, sans doute le chef de l’équipée, se réservant les trois autres. Ce que je lisais sur sa fiche me donnait envie de le rencontrer. J’éprouvais une affection particulière pour les petits caïds qui parvenaient régulièrement à passer entre les mailles du filet. Une fois par rétractation d’un témoin, une autre fois pour un vice de procédure, quand ils ne bénéficiaient pas de témoignages sur l’honneur de braves citoyens venant jurer, la main sur le cœur, qu’ils avaient passé ces heures déterminantes en compagnie du suspect, autour d’une table de belote. Ah, la partie de belote entre potes, l’imparable alibi qu’aucune carte ne parvenait à couper !

Voilà comment je me trouvais face à Marco Robin, 44 ans, crâne rasé, regard bleu acier, bouc parfaitement taillé, costard noir bas de gamme et pull ras de cou gris, à peine plus clair. Officiellement célibataire mais certainement maqué, gestionnaire immobilier spécialisé dans les locaux commerciaux pour la façade, à coup sûr à la tête d’une petite bande d’apaches sévissant sur un territoire qu’ils considéraient le leur. Ou mieux, membre d’un groupe d’extrême droite qui se faisait un honneur civique de débarrasser leur périmètre de la racaille grouillante.