La disparue de la baie - Jean Failler - E-Book

La disparue de la baie E-Book

Jean Failler

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Beschreibung

Mary Lester se voit confier une ténébreuse affaire de disparition d’une jeune femme sur laquelle la gendarmerie, puis les limiers du SRPJ de Rennes, se sont cassé les dents. Reprendre un tel dossier n’est pas simple, d’autant que tout semble se liguer contre elle : bousculée par un vigile, traînée en justice, elle va également être inquiétée par les sinistres « bœuf-carottes ».

Heureusement soutenue par ses fidèles Fortin et Gertrude, Mary n’aura pas trop de sa malice, de sa connaissance de la loi et de son imagination pour se sortir de ce mauvais pas.

Une question subsiste pourtant : qu’est donc devenue Aude Larmenciel ? De Quimper au Cap Sizun, en passant par Lorient et Saint-Goustan, Mary va tenter de remonter sa piste… Aurait-elle été engloutie comme tant de victimes par les flots tumultueux de la superbe mais terrible Baie des Trépassés bordant la Pointe du Raz ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Cet ancien mareyeur breton devenu auteur de romans policiers a connu un parcours atypique !
Passionné de littérature, c’est à 20 ans qu'il donne naissance à ses premiers écrits, alors qu’il occupe un poste de poissonnier à Quimper. En 30 ans d’exercice des métiers de la Mer, il va nous livrer pièces de théâtre, romans historiques, nouvelles, puis une collection de romans d’aventures pour la jeunesse, et une série de romans policiers, Mary Lester.

À travers Les Enquêtes de Mary Lester, aujourd'hui au nombre de cinquante-neuf et avec plus de 3 millions d'exemplaires vendus, Jean Failler montre son attachement à la Bretagne, et nous donne l’occasion de découvrir non seulement les divers paysages et villes du pays, mais aussi ses réalités économiques. La plupart du temps basées sur des faits réels, ces fictions se confrontent au contexte social et culturel actuel. Pas de folklore ni de violence dans ces livres destinés à tous publics, loin des clichés touristiques, mais des enquêtes dans un vrai style policier.

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Couverture

Page de titre

Les ouvrages de Jean Failler sont disponibles à la Bibliothèque Sonore du Finistère.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

À MES AMIS

Bernard Chacun

Christian Mailloux

Pierre Le Seach

Claude Jaouen

André Rosuel

Jean-François Chaussepied

REMERCIEMENTS

Martine Bertéa

Karine Body

Laurine Cadiou

Jean-Claude Colrat

Delphine Hamon

Myriam Henvel

Annie Le Chevanche

Meven Le Donge

Adrien Le Meur

Fanny Maily

Myriam Morizur

Nathalie Simon

Laure Thomas

Chapitre 1

Il était enfin arrivé, ce fichu jour ! De tout le mois de juin, on n’avait pas vu une goutte de pluie, si bien qu’à la campagne les prairies jaunissaient et les feuilles tendres des arbres s’étiolaient. Dans les pâtures desséchées, les troupeaux attendaient en meuglant lugubrement que le fermier vînt approvisionner avec une grosse citerne métallique montée sur roues les abreuvoirs dramatiquement vides.

Et voilà qu’à l’horizon, une bande de nuages noirs annonçait enfin le changement de temps tant espéré.

Mary Lester, qui avait l’oreille fine, perçut un grondement dans le lointain ; elle leva les yeux du magazine qu’elle feuilletait distraitement.

Confortablement étendue dans un transat sous le feuillage diffus de la glycine-arbre qui prospérait au milieu de son petit jardin, havre de paix et de verdure en plein cœur de la ville, elle se sentait parfaitement bien.

Son amie Amandine, qui ne concevait pas qu’on pût rester sans rien faire au milieu de l’après-midi, désherbait les plates-bandes en lui jetant régulièrement un regard sombre, lourd d’incompréhension.

Il en eût fallu bien plus pour troubler la sérénité du commandant Lester qui avait depuis belle lurette renoncé à faire admettre à sa chère amie que lire et réfléchir pouvaient aussi être des travaux à temps complet. Elle annonça d’une voix calme :

— Je crois que vous allez être contente, Amandine…

Celle-ci redressa sa courte taille et essuya d’un revers de main son front où perlaient quelques gouttes de sueur.

— Que dites-vous ?

Fortin n’aurait pas manqué de remarquer que cette bonne Amandine commençait à être un peu « dure de la feuille ».

— Je dis, fit Mary en montant le ton, qu’il ne va pas tarder à pleuvoir.

Amandine leva le nez vers l’horizon et s’exclama, ravie :

— Ma foi, je crois bien que vous avez raison. Ce n’est pas trop tôt !

Le printemps avait été anormalement aride. Cependant, le jardin clos de murs de Mary Lester, par la grâce du vieux puits de pierre que les anciens avaient creusé trois siècles plus tôt, recevait sa dose d’eau quotidienne, Amandine y veillait scrupuleusement, mais sans débordements.

Quelques grosses gouttes s’écrasaient maintenant sur le zinc du toit et sur la verrière avec un bruit mou.

Mary s’empressa de refermer sa revue, de replier le transat de toile et de bois et de se réfugier sous la véranda qui était à deux pas. Amandine la suivit et fila vers sa cuisine.

— Je vais faire le thé !

L’averse se déchaîna tout à coup, plongeant cet abri de verre dans un univers glauque. Les filets d’eau qui ruisselaient sur les vitres donnaient l’impression qu’on se trouvait non pas dans un appartement douillet, mais dans un sous-marin en immersion dans la tempête.

Confortablement installé sur le canapé, à sa place favorite, Mizdu, le grand chat noir de Mary Lester, leva la tête et la jeune femme, qui connaissait bien ce mini-fauve hérité de la gwrac’h1, s’inquiéta :

— Eh bien, qu’y a-t-il, mon matou ?

Elle s’approcha et lui gratta doucement la tête entre les deux oreilles, caresse que le chat appréciait particulièrement. Il se redressa, descendit du canapé avec majesté, comme il faisait toute chose, se dirigea vers la porte, s’assit et considéra Mary avec insistance.

Elle comprit immédiatement que Mizdu attendait qu’on lui ouvre. Elle s’exécuta immédiatement mais le matou changea d’avis en découvrant la pluie. Le gros de l’averse était passé et le roulement du déluge sur le toit de zinc, apaisé. Seules gargouillaient les gouttières qui avaient du mal à absorber le trop-plein d’eau qui s’était abattu sur la ville. Tendant l’oreille, elle perçut alors des coups sourds qui résonnaient sur la porte d’entrée du jardin, coups que le chat qui avait l’ouïe fine avait entendus bien avant elle.

— Il y a quelqu’un qui frappe ! dit-elle à son amie, qui venait de déposer un plateau portant des tasses et une grosse théière fumante.

Amandine, qui n’aimait pas qu’on trouble ces instants d’intimité avec « sa petite », comme elle appelait Mary, demanda, contrariée :

— Vous attendez quelqu’un à cette heure-ci ?

Mary consulta sa montre et remarqua :

— Il n’est que dix-huit heures…

Elle secoua la tête négativement.

— Non, je n’attends personne…

— Alors, qui ça peut bien être ?

Mary leva les épaules avec une moue interrogative.

— Je n’en sais rien, le mieux serait d’aller voir.

Elle aussi était agacée. Ces visites intempestives ne présageaient en général rien de bon.

Avant d’ouvrir la porte de gros bois brut, elle jeta un œil par le judas que, par mesure de prudence, son ami Yann avait installé. Elle ne vit qu’une silhouette qui s’était protégée tant bien que mal de l’averse en s’engonçant dans le col de son imperméable.

Rassurée, elle tira l’épais verrou de fer et ouvrit la porte. Ce qu’elle avait pris pour une frêle silhouette se déplia et elle s’aperçut qu’elle avait affaire à une très belle femme qui la dominait d’une tête et qu’elle ne connaissait pas.

— Madame ? demanda-t-elle, surprise.

La grande bringue, car elle avait décidé instantanément que cette visiteuse appartenait à une catégorie redoutable entre toutes, celle des raseuses, lui répondit d’une voix un peu éraillée :

— Larmenciel, Sophie Larmenciel.

Mary serra la main humide et froide qu’on lui tendait et, sur la défensive, demanda :

— On se connaît ?

— Je ne crois pas. À vrai dire, j’aurais voulu rencontrer l’inspecteur Lester. On m’a dit qu’il habitait ici.

Comme Mary, toujours sur son quant-à-soi, ne répondait pas, madame Larmenciel eut un mouvement de recul.

— Je me suis trompée ?

— Pas vraiment, Madame, il n’y a pas d’inspecteur Lester puisque, dans la police, il n’y a plus d’inspecteurs, mais des lieutenants, des capitaines et des commandants, comme dans l’armée.

— Ah, s’exclama la femme, décontenancée, ça change quoi ?

— À vrai dire, pas grand-chose, reconnut Mary. Il n’y a pas d’inspecteur Lester, mais un commandant Lester, et il est devant vous.

— Ah ! dit de nouveau la dame Larmenciel. Un commandant… Mais… mais… vous êtes une femme !

Mary confirma en retenant un sourire.

— Oui, Madame, des pieds à la tête depuis un bon moment, et je n’ai pas l’intention de changer de sexe pour sacrifier à la mode. Je suis LE commandant Lester, et surtout pas la commandante, car c’est un grade qui n’existe pas plus dans la police que dans l’armée.

— Ah… reprit la visiteuse, un peu déstabilisée par cette réponse. Mais vous êtes quand même dans la police ?

Elle n’avait pas l’air d’y croire. Mary confirma une nouvelle fois :

— Il paraît…

— Comment ça, il paraît ?

Mary regarda ostensiblement sa montre. Ce petit jeu commençait à être un peu longuet.

— Je suis commandant de police aux heures d’ouverture des bureaux du commissariat. Ici, dans mon domicile, je ne suis que la citoyenne Mary Lester.

Elle vit que son interlocutrice paraissait être aux prises avec un incoercible tremblement.

— Vous avez froid ?

Madame Larmenciel fut secouée par un grand frisson.

— Un peu, reconnut-elle.

Elle avait fait le pied de grue sous le déluge avant que Mary lui ouvrît et elle semblait gelée. Mary n’eut pas la cruauté de la laisser sur son seuil. Elle se résigna à lui dire dans un soupir :

— Entrez donc ! Nous serons plus à l’aise à l’intérieur pour causer.

1 Voir La Bougresse, même auteur, même collection.

Chapitre 2

Après un bref mouvement d’hésitation, madame Larmenciel suivit Mary avec circonspection et pénétra dans la véranda, puis dans la pièce à vivre où Mary avait sa cheminée, le piano hérité de sa maman, le grand canapé sur lequel se plaisait tant Mizdu et, derrière un rideau, son grand lit douillet.

Depuis la cuisine, des bruits de casserole montraient qu’Amandine « avait ses nerfs », comme elle disait lorsqu’elle était remontée. Ce vacarme marquait sa désapprobation devant ce qu’elle considérait comme un envahissement de leur petit sanctuaire.

Mary sentit qu’il était urgent d’apaiser sa vieille amie qui avait souvent la tête près du bonnet. Elle ouvrit la porte de la cuisine et lança d’un ton enjoué :

— Venez donc par là, Amandine, nous avons de la visite.

— Je ne voudrais pas déranger, répondit-elle d’un ton pincé.

La voix de Mary se fit lénifiante :

— Est-il question de ça ?

Et, en aparté, elle lui chuchota à l’oreille :

— C’est une femme bizarre, ne me laissez pas seule avec elle. Je voudrais bien avoir votre avis.

Le visage d’Amandine s’éclaira. Si c’était pour rendre service, alors… Elles entrèrent toutes les deux dans la pièce de séjour et Mary fit les présentations :

— Voici une amie très chère, madame Trépon, qui me tient compagnie. Cette grosse bête noire est mon chat, Mizdu, le gardien du foyer. Ne vous y fiez pas, il a l’air gentil comme ça, mais il ne fait pas bon le contrarier. Il a parfois mauvais caractère et il faut lui parler avec déférence.

Madame Larmenciel observa le matou avec respect.

— Je me garderai bien de le contrarier ! Bonsoir, monsieur Mizdu !

Le chat s’étira, bâilla et fit « merouin ». Mary sourit.

— Je crois que vous avez fait bonne impression.

Elle poursuivit les présentations :

— Et voici madame Larmenciel, ma chère Amandine, qui est venue rencontrer le commandant Lester pour…

Elle se tourna vers la visiteuse.

— Au fait, pour quoi ? Vous ne me l’avez pas encore dit…

La femme continuait à trembler. Mary s’exclama :

— Mais quittez donc ce vêtement, il est trempé !

Amandine l’aida à se défaire, plaça l’imper sur un cintre qu’elle alla suspendre dans la salle de bains tandis que Mary portait une allumette dans le petit bûcher tout préparé dans la cheminée. Une longue flamme bleue s’éleva bientôt et la visiteuse en frissonna d’aise.

— Vous prendrez bien un thé, proposa Mary.

— Euh… vous n’auriez pas quelque chose de plus fort ? Je sens que j’ai besoin d’un coup de fouet.

— Un cognac ?

— Ça serait parfait.

Il n’y avait guère de boissons fortes dans la cave de Mary Lester. C’est Amandine qui détenait les liqueurs dans sa cuisine, car, en fin cordon-bleu, elle flambait certaines préparations. Elle posa sur la table basse un verre ballon à demi-plein d’un liquide ambré que la dame Larmenciel guigna aussitôt avec un intérêt mal dissimulé.

La grosse théière d’argent avait gardé le Ceylan à la bonne température. Amandine fit le service et Mary, après avoir bu deux gorgées, en vint aux choses sérieuses.

— Donc, vous vouliez rencontrer le commandant Lester…

— C’est ça, oui.

— À quel propos ?

Avant de répondre, comme pour prendre des forces, madame Larmenciel saisit le verre d’une main tremblante et le vida en trois gorgées. Miraculeusement, son tremblement disparut ; Mary eut alors la confirmation de ce qu’elle avait subodoré au premier contact : la grande bringue tenait bien la toile, mais c’était une adepte des boissons fortes ! Jusqu’où ? À voir…

— C’est que, dit-elle enfin en jetant un coup d’œil oblique vers Amandine, ce que j’ai à vous dire est très personnel et…

Mary tint à mettre les choses au point immédiatement.

— Et la présence de madame Trépon vous gêne…

— Elle ne me gêne pas, elle me retient.

De ce fait, c’était Amandine qui se sentait gênée. La tête baissée, elle évitait de croiser le regard de la visiteuse.

— Madame Trépon n’est pas seulement ma cuisinière et ma jardinière, c’est aussi ma confidente. Je n’ai pas de secret pour elle. Maintenant, si sa présence vous gêne réellement, vous ne m’avez encore rien dit de votre affaire. On peut en rester là. On finit nos verres et on se quitte en bons termes.

Comme la dame Larmenciel avait séché son cognac plus vite que son ombre, il n’y avait plus qu’à prendre congé. Il y eut un moment de flottement puis, semblant regretter qu’Amandine ne remette pas la tournée de cognac, elle se jeta à l’eau :

— Euh… À vrai dire, je ne sais pas par quoi commencer.

Mary lui vint en aide :

— Que faites-vous dans la vie, chère Madame ?

— Je gère un hôtel-restaurant, La Table de Bacchus… Vous connaissez, je suppose ?

— Ce nom ne m’est pas étranger, avoua Mary.

La Table de Bacchus était en effet un restaurant renommé des quais de l’Odet.

— Depuis longtemps ?

— Depuis qu’il est ouvert, ça fera huit ans à Noël.

— Vous avez toujours travaillé dans l’hôtellerie ?

— Oui…

— Ça vous plaît ?

Elle haussa les épaules tristement.

— Il faut bien faire quelque chose.

Mary sentit la faille. Elle insista :

— C’est un métier particulier, qui a bien des contraintes…

— Quel métier n’en a pas ?

— Certes, mais les horaires sont particulièrement exigeants dans les métiers de bouche.

— C’est vrai, la vie familiale s’en ressent parfois, mais on s’y fait.

Un bref sourire détendit un instant ses lèvres pleines.

— Je crois savoir que dans la police, le problème se pose également.

Mary acquiesça et demanda :

— Vous êtes mariée ?

— Non, mais j’ai tout de même des enfants.

Mary et Amandine échangèrent un regard interrogateur. Que cachait cette phrase ? La voix de madame Larmenciel se teinta d’amertume :

— Enfin, j’avais trois filles, je n’en ai plus que deux.

Mary la fixa dans les yeux.

— Seriez-vous la mère d’Aude Larmenciel ?

La femme hocha la tête douloureusement.

— Ah… vous êtes au courant ?

Comment Mary aurait-elle pu ne pas être informée de la disparition mystérieuse d’une jeune femme de vingt ans jusque-là sans problème ? Un corps, ou ce qu’il en restait, avait été découvert par des pêcheurs au large d’une plage au nom prédestiné, la baie des Trépassés, toute proche de la pointe du Raz. L’état de ce débris humain et son long séjour dans la mer n’avaient pas permis d’identification, et les analyses étaient encore en cours. Il s’agissait, semblait-il, d’une femme, jeune, dont la mort remontait approximativement à l’époque de la disparition d’Aude Larmenciel. Les médias n’avaient pas hésité à faire le rapprochement. Madame Larmenciel, devant le déchaînement médiatique qui s’était ensuivi, avait fini par admettre que sa fille était probablement morte.

— C’est terrible. Permettez-moi de vous présenter mes très sincères condoléances.

— Merci, dit la visiteuse, mais ce ne sont pas des condoléances que je suis venue chercher. J’en ai reçu plus que de raison et ça ne me rendra pas ma fille.

Elle regarda Mary dans les yeux.

— Rien ne me rendra ma petite Aude.

— Hélas ! compatit Mary.

Ce n’était pas très original, elle en avait bien conscience, mais que dire d’autre à une mère affligée ?

— L’enquête a conclu à un accident…

— Et vous n’y croyez pas ?

— Non ! J’ai la conviction qu’Aude a été assassinée.

Mary vit Amandine tressaillir en lâchant un « oh ! » indigné.

— La police n’a pas trouvé d’indices corroborant cette hypothèse, dit Mary, et je ne vois pas ce qu’on pourrait trouver de plus. D’autant que, lorsque ce corps a été découvert par des pêcheurs, il séjournait depuis un bon moment dans la mer et était très abîmé.

— Je sais tout ça, dit madame Larmenciel en retenant ses larmes.

— Alors, qu’espérez-vous de plus ?

Après un silence, elle ajouta :

— L’affaire a été menée par des enquêteurs que je connais bien. Ils sont particulièrement compétents et efficaces. S’ils ont conclu à une mort accidentelle, c’est qu’ils n’ont rien trouvé qui puisse les mener à une autre conclusion.

Madame Larmenciel ne comprit pas ce que disait Mary.

— On m’a laissé entendre que l’inspecteur Lester était particulièrement efficace et…

— Madame Larmenciel, fit Mary doucement, j’appartiens à la police nationale et je ne peux pas me livrer à des enquêtes particulières…

Sa visiteuse protesta très vite :

— Je vous payerai… Je ne suis pas riche, mais je me priverai s’il le faut ! Dites-moi votre prix !

— Il ne s’agit pas de cela, Madame, j’appartiens à l’administration et j’ai un chef, le commissaire divisionnaire Fabien. C’est lui qui détermine mes missions.

— Où peut-on le voir ?

— Au commissariat de Quimper, en prenant rendez-vous…

— Ah ! répondit-elle, décontenancée.

Mary ajouta calmement :

— Cependant, je voudrais vous épargner une démarche vouée à l’échec.

Madame Larmenciel demanda, alarmée :

— Croyez-vous qu’il ne voudra pas me recevoir ?

— Loin de moi cette idée. Le divisionnaire Fabien est un homme courtois. Il vous recevra bien, il vous écoutera, mais ce sera peine perdue.

— Pourquoi ?

— Parce que cette décision ne lui appartient pas.

— Elle appartient à qui, alors ? C’est pourtant bien lui, votre chef !

— Assurément. Mais lui aussi a une hiérarchie qui fixe ses missions.

— Le préfet ?

— Oui. Et au-dessus du préfet, le ministre de la Justice. Cette affaire a mobilisé quatre des meilleurs limiers de la SRPJ de Rennes qui, je vous l’ai dit, ne sont pas les premiers venus. Ils ont conclu à une mort accidentelle pour une raison indéterminée.

— Que signifie ce jargon ?

— Ce sont les termes appropriés. Cela signifie qu’il peut s’agir d’un suicide, d’un accident, d’un crime…

Il y eut un silence et Mary ajouta :

— La justice a bien assez à faire et elle ne reviendra pas sur un tel dossier. Des événements aussi tragiques que celui de la disparition d’Aude, il y en a malheureusement au moins un par semaine dans notre pays et il n’y a pas suffisamment de flics pour les traiter tous.

— Je sais ! dit madame Larmenciel avec un mouvement d’impatience. Il n’y a pas assez de juges et si, par miracle, il s’en trouvait, il n’y aurait pas assez de prisons pour enfermer les monstres capables de tels actes.

— Ce n’est pas faux, mais quand bien même il y aurait assez de gens de justice pour condamner les criminels, assez de prisons pour les enfermer et assez de geôliers pour les garder sous clef, il manquerait toujours quelque chose d’essentiel.

— Quoi donc ? demanda avidement la mère éplorée.

— Un élément nouveau pourrait être déterminant afin qu’une deuxième enquête puisse être diligentée.

Madame Larmenciel ouvrit son sac à main pour y enfouir son mouchoir et en sortit une photo. C’était celle d’une jeune fille aux traits irréguliers, assez belle cependant, au sourire un peu niais qui avait pour elle le charme de ses vingt ans. Elle souriait à la vie sous un casque de longs cheveux vaguement roux mal peignés. Une sauvageonne sympathique, entourée de fleurs.

— Elle a beaucoup de charme, dit Mary prudemment. Où cette photo a-t-elle été prise ?

Cette phrase arracha un long sanglot à la mère.

— C’était ma petite fille et on me l’a tuée…

— Où cette photo a-t-elle été prise ? insista Mary.

— Dans une jardinerie.

— Quel âge avait-elle ?

— Quand on a pris la photo ?

— Oui…

— Vingt ans, c’était peu de temps avant sa disparition.

Mary hocha la tête, bouleversée par le profond chagrin de madame Larmenciel, et Amandine écrasa une larme. Quel gâchis ! Elle n’aurait pas donné plus de seize ans à cette gamine qui paraissait à peine sortie de l’adolescence. Qu’allait-elle dire pour s’en sortir ?

— Madame Trépon va prendre vos coordonnées et je vous donnerai mon téléphone pour le cas où quelque chose vous reviendrait.

— Quelque chose comme quoi ?

— Comme un élément nouveau par exemple.

Madame Larmenciel semblait désorientée.

— Mais encore ?

— Un fait, un témoignage tardif qui aurait échappé à mes collègues.

Mary n’y croyait guère et elle avait entrouvert cette porte un peu lâchement pour se sortir d’une situation qui devenait pénible.

Madame Larmenciel demanda, pleine d’espoir :

— Dans ce cas, l’enquête serait reprise ?

— Probablement, mais, comme je vous l’ai dit, ça ne dépend pas de moi ni même de mon patron, c’est de la compétence d’un juge.

Dix-neuf heures sonnèrent au clocher de l’église voisine de Saint-Mathieu. Madame Larmenciel se leva soudain.

— Il faut que je me presse, je tiens à être à La Table de Bacchus avant l’ouverture pour m’assurer que la mise en place a été faite correctement.

Mary l’accompagna jusqu’à la porte, la suivit du regard jusqu’à l’entrée de l’ancienne école Saint-Mathieu devenue une résidence à loyers modérés, là où habitait Amandine. Puis elle rentra songeuse dans son domicile. Sa voisine rangeait le plateau contenant les tasses vides, la théière, et aussi la coupelle de croûtes d’amandes.

Chapitre 3

Mary rompit le silence qui s’était installé après le départ de la visiteuse.

— Eh bien, ma chère amie, qu’en dites-vous ?

Amandine renifla dans son mouchoir.

— C’est bien triste, reconnut-elle, mais tout de même, quel culot que de débarquer chez vous le soir sans crier gare !

Visiblement, elle n’avait pas encore digéré cette intrusion, peut-être parce qu’elle en avait été fort troublée.

— Elle n’avait pas l’air d’avoir inventé l’eau chaude, cette gamine !

— On n’en a vu qu’un bout ! remarqua Mary.

— Comment ça ?

— On n’a vu que la tête !

— Bah, fit Amandine, c’est bien assez ! Enfin, puisque sa mère la trouvait belle…

— C’est sa mère, dit Mary, une maman est toujours indulgente, surtout dans un cas comme celui-là. Perdre une enfant si jeune dans des circonstances pour le moins troubles est sûrement une épreuve dont ni vous ni moi ne pouvons nous rendre compte.

— Et pour cause, dit Amandine, nous ne sommes mères ni l’une ni l’autre. Qu’allez-vous faire à présent ?

— Cette visite m’ayant laissé un goût amer dans la bouche, je vais me changer les idées en faisant une petite heure de piano.

Cette annonce amena un large sourire sur le visage d’Amandine.

— Pendant ce temps, je vais mettre le souper en train. Un potage de légumes suivi d’un filet de tacaud à la poêle accompagné de pommes de terre sautées et d’une salade, ça vous irait ?

— Admirablement, ma chère, à condition que nous le partagions, ce dîner !

— D’accord, mais je voudrais tout de même pouvoir assister au match de rugby féminin.

— Allez bon, les filles jouent au rugby à présent ?

— Oui, ma chère, et elles jouent même plutôt bien !

Mary la rassura, elle savait combien Amandine était férue des matchs de foot ou de rugby des équipes nationales.

— Vous partirez quand vous voudrez, je me chargerai de la vaisselle.

— Sûrement pas ! protesta Amandine. Je ferai ça demain matin sans me presser.

Elle ajouta, bourrue :

— D’ailleurs, vous ne savez pas faire la vaisselle.

— Ben ça ! fit Mary, faussement indignée. Je ne sais pas faire la vaisselle ? Quelle mauvaise foi !

— Non, vous rangez tout à tort et à travers et après, je ne m’y retrouve plus.

Mary la regarda sévèrement.

— Amandine, vous êtes une maniaque !

— C’est ça, commandant, c’est ça ! persifla la cuisinière. En attendant, faites-moi de la musique !

Mary s’exécuta, faisant des infidélités à Mozart et Chopin pour se remettre aux romances d’avant-guerre que la maman d’Amandine avait dû lui chantonner lorsqu’elle était encore dans son berceau : le répertoire de Trenet, le Chaland qui passe, de Jean Sablon, Vous qui passez sans me voir… et même de Gilbert Bécaud, Mes Mains, les romances sucrées des chéris de ces dames s’égrenèrent pour le plus grand plaisir d’Amandine.

Après ce délicieux repas, Mary n’eut aucun scrupule à tout laisser sur la table. Après tout, Amandine l’avait exigé.

Chapitre 4

Lundi matin

Après la bise à Fortin qui sacrifiait au rite de la première heure de la matinée à prendre le pouls du sport français dans son journal l’Équipe, Mary fila directement chez Passepoil qui avait déjà le nez sur ses écrans d’ordinateur. Il était tellement absorbé qu’il tressaillit en l’apercevant.

— Oh, Mary…

Elle rit.

— Bonjour, Albert, je t’ai fait peur ?

Il protesta vigoureusement :

— Oh non ! Seulement je ne m’attendais pas…

— Tu ne t’attendais pas à quoi ? À me voir si tôt ?

— C’est ça. Une urgence ?

Elle secoua la tête négativement.

— Non, une curiosité, tout simplement. Aude Larmenciel, ça te dit quelque chose ?

Le visage de Passepoil afficha une perplexité qui eût pu le faire passer pour un benêt.

— Ça devrait ?

— Je te le demande.

— Qu’est-ce qu’elle a fait ?

— Elle est morte.

La nouvelle n’affecta pas Passepoil outre mesure. Il faut dire qu’il commençait à être habitué à voir défiler les cadavres et, tant qu’il n’était pas obligé d’aller les identifier à la morgue, ça restait pour lui une pure abstraction ; et une abstraction est toujours moins impressionnante qu’une chose concrète (et en plus n’a pas d’odeur). Donc, ça ne l’impressionnait pas plus que ça.

— Ah… Quand ça ?

— Je ne sais pas, mais son corps a été découvert par des pêcheurs voici un mois.

— Une noyade ?

— Je ne sais pas…

— Alors… Que veux-tu que je fasse ?

— Une recherche sur tout ce qui a été écrit à propos de ce drame.

— D’accord, dit Passepoil après un temps de réflexion, Larmenciel, as-tu dit ?

— C’est ça. L A R M E N C I E L, Aude.

— Je m’y colle immédiatement.

Les longs doigts fins d’Albert Passepoil volèrent sur le clavier.

— Ne t’affole pas, Albert, ces recherches sont, pour le moment, strictement personnelles. Tu opères à temps perdu et tu me fais parvenir tes résultats par mail sans rien dire à personne.

— OK, dit Passepoil.

La requête de Mary Lester était inusitée, mais, dès qu’elle émanait du commandant Lester, l’informaticien ne se posait pas de questions.

En redescendant à son bureau, Mary croisa le commissaire qui arrivait. Il la salua courtoisement :

— Bonjour, Mary. Avez-vous passé un bon week-end ?

— Excellent, monsieur le divisionnaire, je vous remercie.

— Très bien ! Je vais préparer notre réunion.

C’était une tradition chaque début de semaine, le commissaire réunissait les OPJ pour faire un point sur les affaires en cours et pour répartir les nouvelles enquêtes et, éventuellement, suggérer de nouvelles pistes.

Mary rejoignit donc le petit bureau qu’elle partageait avec Fortin.

— Je viens de croiser le patron, dit-elle. Réunion sous peu…

— Comme d’hab, quoi, soupira Fortin en repliant négligemment son canard.

— Comme d’hab…

Il bâilla.

— J’espère qu’il va nous trouver une occupation plus excitante que celle que j’ai en ce moment.

Elle regarda le tas de fiches concernant la petite délinquance qui s’entassait sur le bureau du capitaine Fortin et jeta avec dérision :

— Dis donc, tu n’es pas près d’être au chômage !

— M’en parle pas, soupira Fortin, j’ai l’impression de vider la mer avec une passoire. Quand j’ai enregistré cinquante plaintes, une vague scélérate m’en recolle cent pour le lendemain. C’est lassant ! Et toi ?

— Depuis Tréguier1, je suis en roue libre.

— T’inquiète pas, dit Fortin, le vieux va bien te trouver quelque chose de gratiné.

Elle jeta, insouciante :

— On verra bien…

En fait, on ne vit rien. Le patron s’enquit auprès des chefs de groupe de l’avancée des affaires en cours. Comme il le faisait souvent, après avoir clos la séance, il fit un signe discret à Mary Lester et attendit que la salle se fût vidée pour lui glisser :

— Venez donc jusqu’à mon bureau, commandant.

Elle ne le suivit pas immédiatement, mais passa voir Fortin.

— Le commissaire veut me voir.

— Je m’en serais douté, marmonna le grand. Tu reviens me dire de quoi il s’agit ?

Elle acquiesça et emprunta l’escalier qui menait au saint des saints.

1 Voir Le château des âmes perdues, tomes 61 et 62, même auteur, même collection.

Chapitre 5

Après les civilités d’usage, le commissaire lui présenta un siège face à son bureau, prit place dans son fauteuil directorial, plaqua ses mains l’une contre l’autre et, fixant Mary droit dans les yeux, demanda à brûle-pourpoint :

— Commandant Lester, que magouillez-vous avec madame Larmenciel ?

Elle s’était attendue à tout, sauf à cette question. Elle bafouilla pitoyablement :

— Mais, comment ?

Le patron ne la lâchait pas du regard, ravi d’avoir pu, pour une fois, la prendre de court.

— Comment je l’ai su ? N’a-t-elle pas frappé à votre porte hier soir à vingt heures ?

— Si fait, j’ai eu en effet une visiteuse, mais il n’était pas vingt, mais dix-huit heures.

Le commissaire esquissa un geste d’agacement.

— Qu’importe… Cette femme est restée une bonne heure chez vous.

— Jusqu’à dix-neuf heures, en effet.

— Qu’était-elle venue faire ?

— Nous raconter une bien triste histoire.

Le commissaire leva le nez.

— Nous ? Vous n’étiez pas seule ?

— Non, Amandine Trépon était là. Nous nous apprêtions à prendre le thé quand un déluge a éclaté. Tout d’abord, nous n’avons pas entendu frapper à notre porte tant cette pluie torrentielle tambourinait fort sur la toiture de zinc.

— Alors vous l’avez fait entrer…

— Oui, la pauvre était restée sous l’averse, elle était trempée et frigorifiée. Amandine lui a servi un bon coup de fort pour la réconforter.

— Un coup de fort, hein ? demanda Fabien d’un air entendu.

— C’est ça, deux doigts de cognac dans un verre ballon.

Elle trouvait que le commissaire la toisait d’un drôle d’air.

— Pourquoi me regardez-vous comme ça ? C’est défendu ?

— Pas encore, dit comme à regret le commissaire. Poursuivez, je vous prie !

Holà, on la priait à présent ! Que dissimulait cet excès de courtoisie ?

— Cette dame nous a raconté la tragique histoire de sa fille cadette qui avait disparu depuis plusieurs mois et dont le corps a été retrouvé en état de décomposition avancée dans un filet par des pêcheurs bigoudens. Elle est intimement convaincue que son enfant a été assassinée, mais…

— Mais, compléta le commissaire, après une enquête du SRPJ de Rennes, faute d’indices probants, ces messieurs ont dû rendre les armes et conclure à une mort accidentelle.

— C’est ce que m’a dit madame Larmenciel.

— Alors, que voulait-elle ?

— Elle cherchait un certain inspecteur Lester dont on lui avait vanté la perspicacité. Je l’ai détrompée tout naturellement en lui expliquant que j’étais le commandant Lester, que le tribunal avait classé cette affaire et qu’il était donc hors de question d’obtenir une ordonnance de complément d’enquête.

Elle regarda le commissaire.

— Que pouvais-je faire d’autre ?

Fabien leva les épaules.

— Rien !

— Cependant, m’expliquerez-vous comment vous avez abouti au numéro 5 de la venelle du Pain-Cuit ?

— Cette dame a joué de malheur. Elle avait garé sa voiture sur le parking de l’église Saint-Mathieu et, en débouchant sur la route de Douarnenez, un jeune qui arrivait à toute vitesse du boulevard de Kerguelen a grillé le feu et a embouti sa Twingo.

— Elle a été blessée ?

— Non, heureusement. Elle est en surveillance à l’hôpital, choquée, mais sans aucune fracture. Elle a pu déclarer aux agents qui ont fait le constat qu’elle sortait de chez le commandant Lester.

— Voilà un mystère résolu. Et le chauffard ?

— Il s’est enfui, mais, blessé au genou, il ne courait pas aussi vite que d’habitude. Les flics l’ont rattrapé.

— Et alors ?

— Alors ? répliqua le commissaire, dépité. La routine… Dix-sept ans, pas de permis, voiture « empruntée », positif au cannabis et à l’alcool, et douze signalements au compteur.

— La totale, quoi !

— Ouais, fit le commissaire, désabusé. De quoi au moins se faire gronder par le juge, écoper de deux jours de garde à vue, deux mois de prison avec sursis et un stage de poney pour lui apprendre à être bon avec les animaux. Autant vous dire qu’il est sorti du tribunal en faisant un bras d’honneur aux flics qui l’ont arrêté. Quant à madame Larmenciel, elle ne s’en tirera pas aussi bien : sa voiture est détruite et, comble de malheur, elle avait 0,6 gramme d’alcool dans le sang, juste la mauvaise limite pour se faire gauler.

Il ajouta rageusement :

— Celle-là, on ne la loupera pas !

— Pauvre femme, elle n’avait pas besoin de ça !

— Quelle idée, aussi, de la faire boire du cognac à sept heures du soir !

— Je ne lui ai pas fait boire du cognac ! La malheureuse était transie et elle a réclamé quelque chose de fort pour récupérer.

— Elle a récupéré ?

— Oui. Elle claquait tant des dents qu’elle ne pouvait pas parler. Après avoir bu ces deux doigts d’alcool, son élocution est redevenue normale. Je ne sache pas qu’elle ait eu un comportement délictueux sur la route. Si l’autre fada ne l’avait pas percutée…

— Ouais, fit le commissaire, si… mais il l’a percutée et les flics ont fait leur boulot. Maintenant, l’enquête établira les responsabilités de chacun… Qu’avez-vous sur le feu actuellement ?

— Rien de bien prenant depuis ma mission à Tréguier… Mais je suppose que vous avez pris connaissance de mon rapport ?

— En effet. Une nouvelle fois, vous vous en êtes bien sortie.

Elle ne put résister à une taquinerie.

— Monsieur le préfet sera content ?

— Monsieur le préfet est satisfait, et son excellence le ministre de l’Intérieur aussi. Maintenant, penchez-vous un peu sur cette histoire d’Aude Larmenciel.

Elle le regarda, surprise.

— Vous y tenez ?

— Pas spécialement, mais monsieur le préfet y tient…

— Je suppose qu’il doit être actionné de là-haut ?

Elle avait braqué son index tendu vers le plafond, sa manière à elle d’évoquer une mystérieuse et toute-puissante hiérarchie.

Fabien leva les yeux au ciel.

— C’est évident ! Cependant, à titre personnel, je ne serais pas fâché que vous tailliez des croupières aux cadors du SRPJ de Rennes qui se sont cassé les dents et ont dû conclure à une mort accidentelle.

Mary sourit largement.

— Bien, patron. Comme dit Passepoil, je m’y colle immédiatement.

Le front du commissaire se plissa.

— Il dit ça, Passepoil ?

— Non seulement il le dit, mais encore, il le fait.

Elle ouvrit la porte et sortit en prononçant la phrase rituelle :

— Je vous tiens au courant.