Le vautour revient toujours - Tome 2 - Jean Failler - E-Book

Le vautour revient toujours - Tome 2 E-Book

Jean Failler

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Beschreibung

Découvrez la suite de l'enquête intrigante, menée par Mary Lester, sur la chute brutale et mystérieuse d'un riche industriel. Cette mort n'est décidément pas un accident...

Mary Lester poursuit son enquête sur la chute de vélo de Robert Larnaca, riche industriel cornouaillais. Sa mort ressemble de moins en moins à un accident…
Le commandant Lester se retrouve aux prises avec le propriétaire d’une casse automobile de Quimper, un type franc comme un âne qui recule. Ce dernier a embauché Lostelier, alias le Vautour, à sa sortie de prison.
L’oiseau semble quant à lui s’être fait la malle et reste introuvable alors que le mobile-home dans lequel il avait élu domicile est parti en fumée, ce qui fait de lui un coupable idéal.
Trop idéal, peut-être ?
Mary commence à le croire…

Le Vautour semblait être le coupable idéal, d'autant plus qu'il est introuvable et que son domicile est parti en fumée, mais tout cela est presque trop évident pour Mary... Un polar passionnant qui réserve encore bien des surprises !

EXTRAIT

"Une enveloppe de papier kraft était dissimulée entre les deux pièces de charpente.
Mary descendit de son perchoir.
— Bingo ! dit-elle.
Elle s’épousseta les mains et ouvrit l’enveloppe qui n’était pas collée mais fermée par un élastique.
Elle siffla admirativement entre ses dents et lança à Gertrude :
— Regarde ça, ma grande, on dirait que le père Noël vient de passer !
Une liasse de billets, retenus eux aussi par un élastique, apparut aux yeux éberlués de Gertrude.
— Houla ! Il en avait des économies, ce connard !
Il y en a pour combien ?
— Une liasse de billets de cinquante euros, je dirais en gros cinq cents euros.
— Tu ne les comptes pas ?
Mary secoua la tête négativement :
— Il faut d’abord qu’ils passent au labo. Il y a peut-être des empreintes digitales. Viens, on redescend…"

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Le vautour revient toujours », publié en avril 2019 aux éditions du Palémon, ne se contente pas de relier l’accident de chasse de jadis à l’accident de vélo d’aujourd’hui, mais visite à nouveau en détail cette bourgeoisie industrielle du Finistère-Sud, dont l’auteur  sait se délecter – et nous, lectrice ou lecteur, avec lui – à brocarder les travers et les palinodies, conduites depuis les intérieurs feutrés des riches demeures des bords de l’Odet." - Charybde 27, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Failler - Auteur de pièces de théâtre, de romans historiques, de romans policiers. Vit et écrit à l'île-Tudy (Finistère).

À travers Les Enquêtes de Mary Lester, aujourd'hui au nombre de cinquante-neuf et avec plus de 3 millions d'exemplaires vendus, Jean Failler montre son attachement à la Bretagne, et nous donne l’occasion de découvrir non seulement les divers paysages et villes du pays, mais aussi ses réalités économiques. La plupart du temps basées sur des faits réels, ces fictions se confrontent au contexte social et culturel actuel. Pas de folklore ni de violence dans ces livres destinés à tous publics, loin des clichés touristiques, mais des enquêtes dans un vrai style policier.

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Couverture

Page de titre

Les ouvrages de Jean Failler sont disponibles à la Bibliothèque Sonore du Finistère.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

REMERCIEMENTS

Martine Bertéa

Alexandre Breton

Jean-Claude Colrat

Delphine Hamon

Annie Le Chevanche

Meven Le Donge

Myriam Morizur

Marie Perceval

Nathalie Simon

À MES AMIS

Francis Babin

Jean Jegou

Jean Le Breton

Alain Piriou

Chapitre 1

La route des Châteaux est restée, là où l’urbanisation n’a pas galopé trop vite, un aimable chemin creux ombragé de chênes et de châtaigniers qui relie Quimper au bourg de Plomelin.

On la nomme ainsi car elle dessert les nombreuses propriétés des hobereaux locaux qui avaient choisi de bâtir leurs nobles demeures, châteaux ou simples manoirs, sur les berges même de l’Odet, cette superbe rivière qui, venant des montagnes Noires, traverse Quimper avant de retrouver la mer à Bénodet.

Le bitume aggloméré a recouvert le macadam mais les modernistes à tous crins n’ont eu raison ni des talus où prolifèrent des rhododendrons géants, ni des arbres tapissés de mousse, et cette route restée délicieusement sinueuse est faite pour les promeneurs et les poètes plus que pour les fêlés de l’automobile.

La maison de madame Rivoal était une petite métairie telle qu’on en trouvait par dizaines autour des villes, autrefois.

Bâtie en pierres maçonnées, elle comportait un corps principal de modestes dimensions avec, à chaque extrémité, un appentis où le maître des lieux pouvait élever un cochon et deux vaches, le second appentis étant en général réservé au cheval.

Un bâtiment plus récent couvert d’éverite servait à ranger les outils aratoires et la charrette, autrefois seul moyen pour transporter les produits de la ferme à la ville.

Là non plus, les aménageurs n’avaient pas sévi, la bicoque était « dans son jus », comme disent les agents immobiliers quand ils veulent fourguer une masure pour « un témoignage patrimonial ».

Seule preuve d’une modernité relative, la charrette avait laissé place à une antique 2 CV camionnette, avec laquelle madame Rivoal allait vendre ses légumes aux halles de Quimper.

Un chien attaché devant un tonneau de réforme à usage de niche annonça la visite des forces de l’ordre et madame Rivoal, curieuse, ouvrit sa porte avant qu’on y ait frappé.

C’était une forte femme aux cheveux gris et au visage rond. Elle portait sur un petit nez, rond lui aussi, une paire de lunettes qui ne devaient servir qu’à lire ou à coudre car madame Rivoal contemplait ses visiteurs en penchant la tête pour voir par-dessus ses verres.

En apercevant les uniformes, elle serra le châle de laine tricotée qu’elle avait sur les épaules comme si elle craignait qu’on le lui arrachât et son visage se renfrogna.

Elle annonça tout de suite la couleur d’une voix définitive :

— Si c’est pour Kevin que vous venez, il n’est pas là !

Puis elle demanda :

— Qu’est-ce qu’il a encore fait, ce cochon-là ?

Tout soudain, elle se mit en colère :

— Ah, j’étais bien tranquille quand il était en prison ! Pourquoi vous ne l’avez pas gardé ?

L’adjudant-chef se dévoua pour répondre :

— Ça ne dépend pas de nous, Madame, il a été libéré pour bonne conduite.

— Pff ! cracha la mère Rivoal. C’est bien la première fois que j’entends dire que Kevin Rivoal a eu une bonne conduite ! Il va encore revenir me pourrir la vie.

— Soyez heureuse, dit l’adjudant-chef, il ne va pas tarder à retourner en prison.

— Qu’est-ce qu’il a encore fait ?

Elle haussa les épaules, s’effaça et les invita d’une voix bourrue :

— Deus tre !1 On va pas rester là causer devant la porte !

Mary et Gertrude entrèrent les premières et, au passage, madame Rivoal toisa Gertrude avec admiration.

Les gendarmes suivirent, silencieux, et pénétrèrent dans le logis de la brave dame composé d’une seule pièce qui occupait toute la surface de la maison.

Contre le pignon du fond, il y avait une cheminée au linteau de bois noirci et un lit haut sur pattes couvert d’un édredon grenat.

Une échelle meunière menait sous le toit.

— Votre fils vit donc avec vous ? demanda Mary.

— Des fois, dit madame Rivoal. Quand il n’est pas en prison, il se rappelle qu’il a une mère.

— Où dort-il ?

Elle montra le plafond aux poutres apparentes :

— Là-haut.

Et elle ajouta :

— Quand il est trop saoul pour monter l’échelle, il dort sur la paille, dans la grange.

Elle s’inquiéta de nouveau, avec plus de curiosité que d’angoisse :

— Alors, qu’est-ce qu’il a encore fait ?

— Il est soupçonné d’avoir incendié un mobile home, dit l’adjudant-chef.

La femme parut stupéfaite :

— Incendié un mobile home ? Un mobile home de camping ?

Mary confirma :

— Oui !

La vieille s’insurgea :

— Mais il est fou ? Pourquoi il a fait ça ?

— C’est pour essayer de le comprendre que nous sommes ici, dit Mary.

La vieille, stupéfaite, suivait son idée :

— Il est fou !

Ce n’était plus un questionnement, c’était une affirmation : son fils était devenu fou.

Mary tenta de la rassurer :

— Je ne crois pas. Nous l’avons interrogé mais il refuse de répondre.

Madame Rivoal hocha la tête avec conviction :

— Ça ne m’étonne pas, à moi non plus, il ne dit rien.

Elle ajouta en confidence :

— Son père aussi était comme ça, un sournois qui faisait ses coups en douce.

— Votre mari est décédé ?

— Oui, depuis longtemps.

— Je suis désolée, fit Mary pour respecter les convenances.

— Faut pas ! assura la dame d’un air indifférent. Il est parti avec le vin, il ne me manque pas.

Sans doute voulait-elle dire par là que son mari était alcoolique et qu’il était plutôt une charge qu’un soutien.

Puis elle revint à son fils :

— Et vous croyez que vous trouverez ici quelque chose qui pourra vous aider ?

— Je l’espère, dit Mary. Pouvons-nous visiter sa chambre ?

— Allez-y, c’est en haut…

Elle paraissait tout à fait indifférente aux malheurs de ce fils dénaturé qui venait, entre deux séjours en taule, troubler sa sérénité.

Un gros chat parut, sorti d’on ne sait où ; il ignora superbement les visiteurs et s’en fut s’installer sur un vieux fauteuil de cuir disposé devant une télévision qui devait dater du temps de Léon Zitrone.

Madame Rivoal semblait avoir surmonté les aléas de la vie. Elle continuait de cultiver son lopin, elle élevait ses poules et ses lapins et, deux fois par semaine, allait vendre ses légumes, ses fruits et ses œufs aux halles de Quimper.

En somme, tout laissait à croire que si ce « cochon de fils » n’avait pas fait des passages épisodiques dans sa vie, elle aurait été parfaitement heureuse.

Mary ordonna aux gendarmes :

— Jetez donc un coup d’œil dans le hangar si vous le voulez bien.

L’adjudant demanda :

— Qu’est-ce qu’on cherche ?

— Tout ce qui ne devrait pas trouver sa place dans un honnête hangar agricole : vêtements dissimulés, outils, armes, drogue… vous verrez bien. Pour ma part, je m’occupe de la chambre du monsieur avec le lieutenant Le Quintrec.

Elles escaladèrent l’échelle meunière et accédèrent au logis de Rivoal. Pour être rustique, c’était rustique. Un sommier, un matelas taché et décousu par endroits et, entassées en vrac, quelques vieilles couvertures dans lesquelles Rivoal devait s’envelopper pour dormir.

Assurément, l’homme ne devait pas se fatiguer à faire son lit et Mary se doutait que la corpulente dame Rivoal ne se risquait pas sur cette échelle branlante pour aller faire le ménage.

Une vieille étagère poussiéreuse contenait un pantalon roulé en boule et un blouson de toile pendu à un portemanteau. Mary entassa ces vêtements dans un sac en plastique tandis que Gertrude examinait d’un œil critique les planches à peine dégrossies qui craquaient au sol.

On était sous le toit et une petite lucarne aux vitres opacifiées par la poussière donnait un peu de jour à ce grenier où les rampants avaient été grossièrement isolés par de la laine de verre maladroitement agrafée.

— À quoi tu penses ? demanda Mary en voyant Gertrude examiner les lieux d’un air critique.

Le lieutenant Le Quintrec considérait l’isolation d’un air dégoûté.

— Si c’est comme ça qu’il travaille, le gars Rivoal, c’est étonnant qu’il ait un boulot !

Mary demanda à Gertrude :

— Tu ne voudrais pas me faire la courte échelle ? Je voudrais regarder cette charpente de plus près.

Ce n’était pas un problème pour Gertrude. Elle croisa les mains devant elle. Mary prit place sur le marchepied ainsi offert et elle put examiner l’entrait, ce madrier qui bloque les rampants, les empêchant de prendre du jeu.

Une enveloppe de papier kraft était dissimulée entre les deux pièces de charpente.

Mary descendit de son perchoir.

— Bingo ! dit-elle.

Elle s’épousseta les mains et ouvrit l’enveloppe qui n’était pas collée mais fermée par un élastique.

Elle siffla admirativement entre ses dents et lança à Gertrude :

— Regarde ça, ma grande, on dirait que le père Noël vient de passer !

Une liasse de billets, retenus eux aussi par un élastique, apparut aux yeux éberlués de Gertrude.

— Houla ! Il en avait des économies, ce connard !

Il y en a pour combien ?

— Une liasse de billets de cinquante euros, je dirais en gros cinq cents euros.

— Tu ne les comptes pas ?

Mary secoua la tête négativement :

— Il faut d’abord qu’ils passent au labo. Il y a peut-être des empreintes digitales. Viens, on redescend…

Sans se soucier de ses visiteurs, madame Rivoal s’était assise dans son fauteuil, son chat sur les genoux.

Elle regarda les deux femmes redescendre l’échelle précautionneusement et leur demanda ironiquement :

— Alors, elle vous plaît, la chambre de mon Kevin ?

— Et comment ! s’exclama Mary. On y trouve des trésors.

Elle brandit l’enveloppe :

— Ça vous dit quelque chose, ça ?

Madame Rivoal examina l’objet par-dessus ses lunettes :

— Eh bien, c’est une enveloppe !

— Exact ! confirma Mary.

Les gendarmes s’étaient approchés, curieux. Mary entrebâilla délicatement le rabat, laissant voir le contenu :

— Et ce qu’il y a dedans, ça vous dit quelque chose aussi ?

La vieille paysanne se pencha et se releva brusquement en s’exclamant :

— Des sous ?

Mary confirma :

— Eh oui, Madame Rivoal ! Dix beaux billets de cinquante euros. Savez-vous d’où ils viennent ?

Madame Rivoal contemplait Mary d’un air stupide. Elle finit par bredouiller :

— Mais comment que je saurais… ?

— Ce n’est donc pas à vous ?

— Ben non.

— Qui est-ce qui a accès à ce grenier ?

— Personne ! Il n’y a que…

Elle s’arrêta, ne voulant sans doute pas nommer son fils.

— Il n’y a donc que Kevin, suggéra Mary.

— Ben oui.

Puis, véhémente, elle assura en montrant l’échelle :

— Je ne monterais jamais là-dessus, moi, je ne tiens pas à me casser une patte !

Puis, après réflexion, elle jeta :

— Mais où s’qu’il est allé trouver ça, ce faltra2 ?

Un gendarme tendit un sachet de plastique transparent à Mary, qui y déposa l’enveloppe.

— Comptez sur nous pour le lui demander ! Au revoir Madame Rivoal.

La vieille dame posa son chat à terre, se souleva péniblement et les accompagna jusqu’à la porte en branlant du chef.

— Kenavo !

1. Entrez.

2. Bon à rien.

Chapitre 2

Lorsqu’ils revinrent à la gendarmerie, Rivoal marinait toujours dans la salle d’interrogatoire. Le corps avachi, il semblait somnoler.

À travers le miroir sans tain, un gendarme le gardait à l’œil.

Mary s’inquiéta :

— Comment va-t-il ?

Le gendarme fit la moue :

— Il est amorphe…

— Il n’a rien dit ?

— Non. On lui a servi un sandwich et une bouteille d’eau. Il a mangé sans enthousiasme, il a bu et ensuite il a demandé à aller aux toilettes. Depuis, il roupille.

— On va le tirer de sa torpeur, assura Mary. Vous venez, Monsieur Florentin ?

Elle s’était prise de sympathie pour ce gendarme qui, au grand dam de son chef, savait si bien manier l’humour à froid.

Avec ce demi-sourire qui ne le quittait pas, Florentin la précéda dans la salle d’interrogatoire et, sans faire cas de Rivoal qui s’inquiétait de cet air bonasse, il installa son ordinateur portable sans empressement excessif.

Mary vint s’asseoir près de lui tandis que l’adjudant-chef Bouguéon et son adjoint l’adjudant Le Braz se tenaient, invisibles, derrière la glace sans tain.

— Je suis curieux de voir comment elle va procéder, dit Bouguéon.

Le Braz opina de la tête. Lui aussi se demandait comment le commandant Lester allait s’y prendre pour arracher trois mots au mutique Kevin Rivoal, une véritable tête à claques qu’on ne pouvait pourtant pas claquer.

In petto, Le Braz, qui était un sanguin, déplorait la coupable indulgence d’une réglementation qui permettait à de pâles voyous comme ce Rivoal de se foutre de la gueule des représentants de la loi en toute impunité.

Homme d’action attaché à la notion d’efficacité, l’adjudant estimait que quelques torgnoles, voire quelques coups de pompes bien placés, auraient fait plus et mieux qu’un « rappel à la loi » administré par un magistrat bienveillant.

Enfin, il n’écrivait pas les lois. Il était là pour les faire respecter, et accessoirement pour montrer l’exemple, en particulier en se conformant avec scrupule, même si ça lui coûtait, aux procédures en vigueur.

Depuis qu’il s’était fait recadrer par l’adjudant-chef Bouguéon, le gendarme Florentin avait adopté une attitude d’où toute fantaisie était bannie. Neutre, lisse, avec à peine une étincelle de malice dans les yeux quand son regard avait croisé celui de Mary Lester, il avait abandonné toute réflexion qui aurait pu paraître inappropriée aux yeux de l’adjudant-chef et ne laissait rien transparaître de ses opinions personnelles. Reprenant le début de son interrogatoire, il énuméra d’une voix monocorde l’état-civil du prévenu.

Rivoal, comme tous les petits délinquants, avait commencé par des vols de mobylette, pour continuer par des cambriolages dans les grandes surfaces. Cela s’était conclu en apothéose par le vol à l’arraché du sac d’une grand-mère sur un trottoir de la ville en plein jour.

Derrière son complice qui conduisait un scooter, il avait attrapé la lanière du sac mais, lorsque le complice avait accéléré, la vieille dame s’était cramponnée à son sac avant de le lâcher, et Rivoal avait alors ressenti une douleur atroce dans la main. Il avait failli tomber et le scooter, déséquilibré, était allé se jeter contre une voiture en stationnement.

Les flics n’avaient eu qu’à embarquer les deux voyous, qui avaient été transportés à l’hôpital.

Le sac que Rivoal avait fauché ne contenait que quelques cailloux, mais la grand-mère qui le tenait avait cousu un hameçon triple dans la lanière, et ce redoutable accessoire avait transpercé la main du voleur. Victime d’une précédente agression, elle avait su que ses agresseurs avaient quitté le commissariat tout à fait libres avant même qu’elle ne soit sortie de l’hôpital. Et indignée, elle avait imaginé ce stratagème cruel mais efficace pour contrer les exactions des larrons motorisés – ce qui lui avait valu, à elle aussi, un rappel à la loi, qui l’avait fait bien rigoler.

Pour cet « exploit », Kevin Rivoal, compte tenu de ses antécédents judiciaires, avait été condamné à six mois de prison. Il en était sorti au bout de trois, juste le temps de faire soigner sa main qui, par moments, était encore douloureuse.

Mary regarda le prévenu qui se tenait tête basse.

— Vous savez ce que vous êtes, Rivoal ? demanda-t-e lle enfin.

Visiblement, Rivoal ne tenait pas à le savoir car il restait prostré.

— Un branquignol !

Et comme le prévenu la considérait d’un air sombre, elle questionna :

— Vous savez ce que c’est qu’un branquignol ?

Rivoal ne semblait pas décidé à lui répondre, alors elle ironisa :

— Non, vous ne savez pas ? Eh bien, j’en ai un devant moi, et de la plus belle espèce ! Un pauvre naïf qui veut jouer les affranchis et que les gros malins manipulent pour faire leurs mauvais coups et pour porter le chapeau à leur place. Quand vous passerez devant une glace, regardez bien, vous en verrez un, de branquignol, un magnifique, en grand format.

Elle gronda :

— Mais qu’est-ce qui vous a pris d’aller foutre le feu à cette baraque ?

— Quelle baraque ? osa demander le branquignol.

« Ça y est, se dit Mary. Il a causé. Maintenant ça devrait aller tout seul. »

— Le mobile-home dans lequel habitait votre copain Lostelier.

— J’connais pas de Lostelier, jeta Rivoal hargneux.

— Tiens donc ! Vous n’êtes pas physionomiste, ou alors vous êtes amnésique ! Vous ne connaissez pas Lostelier… À qui voulez-vous faire croire cette fable ?

Rivoal garda le silence. Mary poursuivit :

— Où étiez-vous hier soir entre onze heures et minuit ?

Cette fois, il daigna répondre :

— J’sais pas.

Elle admira en prenant le gendarme Florentin à témoin :

— Eh bien ça, c’est de l’alibi ou je ne m’y connais pas !

— J’sais pas, redit Rivoal, j’étais bourré !

— Ah… et où avez-vous dormi ?

— Chez la mère…

— Ce n’est pas vrai. Votre mère ne vous a pas vu.

— J’sais bien qu’elle m’a pas vu !

— Ni vu ni entendu, insista Mary.

— Forcément, elle était pas là !

— Votre mère s’absente souvent la nuit ? demanda Mary incrédule.

— Non, c’est pas ça.

— C’est quoi, alors ? Comment êtes-vous rentré chez vous ?

— Les copains m’ont ramené.

— Quels copains ?

— J’me souviens pas, j’étais bourré, j’vous dis !

— Ça vous arrive souvent de rentrer chez vous ivre mort ?

Il protesta vivement :

— J’étais pas ivre mort !

Mary reprit patiemment :

— Vous n’étiez pas ivre mort, mais vous ne vous souvenez pas des bons samaritains qui vous ont ramené chez votre mère ?

Rivoal s’entêta :

— Puisque j’vous dis que non !

Elle haussa les épaules et changea de sujet :

— Où avez-vous dormi ?

— Dans l’hangar.

Elle corrigea :

— Dans le hangar ? Mais il n’y a pas de lit !

— Non mais il y a de la paille.

— Ah, vous avez dormi dans la paille.

— C’est ce que je me tue à vous dire !

La bouche de travers, il crachait ses réponses avec mauvaise grâce.

Mary insista :

— Et après ?

— Après quoi ?

— Quand vous vous êtes réveillé.

— La mère s’en allait aux halles. C’est le bruit de sa bagnole qui m’a réveillé.

— Il était quelle heure ?

— J’en sais rien, moi. J’ai pas de montre. Mais la mère part en général vers sept heures.

— Donc à partir de sept heures, la maison est vide ?

— Ouais…

— Et vous y êtes entré.

— Ouais.

— Vous avez la clé ?

— J’en ai pas besoin, la mère la cache toujours sous le pot de fleurs.

— Qu’aviez-vous à faire dans la maison ?

— Je suis allé dans ma chambre.

— Pour dormir ?

— Non, pour changer de fringues.

— Parce que les vôtres avaient roussi ?

— Non, parce que je m’étais dégueulé dessus.

Il jeta un regard rancunier à Mary :

— Qu’est-ce que vous me voulez, à la fin ? J’ai rien fait, que prendre une cuite. J’ai même pas conduit !

— Deux mensonges, dit Mary. D’abord hier soir, vous n’étiez pas ivre, ensuite vous avez conduit.

— Pff ! fit-il. J’ai même pas de bagnole.

— Allez donc ! Rien de plus facile que d’en emprunter une dans votre boîte.

Rivoal haussa les épaules :

— Des conneries, tout ça.

Elle s’esclaffa :

— Des conneries ! Je ne dis donc que des conneries ? Vous savez qu’un gendarme a vu une voiture blanche s’éloigner précipitamment par le chemin qui passe derrière le mobile-home ?

Rivola la défia :

— Et alors ? Qui vous dit que j’étais dedans ?

— Personne. Mais en ce moment, les gendarmes sont en train de relever les empreintes dans toutes les voitures blanches dans le périmètre du dépôt de ferrailles.

— Et alors ?

— Si les vôtres y sont, vous aurez à vous en expliquer.

Cette perspective ne parut pas enthousiasmer Rivoal.

— Bon, fit Mary, reprenons : racontez-moi votre soirée d’hier.

— J’vous ai dit…

— Ouais, vous m’avez dit que vous étiez ivre, que des copains vous avaient ramené chez votre mère, que vous aviez cuvé sur une botte de paille et qu’ensuite, vous étiez remonté vous changer dans votre chambre. C’est ça ?

— Parfaitement !

— Sans que votre mère vous entende…

— Forcément puisque je suis monté seulement quand elle est partie.

— D’accord. Vous avez le nom de vos copains ?

Rivoal la fixa d’un air stupide. Elle précisa :

— Ceux qui vous ont ramené quand vous étiez ivre.

L’air hébété, Rivoal secoua la tête :

— J’vous ai déjà dit que j’m’en souviens plus !

Mary ironisa :

— Tiens donc ! Vous ne devez pourtant pas en avoir des masses, de copains.

Buté, il jeta :

— J’connais du monde !

— Leurs noms ?

— J’connais que leurs prénoms.

— Annoncez !

— Quoi ?

— Annoncez leurs prénoms.

— Vous voulez que je vous récite le calendrier ?

— On ne vous en demande pas tant. Simplement le prénom de ceux qui vous ont ramené.

Il eut un mouvement d’impatience de la tête :

— Puisque j’vous dit que j’ai oublié !

— Ah, et par hasard, vous ne savez pas non plus où ils habitent ?

— Non.

— Je suppose que vous vous retrouviez au bistrot ?

— Évidemment.

— Quel bistrot ?

— Le « Transvaal ».

— Vous devez y être bien connu, et vos copains aussi.

Cette question, pourtant bien anodine, parut exaspérer Rivoal :

— Est-ce que je sais ? Ça rime à quoi ces questions à la con ?

Puis il brailla :

— J’ai rien fait !

— Je l’espère pour vous. Mais on va tout de même s’assurer que vous étiez au Transvaal hier soir.

Elle ajouta d’un ton détaché :

— Comme ça, on ne pourra plus vous accuser.

Elle s’inquiéta :

— Car vous étiez bien au Transvaal avec vos copains ?

— J’ai pas dit que j’y étais hier soir !

— Où étiez-vous alors ?

— J’étais bourré, j’sais pas !

— Mais vous n’étiez pas bourré en entrant au bistrot.

— J’sais pas ! Vous m’embrouillez avec vos questions à la con !

— Vous ne savez donc pas dans quel bistrot vous étiez, ni le nom des copains qui vous ont ramené.

La tête baissée, Rivoal ne répondit pas.

Mary ne se découragea pas pour autant.

— Et ensuite ?

— Ensuite, je suis parti au boulot. M’sieur Robelin est très strict, faut être à l’heure.

— Mais dites donc, Rivoal, de chez votre mère à la route de Rosporden, il y a bien une dizaine de kilomètres ?

Il jeta de mauvaise grâce :

— Ouais, et alors ?

— Comment vous y êtes-vous rendu puisque vous n’avez aucun moyen de locomotion ?

— J’ai fait du stop !

— Ah… à sept heures du matin ?

— Et alors, il y a des heures où c’est interdit ?

Toujours gracieux ! apprécia Mary.

— Que non ! Seulement ça me paraît assez aléatoire.

— Pourquoi ? Il y a plein de bagnoles qui passent.

— Vous connaissez les gens qui vous ont pris ?

— Non. J’ai pas fait attention.

— C’était quoi, comme voiture ?

— J’en sais rien.

— Vous ne savez même pas dans quel genre de voiture vous êtes monté ? Ça paraît bizarre pour un type qui travaille dans l’automobile.

— P’t’être bien, mais c’est comme ça !

Elle répéta :

— C’est comme ça, d’accord. Vous arrivez donc à l’heure et vous vous mettez au boulot.

— C’est ça. Et là vous débarquez avec les keufs et vous commencez à regarder tout le monde sous le nez.

— Non, pas sous le nez, rectifia Mary. Sur les bras seulement. Mais vous, on n’a même pas eu besoin de regarder les vôtres puisque vous aviez les cils et les cheveux roussis. Comment expliquez-vous ça ?

— Un coup de chalumeau. Ça arrive quand on coupe des tôles.

— Ce n’est pas un coup de chalumeau, assura Mary. Un chalumeau produit une flamme courte et violente…

Rivoal haussa les épaules :

— Puisque vous savez mieux que moi, j’vois pas pourquoi vous me posez la question.

— Simplement pour vous faire toucher du doigt la stupidité de vos réponses.

Rivoal baissa de nouveau la tête et parut déterminé à ne plus desserrer les dents. Mary insista :

— Pourquoi avez-vous tenté de vous soustraire au contrôle que j’avais ordonné ?

Son exaspération fut plus forte que son mutisme :

— J’ai rien tenté du tout, j’ai juste eu envie de pisser !

Mary se redressa :

— C’est donc votre version ?

— Parfaitement.

— Le brigadier-chef Florentin va la taper, l’imprimer et vous la signerez.

Rivoal soupira.

— J’ai le choix ?

— Bien sûr ! Il y a une autre version, que je vais vous livrer et que monsieur Florentin va se faire un plaisir d’enregistrer. Écoutez-moi bien…

Chapitre 3

Elle laissa le silence s’installer, puis elle reprit la parole :

— Revenons à notre première visite à l’atelier de carrosserie… Nous intervenons avec les gendarmes, nous saisissons une Clio bleue en cours de réparation et nous la faisons transporter au laboratoire de police scientifique… Le procédé n’est pas fréquent et il y a quelqu’un qui s’en est inquiété. Là-dessus, nous recherchons Bertrand Lostelier et nous visitons le mobile-home qui a été mis à sa disposition. Nous ne trouvons rien de probant, mais nous promettons de revenir le lendemain avec les techniciens de la police scientifique. Nous ne trouvons pas non plus trace de Lostelier et il y a encore quelqu’un que cet acharnement inquiète.

Elle le regarda sous le nez :

— Quelles substances prohibées ont été entreposées dans ce mobile-home ?

Le voyou gueula :

— J’en sais rien, moi !

Le gendarme intervint :

— Ho là ! Deux tons plus bas, bonhomme !

Mary lui fit signe de ne pas intervenir et poursuivit :

— Il ne fait pas l’ombre d’un doute que les gars du labo vont découvrir ce qui a transité dans ce mobile-home. Alors l’individu qui tire les ficelles prend peur : il faut absolument détruire cet abri le plus rapidement possible, de sorte qu’il ne reste aucune trace de ce qu’il a contenu. Pour cela, rien de mieux que le feu. Reste à trouver quelqu’un pour l’allumer. Une poire, un branquignol qui, s’il est pris, portera le chapeau. Alors si j’ai utilisé le mot branquignol pour vous désigner, Rivoal, c’est tout à fait à dessein. Vous êtes d’une crédulité et d’une niaiserie rares, mon pauvre garçon. Pour quelques billets, vous ferez l’affaire. Je suppose qu’on vous a dit que Lostelier avait disparu, que c’est lui qui habitait là, et que c’est donc lui qui porterait le chapeau. Et que vous pourriez même, pour la circonstance, utiliser une voiture de la boîte.

Elle regarda Rivoal.

— C’était quelle voiture ?

Rivoal ne répondit pas.