Retour au pays maudit - Tome 2 - Jean Failler - E-Book

Retour au pays maudit - Tome 2 E-Book

Jean Failler

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Beschreibung

Mary Lester et Jeanne de Longueville ne comptent pas se laisser intimider par l'homme puissant sur qui elles enquêtent.

Grâce à son flair et à sa ruse légendaire, Mary Lester est parvenue à convaincre la juge Laurier de la laisser enquêter sur Bertrand Ascenscio, le promoteur qu’elle garde dans sa ligne de mire.
Alors qu’elle mène l’enquête à Nanterre, elle va faire l’objet de menaces physiques qui vont lui prouver que l’ennemi ne reculera devant rien.
En fouillant dans le passé de la victime, Cathy Vilard, elle va mettre le doigt sur une piste qui va la conduire jusqu’à Port-Louis dans le Morbihan, d’où est originaire la famille de la jeune fille.
Dès lors, tous les moyens seront bons pour prouver la culpabilité de cette ordure d’Ascenscio.
Et quand la justice se montre trop frileuse, certains peuvent être tentés de faire justice eux-mêmes…

Retrouvez les deux enquêtrices dans le 57e tome des Enquêtes de Mary Lester !

EXTRAIT

— Et voilà ! dit Mary quand elles furent dans la voiture.
— Vous m’avez l’air bien guillerette, commandant. Pourtant cette histoire n’est pas gaie.
— Pas gaie ? Elle est sordide voulez-vous dire, lieutenant ! Elle est sordide mais elle condamne ce salopard d’Ascenscio.
— Je ne vois pas…
— Comment vous ne voyez pas ? Mais ça saute aux yeux, ma chère Jeanne. Le corps du bébé mort-né n’a pas été détruit. Il est là-bas, dans le Morbihan, il suffira d’obtenir une exhumation et de faire un prélèvement d’ADN sur ce petit corps pour établir sa parenté avec Ascenscio ce qui, ipso facto, crédibilisera les témoignages de ces dames de la ZAD. En entreprenant cette visite à madame Cornet, je ne me doutais pas qu’elle nous réserverait une telle surprise.
Le soupir de Jeanne doucha son enthousiasme :
— Croyez-vous que cette demande d’exhumation sera facile à obtenir ?
Ramenée sur terre, Mary secoua la tête :
— Grrr ! Je ne crois plus rien, ma chère amie, j’espère. Cependant je vois mal la justice la refuser.
— La justice… dit Jeanne d’un ton qui laissait entendre qu’elle n’attendait pas grand-chose de bon de cette institution.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Failler est un ancien mareyeur breton devenu auteur de romans policiers, qui a connu un parcours atypique ! Passionné de littérature, c’est à 20 ans qu’il donne naissance à ses premiers écrits, alors qu’il occupe un poste de poissonnier à Quimper. En 30 ans d’exercice des métiers de la Mer, il va nous livrer pièces de théâtre, romans historiques, nouvelles, puis une collection de romans d’aventures pour la jeunesse, et une série de romans policiers, Mary Lester.

À travers 
Les Enquêtes de Mary Lester, aujourd'hui au nombre de cinquante-neuf et avec plus de 3 millions d'exemplaires vendus, Jean Failler montre son attachement à la Bretagne, et nous donne l’occasion de découvrir non seulement les divers paysages et villes du pays, mais aussi ses réalités économiques. La plupart du temps basées sur des faits réels, ces fictions se confrontent au contexte social et culturel actuel. Pas de folklore ni de violence dans ces livres destinés à tous publics, loin des clichés touristiques, mais des enquêtes dans un vrai style policier.

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Couverture

Page de titre

REMERCIEMENTS

Martine Bertéa

Sylvie Bruna

Jean-Claude Colrat

Laëtitia Gonidec

Delphine Hamon

Annie Le Chevanche

Meven Le Donge

Fanny Maily

Myriam Morizur

Nathalie Simon

À MES AMIS

Claude Brillet

Arlette Muzellec

Paul Ferec

Monette Cardinaux

Chapitre 1

— Et voilà ! dit Mary quand elles furent dans la voiture.

— Vous m’avez l’air bien guillerette, commandant. Pourtant cette histoire n’est pas gaie.

— Pas gaie ? Elle est sordide voulez-vous dire, lieutenant ! Elle est sordide mais elle condamne ce salopard d’Ascenscio.

— Je ne vois pas…

— Comment vous ne voyez pas ? Mais ça saute aux yeux, ma chère Jeanne. Le corps du bébé mort-né n’a pas été détruit. Il est là-bas, dans le Morbihan, il suffira d’obtenir une exhumation et de faire un prélèvement d’ADN sur ce petit corps pour établir sa parenté avec Ascenscio ce qui, ipso facto, crédibilisera les témoignages de ces dames de la ZAD. En entreprenant cette visite à madame Cornet, je ne me doutais pas qu’elle nous réserverait une telle surprise.

Le soupir de Jeanne doucha son enthousiasme :

— Croyez-vous que cette demande d’exhumation sera facile à obtenir ?

Ramenée sur terre, Mary secoua la tête :

— Grrr ! Je ne crois plus rien, ma chère amie, j’espère. Cependant je vois mal la justice la refuser.

— La justice… dit Jeanne d’un ton qui laissait entendre qu’elle n’attendait pas grand-chose de bon de cette institution.

Après un silence, elle ajouta :

— La prétendue fille d’Yves Montand a dû batailler ferme pendant des années pour obtenir une telle décision. Et elle était vivante, elle, directement intéressée puisque fille présumée… à quel titre réclamons-nous cette macabre décision ? Nous ne sommes rien…

— Rien de plus que des fonctionnaires qui font leur travail, répondit Mary un peu sèchement.

— Oui, mais je doute fort que ce soit suffisant.

Mary dut convenir qu’elle en doutait aussi.

— Rentrons à l’hôtel déjeuner. Ensuite nous examinerons les documents que vous avez collectés et je téléphonerai au commissaire pour le tenir au courant de l’avancement de nos investigations.

Elle remarqua :

— À ce sujet, je m’étonne d’ailleurs qu’il ne m’ait pas encore relancée.

Le visage de Jeanne s’éclaira d’un sourire narquois :

— On dirait que ça vous divertit de l’agacer.

— Vraiment ? demanda Mary avec son regard le plus innocent.

— Vraiment ! Je vous assure que s’il était là…

— Mais il n’est pas là, ma chère amie. Ces petites insolences m’amusent, mais je ne les pratique qu’en son absence.

Elle lui balança un clin d’œil complice :

— J’espère que vous ne me dénoncerez pas !

Jeanne la considéra d’un air tout à la fois incrédule et amusé :

— Vous êtes une drôle de citoyenne, commandant.

La citoyenne Lester hocha la tête, paraissant s’en balancer complètement :

— Ouais… on me l’a déjà dit…

Jeanne poursuivit :

— J’ai du mal à vous cerner…

Mary eut un geste d’insouciance :

— Ne vous en faites pas, vous n’êtes pas la première ni la seule. Mais vous verrez, on s’y fait. À propos, nous coucherons encore ici ce soir. Je l’ai signalé à la réception. Demain nous tâcherons de savoir où madame Ascenscio est hospitalisée.

*

Comme prévu, elles déjeunèrent à l’hôtel puis regagnèrent leur chambre pour examiner les documents que Jeanne avait recueillis. Mary faisait glisser les articles de presse sur l’écran de la tablette, les consultait d’un coup d’œil rapide et passait au suivant l’air contrarié.

— Que recherchez-vous exactement ? demanda Jeanne.

— Je voudrais trouver quelle est l’unité de police ou de gendarmerie qui a enquêté sur cet accident. Car il y a sûrement eu enquête…

— Ce n’est porté nulle part. Cependant l’accident ayant eu lieu sur le territoire de Palaiseau, il est probable que ce soit la gendarmerie de cette commune qui est intervenue.

— Il y a des chances, on va savoir ça tout de suite.

Elle obtint rapidement le numéro de téléphone de cette unité et, se présentant, elle demanda à parler à un responsable.

Après quelques instants d’attente, elle entendit la voix neutre du standardiste :

— Je vous passe le major Lantier.

Une voix rocailleuse teintée d’accent du Midi se fit entendre :

— Major Lantier, à qui ai-je l’honneur ?

— Commandant Mary Lester du commissariat de Quimper. J’enquête sur une mort suspecte qui pourrait avoir une corrélation avec une autre mort apparemment accidentelle celle-là, survenue dans votre commune.

— À quelle date ?

— Le 15 décembre 2016.

— Hé, ça remonte…

— Étiez-vous en poste à Palaiseau à cette époque ?

— Oui, j’y suis depuis 2015.

— La victime était le docteur Jacques-Antoine Vilard, un chirurgien des Hôpitaux de Paris. Ça vous dit quelque chose ?

— Eh oui, ça a fait assez de bruit !

— Pouvez-vous me recevoir pour m’en parler ?

— Si vous voulez. Où êtes-vous ?

— À Versailles.

— Oh, mais c’est tout près… une petite demi-heure par la A86.

— Bon, j’arrive dans trois quarts d’heure, ça va ?

— Ça va, mais ne faites pas d’excès de vitesse…

— Compris, major. À tout de suite.

Elle se leva d’un bond :

— Allez, chauffeur, on y va !

— Où ça ?

— Mais à Palaiseau, 2 rue Gutenberg ! Un charmant major nous attend.

Jeanne glissa malicieusement :

— Avec impatience ?

— Je ne sais pas, mais j’en doute.

— Ah…

— Il m’a bien recommandé de ne pas faire d’excès de vitesse.

Jeanne entra l’adresse sur son GPS et se lança dans la circulation. Vu le flot de voitures, elle aurait eu bien du mal à rouler au-dessus des 80 km/h.

L’entrée de la gendarmerie était protégée par une grille de fer peinte en vert. Jeanne se gara sur le petit parking réservé aux visiteurs et sonna à la porte. Il fallut quelques instants avant qu’un gendarme ne vînt leur ouvrir.

Mary se présenta en tendant sa carte :

— Commandant Lester, Police nationale.

Le gendarme salua d’un sobre mouvement de tête :

— Le major Lantier vous attend, commandant. Si vous voulez bien me suivre…

Elles furent introduites dans un bureau et le major Lantier se leva pour les accueillir. Mary lui tendit la main :

— Bonjour, major. Je vous suis très reconnaissante de nous recevoir ainsi au débotté. Je suis le commandant Lester et le lieutenant de Longueville est mon équipière.

Le major était un homme de belle prestance. De haute taille, il devait bien faire un mètre quatre-vingt-cinq et dépasser largement le quintal. Il avait le cheveu rare, une mine fleurie et un air débonnaire.

Après avoir serré la main des deux femmes, il leur désigna courtoisement deux chaises :

— Enchanté, mesdames… Si vous voulez bien vous asseoir…

Il contourna son bureau et s’installa à son tour.

— Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce fait divers vieux de près de quatre ans ?

— C’est la suite d’une enquête que j’ai menée l’an dernier à la pointe du Finistère. Le cadavre d’une jeune femme avait été découvert dans un marais près d’un lieu-dit, la Torche.

— Je connais, dit sobrement le major.

Mary s’étonna :

— Vous connaissiez cette jeune femme ?

Le gendarme sourit :

— Pas du tout, mais je connais la Torche.

Et, devant la mine surprise des deux femmes, il ajouta :

— Mon fils fait du surf et il passe toutes ses vacances là-bas.

Il ajouta d’un air convaincu :

— C’est un très bel endroit ! J’ai eu vent de cette affaire mais je ne savais pas que c’était vous qui l’aviez résolue.

— Mon équipe et moi, avec l’assistance de la gendarmerie de Pont-l’Abbé et du major Papin, précisa modestement Mary. Toujours est-il que cette jeune femme qui s’appelait Cathy Vilard avait été violée et torturée avant d’être achevée par ses assassins, quatre de ces trop célèbres black blocs qui ont tant pourri la vie de vos collègues à Notre-Dame-des-Landes. L’un d’entre eux était le petit ami de cette jeune femme, un garçon faible qui n’avait pu s’opposer aux trois brutes qui avaient hébergé le couple. Lors de son interrogatoire, il nous a confié que Cathy Vilard était la fille d’un célèbre chirurgien, ce docteur Vilard qui s’est tué en voiture.

Le gendarme se gratta la tête en arborant un masque douloureux :

— Ce doit être une coïncidence car je ne vois pas la corrélation entre cet acte de barbarie, ce crime odieux commis à la pointe du Finistère, et un banal accident mortel survenu dans la région parisienne.

— Banal, avez-vous dit ?

— Hélas, oui, commandant, des drames de la route tels que celui qui a coûté la vie au docteur Vilard, nous en avons malheureusement deux ou trois par mois à déplorer.

Mary hocha la tête en signe d’acquiescement :

— Je voudrais tout de même vous révéler quelques éléments dont vous n’avez probablement pas eu connaissance. Vous me direz ce que vous en pensez. Si ce n’est abuser de votre temps, votre expérience ne sera pas de trop.

— Voyons ça, dit le major sans trop avoir l’air d’y croire.

Il posa une main épaisse sur un dossier ficelé placé sur son bureau :

— À toutes fins utiles, j’ai ressorti le dossier de cet accident.

— Parfait, dit Mary. Quand mon patron m’a confié l’enquête sur la mort de Cathy Vilard, je me suis tout d’abord demandé comment une jeune Parisienne de la bourgeoisie aisée s’était retrouvée à la rue, dans une position de détresse absolue. L’interrogatoire d’Albrecht Grass, le petit ami de Cathy, a été révélateur : devenue veuve, la mère de Cathy s’est remariée avec un promoteur immobilier. La gamine avait alors quatorze ans. Le promoteur immobilier ne tarda pas à lui tourner autour et, disons-le tout net, à abuser d’elle régulièrement.

— Vous voulez dire…

— … qu’il la violait, oui, major.

L’impassibilité du gendarme se fissura :

— Et la mère ne disait rien ?

— Je ne sais rien de la mère, major, je ne l’ai pas encore vue, mais j’espère bien la rencontrer. J’ai eu à enquêter dernièrement sur un meurtre dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et il se trouve qu’au cours de cette enquête, j’ai fait la connaissance de deux femmes qui avaient elles aussi connu Cathy Vilard. Elles s’étaient croisées au Centre de régulation des naissances de Nanterre. Ces deux femmes, qui vivaient en couple, avaient été agressées le soir en rentrant chez elle et violées lors d’une tournante. Elles s’étaient retrouvées enceintes et avaient décidé d’interrompre leur grossesse. Enfin, pour l’une d’entre elles. L’autre l’a menée à terme et elle est maintenant la maman d’une charmante petite fille. Ces deux dames, Lucie Coupa et Sandrine Apparu, avaient rencontré Cathy qui était enceinte jusqu’aux yeux et dans un état psychique lamentable au Centre de régulation des naissances de Nanterre. Son beau-père, lorsqu’il avait appris que Cathy était enceinte, l’avait tout simplement fichue à la porte en la traitant de tous les noms. Cette version m’a été confirmée par l’aide-soignante qui s’était occupée d’elles trois et que j’ai rencontrée ce matin.

Le gendarme qui l’avait écoutée attentivement se redressa et leva les mains dans un geste d’impuissance.

— C’est une histoire abominable mais vous n’irez pas loin avec des témoignages aussi fragiles. Je suppose que le suborneur est une personne importante qui saura, s’il y a procès, se procurer les meilleurs avocats qui mettront vos témoins en pièces.

— Étant moi-même avocate, j’en suis tout à fait consciente, major.

Cette fois, le gendarme accusa une grosse surprise :

— Vous êtes avocate ? Je croyais que vous étiez flic !

Mary mit les choses au point :

— Je suis flic et j’ai mon diplôme d’avocate.

Après un temps de silence, elle ajouta :

— Je sais que le cas n’est pas fréquent, mais c’est ainsi.

— Il n’est pas non plus fréquent, dit le major d’une voix lente, de voir deux femmes flics opérer sur des secteurs dévolus à la gendarmerie. Comment expliquez-vous cela ?

« Humm… voilà que nous devenons suspectes », se dit Mary.

— Vous savez qu’actuellement le ministre attache la plus extrême importance au sort des femmes battues tout comme aux abus sexuels sur mineurs.

Le gendarme hocha la tête affirmativement :

— Nous avons reçu une notification dans ce sens.

— Il se trouve que les amies de Cathy Vilard ont raconté cette histoire à qui voulait l’entendre sur la ZAD. Des journalistes se sont emparés de cette info et vous n’avez pas manqué de voir leurs manchettes en début de semaine. Cette affaire embarrasse l’Intérieur car l’individu soupçonné d’avoir eu ce comportement criminel est un important patron de l’immobilier qui a ses entrées dans quelques ministères et de solides appuis politiques. Cependant, compte tenu de l’ampleur qu’a prise la campagne de presse, on ne peut plus étouffer l’affaire.

Le gendarme n’approuvait ni ne désapprouvait. Sa grosse tête balançait imperceptiblement de droite et de gauche, comme s’il se demandait quel parti il devait prendre.

Mary poursuivit :

— J’ai donc été chargée par le ministère de débrouiller le vrai du faux. Mon patron, le divisionnaire Fabien qui m’a transmis l’ordre, m’a laissé entendre qu’en haut lieu on espérait qu’il serait démontré que tout ceci n’est qu’une fable.

Elle se pencha vers le major pour lui dire, sur le ton de la confidence :

— Mais, de vous à moi, j’ai la conviction que ce n’est pas une fable.

— Alors ?

— Alors, je vais chercher où est la vérité et, quelle qu’elle soit, elle sera révélée.

Le major la contemplait maintenant avec respect.

Elle sortit de sa contre-poche l’ordre de mission qu’elle avait présenté au major Abadie, puis au commandant Berton de l’IGPN, pour justifier sa présence sur le terrain d’action et le tendit au major Lantier qui le prit avec prudence, comme s’il avait peur de se brûler.

— Voici mon ordre de mission.

Le major déplia le feuillet avec précaution, lut et relut la première ligne qui dansait devant ses yeux, Ministère de l’Intérieur, et cela parut lui suffire. Sa physionomie changea, son regard sur Mary aussi. Sans chercher à aller plus loin, il replia soigneusement le document et le rendit à Mary en disant :

— D’accord. Que puis-je faire pour vous ?

— Tout simplement me donner les détails de l’accident qui a coûté la vie au docteur Vilard.

Le major ferma un instant les yeux comme pour se concentrer, soupira et ouvrit son dossier.

— Je vais d’abord vous dire ce que j’ai en mémoire et, si j’ai un doute, ce dossier viendra à mon secours. Voilà, au soir du 15 décembre 2016, un coup de téléphone anonyme nous a informés qu’un accident venait de se produire au kilomètre 16 de la D117. L’adjudant-chef Dupontier, qui commandait alors la brigade, a immédiatement envoyé une patrouille qui, au lieu-dit, a en effet repéré un véhicule accidenté. La voiture, une mini Austin littéralement broyée, disparaissait dans le fossé. Le chauffeur était toujours au volant mais il a fallu plus d’une heure aux pompiers pour le désincarcérer. Évidemment, le malheureux était mort.

— Comment un tel accident a-t-il pu arriver ? demanda Mary qui l’avait écouté avec attention.

Le gendarme haussa les épaules en signe d’ignorance :

— Si on le savait… Il semble que l’Austin a été percutée par l’arrière et balancée dans le fossé par un puissant véhicule qui roulait à très vive allure. L’état de la voiture en disait long sur la violence du choc, la plaque d’immatriculation arrière était encastrée entre les deux sièges avant et le sac de golf qu’elle contenait était passé à travers le pare-brise.

— En effet ! dit Mary. Et le véhicule tamponneur aurait pu continuer sa route ?

— Sûrement puisqu’il n’était plus là. Vous savez, il crachinait, la visibilité était réduite, la nuit tombait. Et il y a des fous qui roulent tellement vite…

— Ça aurait pu être un camion ?

— Ça aurait pu, mais ça n’était pas le cas.

L’enquête a démontré que c’était un 4x4. Les débris de phare retrouvés sur la route l’ont prouvé : il s’agissait d’un 4x4 Nissan. Regardez cette photo prise sur les lieux de l’accident.

Mary examina le cliché :

— Ces marques noires sur la route sont des traces de freinage ?

Le gendarme, très à l’aise, dit :

— Que voulez-vous que ce soit ?

Mary se pencha pour examiner la photo et s’attira le gros rire du gendarme en déclarant :

— On dirait des traces de marche arrière.

— De marche arrière ! Comment voulez-vous que l’Austin ait été mise dans cet état par une voiture en marche arrière ?

Mary le regarda, perplexe, et capitula :

— Ouais, vous avez évidemment raison. Vous permettez que je prenne une photo ?

— Si ça peut vous faire plaisir !

Elle cibla l’excellente photo prise par les gendarmes de la scientifique, examina le résultat sur sa tablette et recommanda :

— Conservez bien ce dossier, il se pourrait qu’il contienne des éléments intéressant mon enquête. Je note bien qu’il est chez vous pour m’en souvenir le cas échéant.

Ne comprenant pas ses raisons, le gendarme fronça les sourcils mais acquiesça :

— D’accord.

Mi-goguenard, il demanda :

— De marche arrière ? Expliquez-moi… ça reste un mystère car nos experts scientifiques qui ont l’œil ont relevé qu’une marque de freinage violent sur le revêtement vers l’avant.

Mary opina :

— D’accord, c’est logique qu’une trace de recul brutal marque la chaussée dans l’autre sens, c’est-à-dire vers l’arrière.

Le gendarme attentif suivait son raisonnement :

— Ce qui voudrait dire ?

Prudente, Mary employa le conditionnel pour répondre

— Ce qui pourrait vouloir dire que ce 4x4 a percuté l’Austin violemment, sans freiner, mais qu’ensuite il a reculé brutalement à au moins deux reprises pour reprendre de l’élan et la percuter de nouveau jusqu’à la projeter dans le fossé.

Le gendarme, tendu, hasarda :

— Ce serait donc un attentat ?

— C’est mon impression, mais cette hypothèse ne semble pas avoir été soulevée.

Le gendarme confirma laconiquement :

— Non.

— Pourquoi ?

Il parut embarrassé :

— Je n’étais pas le directeur d’enquête à cette époque. L’adjudant-chef Dupontier, alors mon supérieur, a clos le dossier avec l’étiquette « accident mortel avec délit de fuite »… Je venais d’arriver, je n’allais pas me mettre ce supérieur à dos, dit-il dans une grimace, d’autant qu’il n’était pas d’un abord facile.

Il y eut un long silence, puis il ajouta :

— Qu’est-ce que ça aurait changé de le qualifier d’homicide volontaire ? La victime était morte et toute trace du responsable de l’accident avait disparu.

— Ça aurait pu changer pas mal de choses, dit Mary, et permis d’orienter l’enquête vers la victime pour savoir s’il avait des inimitiés dans son entourage.

— Vous parlez ! Un toubib que tout le monde aimait…

— Pas tout le monde, rectifia Mary, pas tout le monde puisqu’on a été jusqu’à le tuer.

— Ouais, reconnut le gendarme, ouais…

Il ajouta, comme pour redorer le blason de la gendarmerie :

— Nous avons tout de même retrouvé le véhicule tamponneur dès le lendemain.

— Où ça ?

— Dans une usine désaffectée, une friche industrielle. Évidemment, il était entièrement brûlé. C’était bien un Nissan dont la partie avant droite était enfoncée.

— Vous avez identifié le propriétaire ?

— Oui, ce véhicule provenait d’un garage qui fait de l’occasion dans le 78. Ce 4×4 qui était en dépôt-vente là-bas avait été volé une semaine auparavant et le garagiste avait porté plainte.

Il présenta à Mary le procès-verbal du dépôt de plainte daté du 10 décembre 2016, signé par un certain Yussuf El Biar gérant du 9 cube. Le véhicule était présenté en bord de route sur le parking de l’établissement. Les gendarmes ayant procédé aux constatations avaient noté que le grillage qui séparait le parking de la route avait été cisaillé pour lui livrer passage.

Elle rendit le document au major qui le remit dans le dossier.

— Et personne n’a rien vu ?

Le gendarme haussa les épaules d’un air résigné :

— Il y a des endroits, comme ça, où personne ne voit rien, où personne n’entend rien…

Mary commenta, sarcastique :

— C’est bizarre comme la vie en banlieue rend aveugle et sourd.

Le gendarme eut un mince sourire :

— Ne rien voir, ne rien entendre… Ici c’est devenu une règle de vie, et parfois même une question de survie.

— Et le garagiste, il était clair ?

— Autant qu’on peut l’être quand on pratique ce genre de commerce dans ces quartiers. Les collègues ont cherché mais n’ont rien trouvé à lui reprocher.

— Qui aurait fait le coup à votre avis ?

La moue du gendarme en disait long :

— On n’a que l’embarras du choix : des manouches pour faire un casse à la voiture bélier, des dealers pour un « go fast », des petits cons pour frimer ou faire des rodéos la nuit…

Il haussa une nouvelle fois les épaules et répéta, désabusé :

— L’embarras du choix, je vous dis !

Mary glissa :

— Vous oubliez des malfrats pour régler un mauvais compte.

— Je n’oublie rien, protesta le gendarme. Seulement cette manière de régler les litiges concerne le plus souvent des affaires de drogue et en général les victimes ont un casier long comme le bras. Je ne vois pas votre toubib toucher de près ou de loin à cette pègre. Personnellement, je mettrais une pièce sur les manouches. Cette manière de faire leur ressemble : on vole une caisse, en général un 4×4 pour faire un casse à la voiture bélier, une BMW ou une Audi pour braquer une banque ou des convoyeurs de fonds. On fait le mauvais coup et on brûle la voiture afin de ne laisser aucun indice. Après pour les retrouver…

Sa main gauche se plaqua à la pliure de son bras droit, geste qui disait mieux que toutes les phrases qu’il n’avait même pas envie d’essayer.

— Je vois. Mission impossible ?

Le major acquiesça en hochant la tête :

— C’est exactement ça !

— Bien, dit Mary en se levant. Je vous remercie, major. Je vous donne ma carte, avec mon téléphone personnel. Si quelque chose vous revenait…

— Je ne manquerai pas de vous le faire savoir, commandant, assura le gendarme en se levant à son tour pour les raccompagner. Mais n’y comptez pas trop. Au bout de quatre ans…

Il eut un geste d’impuissance : quatre ans ! Depuis il y avait eu tant d’autres affaires analogues qui n’avaient jamais été élucidées, alors celle-ci…

Mary soupira :

— Vous ne faites pas un métier facile, major !

Lantier se leva pesamment :

— Nous ne faisons pas un métier facile, commandant ! Je me doute que le vôtre n’est pas plus simple.

Il fit quatre pas pour raccompagner les deux femmes à la porte de son bureau et leur serra la main :

— Je ne peux que vous souhaiter bonne chance, mesdames. Et notez que je serais curieux de connaître la suite de cette enquête.

— Je vous en aviserai personnellement, promit Mary.

Elles regagnèrent leur voiture et s’installèrent en silence.

Jeanne lança le moteur et dit :

— Voilà qui ressemble fort à un coup d’épée dans l’eau, commandant…

Mary, qui paraissait perdue dans ses pensées, répondit distraitement :

— Oui…

Jeanne ajouta :

— Ce pauvre major n’a pas un moral d’acier.

— Comment serait le vôtre à sa place ?

— Guère plus brillant, je pense.

— Enfin, la thèse de l’accident est néanmoins bien ébranlée.

Jeanne quitta un instant la route des yeux pour regarder Mary avec une moue dubitative :

— Quatre ans après, tout de même.

— Oui, répéta Mary songeuse, quatre ans !

Elle sourit faiblement :

— J’imagine la tête que ferait notre commissaire si je lui demandais de me pencher sur une mort par accident sur une route de la région parisienne, une mort vieille de quatre ans et réglée par les gendarmes. Il serait capable de me faire enfermer.

Pragmatique, Jeanne demanda :

— Certes, mais qu’allez-vous faire maintenant ?

— Maintenant, je vais téléphoner au patron, justement ! Je n’ai pas l’intention d’aller au casse-pipe sans son aval.

Jeanne approuva en hochant la tête.

Sitôt dans sa chambre, Mary appela le commissaire Fabien. Il ne devait attendre que ça car il répondit immédiatement :

— Alors, où en êtes-vous ?

— À Versailles, patron.

— À Versailles ? Qu’est-ce que vous foutez là-bas ?

— On enquête, figurez-vous. Nous ne sommes pas venues pour admirer les grandes eaux. Actuellement nous sortons de la gendarmerie de Palaiseau.

— Palaiseau ? De mieux en mieux ! Qu’est-ce qui se passe à Palaiseau ?

— C’est là qu’on a retrouvé le corps du docteur Vilard, le père de Cathy Vilard.

— Ce Vilard est mort dans un accident de la route, si je ne me trompe.

— Dans ce qui est passé pour un accident de la route, oui. En réalité, la voiture de Vilard a été littéralement broyée par un véhicule qui l’a cueillie par l’arrière à grande vitesse.

— Un fou du volant ?

— Un fou du volant ou un assassin.

Elle entendit le patron rouscailler :

— Allons bon, ça vous reprend !

— Qu’est-ce qui me reprend ?

— Vous voyez des complots partout ! Les gendarmes ont classé l’affaire en accident ?

— Oui, mais…

— Il n’y a pas de mais ! Vous devriez savoir que les gendarmes ont toujours raison. Il articula : c’est un accident ! AC-CI-DENT !

Il bougonna :

— Un de ces jours, vous allez me ressortir l’affaire du courrier de Lyon !

Elle ironisa :

— Ascenscio n’est pas Lesurques !

En fermant les yeux, elle vit, comme si elle y était, le commissaire froncer les sourcils tandis qu’il demandait :

— Qui ça ?

Elle articula à son tour :

— LE-SUR-QUES !

Elle le sentit désarçonné. Il redemanda :

— Qui ?

— Joseph Lesurques ! Cet innocent qui a été guillotiné à la place d’un autre en 1796.

Cette fois, le commissaire tonna :

— Mais qu’est-ce que vous êtes encore en train de me raconter ?

— N’est-ce pas vous qui avez évoqué l’affaire du courrier de Lyon ?

— Mais j’ai dit ça… j’ai dit ça comme ça !

— C’est ça, comme vous auriez dit le courrier de Camaret.

— En quelque sorte.

Il y eut un silence, Mary entendait le commissaire réfléchir. Il risqua :

— N’y a-t-il pas une chanson là-dessus ?

— Vous vous trompez, c’est le curé de Camaret qui est l’objet d’une chanson, assez irrévérencieuse d’ailleurs, et je m’étonne que vous la connaissiez. Ce n’est pas le courrier de Lyon ! Le courrier de Lyon est une erreur judiciaire !

Nouveau silence, puis le patron s’emballa :

— Comme d’habitude, vous m’embrouillez, Lester, vous m’embrouillez, bordel de m… !

— Oh ! fit-elle en affectant d’être choquée.

En réalité, elle s’amusait prodigieusement. Le commissaire Fabien reprenait ses griefs :

— Vous ne pouvez pas être claire une fois dans votre vie ?

— Je ne suis pas claire, moi ? Je suis limpide, patron !

Elle l’entendit vociférer :

— Limpide, elle a dit limpide… Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !

Il raccrocha brutalement.

Jeanne, qui avait suivi la conversation, se marrait silencieusement.

Quand Mary eut raccroché à son tour, Jeanne lui fit remarquer :

— Dites donc, vous n’êtes pas des plus aimables avec monsieur Fabien.

— Que voulez-vous, ma chère Jeanne, il tend des verges pour se faire battre. En réalité, tout ceci n’est qu’un jeu entre nous.

— Je ne m’y risquerais pas, avoua Jeanne.

Mary approuva :

— Et vous feriez bien, ma chère amie. Sans me flatter, je ne pense pas que ce cher Lulu supporterait un second élément aussi insolent que moi.

— Je m’en souviendrai si jamais un accès d’insolence me montait au cerveau, dit docilement Jeanne. Et maintenant, que fait-on ?

— Apprêtez-vous, ma chère, nous allons dans les beaux quartiers.

Chapitre 2

D’après les renseignements fournis par Passepoil, le sieur Ascenscio habitait avenue du Président-Wilson, dans le XVIe arrondissement. Marie se félicitait d’avoir une Parisienne pour la conduire car l’intense circulation sur la A86 la mettait mal à l’aise.

Jeanne, visiblement rompue à l’exercice, s’en tirait parfaitement. Elle passa devant le numéro 28 qui était un superbe immeuble haussmannien et devant lequel il n’y avait évidemment pas une place de libre pour se garer. Il devait toutefois y avoir un parking en sous-sol car, de temps à autre, ce qui avait été à une autre époque une porte cochère réservée aux calèches s’ouvrait mystérieusement et une Mercedes, une Porsche ou une BMW y entraient ou en sortaient.

— Ça doit être défendu comme fort Knox, c’t’immeuble, supposa Mary.

Elle n’avait rien dévoilé de ses intentions à Jeanne, sinon que l’on allait repérer le domicile d’Ascenscio. Elle demanda :

— À votre avis, où peut-on se garer ?

— Je vais regarder, dit Jeanne en sortant son téléphone.

Elle s’était arrêtée en double file dans la contre-allée qui desservait l’immeuble.

— Il y a un parking souterrain pas trop loin et il reste quelques places.

— O.K, allons-y.

Il était temps qu’elles décanillent ; déjà, derrière les rideaux, les gardiens d’immeubles se demandaient qui pouvaient bien être ces gueux qui, dans leur voiture de quatre sous, venaient polluer leur belle allée.

Sans paraître éprouver la moindre appréhension, Jeanne replongea la Citroën dans le flot ininterrompu de coques d’acier qui s’écoulait sur le boulevard. Mary se demandait bien comment elle pouvait se repérer mais, sans coup férir, elle engagea leur voiture dans une gueule béante qui semblait s’ouvrir sur les entrailles de la Terre.

Une rampe pentue que des néons blafards éclairaient d’une lueur de catacombes tournait sur elle-même vers des profondeurs insondables. Il restait quelques places au cinquième et dernier niveau. Elles sortirent dans un immense espace entièrement couvert de véhicules bien rangés. Le plafond était si bas que Mary eut l’impression qu’en levant le bras elle le toucherait sans peine.

Mal à l’aise, elle luttait contre une crise de claustrophobie qui la gagnait insidieusement. En revanche, Jeanne marchait avec détermination vers l’ascenseur qui allait les ramener à l’air libre. Quand Mary revit le ciel gris, elle se sentit tout de suite mieux et pourtant l’air que l’on respirait au-dehors était empuanti par les échappements des voitures ; elle se félicita d’avoir refusé la situation mirobolante que lui avait proposée Ludovic Mervent au ministère de l’Intérieur1.

Que la mer était loin ! Enfin, ce n’était qu’un mauvais moment à passer.

Jeanne arpentait gaillardement les trottoirs, encombrés eux aussi, et Mary la suivait sans mot dire. Quand elles furent en vue de l’immeuble où résidait le promoteur immobilier, elle s’arrêta et demanda à Mary :

— Vos ordres, commandant ?

— Entrer dans cette maison.

— Je vais me heurter à la gardienne.

— J’y compte bien ! À partir de maintenant, vous n’êtes plus le lieutenant de Longueville, mais la comtesse Jeanne de Longueville qui vient prendre des nouvelles de sa vieille amie Christelle Vilard. Vous vous ferez passer auprès de l’aimable cerbère, car je me doute bien qu’il y a une cerbère pour veiller à la tranquillité des résidents, pour une amie de madame Vilard, vous vivez maintenant à l’étranger et, à l’occasion d’un voyage d’affaires de votre mari à Paris, vous venez lui rendre visite.

— Rien ne me dit qu’elle sera aimable et Vilard est mort ! objecta Jeanne.

— Vous n’êtes pas censée le savoir puisque vous étiez à l’étranger.

— Je croyais que cette dame était dans une maison de repos.

— J’espère bien qu’elle y est et vous allez tâcher de savoir dans quel établissement elle se trouve. Vous pourrez arguer que vous ne restez que quarante-huit heures à Paris et que vous seriez tout à fait désolée d’être venue à la capitale sans la saluer. À propos, vous l’avez connue jeune fille. Elle s’appelait alors Christelle Aubineau. Vous vous en souviendrez ?

— Christelle Aubineau, parfaitement !

— Allez-y, et faites le grand jeu à la bignolle. Si nécessaire, allongez-lui un biffeton de cinquante.

— Cinquante euros ? s’exclama Jeanne. Mais c’est beaucoup trop !

— Pas du tout ! assura Mary en lui tendant la grosse coupure. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, ma chère ! Et en général, ce genre de personne est sensible à ces petites attentions. Faites au mieux, mais souvenez-vous que j’attache beaucoup d’importance à l’obtention de cette adresse.

— O.K, dit Jeanne, j’y vais !

Mary la regarda s’éloigner avec admiration. Jeanne avait véritablement un maintien royal. Mary s’assit sur un banc public d’où elle pouvait la voir s’approcher de la porte. Jeanne sonna, parlementa un instant au travers d’un interphone et entra.

*

Ce n’était pas une bignolle comme Pauline Carton dans un film Sacha Guitry, ni même une gardienne, mais une gouvernante, grande femme sèche et peu avenante qui considérait les solliciteurs de haut. Elle en fut pour ses frais. En matière de morgue aristocratique, il lui aurait fallu au moins douze quartiers de noblesse pour arriver à la cheville de Jeanne de Longueville. Sans même lui accorder un regard, Jeanne lui tendait avec un mépris hautain un carton tenu entre l’index et le majeur en lui disant :

— La comtesse de Longueville pour madame Vilard. Voulez-vous m’annoncer, ma bonne ?

La gouvernante prit la carte et la considéra longuement. C’était-y du lard ou du cochon ? Personne encore, dans cet immeuble qui abritait pourtant de belles fortunes, ne s’était adressé à elle avec cette désinvolture.

Comme elle paraissait paralysée par l’expectative, elle s’entendit rappeler à l’ordre :

— Eh bien, ma fille, qu’attendez-vous ?

— C’est que… hasarda la gouvernante.

Cette fois, la comtesse la toisa d’un air peu amène :

— C’est que quoi ?

— C’est qu’il n’y a pas de dame de ce nom !

— Vous plaisantez, ma fille ! Je suis venue cent fois dans cette maison avant que vous n’y mettiez les pieds. Christelle habite bien ici avec son mari, le docteur Vilard !

— C’est que madame la comtesse ne sait pas…

— Je ne sais pas quoi ?

Cette fois, pour manifester son impatience, elle avait tapé du pied sur le sol de marbre.

— Il est arrivé un grand malheur ! Monsieur s’est tué en automobile.

Jeanne vacilla :

— Que me dites-vous là ? Quand ? Où ?

— À Palaiseau, ça fera bientôt quatre années.

— Palaiseau ! répéta Jeanne avec une stupéfaction parfaitement jouée. Mais qu’allait-il faire à Palaiseau ?

— Je ne sais pas, madame, balbutia la gardienne. Il revenait de son club, je crois ?

Jeanne fronça les sourcils :

— Il avait un club à Palaiseau ? C’est vrai qu’il s’était fait blackbouler au Jockey2…

— Un club de golf, madame, précisa la gardienne.

— Ah, vous m’en direz tant ! Un club de golf, quelle idée ! Ça ne m’étonne pas de lui, il a toujours eu des goûts vulgaires.

Elle secoua la tête :

— Forcément, quand on vient de Port-Louis… Mon Dieu, comment peut-on habiter à Port-Louis ?

— Euh… drôle d’idée, en effet, dit timidement la gouvernante.

Jeanne reprit avec superbe :

— Dieu bon, j’ai quitté la France voici quatre années et je ne connaissais même pas ces tragiques nouvelles. Qu’est devenue ma pauvre amie ?

— Elle s’est remariée avec monsieur Ascenscio.

Jeanne fronça les sourcils :

— Qui est cet homme ? Je n’en ai jamais entendu parler.

— Un promoteur immobilier.

Jeanne prit un air entendu :

— Ah, je vois !

Elle cligna de l’œil d’une façon canaille :

— La grosse galette, n’est-ce pas ? La coquine a toujours su rebondir ! Et leur fille Cathy ? Elle doit être grande à présent, elle doit avoir… je dirais pas loin de vingt ans.

— Hélas, madame la comtesse…

Le masque osseux de la gouvernante s’était allongé d’une aune.

— Mademoiselle Cathy est décédée également.

— Mais comment…

Soudain la comtesse semblait manquer de souffle.

— Elle avait fugué. Depuis la mort de son père, c’était devenu une enfant difficile. Elle ne s’entendait pas avec son beau-père, je crois, alors elle a fugué et on a retrouvé son corps dans un village de Bretagne.

— Mais la pauvre Christelle doit être accablée par cette succession de malheurs.

— Certainement, madame.

— Où est-elle à présent ?

— Dans une clinique de Versailles.

— Ah, vous connaissez son adresse ?

— Vous pensez, je lui fais suivre son courrier à la clinique du Maine.

Elle précisa :

— C’est dans le parc de Clagny à Versailles.

— Merci ! Je vais lui rendre visite sur-le-champ.

— Vous ne voulez pas attendre monsieur ? Il ne devrait plus tarder.

— Je ne pense pas. D’abord je ne connais pas ce monsieur Ascenscion…

La gardienne corrigea timidement :

— Ascenscio, madame.

Jeanne balaya d’un revers de main cette minuscule objection et précisa :

— Mon chauffeur doit être inquiet, il n’a pas trouvé à se garer et s’est posé en double file devant une porte de garage. Ah, la circulation dans Paris !

La gouvernante domptée prit un air compatissant et Jeanne lui recommanda :

— Il ne me connaît pas mais Christelle n’a sûrement pas manqué de lui parler de moi. Une si bonne amie ! Quelle désolation.

La gouvernante la précéda pour lui ouvrir la porte et la tint avec déférence jusqu’à ce qu’elle ait descendu les trois marches du perron. Jeanne lui lança :

— Je cours à Versailles et lui ferai part de votre bon vouloir.

Sentant le regard du cerbère dans son dos, elle s’approcha d’une Jaguar en stationnement et en fit le tour en regardant ostensiblement sa montre. Puis elle sortit son téléphone et forma le numéro de Mary qui était à quinze pas de là.