Le château des âmes perdues - Tome 2 : Pontrieux - Jean Failler - E-Book

Le château des âmes perdues - Tome 2 : Pontrieux E-Book

Jean Failler

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  • Herausgeber: Palémon
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2023
Beschreibung

La statue déplacée repose désormais sur un terrain privé et l’ennemi juré de la « superstition », le sieur Flairius, change de cible. La salle de réunion de la mairie étant en réfection, le maire trouve en solution de remplacement l’ancien local du patronage, mis gracieusement à la disposition de la municipalité par l’évêché pour que, le temps des travaux, les conseils municipaux puissent s’y tenir. Flairius, plus virulent que jamais, attaque le maire au prétexte qu’un conseil municipal de la République ne saurait se tenir dans une salle qui appartient « à la réaction ». Les événements se précipitent et Flairius disparaît. Mary va mener ses investigations jusqu’à la cité voisine de Pontrieux, où Gertrude ne sera pas de trop pour l’aider à sortir la tête haute d’une situation bien embrouillée…


À PROPOS DE L'AUTEUR

Cet ancien mareyeur breton devenu auteur de romans policiers a connu un parcours atypique !
Passionné de littérature, c’est à 20 ans qu'il donne naissance à ses premiers écrits, alors qu’il occupe un poste de poissonnier à Quimper. En 30 ans d’exercice des métiers de la Mer, il va nous livrer pièces de théâtre, romans historiques, nouvelles, puis une collection de romans d’aventures pour la jeunesse, et une série de romans policiers, Mary Lester.

À travers Les Enquêtes de Mary Lester, aujourd'hui au nombre de cinquante-neuf et avec plus de 3 millions d'exemplaires vendus, Jean Failler montre son attachement à la Bretagne, et nous donne l’occasion de découvrir non seulement les divers paysages et villes du pays, mais aussi ses réalités économiques. La plupart du temps basées sur des faits réels, ces fictions se confrontent au contexte social et culturel actuel. Pas de folklore ni de violence dans ces livres destinés à tous publics, loin des clichés touristiques, mais des enquêtes dans un vrai style policier.

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Couverture

Page de titre

Les ouvrages de Jean Failler sont disponiblesà la Bibliothèque Sonore du Finistère.

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

À MES AMIS

André Estrade

Jean Hernot

Hélène Kermarec-Guyonnet

Pierre Cariou

Béatrice Damian

Jos Kermarec

Roger Quéau

Marie-France Quéau

Paul Olivier

REMERCIEMENTS

Martine Bertéa

Karine Body

Jean-Claude Colrat

Laëtitia Gonidec

Delphine Hamon

Myriam Henvel

Annie Le Chevanche

Meven Le Donge

Fanny Maily

Myriam Morizur

Nathalie Simon

Chapitre 1

Bien qu’elle n’appréciât pas outre mesure la compagnie des politiques quels qu’ils fussent, son aversion était loin de celle que Jean-Pierre Fortin leur vouait. Aversion et méfiance, eût-il été judicieux d’ajouter.

Mary, quant à elle, se méfiait comme de la peste de cette élite autoproclamée qui, sans la moindre vergogne, se livrait à des promesses inconsidérées et parfaitement fallacieuses pour abuser les électeurs.

Cependant, ce monsieur Jules Belin, élu de terrain, ne se signalait pas par la morgue qu’affectaient trop souvent les gens de la haute administration. Il devait son élection à sa faculté d’être parfaitement à l’aise avec l’électorat populaire.

Il serrait volontiers la main au balayeur qui nettoyait les alentours du marché comme au livreur qui bloquait la rue. Au café du commerce, le samedi matin, il trinquait souvent avec les maraîchers et les commerçants des halles et n’oubliait jamais de payer sa tournée.

Avant d’entrer dans la salle d’attente, Fortin s’arrêta net :

— Qu’est-ce qu’il me veut, ce connard ?

Elle le reprit sévèrement :

— D’abord, monsieur Belin n’est pas un connard. C’est un homme de bonne volonté qui s’efforce d’œuvrer pour le bien de ses administrés.

Fortin joignit les mains, leva les yeux au ciel et dit d’un ton pénétré :

— Amen ! Il y avait déjà mère Teresa à Tréguier, peut-être faudra-t-il une nouvelle statue pour le bien-heureux Belin dans la vallée des Saints.

Amusée autant qu’agacée, elle souffla :

— Quelle couche tu traînes, mon pauvre Jipi ! Ce qu’il te veut, je n’en sais rien ! Mais ne traite pas de connard un monsieur que tu ne connais pas.

— J’le connais pas ? Il y a encore des affiches des dernières élections sur les murs. On voit sa gueule, à tous les coins de rue.

— Tu l’as reconnu, mais lui as-tu jamais parlé ?

— Non !

— Si ça se trouve, tu as voté pour lui.

— Sûrement pas !

— Alors, tu as voté pour l’autre qui n’était pas mieux.

— Je t’ai dit sûrement pas !

— Tu n’es pas allé voter ?

— Si, puisque c’est un devoir civique.

— C’est ça, tu es un homme de devoir !

— En aurais-tu douté ? Mon père m’a fait entrer ce principe dans le crâne à coups de pied dans le cul, et mon instituteur en me tirant les oreilles.

Mary admira la curieuse thérapie appliquée par le papa Fortin pour faire baisser l’abstention.

— La méthode a porté ses fruits ?

Fortin haussa les épaules.

— Faut croire, je n’ai jamais manqué un scrutin.

— Bravo !

— Ça n’a rien changé d’ailleurs, poursuivit le grand, j’ai toujours voté blanc.

— Tu es un grand courageux, tu ne te mouilles pas !

Il fit la moue.

— J’suis comme ça. D’ailleurs, j’ai jamais pu lire leurs papelards. Quel baratin ! Pour enfumer le monde, ils savent s’y prendre.

— Tu veux dire leurs professions de foi ?

Il acquiesça, maussade :

— C’est comme ça que ça s’appelle, je crois, mais j’sais pas c’que la foi vient foutre là-dedans, mais ça a l’air d’être une profession qui rapporte.

— Tu crois ?

— Eh, pourquoi se battraient-ils comme des chiens pour avoir la place ? Avant les élections, ils te promettent la lune, et après…

Il cassa son bras droit sur sa main droite en un vigoureux bras d’honneur.

— Et après, que dalle ! À tous les coups, le bon populo l’a dans le baba.

Elle eut une moue admirative.

— En somme, tu es un grand sceptique.

Il corrigea le tir :

— Non, j’suis lucide !

Mary le regarda avec un petit sourire ironique.

— Tu n’as donc jamais trouvé quelqu’un qui te plaisait ?

Il la regarda avec un curieux sourire en biais.

— Si, toi !

Elle le regarda, interloquée.

— C’est une déclaration d’amour ?

Il haussa les épaules.

— Tss ! Tout de suite les grands mots. J’veux seulement dire que si tu te présentais, je voterais pour toi !

Mary ne s’était pas attendue à celle-là !

— Merci de ta confiance, mais ce n’est pas du tout dans mon plan de carrière.

Il y eut un silence, puis elle demanda :

— Et pourquoi voterais-tu pour moi ?

— Parce que toi, je sais que tu ferais ce que tu aurais promis.

— Avec les promesses que je leur ferais, je ne serais pas près d’être élue.

— Dommage ! fit le grand.

— Je ne chicanerai pas sur les moyens, mais ton père et ton instituteur t’auront au moins inculqué les bonnes manières.

— Merci de t’en rendre compte, dit-il d’un air pincé.

— Je n’en ai jamais douté, mais je voulais m’assurer…

— T’assurer de quoi ?

— Que tu serais poli avec monsieur le maire.

Il rectifia la position et esquissa un salut militaire.

— Promis juré, mon commandant !

*

Monsieur le maire continuait d’arpenter la salle d’attente en manifestant une certaine impatience. Quand il aperçut Mary, son visage s’éclaira :

— Ah… Vous voilà ! Vous étiez perdue ?

Elle mentit effrontément.

— Vous ne pensez pas si bien dire, je ne repérais pas la voiture sur le parking. Il y a un monde…

— En effet.

— Vous n’avez toujours pas eu de nouvelle du pauvre Le Corvaisier ?

— Non, mais l’infirmière m’a dit que ça ne saurait tarder.

Le maire considéra la haute silhouette de Fortin qui, modeste comme la violette des bois, se tenait en retrait. Il demanda :

— Le capitaine Fortin ?

— Lui-même, monsieur le maire.

Il s’approcha de Fortin, auquel il rendait une tête, et lui tendit la main.

— Bonjour, capitaine, Jules Belin…

Il émit un petit rire malin.

— Peut-être avez-vous entendu parler de moi.

Fortin répondit d’un ton neutre :

— En effet, monsieur le maire.

Belin, faussement enjoué, poursuivit :

— En bien ou en mal ?

Impavide, Fortin répondit :

— C’est selon, monsieur le maire.

— Selon quoi ?

— Selon les personnes qui s’expriment.

Il ne se mouillait pas, le grand. Mary admira un sens de la diplomatie qu’elle ne lui connaissait pas. Le maire passa outre avec un gros rire affecté, sans doute était-il habitué à des compliments outrés. Il dit rondement :

— Je ne suis pas Louis d’or, on ne saurait plaire à tout le monde, n’est-ce pas.

Et sans attendre une réponse, il assura d’un ton bourru :

— Je suis ravi de faire votre connaissance, capitaine. Vos exploits comme ceux du commandant Lester me sont venus aux oreilles…

Fortin serra précautionneusement la petite main qu’on lui tendait.

— Moi aussi, monsieur le maire.

Belin, qui était petit et grassouillet, revint vers Mary avec, de nouveau, ce petit rire malin qu’il semblait affectionner et qui lui donnait un air particulièrement crétin :

— Dites donc, commandant, on dirait que vous aimez la plaisanterie.

Il toisa Fortin d’un air admiratif.

— Comme petite nature, le capitaine Fortin se pose là !

— Je ne vous ai pas dit que c’était une petite nature, je vous ai dit qu’il n’aimait pas les hôpitaux. C’est vous qui avez extrapolé…

— Mais vous avez confirmé !

— Pas du tout, je vous ai dit : « Par certains côtés, oui. »

— Et ces certains côtés concernaient les hôpitaux…

— C’est ça !

L’infirmière revenait, accompagnée d’un jeune interne.

Ravi de trouver une échappatoire, le maire s’empressa :

— Alors ?

Le jeune toubib le rassura :

— Rien de grave physiquement : quelques hématomes, c’est tout. Mais psychiquement, ça risque de laisser des traces. Il a été particulièrement choqué.

— On peut le voir ?

Le toubib haussa les épaules.

— Si vous voulez, mais nous lui avons administré un sédatif, avec ça, il va faire le tour du cadran. Revenez plutôt demain.

— Bon, dit le maire, nous reviendrons donc demain.

Il se tourna de nouveau vers Fortin :

— Maintenant, à nous deux, capitaine, j’aimerais vous dire deux mots. Venez donc par là…

Devant une large fenêtre donnant sur la campagne, il y avait une sorte d’aire de repos. Derrière un paravent en bois tressé, une table basse couverte de journaux et quatre fauteuils de rotin s’offraient aux visiteurs.

— Asseyons-nous, proposa le maire.

Fortin examina le fragile siège qu’on lui offrait et s’assit précautionneusement. Sous sa masse, le pauvre meuble gémit, mais tint le coup.

— Lorsque je suis arrivé sur les lieux où le pauvre Le Corvaisier s’est fait bousculer, la situation était tendue, dit le maire. Il s’en serait fallu de peu pour qu’elle dégénérât. Les agents qui étaient sur place étaient à cran, et pas du tout décidés à se mettre en travers de ces gens qui voulaient s’étriper. Je leur ai personnellement demandé ce qu’ils attendaient pour intervenir et le chef de patrouille m’a répondu laconiquement : « On attend le capitaine Fortin. » Ils ne paraissaient pas plus inquiets que ça. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ils ne sont pas intervenus ?

Fortin ne se troubla pas.

— Vous l’avez dit, parce qu’ils m’attendaient.

Le maire eut un bref mouvement des bras et constata :

— Alors, vous arrivez et, comme par magie, les tensions s’apaisent. Pouvez-vous m’expliquer par quel miracle…

— Il n’y a pas de miracle, assura Fortin modestement. Il se trouve que je suis habitué à ce genre de conflit chez les gens du voyage.

— Et c’est tout ?

— Bof… Entre ces familles qui se connaissent toutes, il y a souvent de vieilles rancunes recuites qui remontent parfois à plusieurs générations.

— Une sorte de vendetta ?

— Si on veut.

— Alors, on ne fait rien ? s’indigna le maire.

— Le mieux, expliqua calmement Fortin, c’est de faire en sorte que deux clans ennemis ne se retrouvent pas ensemble sur la même aire de stationnement. Par exemple, les Dauber et les Chamalo.

— Mais comment connaître ces inimitiés ? demanda le maire, désarmé.

— L’expérience, dit Fortin. Votre ancien placier, monsieur Pochon, le savait.

— Il a pris sa retraite…

— Et personne n’était chaud pour prendre sa place, je suppose.

— En effet…

— Sauf ce monsieur Le Corvaisier.

— En effet.

— Vous voulez mon avis ?

— Je vous le demande !

— Vous n’auriez jamais dû laisser partir monsieur Pochon sans qu’il ait formé son successeur.

— Je m’en rends compte, dit le maire, embarrassé, mais, quand on a dit ça, qu’est-ce qu’on fait ?

Fortin haussa les épaules.

— Puisque Pochon n’est plus là, il faudra que son remplaçant fasse ses classes.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire qu’il apprenne sur le tas comment fonctionnent ces gens.

Le maire parut décontenancé.

— Qu’il apprenne sur le tas ?

— Eh oui, ça ne s’enseigne pas dans les universités.

— Vous pensez bien que, compte tenu de ce qu’il a subi, il ne voudra certainement pas reprendre cette fonction. Je suppose qu’il va porter plainte.

— C’est la dernière chose à faire, dit Fortin.

— Comment, mon adjoint est malmené, blessé, hospitalisé et on ne ferait rien ?

— À chaud, non. Dans de telles conditions, il est urgent d’attendre. Ces gaillards-là ont la tête près du bonnet. Cependant, comme je vous l’ai dit, s’ils avaient continué de malmener monsieur Le Corvaisier, mes flics seraient intervenus. Mais celui-ci ayant été mis en sûreté dans l’ambulance des pompiers, il n’y avait donc plus d’urgence.

Il regarda le maire dans les yeux.

— Ils ont strictement suivi mes consignes et, vous avez pu le constater, on s’en est tirés sans trop de dégâts.

— Sans trop de dégâts ? Vous expliquerez ça à ce pauvre Le Corvaisier.

— Si vous voulez, monsieur le maire. Je lui expliquerai surtout qu’il s’en est tiré à moindre mal.

— Vous êtes bien bon, vous !

— Pas du tout ! protesta Fortin, qui ne se démontait toujours pas.

Il parlait d’un ton calme, avec un langage clair et bien articulé.

— Les forains disent volontiers que je suis vache, mais régulier.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire que quand on respecte les règlements, on n’a rien à craindre de ma part. En revanche, tout débordement est impitoyablement sanctionné.

— Par vous ?

— Par moi !

— Mais la justice…

— Les traduire en justice comme ils le méritent ne ferait qu’aggraver les choses.

Le maire parut dépité.

— Donc, ils vont bien s’en tirer. C’est un comble !

— Ils ne s’en tireront pas si bien que ça, assura Fortin. Dans ces familles, il y a un patriarche qui régit son monde d’une main de fer. Dans le cas qui nous intéresse, il y a les Dauber et les Chamalo. Le patriarche de la tribu Chamalo s’appelle Léopold et celui de la tribu Dauber, Mattéo.

— Vous pensez que Le Corvaisier devrait les rencontrer ?

Fortin émit un rire sans joie.

— Les rencontrer ? Pour quoi faire ?

— Eh bien, pour leur faire entendre raison !

— Tss… fit Fortin, je parierai volontiers que votre petit prof est un argumenteur. Il veut convaincre.

— On ne peut pas le lui reprocher, dit le maire.

— Non… Je pourrais éventuellement lui expliquer que ces gaillards-là ne comprennent que la force, mais c’est là un discours que monsieur Le Corvaisier n’est pas prêt à entendre. À tous les coups, je me ferais traiter de primate, voire de facho.

— Oh ! fit le maire en guise de protestation.

Le visage de Fortin s’éclaira d’un sourire.

— Ne protestez pas, monsieur le maire, j’ai l’habitude. Cependant, s’il veut éviter d’autres mésaventures analogues, je pourrai lui donner quelques conseils s’il le désire. Si les agents s’en étaient mêlés, savez-vous ce qui serait arrivé ?

Le maire n’avait pas la réponse, alors Fortin lui expliqua :

— Dans ce cas, les deux bandes rivales se seraient retournées contre les flics et, si les femmes étaient entrées dans la danse, on courait à l’émeute. Et une émeute chez ces gens-là, on sait quand ça commence, mais jamais quand, et surtout comment, ça finit.

Dans le silence qui s’ensuivit, il ajouta :

— Quand des minables se battent contre d’autres minables, savez-vous ce qu’il arrive ?

Le maire, ne voyant pas où Fortin voulait en venir, consulta Mary du regard. Elle ne broncha pas et Fortin dit, assez content de lui-même :

— Eh bien, on a un combat « inter-minables ».

La boutade fit long feu, car le maire demanda, agacé :

— Vous voulez dire qu’ils se seraient exterminés ?

— Ce n’est pas impossible, dit Fortin, impavide, alors le combat se serait terminé faute de combattants.

— Mais on ne peut pas laisser faire ça, dit le maire, tout soudain agité. Dans un pays civilisé, on ne peut pas laisser faire ça !

— Pourquoi ? demanda Fortin d’un air candide. Dans ce pays civilisé, on laisse bien les minables taper sur les flics. Vous trouvez que c’est mieux ?

Mary, trouvant que Fortin allait trop loin, lui fit signe de freiner un peu. Le maire voulut reprendre le bon cours des choses dans une conversation qui avait tendance à déraper.

— Vous êtes intervenu dans ces caravanes avec beaucoup d’aisance. Vous connaissez donc ces gens ?

— Oui, comme je vous l’ai expliqué, j’interviens régulièrement dans des conflits de ce genre. À la longue, ça crée des liens.

Le maire parut décontenancé.

— Des liens ?

— Ben oui, dit Fortin, ce sont des Français comme les autres. Et, comme dans les autres familles françaises, il y a toujours des membres turbulents. Il ne faut pas les heurter de front, mais calmer la situation, les séparer.

— Vous les avez séparés, soit, mais après ?

— Après, les Dauber vont rester et les Chamalo vont s’en aller.

— Le croyez-vous ?

— Oui, puisque Léopold me l’a dit.

Dire que le maire paraissait sceptique serait rester en dessous de la vérité.

— Et maintenant, que va-t-il se passer ?

— Il y aura une enquête et, s’il y a plainte, les individus qui ont bousculé monsieur Le Corvaisier seront présentés devant un juge.

Le maire s’indigna :

— Comment, s’il y a plainte ? Comptez sur moi, j’y veillerai !

Fortin haussa les épaules et contint un bâillement.

— C’est à vous de voir !

Le maire fronça les sourcils.

— Vous ne semblez pas approuver que ces individus soient présentés à la justice.

— Ils seront bien plus punis par leurs chefs de tribu.

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que les vieux manouches n’aiment pas du tout que l’attention de la loi soit attirée sur leurs petites combines. Je vous paye mon billet que le vieux Dauber comme le vieux Chamalo vont sortir la cravache et coller à ces gamins une correction dont ils se souviendront.

Le maire s’indigna :

— Des châtiments corporels ? Mais c’est interdit par la loi !

— À notre loi, certes, mais pas à celle de la tribu.

Le maire tombait des nues.

— Et la police tolère ça ?

— La police est faite pour maintenir l’ordre. L’ordre vous paraît-il maintenu ?

— Oui, concéda le maire, mais à quel prix ?

— Au prix d’une nuit d’émeute, à deux douzaines de voitures brûlées et à une douzaine de flics à l’hôpital… Si c’est ça que vous voulez, présentez-les devant la justice. Le résultat sera garanti.

Le maire était tout songeur.

— Donc, si vous le souhaitez, je reviendrai demain. La fièvre sera tombée et je verrai les deux chefs en même temps. Ils me livreront chacun deux ou trois coupables, je les ramènerai au commissariat et je les placerai en garde à vue. Ils passeront la nuit en geôle et demain j’établirai un rapport que je livrerai au parquet.

— Et après ?

Fortin eut un geste évasif.

— Après, ce sera à la justice de jouer son rôle.

— Et ça recommencera, dit le maire d’un ton las.

— Évidemment, reconnut Fortin. Le juge leur tirera les oreilles, les condamnera peut-être à de la prison, huit ou quinze jours qu’ils ne feront jamais, car les prisons sont pleines, et à une amende qu’ils ne payeront pas plus, car ils sont insolvables. Ils n’auront pas perdu grand-chose, mais, en revanche, les juges auront perdu leur temps et, moi, j’aurai perdu mon crédit.

— Quel crédit ?

— Voyez-vous, pour arrêter cette flambée de violence, j’ai dû promettre à Mattéo Dauber de lui arranger ça.

Le maire s’insurgea :

— Vous n’aviez pas le droit de lui promettre quoi que ce soit !

— C’est vrai, reconnut Fortin. Mais ça m’a paru être la chose à faire pour éteindre ce conflit. Si vous n’arrangez pas ça, je vous le répète, je perds tout mon crédit.

— Et moi, si je ne porte pas plainte, j’aurai l’air de céder à la violence. Le malheureux Le Corvaisier ne comprendrait pas.

Fortin ouvrit ses larges mains devant lui.

— À vous de voir, monsieur le maire, je n’ai évidemment pas à vous dicter votre conduite. Monsieur Le Corvaisier a reçu quelques ramponneaux, mais il n’a rien de cassé et, si je puis me permettre, votre responsabilité est tout de même engagée dans cette affaire.

— Ma responsabilité ? glapit le maire, indigné. Je n’étais même pas là quand cette affaire s’est déclenchée !

— Non, mais c’est vous qui avez balancé Le Corvaisier sur ce champ de bataille.

— C’est l’adjoint à la voirie ! Il est dans son rôle quand il vérifie comment ça se passe sur le terrain. Ce n’est tout de même pas à moi de le faire !

Fortin regarda Jules Belin d’un air désolé :

— Quel âge a monsieur Le Corvaisier ?

— Vingt-quatre ans, je crois. C’est un de nos plus jeunes agrégés de philosophie.

Fortin soupira.

— Si je peux me permettre, monsieur le maire, c’est surtout une erreur de casting, dit Fortin paisiblement. Vous envoyez un jouvenceau qui mesure un mètre soixante et qui pèse cinquante kilos tout mouillé pour faire régner l’ordre dans un camp de manouches.

— Monsieur Le Corvaisier est un élu !

— Ce n’est pas ça qui va impressionner les Dauber et les Chamalo ! Vous ne pouvez pas le mettre à la bibliothèque et trouver un élu plus présent physiquement ?

— Même si je ne les cautionne pas, j’entends vos arguments, fit le maire d’une voix morne, et c’est d’ailleurs de cela que je voulais vous entretenir. Il semble que vous ayez l’autorité et le savoir-faire pour intervenir dans des circonstances comme celle-ci.

— Effectivement, reconnut Fortin, c’est toujours moi qu’on envoie au charbon quand ça devient difficile.

— C’est un homme comme vous qu’il me faudrait à la mairie.

Le ciel serait tombé sur la tête du capitaine Fortin qu’il n’aurait pas paru plus surpris. Il regarda Mary qui, elle, ne semblait pas plus étonnée que ça, puis il revint au maire.

— Moi ? À la mairie ? Mais je ne suis pas élu, et d’ailleurs, j’ai déjà un boulot ! Donnez plutôt ça à ceux qui sont en recherche d’emploi.

— Pour qu’ils se fassent balancer comme ce pauvre Le Corvaisier ? L’administration recrute sur diplômes, capitaine, pas sur l’aptitude au combat de rue.

— Alors, je ne suis pas l’homme qu’il vous faut, assura Fortin.

— Vous venez de prouver le contraire, regimba le maire.

— Certes, mais, hors le certificat d’études, je n’ai pas de diplômes, même si j’ai une certaine aptitude au combat de rue. Je vous l’ai dit, trouvez chez vos diplômés un homme de poids. Le cas échéant, je pourrai lui dispenser quelques conseils.

— Vous feriez ça ?

— Pourquoi pas ? Je le fais déjà pour les jeunes gardiens de la paix.

— Le capitaine Fortin dispense même son savoir et son expérience dans certaines écoles de police et de gendarmerie, intervint Mary.

Le maire réfléchit.

— Hum… c’est une excellente proposition et je vous en remercie, mais je ne voyais pas les choses tout à fait comme ça. Comme vous le savez peut-être, devant l’ensauvagement de la société et la recrudescence de ce que l’on appelle des incivilités, les communes sont désormais contraintes d’avoir une police municipale.

— Ça ne sera pas une précaution inutile, approuva sobrement Fortin.

— Je vais donc devoir créer un groupe d’intervention pour assurer tranquillité et sécurité sur la voie publique.

— Une police municipale ? demanda Mary.

— C’est ça, confirma le maire. Capitaine Fortin, voudriez-vous en prendre le commandement ?

Fortin accusa le coup et, du regard, quêta un secours auprès de Mary qui suivait silencieusement la conversation. Il finit par dire :

— Euh… Moi ?

— Oui, vous ! Il me semble que vous présentez toutes les qualités requises pour ce poste de responsabilité.

— Sauf les diplômes !

— Laissons ça, fit le maire, agacé.

Mary, qui sentait son équipier bousculé par une proposition à laquelle il ne s’attendait pas, vint à son secours.

— C’est une proposition tout à fait inattendue, monsieur le maire, le capitaine Fortin ne manquera pas de l’examiner avec intérêt quand il connaîtra les détails de la mission qui lui sera confiée. Je pense qu’il serait prématuré d’en décider sur-le-champ.

— Évidemment, dit le maire avec une jovialité forcée, évidemment… Mais, rassurez-moi, vous n’y êtes pas hostile, capitaine ?

De nouveau, le regard de Fortin chercha du secours auprès de Mary Lester qui lui fit un signe affirmatif de la tête et un autre du poing, le pouce en l’air.

— Euh… non, monsieur le maire, dit Fortin, je vous en remercie, mais ça me prend un peu au dépourvu. Je m’y attendais si peu… Comme dit le commandant, il faut que je réfléchisse.

— C’est ça, mon ami, c’est ça, fit le maire rondement, réfléchissez. Je vous ferai porter notre proposition par courrier dans les jours qui viennent. Où dois-je l’adresser ?

Mary articula muettement : « au commissariat » et Fortin répéta docilement :

— Au commissariat, monsieur le maire.

— Parfait ! dit l’édile en se frottant les mains d’un air réjoui. Il est inutile que nous attendions davantage puisque ce pauvre Le Corvaisier ne se réveillera pas de sitôt.

Il semblait que son malheureux adjoint était passé soudainement au second rang de ses préoccupations.

— En effet, dit Mary en serrant la main tendue, nous sommes évidemment à votre service pour les suites que vous entendrez donner à cet incident.

Ils regagnèrent leur voiture dans laquelle l’hyperactive Gertrude se morfondait.

Chapitre 2

Ils sortirent en silence de l’hôpital. Du coin de l’œil, Mary épiait le grand qui marchait un peu voûté, la tête basse, le front plissé. « Tempête sous un crâne », songea-t-elle. La proposition du maire avait cueilli Fortin comme un méchant crochet au foie. Homme paisible, il s’était installé, depuis son arrivée à Quimper, dans une douce quiétude. Le patron Fabien l’avait plutôt à la bonne, ses collègues aussi et, pour les agents en tenue, le capitaine Fortin c’était le bon Dieu. Sortir avec lui en patrouille, c’était l’assurance tous risques. Quand Fortin dépliait sa haute silhouette d’une voiture de police, les petits lascars de la cité la mettaient en veilleuse et rasaient les murs. On chuchotait dans les encoignures : « Fortin est là… »

Et puis il y avait Mary Lester… Ils avaient commencé ensemble1 et, dès cette première enquête, le grand s’était incliné devant la perspicacité de cette frêle jeune fille qui savait si bien commander.

Gertrude s’aperçut immédiatement du trouble de son mentor.

— Eh bien, qu’est-ce qui se passe ? T’en fais une tête, Jipi !

Comme il ne répondait pas, elle s’adressa à Mary :

— Qu’est-ce qui lui arrive ?

— Un gros malheur, lui répondit celle-ci, on vient de lui proposer une situation en or !

— À l’hôpital ? s’étonna Gertrude.

Elle connaissait l’aversion de son grand collègue pour les établissements de santé.

— Non pas, dit Mary, à la mairie.

Gertrude s’étonna de nouveau en se retournant vers Fortin :

— Tu veux aller à la mairie ?

Le grand, qui ne sortait pas de son hébétude, leva sur elle des yeux éperdus et passa le relais à Mary d’une voix suppliante :

— Dis-lui…

— Voilà, dit Mary, le maire, monsieur Belin, a été subjugué par la manière dont notre ami Jean-Pierre a détendu une situation dans laquelle nous étions particulièrement mal embarqués.

Gertrude regardait alternativement ses deux collègues. Elle avoua :

— Je pige que dalle !

Mary expliqua posément.

— Deux familles de gitans qui ne peuvent pas s’encadrer en sont venues aux mains. Elles ont molesté l’adjoint au maire qui tentait de s’interposer, unissant leurs forces pour la circonstance. Celui-ci éliminé, ils s’apprêtaient à sortir l’artillerie au moment où, tel Zorro, Fortin est arrivé. Alors, tout est rentré dans l’ordre comme par magie, sous les yeux de monsieur Belin. L’adjoint a été admis à l’hôpital où on soigne ses bobos et le maire m’a demandé de lui présenter l’homme qui a évité le désastre, notre ami Jipi. Et il lui a proposé, tu ne devineras jamais…

— Vas-y, l’encouragea Gertrude, intéressée.

— Monsieur le maire va créer une police municipale et il a proposé à Fortin d’en prendre la direction.

La réaction de Gertrude fut immédiate :

— C’est pas vrai, tu vas nous quitter ?

Dans sa voix, il y avait de l’indignation, presque du désespoir.

— Mollo, fit Fortin sur la défensive, je n’ai pas encore accepté !

Comme si elle n’avait pas entendu, Gertrude se tourna vers Mary :

— Et toi, tu ne dis rien ?

Mary se défendit.

— Qu’aurais-je pu dire ? C’est à Jean-Pierre que cette proposition a été faite, je serais mal venue de m’en mêler. C’est un grand garçon, lui seul a le droit de choisir son sort.

Après un instant de silence, elle ajouta :

— C’est une occasion qui ne se reproduira probablement pas de sitôt.

Cette réponse ne satisfit pas Gertrude. Il lui semblait que tout son monde s’écroulait. Son regard affolé allait de Fortin à Mary et de Mary à Fortin. Gêné, Jipi se voulut rassurant :

— Ne te mets pas la rate au court-bouillon, ma puce…

Comme puce, Gertrude se posait un peu là. Récemment, on l’avait traitée bien plus cruellement, aussi, elle ne s’en offusqua pas2. Il ajouta :

— Il n’y a rien de fait…

Rancunière, Gertrude jeta :

— Mais tu n’as pas refusé…

Mary reprit la parole :

— Il n’a pas refusé parce que c’est le maire. Avoue que c’eût été grossier de le rembarrer après qu’il lui avait fait une proposition probablement avantageuse. Mieux vaut garder de bonnes relations avec la mairie.

Après un silence, elle ajouta :

— Il a prudemment répondu qu’il ne pouvait pas donner sa réponse comme ça, de but en blanc.

Elle s’adressa à Fortin :

— Je ne te l’ai pas dit, Jipi, mais là, tu as été bon. Franchement, je n’aurais pas fait mieux !

Ça, c’était un compliment ou Fortin ne s’y connaissait pas.

Mary poursuivit :

— Cependant, il te faudra étudier de près les conditions qui te sont faites, les missions qui te seront confiées, le salaire aura évidemment son importance. Et puis, tu n’es pas seul, il te faudra consulter Madeleine, et aussi le patron… Tu peux comprendre ça ?

Fortin hocha la tête affirmativement tandis que Gertrude reniflait. Elle finit par répondre sans enthousiasme :

— Ouais.

— Bon, alors ramène-nous au commissariat.

Le retour se fit en silence, mais Mary constata que Gertrude conduisait plus brutalement que d’habitude, comme si elle voulait se venger sur la voiture des contrariétés qu’on lui avait fait subir. Puis, dans la cour du commissariat, elle claqua la portière trop fort et, sans mot dire, regagna son bureau au pas de charge.

Fortin regarda Mary :

— Qu’est-ce qu’elle a ?

Celle-ci lui répondit à mi-voix, la bouche de travers :

— On n’en parle pas sur le parking.