Le vautour revient toujours - Tome 1 - Jean Failler - E-Book

Le vautour revient toujours - Tome 1 E-Book

Jean Failler

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Beschreibung

L'heure est grave, un riche industriel est mort après une violente chute d'une falaise... Un simple accident de vélo ? L'enquête est ouverte !

Quand le commissaire divisionnaire Fabien convoque Mary Lester en urgence, c’est que l’heure est grave ! Un riche industriel s’est tué en chutant d’une falaise dans le Cap Sizun, près de la Pointe du Raz. Tout laisse penser qu’il s’agit d’un dramatique mais banal accident de vélo. Le parquet souhaite pourtant une enquête approfondie. Et le commandant Lester va devoir s’y coller. Si la collaboration avec la gendarmerie se passe – une fois n’est pas coutume – à merveille, une ombre malfaisante plane cependant sur Mary… Celle du Vautour, le peu recommandable Lostelier, qu’elle a fait mettre derrière les barreaux il y a dix ans. Lostelier vient d’être libéré, et la victime du Cap Sizun n’est autre que le nouveau mari de Cécile Poingt, sa maîtresse de l’époque. Personne n’avait relevé la coïncidence. Cependant, elle n’a pas échappé à Mary Lester…

Lostelier, surnommé le Vautour, vient d’être libéré. La victime du Cap Sizun a-t-elle un lien avec ce malfrat ? Suivez le commandant Lester dans un polar trépidant où rien n'est évident !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE 

"Bon et bien Mary est toujours en forme et son enquête sur deux tomes s'avalent vite. Comme toujours énormément de dialogues comme un scénario de film." - Coventgarden, Babelio

"Le vautour revient toujours, publié en avril 2019 aux éditions du Palémon, ne se contente pas de relier l’accident de chasse de jadis à l’accident de vélo d’aujourd’hui, mais visite à nouveau en détail cette bourgeoisie industrielle du Finistère-Sud, dont l’auteur sait se délecter – et nous, lectrice ou lecteur, avec lui – à brocarder les travers et les palinodies, conduites depuis les intérieurs feutrés des riches demeures des bords de l’Odet." - Charybde 27 : le Blog

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Failler - Auteur de pièces de théâtre, de romans historiques, de romans policiers. Vit et écrit à l'île-Tudy (Finistère). 

À travers 
Les Enquêtes de Mary Lesteraujourd'hui au nombre de cinquante-neuf et avec plus de 3 millions d'exemplaires vendus, Jean Failler montre son attachement à la Bretagne, et nous donne l’occasion de découvrir non seulement les divers paysages et villes du pays, mais aussi ses réalités économiques. La plupart du temps basées sur des faits réels, ces fictions se confrontent au contexte social et culturel actuel. Pas de folklore ni de violence dans ces livres destinés à tous publics, loin des clichés touristiques, mais des enquêtes dans un vrai style policier.



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Couverture

Page de titre

Les ouvrages de Jean Failler sont disponibles à la Bibliothèque Sonore du Finistère.

CE LIVRE EST UN ROMAN. Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,

REMERCIEMENTS

Martine Bertéa

Alexandre Breton

Jean-Claude Colrat

Delphine Hamon

Annie Le Chevanche

Meven Le Donge

Myriam Morizur

Marie Perceval

Nathalie Simon

À MES AMIS

Francis Babin

Jean Jegou

Jean Le Breton

Alain Piriou

Chapitre 1

Le commissaire divisionnaire Lucien Fabien attaqua bille en tête :

— Robert Larnaca, ça vous dit quelque chose ?

Le commandant Mary Lester se tenait très droite sur le siège disposé devant le bureau directorial. Il était neuf heures trente et elle venait d’arriver au commissariat lorsque le patron l’avait convoquée d’urgence. Qu’arrivait-il donc à ce cher Lucien ?

Question posée mezzo voce à son équipier, le capitaine Fortin, qui en guise de réponse n’avait pu lui offrir qu’une moue interrogative, non dénuée d’appréhension. Il l’avait regardée sortir en articulant silencieusement avec sa bouche : « Merde ! » – c’était sa manière de lui souhaiter bonne chance.

Elle revint à l’instant présent, réfléchit, et répéta en secouant la tête négativement :

— Larnaca ? Non, je ne vois pas…

Et, comme le patron la regardait, goguenard, elle demanda, intriguée autant qu’agacée :

— Ça vous surprend ?

— Un peu, ironisa Fabien. La mémoire commencerait-elle à vous faire défaut ?

Elle risqua :

— Ne serait-ce pas ce type qui s’est tué en faisant du vélo ?

— Ah, dit le commissaire avec satisfaction, ça vous revient ?

Le front de Mary se plissa.

— Ça me revient en effet, car il est rare que la presse s’étende de la sorte sur un banal accident de la circulation.

— Minute ! dit Fabien. Quand un des industriels les plus importants de la région disparaît aussi bêtement, l’affaire mérite qu’on s’y attarde.

— Quelle affaire ?

Comme le commissaire restait muet, elle demanda :

— Les gendarmes auraient-ils relevé des éléments suspects dans cet accident ?

Presque comme à regret, Fabien dut reconnaître que non, les gendarmes n’avaient rien relevé de tel.

— Alors ? insista-t-elle.

— C’est le parquet…

Elle répéta d’un air entendu :

— Le parquet !

— La justice, si vous préférez. Elle veut une enquête approfondie sur la mort de Larnaca.

— La justice ne ferait donc plus confiance à la gendarmerie ? s’étonna Mary.

— Il faut croire, dit Fabien d’un air désabusé.

— En matière de recherches criminelles, ils sont pourtant particulièrement efficaces.

— Je le sais bien…

Il eut un geste d’impuissance et, braquant son index sur le plafond, s’exonéra de toute responsabilité :

— On n’a pas requis mon avis. C’est un ordre qui vient d’en haut.

Elle traduisit mentalement : « Donc un ordre qui ne se discute pas. » Elle constata néanmoins :

— Les bleus ne vont pas être contents de voir vos services empiéter sur leur pré carré.

Fabien grommela :

— Contents, pas contents, il faudra bien qu’ils s’y fassent.

— Puisque je suis ici, dit Mary, je suppose que c’est moi qui suis désignée pour aller affronter le coup de tabac ?

D’une voix neutre, celle que Mary qualifiait de « voix de Ponce Pilate », le commissaire précisa :

— Le parquet, par la voix de votre très chère amie la juge Laurier, a demandé que vous vous livriez à une contre-enquête discrète.

Mary hocha la tête d’un air entendu :

— Ben dites donc, ce n’est pas un « parquet cadeau »…

Des astuces aussi navrantes que celle-là, il n’y avait que Fortin pour en rire. Fortin n’étant pas là, elle enchaîna :

— Une enquête au noir, en quelque sorte…

Fabien grommela :

— Arrêtez donc de dire des bêtises !

— Alors, expliquez-moi.

— Tout doux ! fit Fabien. La juge vous donnera toutes les précisions nécessaires.

— En quelque sorte, je dois prendre mes ordres directement au palais de Justice.

— Hon hon ! fit le commissaire en dodelinant du chef.

Elle s’indigna :

— Et vous vous en lavez les mains !

Il prit son ton le plus patelin en regardant attentivement son sous-main :

— Ai-je le choix ?

— Encore la mère Laurier ! gronda Mary en croisant les bras. Je vais finir par porter plainte contre cette bonne femme.

Il la gourmanda en feignant la sévérité :

— C’est ainsi que vous parlez de la doyenne des juges d’instruction ?

Elle jeta avec humeur :

— De qui voulez-vous que ce soit ?

Il estima :

— C’est cavalier !

Puis il ajouta :

— Et pourquoi porteriez-vous plainte ?

— Pour harcèlement ! Depuis mon enquête à Dinard1, elle apparaît en filigrane dans toutes les affaires qui me sont confiées.

Le commissaire se redressa :

— Allons, allons, Mary Lester, ne versons pas dans la paranoïa s’il vous plaît ! À ce jour, c’est quand même moi qui détermine vos affectations, que je sache.

— C’est ce que je croyais, répliqua-t-elle du tac au tac. Mais il paraît que je me trompais : me voilà promue au rang de pantin dont la juge Laurier tire les ficelles. Figurez-vous que je n’ai aucune envie d’aller me frotter aux gendarmes une nouvelle fois. À la longue, ils vont finir par croire que je leur en veux !

L’accès d’humeur du commandant Lester semblait amuser le commissaire Fabien.

— Peut-être bien qu’ils vont, eux aussi, vous poursuivre pour harcèlement, ironisa-t-il.

Mary entra dans ce jeu :

— Voilà qui ne manquerait pas d’être plaisant ! Tout ça pour un type que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam ! D’habitude les P.-D.G. cassent leur pipe en Ferrari, dans leur jet privé, en glissant dans leur piscine ou en pêchant le marlin bleu dans le golfe du Mexique. Si vous voulez mon avis, trépasser à vélo au bord d’un chemin quand on appartient à ce monde de m’as-tu-vu, c’est faire montre d’un parfait mauvais goût.

— Dans ces causes de mortalité vous oubliez l’accident de chasse, glissa Fabien insidieusement.

— J’en oublie probablement d’autres comme la chute à ski ou le saut à l’élastique, concéda Mary.

Elle marqua un temps de silence et demanda :

— Pourquoi évoquez-vous l’accident de chasse ?

— Parce que sa veuve s’appelle Cécile.

— Et alors ? Si encore elle s’était appelée Diane…

Ce fut au commissaire de questionner :

— Pourquoi Diane ?

Mary sourit :

— Diane la chasseresse, ça ne vous dit rien ?

Le commissaire ne releva pas l’intention malicieuse de la question. Bien au contraire, il affirma avec force :

— Eh bien non, c’est Cécile !

Après un temps de silence, il ajouta :

— Cécile Larnaca, que vous avez mieux connue sous le nom de son premier mari…

Elle regardait attentivement le commissaire, les sourcils froncés. Qu’allait-il encore sortir de son chapeau ?

Béat, le divisionnaire Fabien souriait.

— Ça ne vous rappelle vraiment rien ? À cette époque elle s’appelait encore Cécile Poingt.

Un brouillard se déchira devant les yeux de Mary qui répéta, stupéfaite :

— Cécile Poingt ! Que ne le disiez-vous ?

Des images qu’elle avait un peu oubliées défilèrent brusquement devant ses yeux : le corps horriblement mutilé de Julien Poingt, étalé comme une pièce de boucherie sur la table carrelée de la morgue, la gorge ouverte par l’explosion de son fusil de chasse.

Le père Boulois lui avait si bien décrit la scène suivant l’explosion qu’elle croyait l’avoir vue…

— Alors, demanda le commissaire Fabien, ça vous revient ?

Elle souffla :

— Si ça me revient !

Sa première enquête sérieuse sur ce que tout le monde pensait être un banal accident comme il s’en produit tant à la campagne… Sa perspicacité (son mauvais esprit comme disait parfois le commissaire pour la taquiner) lui avait pourtant permis de découvrir un crime machiavélique qui avait envoyé son auteur, un notable qui se croyait intouchable, devant la cour d’assises.2

Ce faisant, elle avait déclenché un scandale énorme dans la bonne société cornouaillaise.

Elle avoua :

— J’avais évidemment appris que Cécile s’était remariée, mais je n’avais pas retenu le nom de son nouveau mari.

— Robert Larnaca, dit le commissaire en croisant les mains sur son ventre. Un polytechnicien qui était alors ingénieur et directeur technique des établissements Poingt…

Après un temps de silence, il ajouta :

— C’est lui qui a repris le flambeau après la disparition de Julien Poingt. Puis, par son mariage avec la veuve de l’industriel, Robert Larnaca est devenu le patron des établissements Poingt. Sous sa direction, la boîte s’est encore développée pour devenir le phare économique de toute la région.

— Je n’ai pas suivi l’affaire avec toute l’attention requise, reconnut Mary. J’étais tombée dans ce milieu par un concours de circonstances. C’est ce drame qui m’y a plongée. Pour autant, je n’ai pas profité de mon enquête pour me faire des relations et je n’ai jamais été conviée aux petits raouts de week-end que ces gens pratiquent entre eux, ce qui m’a évité d’avoir à décliner de telles invitations.

Elle regarda le commissaire avec attention :

— Patron, si vous me disiez ce que vous voulez que je fasse précisément ?

Fabien déplaça sa règle de teck pour l’aligner sur le bord vert de son buvard sous-main. Il semblait apporter à cet ajustement une application excessive.

— Simplement que vous rencontriez la juge Laurier, qui vous dira ce qu’on attend de vous.

Elle s’étonna :

— Mais… et vous, patron ?

Fabien leva une main comme pour dégager sa responsabilité :

— Oh moi…

Il regarda Mary de biais :

— Vous voulez savoir ? Eh bien sachez, jeune fille, que le divisionnaire Lucien Fabien s’en fiche.

Il s’emporta :

— Ça lui est équilatéral, au commissaire divisionnaire Fabien ! La justice passe par-dessus sa tête ? Fort bien ! Arrangez-vous donc avec votre juge préférée.

Mary regimba :

— Vous ne me demandez pas mon avis ? Vous ne me demandez pas si je suis d’accord pour changer de patron, comme ça ?

— Non, dit Fabien mollement, je ne vous le demande pas.

Il braqua son index sur sa cravate :

— Vous croyez qu’on m’a demandé mon avis ?

Elle leva les épaules avec humeur :

— En somme, vous vous en tapez !

Il nota avec réprobation :

— Voilà que vous vous remettez à parler comme Fortin ! Non, je ne m’en tape pas, commandant, mais je devrais ! D’ailleurs, si vous le voulez, vous me ferez simplement part de l’avancement de l’enquête.

— Simplement… répéta-t-elle.

— Voilà…

— Je vais donc de ce pas rencontrer la juge Laurier puisqu’il semble qu’elle apparaisse encore « en filigrane » dans cette contre-enquête ?

— Cette fois, c’est plus qu’en filigrane, Mary.

Elle fut décontenancée par l’abdication apparente de cet homme énergique. Elle demanda :

— Mais alors, qu’est-ce que je fais ?

Il répondit avec une indifférence affectée :

— Vous ferez comme d’habitude, commandant Lester.

— Qu’est-ce à dire, patron ?

— C’est-à-dire que, comme d’habitude, vous n’en ferez qu’à votre tête…

Comme elle allait répondre, il leva la main avec autorité :

— Et ne protestez pas ! Vous savez bien que c’est vrai.

Elle se contenta de bougonner :

— On dirait que vous avez eu à vous en plaindre !

Il ne répondit pas directement.

— Hé hé ! fit-il. Il est temps que madame Laurier apprenne à connaître les méthodes du commandant Lester.

1. Voir La mystérieuse affaire Bonnadieu, même auteur, même collection.

2. Voir La mort au bord de l’étang, même auteur, même collection.

Chapitre 2

Le commissaire n’avait pas eu à s’en plaindre, la mère Laurier non plus. C’est pourquoi la juge accueillit Mary presque aimablement.

Le coup de baguette magique que Mary lui avait accordé sans qu’elle le sache semblait avoir eu des effets bénéfiques3 : la juge avait meilleure mine, elle se tenait plus droite et semblait s’être remplumée.

Mary lui en fit compliment :

— Vous me paraissez en meilleure forme que la dernière fois que je vous ai vue, Madame. Sachez que je m’en réjouis !

— Je vous remercie, commandant. J’ai en effet essuyé un coup de fatigue et j’avoue que j’étais au creux de la vague lorsque je vous ai rendu visite. Mais maintenant, ça va mieux.

— Vous avez trouvé un traitement approprié, je suppose ?

— Pff, les médecins assurent qu’ils n’y comprennent rien.

— Bah, fit Mary d’un ton léger, seul le résultat compte, n’est-ce pas ?

— Assurément. Mais, commandant Lester, je ne vous attendais pas pour vous donner des nouvelles de ma santé !

Cette entrée en matière était tellement inhabituelle, voire contre nature, que Mary se demanda s’il y avait réellement un peu d’empathie derrière ce faciès moins revêche que d’habitude.

Elle se morigéna : « Allons, pas de délit de sale gueule ! ». Elle ne put pour autant s’empêcher de titiller un peu l’austère magistrate :

— Vous voulez encore m’envoyer au casse-pipe, Madame la juge ?

La greffière, la pâle madame Guyon, contemplait Mary, horrifiée. Elle n’avait jamais entendu quiconque interpeller sa patronne de la sorte et elle fut d’autant plus surprise que la juge Laurier ne reprit pas cette péronnelle avec sévérité mais qu’elle se contenta de la considérer avec surprise par-dessus son pince-nez aux verres épais :

— Qu’entendez-vous par là ?

Mary eut, de la main, un geste désinvolte :

— Bah, si vous l’avez oublié, inutile d’y revenir.

La juge posa son stylo devant elle et demanda :

— Ah, vous voulez parler de cette fâcheuse affaire de Roscoff ?

À cette évocation, Mary frissonna. Pour ce chat-fourré femelle, la vie d’un flic semblait avoir bien peu de prix.

Mary, qui avait manqué se noyer comme un rat au fond du port de plaisance de Roscoff, trouvait un peu léger le qualificatif de « fâcheux » pour nommer une opération où elle avait failli laisser sa peau. Sans Fortin…

— Un bain de minuit au mois de novembre dans un fond de port, vous êtes bien bonne de trouver l’incident fâcheux !

La juge balaya cette manifestation d’humeur d’un mouvement de main que Mary trouva particulièrement inconvenant.

— Bah, vous vous en êtes tout de même bien tirée, non ?

— Grâce au capitaine Fortin, oui.

— Et puis vous avez obtenu des compensations.

Mary s’indigna :

— Des compensations ? J’ai obtenu un arrêt de travail comme tout salarié qui est victime d’un accident dans l’exercice de son métier ! Rien de plus, rien de moins.

— Convalescence que vous avez passée dans un hôtel trois étoiles.

— Vous évoquez sans doute mon séjour à l’hôtel Les Vénètes ?

La juge fit la petite bouche en levant les épaules et laissa tomber :

— Un établissement de luxe, il me semble.

— Tout à fait. Je vous le recommande.

Et elle pensait : « … la prochaine fois qu’un prévenu mécontent de son sort vous fichera à la flotte évidemment. »

Mais ce sont là des répliques qu’on aimerait asséner mais qu’on n’assène pas, soit parce qu’elles vous viennent cinq minutes trop tard, soit, comme dans le cas présent, parce qu’elles sont à haut risque.

Elle ajouta simplement :

— Je déteste la médiocrité et, au passage, je vous prie de noter que j’ai payé ce séjour de mes deniers.

— C’est bien, dit la juge avec un sourire sans joie.

Elle ôta ses lunettes et se massa longuement les yeux avec les paumes des mains. Puis elle les remit et fit remarquer :

— Les victimes d’accidents du travail n’ont pas toutes cette chance.

Mary perçut le reproche sous-jacent :

— C’est sûr ! Certains, surtout chez les flics ou les gendarmes, voire chez les pompiers, en meurent, ou restent handicapés à vie.

— Je ne parlais pas de ça. Bien entendu, toute ma compassion va à ces pauvres gens.

Mary faillit lui dire que la compassion de madame Laurier leur faisait une belle jambe, à ces « pauvres gens » et que si on leur demandait leur avis, ils préféreraient que cette compassion platonique des gens de justice n’aille pas de pair avec leur indulgence coupable à l’endroit des responsables de leur malheur.

Cependant, elle se retint. Il ne fallait peut-être pas envoyer le bouchon trop loin. Jusqu’alors, la mère Laurier s’était avérée une alliée efficace. Puisque Mary en subissait les inconvénients, autant ne pas s’en aliéner les avantages.

La juge poursuivit :

— Ce qui me surprend…

Elle se reprit :

— … ou plutôt, ce qui ne me surprend pas venant de vous, c’est qu’à chaque fois, vous vous arrangez pour vous trouver au cœur d’une bien étrange histoire, comme lors de votre récente enquête en pays bigouden !

Mary eut un geste de colère :

— Je m’arrange ? Mais je n’y suis pour rien ! Pas plus que je n’y étais pour quelque chose si mon nom figurait sur ce papier que la malheureuse Cathy Vilard avait dans sa poche4. Au fait, Hermann Köler vous a-t-il éclairée à ce sujet ?

— Il prétend que l’idée venait de Von Bulöw, qui pensait ainsi ajouter une charge contre Émile Biger, en utilisant votre notoriété. Voilà ce que c’est que d’être connue !

Mary sourit :

— « La célébrité est le deuil éclatant du bonheur. »

La juge salua d’un mouvement de tête :

— Joli ! C’est de vous ?

— Non, de madame de Staël.

— Je me disais aussi ! La fatalité vous poursuit, en quelque sorte.

Ça sentait le sarcasme.

— Au nombre des séjours que je fais dans ce bureau depuis quelque temps, je finirai par le penser.

Elle crut un instant que la juge allait la taxer d’insolence mais, après un instant d’hésitation, la mère Laurier prit une autre option :

— Vous aviez, pour votre enquête dans le golfe du Morbihan, une suppléante très dynamique, à ce qu’on m’a dit.

— Oh, mais ce n’était pas une suppléante ! À la demande du commissaire Chasségnac, et avec l’accord du divisionnaire Fabien, le lieutenant Le Quintrec s’est parfaitement acquittée de la mission qui lui avait été confiée.

Elle assura :

— Le lieutenant Le Quintrec est un officier de police parfaitement compétent et efficace.

— Et bien entendu, vous n’êtes pas intervenue dans cette affaire ?

Mary répondit vivement :

— Comment serais-je intervenue ? J’étais en convalescence !

— Pourtant, je me suis laissé dire…

— Vous vous êtes laissé dire que j’avais été mise en garde à vue…

Pour Mary Lester, ce n’était pas un bon souvenir. Son front se plissa, mais elle réussit à garder son calme en répondant à la juge d’une voix normale :

— C’est exact, Madame la juge. Et je tiens à préciser que cette garde à vue a été ordonnée et exécutée par le commandant Ponchon dont le lieutenant Le Quintrec a démontré, par la suite, la haute moralité.5

La juge avait l’oreille sélective. Elle n’épilogua pas sur la « haute moralité » du commandant Ponchon, convaincu de collusion avec le banditisme et d’assassinat. L’entendit-elle seulement ? Elle poursuivit dans le sarcasme :

— Pour un commandant de police, ça doit être une expérience intéressante.

Mary frémit. Cette harpie la chambrait. Puisqu’elle voulait jouer à ce jeu-là, elle allait trouver à qui parler.

— Pas seulement pour un officier de police, dit-elle. Ça vaut pour toute personne ayant le pouvoir de mettre ses contemporains sous les verrous. À l’occasion, je vous engage à essayer.

Encore une fois, son insolence tomba à plat. La juge, habituellement si prompte à brandir la foudre sur les têtes qui osaient la défier, ignora superbement l’invitation de Mary. Finalement, le coup de baguette magique avait été bénéfique à tout point de vue.

— Cette demoiselle Le Quintrec me semble être une rude gaillarde !

— Elle l’est.

— On prétend qu’elle se serait débarrassée toute seule de trois agresseurs armés ?

Mary concéda prudemment :

— C’est ce qu’on a dit, en effet.

— Toute seule ? insista la juge.

— Il paraît…

La juge tiqua :

— Il paraît ?

— C’est ce qui m’a été rapporté, fit Mary. Je n’y étais pas.

La juge leva les yeux au ciel :

— Ça m’épate !

Et elle ajouta :

— Et pour tout dire, ça me laisse un peu dubitative.

— Vous n’êtes pas la seule, reconnut Mary.

— Comment cela peut-il s’expliquer ?

— Ça tient en deux syllabes, dit Mary : For-tin.

— Le capitaine Fortin ?

— Je vois que vous le connaissez. Je lui dois la vie car il n’a pas hésité à plonger dans le port de Roscoff pour me sauver.

— C’est Tarzan, cet homme ! admira ironiquement la juge.

Mary confirma :

— C’est encore mieux que ça ! Avec le capitaine Fortin, le lieutenant Le Quintrec est à bonne école. En matière de self-défense, c’est un maître.

— Qui dispense sa science aux jeunes recrues, m’a-t-on dit.

— En effet.

— Nous n’aurons donc bientôt plus besoin d’armer les gardiens de l’ordre ?

La séance de chambrage continuait.

« Allons-y, se dit Mary. Plus on est de fous, plus on rigole. »

— Il y a bien longtemps que ce n’est plus une nécessité, Madame la juge.

Laurier regarda Mary sévèrement :

— Vous plaisantez ?

— Pas du tout. Vous savez mieux que personne ce que risque le malheureux flic qui serait tenté, fût-ce pour sauver sa vie, de coller du plomb dans les fesses d’un voyou… On en a vu passer aux assises pour moins que ça !

La juge tapa sur la table du plat de la main :

— Ne racontez donc pas n’importe quoi !

— Comme si c’était mon genre, bougonna Mary.

La juge ne releva pas. L’échange glissait vers des points trop sensibles.

— Quand on voit ce que votre capitaine Fortin a été capable de faire d’une faible femme…

— … Vous vous dites qu’avec les hommes, ce doit être encore plus redoutable.

— Ça paraît logique, non ?

— Sur le papier, oui, concéda Mary. Mais quand vous connaîtrez le lieutenant Le Quintrec, vous comprendrez que dans son cas, accoler le mot « faible » et le mot « femme » est tout à fait antinomique.

La juge eut un mince sourire et répéta :

— Antinomique ? Il faudra que vous me présentiez le phénomène.

Mary s’inclina :

— Quand il vous plaira, Madame la juge.

La juge hocha la tête sans faire d’autre commentaire. Mary revint à l’essentiel :

— Le commissaire Fabien m’a laissé entendre que vous aviez une mission à me confier ?

— En effet… Je suppose qu’il vous en a touché deux mots.

Mary hocha la tête :

— Deux, mais pas beaucoup plus. Il m’a simplement dit qu’un important industriel s’était tué dans un accident de vélo…

La juge continuait de la fixer sans mot dire. Mary poursuivit :

— Mais pour le reste, il m’a renvoyée vers vous.

Comme la mère Laurier ne semblait pas décidée à parler, Mary précisa :

— Je dois vous dire que ça sera bien la première fois que j’interviendrai dans un accident de la circulation sur une route de campagne. D’ordinaire, c’est l’affaire des gendarmes.

— C’est toujours l’affaire des gendarmes, dit la juge d’une voix lente. Cependant, cette fois, il s’agit d’un personnage de toute première importance, monsieur Robert Larnaca. Le rapport de gendarmerie que je vais vous confier classe l’affaire en accident.

— Et vous pensez que ce n’en est pas un ?

— Moi je ne pense rien, mais certaines rumeurs ont couru et les assurances ont demandé une contre-expertise.

Le front de Mary se plissa :

— Serait-ce moi la contre-experte ?

— Une des intervenantes, assurément. Souvenez-vous qu’en une autre circonstance, vous aviez découvert un crime machiavélique derrière ce que tout le monde pensait n’être qu’un banal accident de chasse.

— Décidément, mon passé me poursuit, marmonna Mary.

Elle se leva, prit le dossier et déclara avec une docilité qui dut complaire à la juge (à moins qu’elle ne la trouvât suspecte) :

— Bien, Madame la juge, je vais voir ce que je peux faire.

— Quel enthousiasme ! persifla la magistrate.

Mary ne releva pas la pique.

— Mon patron vous le dira, il n’est pas dans mes habitudes de sauter au plafond quand on me confie une mission. Mais soyez certaine que j’y apporterai tous mes soins.

— J’en suis persuadée, dit la juge avec un mince sourire. Bonne chance, commandant Lester !

3. Voir C’est la faute du vent, même auteur, même collection.

4. Voir C’est la faute du vent, même auteur, même collection.

5. Voir Fallait pas commencer, même auteur, même collection.

Chapitre 3

« Bonne chance… bonne chance… bougonnait Mary Lester en regagnant le commissariat. Je t’en foutrais des bonne chance ! Elle ne doute de rien, cette vieille taupe ! » C’est dans ces dispositions pétardières qu’elle toqua à la porte du commissaire Fabien.

— Savez-vous d’où je sors, Monsieur ?

Le commissaire Fabien la considéra avec un sourire ironique :

— Voilà une question qui, me semble-t-il, est teintée de ressentiment. Me trompé-je ?

Elle secoua la tête négativement.

— Bon, dit Fabien. Voyons… voyons… Je crois reconnaître sous votre bras un classeur qui vient en droite ligne du temple de Thémis. Ne sortiriez-vous pas de chez la juge Laurier par hasard ?

Égayée par le vocable fleuri du commissaire, Mary fit mine de s’ébaudir :

— Alors là, patron, vous m’en bouchez un coin. Le temple de Thémis ! Non content de jouer les Sherlock, vous poétisez, bravo !

Le divisionnaire Fabien ne fut pas dupe de ce compliment outré. Il entra complaisamment dans ce jeu avec une moue modeste.

— Cet encens me va droit au cœur, commandant !

Elle s’inclina et ajouta :

— Puisque vous êtes dans de si bonnes dispositions pour éclairer le passé, voyons l’avenir…

Elle posa sur le commissaire Fabien un regard malicieux :

— Devinerez-vous où je dois me rendre maintenant ?

Il répondit sans hésiter :

— Élémentaire, ma chère enfant, élémentaire !

Et, comme elle attendait la suite, il précisa :

— À la gendarmerie pardi ! N’est-ce pas l’essentiel de vos occupations depuis un moment ? Courir de chez la juge Laurier à la gendarmerie et de la gendarmerie au temple de Thémis, comme vous dites.

Tiens, on démouchetait les lames. Sous le sarcasme pointait le reproche. Elle objecta :

— Ah non, ça, c’est vous qui l’avez dit !

Elle se leva, serra son dossier sous son bras et ajouta :

— Je vous trouve particulièrement de mauvaise foi ces temps-ci, patron ! Je vais là où vous m’ordonnez d’aller. Même si parfois, ça doit me coûter un bain de minuit.

— Ça, c’est un coup bas ! nota le commissaire.

— Désolée, dit-elle sans le paraître le moins du monde.

Elle salua, jouant la contrition :

— Puisqu’il en est ainsi, je me retire. Je dois m’incliner devant des forces supérieures, je me rends : Thémis en son temple, Sherlock en son commissariat… Tout ça pour un accident de vélo… Même Sir Arthur n’y aurait pas trouvé le moindre grain à moudre.

Le front du commissaire se plissa :

— Qui ça ?

— Sir Arthur Conan Doyle… Le père de Sherlock Holmes…

— Ah mon Dieu oui, où avais-je la tête ? s’exclama le commissaire Fabien qui avait depuis belle lurette oublié – s’il l’avait jamais su – comment se nommait le papa du roi des détectives.

— Bon, dit Mary, puisqu’il est patent que vous vous désintéressez de cette affaire, je vais m’adresser ailleurs.

Le commissaire fit remarquer :

— Apparemment, vous ne vous en désintéressez pas, vous !

— C’est que dix ans après, cette enquête qui m’avait marquée m’est subitement remontée à la tête.

Fabien ricana :

— Hé hé, une femme se penche sur son passé ?

Elle reconnut :