Le cimetière perdu - Hervé Huguen - E-Book

Le cimetière perdu E-Book

Hervé Huguen

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Beschreibung

Le passé du commissaire Baron refait surface...

Été 1979. Dans le Nord Finistère, une jeune fille est enlevée sous les yeux d’un petit voisin. Emportée dans un véhicule qui ne sera pas retrouvé, Céline disparaît sans laisser la moindre trace. L’enquête ne permettra jamais d’identifier les auteurs du rapt ni de comprendre leurs motivations. Trente-cinq ans plus tard, l’ami qui l’accompagnait a vieilli mais n’a pas oublié. Il est devenu l’officier de police Nazer Baron, et espère toujours percer ce douloureux mystère. Se présente alors un témoin, un malfrat incarcéré pour un braquage raté. L’homme souhaite négocier une libération anticipée contre des informations sur le kidnapping. À Brest, dans les Abers, mais aussi à Paris, le commissaire Baron engage une course contre le temps et remonte la piste qui le mènera même jusqu’en Irlande… Il plonge dans le milieu de la musique et du show-business et croise une galerie de personnages surprenants. Mais… Connaissait-il vraiment Céline ?

Bien décidé à résoudre une affaire vieille de 35 ans, le commissaire Baron plonge dans son passé à la recherche d'une jeune fille enlevée sous ses yeux.

EXTRAIT

D’une pression des bras sur les accoudoirs, le commissaire Baron propulsa ses épaules contre le dossier du fauteuil profond dans lequel il s’était lové comme un chat, après avoir longtemps feuilleté le dossier de presse qu’il avait ressorti. Une averse de grêle avait noyé les quais vingt minutes plus tôt, agaçant les carreaux, faisant ressembler Le Croisic à n’importe quel port noyé sous le déluge, hors saison estivale. Un désert aquatique…
Baron s’était perdu dans le fracas de l’ondée, il aurait aimé marcher sous la pluie en direction du môle dans une promenade sans but, saluer au passage la statue d’Hervé Rielle, cramponné à son gouvernail de marbre sur son socle de la place d’Armes. L’averse n’avait pas duré, à peine le temps de nettoyer les rues avant qu’un pâle soleil ne revienne éclairer les pavés.
Baron avait repris sa lecture, impatient à l’idée de pouvoir peut-être refermer la case de l’enlèvement de Céline après trente-cinq années de recherche. William ne lui avait pourtant pas dit grand-chose, du nouveau dans l’affaire Boulher, un témoignage dont on ne savait pas encore quel crédit lui accorder. N’empêche, un témoignage qui justifiait une rencontre en urgence…
Baron pencha la tête, distrait par les souvenirs. Tout cela remontait à une époque dont on ne se rappelait plus.
1979…

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Bref, une plume très jolie, très agréable, d'un auteur dont je n'avais jamais entendu parlé. Pour les amateurs de vrais polars. Merci aux Éditions Palémon pour cette belle découverte ! - Maryline, Les lectures de Maryline

Merci encore à Babelio pour cette découverte qui m'a promené dans les routes de ma campagne et les rues de mon département à la suite d'un passé malheureux mais fortement entrainant. - Aelynah, Babelio

« Bien construit, bien écrit, un roman d'atmosphère comme l'affectionnent les lecteurs de Georges Simenon. » - Louis Gildas, Télégramme

À PROPOS DE L'AUTEUR

Le nantais Hervé Huguen est avocat de profession, mais il consacre aujourd’hui son temps à l’écriture de romans policiers et de romans noirs. Son expérience et son intérêt pour les faits divers - ces évènements étonnants, tragiques ou extraordinaires qui bouleversent des vies - lui apportent une solide connaissance des affaires criminelles. Passionné de polar, il a publié son premier roman en 2009 et créé le personnage du commissaire Nazer Baron, un enquêteur que l’on dit volontiers rêveur, qui aime alimenter sa réflexion par l’écoute nocturne du répertoire des grands bluesmen (l’auteur est lui-même musicien), et qui se méfie beaucoup des apparences…

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HERVÉ HUGUEN

Le cimetière perdu

DU MÊME AUTEUR

1. Dernier concert à Vannes

2. Les messes noires de l’île Berder

3. Ouragan sur Damgan

4. Le canal des innocentes

5. Retour de flammes à Couëron

6. Les empochés de Saint-Nazaire

7. L’inconnue de Nantes

8. Le cimetière perdu

Retrouvez ces ouvrages surwww.palemon.fr

Dépôt légal 4etrimestre 2015

ISBN : 978-2-372601-03-0

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,

des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant

ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70/Fax : 01 46 34 67 19 - © 2015 - Éditions du Palémon.

« La musique est le seul plaisir sensuel sans vice. »

Chapitre 1

Septembre

À son apparition, le planton de garde à la porte de la salle des pas perdus lui adressa un petit signe, un geste nonchalant de la main destiné à lui montrer qu’il l’avait reconnu.

William Kalimanzaros s’avança d’un pas.

Un groupe de visiteurs encombrait le passage, têtes levées pour étudier la décoration de la voûte, indifférents à la gêne qu’ils provoquaient.

Kalimanzaros les contourna en n’écoutant les commentaires qu’à demi, et ne répondit qu’avec retard au salut amical du gardien en remerciant d’un hochement de tête. Il s’engagea dans l’escalier qu’il se mit à descendre sans hâte.

La grande porte du hall était entrouverte, une mare vibrante de soleil avait été jetée sur les vieilles dalles comme un résidu de l’été finissant et des éclats de poussière volaient dans le cône lumineux, auréolant le portique de sécurité aux côtés duquel officiaient deux agents.

Kalimanzaros se glissa dans le passage et gonfla profondément ses poumons en respirant l’atmosphère extérieure, paupières froncées pour se protéger de la lumière soudain plus intense.

Il s’attarda un instant au contact de l’air chaud. Il faisait un temps magnifique, il allait être midi et il y avait du monde sur la place du Parlement, les gens semblaient marcher en recherchant l’ombre.

D’un large déplacement du regard, Kalimanzaros embrassa le quartier, les immeubles autour de l’esplanade, les ruelles nappées de pénombre fraîche, les piétons grimpant paresseusement. Une jeune femme aux courts cheveux bruns attendait là, assise sur la quatrième marche, enveloppée dans un manteau de laine malgré la chaleur, et les cuisses recouvertes d’une robe noire sur laquelle elle avait replié l’épitoge herminée des avocats de province. Elle lisait un document et ne releva pas les yeux.

William Kalimanzaros ne lui accorda qu’un bref regard en songeant qu’il la connaissait, mais il ne se souvint pas d’où et ne chercha pas. Il lui tourna le dos en se frottant le menton, signe chez lui d’une certaine perplexité, et effectua quelques pas sur les vastes dalles carrées, tâtant ses poches de l’autre main en quête de son étui à cigarettes.

Les pavés sillonnés par les rails de l’ancien tramway conservaient les taches humides de la très brève averse tombée un moment plus tôt, le temps à peine de lessiver les vitres du bureau du procureur général. La pluie avait cessé aussi vite qu’elle avait commencé.

Kalimanzaros s’immobilisa de nouveau à la limite des trois dernières marches et prit le temps d’observer l’immense esplanade, sur laquelle le soleil était revenu jouer avec les flaques.

Décidément, il était embarrassé.

Les joues creusées, il s’octroya le temps de fumer sa Marlboro en s’efforçant d’adopter l’air détaché de celui qui ne pense pas à grand-chose, ses doigts jouant négligemment avec le briquet au fond de sa poche, son regard mobile voyageant en continu sur les façades claires des vieux bâtiments. Il avait la mine faussement relâchée d’un flâneur désœuvré alors qu’il réfléchissait au contraire intensément, et William Kalimanzaros, à cet instant, ne savait décidément pas quoi faire. Rentrer chez lui où on ne l’attendait pas et prendre le risque de se retrouver seul pour déjeuner… Ou regagner son bureau… Avaler un morceau à l’une des terrasses de la rue Saint-Georges… Il réprima un bâillement dans son poing fermé. Les rayons lui réchauffaient la peau au travers de sa veste. Une nouvelle fois la journée s’annonçait radieuse. Un carillon sonnait quelque part.

Appeler Baron tout de suite…

Il finit par écraser son mégot de la pointe de son mocassin, se baissa pour le ramasser avec l’intention de le jeter dans une corbeille et descendit les dernières marches pour atteindre la grande place. On était vendredi, les ultimes feux de la belle saison caressaient le centre historique de Rennes et l’envie le prit d’une promenade apéritive dans les ruelles. Il s’enfonça entre les immeubles en direction de la rue Baudrairie.

Il hésitait toujours.

L’information livrée par le magistrat méritait un traitement discerné et William Kalimanzaros préférait méditer avant d’agir. Il sentait le sang affluer aux veines de son cou, la lumière diffuse reflétée par les façades des immeubles finissait par lui donner chaud. Il s’interrogeait sur ce que serait la réaction de Baron.

Trente-cinq ans après, le commissaire commencerait sûrement par ne pas y croire… Il listerait les arguments démolissant la thèse… il contesterait… il douterait… il admettrait enfin qu’il pouvait exister une infime chance. C’était une histoire personnelle, le fil rouge d’une vie, la cicatrice originelle sans laquelle Baron fut peut-être devenu quelqu’un d’autre…

Il ne se contenterait pas de simples affirmations. Kalimanzaros décrocha son téléphone alors qu’il récupérait la rue de Brilhac et appela son service tout en marchant :

— Nadine ?… Il me faudrait des infos sur un certain Jean-Louis Tanneau, dit-il sans cesser de fouler les pavés. Il purge une peine de six ans pour attaque à main armée au centre de détention de Lorient… État civil, casier… Faites-moi un topo en insistant sur la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt, et trouvez-moi une photo aussi…

Concentré, il faillit heurter une femme sortant d’une boutique et raccrocha en s’excusant. Le téléphone avait failli lui échapper des mains. Il songeait à Jean-Louis Tanneau…

Une heure auparavant, William Kalimanzaros n’avait jamais entendu prononcer ce nom-là, et le procureur général ne lui avait pas dit grand-chose sur l’homme, il s’était contenté d’évoquer l’essentiel, et l’essentiel c’était l’affaire Céline Boulher, un cold case1 dont peu de gens se souvenaient encore…

Kalimanzaros avait tout juste retenu de quoi croquer l’image d’un petit bonhomme rachitique et lamentable, un truand sur le retour, un vagabond des prétoires sûrement pas fiché au grand banditisme, plus habitué aux bancs de la correctionnelle qu’aux box des assises.

Le type était incarcéré depuis quatre ans pour le braquage d’un supermarché. Un coup monté en solitaire et dans la précipitation, mal préparé et mal exécuté, une sorte de baroud d’honneur pour un brigand qui avait tout raté. Tanneau n’avait pas la trempe, il avait été maîtrisé par un vigile et son arme n’était même pas chargée. Une tentative de la dernière chance engagée par un malfrat au bout du rouleau, mais qui n’en avait pas moins traumatisé le personnel. Et l’homme avait un casier déjà lourd de condamnations multiples. Le juge s’était montré sévère.

Kalimanzaros poursuivait sa promenade en songeant qu’il ne connaissait même pas son âge, par déduction seulement il imaginait un Tanneau accusant une petite soixantaine d’années. Un type suffisamment jeune encore pour pouvoir espérer une autre chance qu’il n’aurait finalement pas. Les aiguilles de l’horloge avaient entamé leurs ultimes révolutions et Tanneau gérait sa fin de vie du fond de sa cellule. C’était le second élément de l’affaire. Le médecin avait confirmé au magistrat l’inéluctable progression du mal. Rongé par le cancer, Tanneau n’en avait au mieux que pour quelques mois, fin de vie qu’il passerait à l’infirmerie et probablement sous morphine.

Le truand ne voulait pas de ça, il négociait une libération anticipée pour mourir à l’air libre, dans un lit que sa sœur s’engageait à mettre à sa disposition dans la chambre d’amis de sa maison de Colpo. Elle avait confirmé son souhait de l’accueillir. Tanneau déclarait avoir des choses à mettre dans la balance, des choses lointaines peut-être, dissimulées sous le fatras criminel de la mémoire des hommes, mais pas de celle de la justice, une vieille dame qui se hâtait lentement et pour qui le temps ne comptait pas… Son avocat proposait donc une transaction.

Jusque-là tout était clair. Tanneau avait dévoilé quelques atouts et le magistrat s’était senti l’envie de découvrir le jeu, à condition toutefois que les cartes ne soient pas biseautées. C’était là qu’intervenait Baron qui devait maintenant être informé.

Les pensées de William Kalimanzaros s’acheminèrent doucement vers les questions qui avaient émaillé le discours du procureur. Comment allait Baron ? Leur amitié n’était pas un secret, Kalimanzaros était le mieux placé pour en juger, il n’avait pas cherché à biaiser. Le commissaire allait bien, mieux certainement, même s’il avait changé. Physiquement, il s’était remis de l’épreuve. Moralement, la mort du vieux grand-père sur lequel il avait été obligé de tirer pour sauver sa propre existence provoquait encore des parenthèses d’absence. Il fallait du temps pour oublier tout ça…

Kalimanzaros marchait toujours en songeant que la frontière était parfois bien ténue. Il n’y avait pas eu de reproches à faire parce qu’il n’y avait pas eu d’erreur, la procédure avait été respectée. Baron ne s’était simplement pas méfié ce matin-là, pas suffisamment en tout cas, il avait cru que le grand-père avait naturellement besoin d’aide et qu’il était décidé à se rendre, alors qu’il désirait au contraire en finir.

S’il y avait eu erreur, elle était uniquement là.

La journée avait débuté sans actions d’urgence particulières, l’alerte était venue d’un voisin, averti par le bruit et qui s’en inquiétait, peut-être un coup de feu… Baron s’était rendu sur place et il s’était approché. Ce n’était que la routine, il avait l’habitude. Le vieil homme avait répondu à l’appel en sortant de sa maison en pantoufles, l’air un peu hagard… Un octogénaire en chemise à carreaux débraillée. Pas un tueur, juste un vieil homme éreinté…

Ensuite tout n’avait été que question de réflexes, un enchaînement de gestes instinctifs. De la méfiance tout de même, l’arme de service prête à tirer… Les automatismes avaient joué, Baron n’avait réfléchi qu’après. Il avait senti la douleur dans sa hanche qui explosait au moment où la tête du grand-père se diluait dans un geyser de sang. Il n’avait pressé la détente qu’une seule fois et il avait tué un homme. Le corps de la grand-mère avait été retrouvé dans la cuisine, abattue par l’arme que le forcené serrait encore entre ses doigts, le couple ne se supportait plus. Baron ne le savait pas en arrivant sur les lieux… Oui, il fallait du temps pour oublier tout ça, mais ça allait mieux…

Kalimanzaros déroula la liste des numéros contenus dans son répertoire. Il pressa son pouce sur l’indicatif. Il venait de décider qu’il ne dirait pas grand-chose par téléphone, il se contenterait d’annoncer qu’il y avait du nouveau dans le dossier Céline.

Trente-cinq ans après.

L’affaire Céline Boulher…

L’éclaireur de Brest- jeudi 19 juillet 1979

Une jeune fille enlevée dans le Finistère

Le parquet de Brest a ouvert une enquête après l’enlèvement d’une jeune fille mercredi, aux alentours de midi trente, sur la petite commune de Ploudaniel, dans le nord Finistère.

Céline Boulher revenait d’une promenade en compagnie d’un voisin lorsque les deux jeunes gens ont, semble-t-il, été agressés par un homme qui se serait enfui au volant d’une camionnette en emportant Céline. La jeune fille, âgée de seize ans, réside chez ses parents en banlieue parisienne, mais passe actuellement des vacances dans sa famille originaire du département. Le voisin, dont l’identité n’a pas été révélée, aurait été retrouvé à demi-inconscient par son grand-père, parti à sa recherche.

L’enquête, qui s’annonce difficile, a été confiée à la section de recherches de la gendarmerie de Brest qui lance un appel à témoins…

*

Ouest République - samedi 21 juillet 1979

Disparition de Céline

On est toujours sans nouvelles de la jeune Céline Boulher, disparue mercredi dans des circonstances qui restent mystérieuses.

La jeune fille, âgée de bientôt dix-sept ans mais qui paraît plus que son âge, a été enlevée alors qu’elle rentrait d’une promenade à l’heure du déjeuner, en compagnie d’un voisin qui a pu être entendu par les enquêteurs. Ceux-ci restent extrêmement discrets sur les éléments recueillis. On sait toutefois que Céline aurait pu être emmenée à bord d’une camionnette blanche qu’un témoin dit avoir aperçue sur les lieux quelques minutes avant l’agression. Cette camionnette fait actuellement l’objet de recherches menées par l’ensemble des brigades de gendarmerie du grand ouest.

Une cellule spéciale a été constituée afin d’exploiter toutes les informations recueillies et de coordonner l’action menée par les enquêteurs, qui réitèrent l’appel à témoins lancé dès mercredi soir.

Les parents de la jeune Céline, qui résident en banlieue parisienne, sont arrivés dans la région dans la nuit de mercredi à jeudi…

*

Ouest République - lundi 23 juillet 1979

Appel aux ravisseurs lancé par le père de Céline

Dimanche soir, monsieur Charles Boulher, père de la jeune Céline enlevée mercredi dernier et dont on est toujours sans nouvelles, a lancé un appel aux ravisseurs depuis le palais de justice de Brest, où il venait de rencontrer le procureur de la République.

Dans un message poignant, au cours duquel il lui a été impossible de retenir son émotion, Charles Boulher a exhorté les ravisseurs de libérer sa fille.

On en sait désormais un peu plus sur les circonstances dans lesquelles a disparu Céline. La jeune fille, scolarisée dans un lycée d’Aulnay-sous-Bois, a l’habitude de passer chaque été quelques jours de vacances chez une tante, sœur de son père, dans le Finistère. Elle y retrouve d’année en année des jeunes de son âge, également en villégiature dans les maisons du voisinage.

C’est en compagnie de l’un d’eux que Céline est partie mercredi matin, vers onze heures, pour une promenade dans la campagne alentour. Les jeunes gens ont ainsi effectué un périple qui les a menés jusqu’à un lavoir aménagé dans une prairie, où ils se sont arrêtés quelques instants pour se rafraîchir, tant la chaleur était déjà intense. Puis ils ont décidé de rentrer en empruntant le chemin d’accès à la ferme Le Marrec, leur permettant de rejoindre la petite route départementale à quelques centaines de mètres seulement des habitations.

Madame Le Marrec, occupée à cet instant-là à la préparation du déjeuner, a confirmé aux enquêteurs les avoir vus passer par la fenêtre de sa cuisine.

C’est à la jonction du chemin et de la route, dans un lieu où il est facile de se dissimuler derrière les haies et le rideau d’arbres, que les faits se sont produits. Malheureusement le seul témoin, le jeune mineur qui accompagnait Céline et dont l’identité n’a pas été révélée ne se souvient de rien.

Inquiet de ne pas le voir rentrer, son grand-père l’a finalement retrouvé errant, hagard et le visage profondément tuméfié par le coup violent qui l’avait assommé.

C’est à partir de cet endroit que se perd toute trace de Céline. La jeune fille a-t-elle été victime d’une rencontre de hasard ou au contraire d’un enlèvement prémédité ? Dans ce cas, quel est le but poursuivi par le ou les ravisseurs ? On sait que les parents de Céline, tous deux salariés, ne sont pas à la tête d’une fortune qui justifierait un rapt crapuleux, et selon certaines sources proches du Parquet, aucune demande de rançon ne leur aurait été adressée.

Autre question qui se pose aux enquêteurs : l’enlèvement est-il le fait d’un homme seul ou y a-t-il eu des complices ? Rien pour l’instant ne permet encore de répondre à ces questions et les heures qui passent ne font qu’accroître l’angoisse de la famille Boulher.

*

L’éclaireur de Brest - mardi 31 juillet 1979

Disparition de Céline

Une marche silencieuse a été organisée hier dans les rues de Lesneven, près de deux semaines après l’enlèvement de la jeune Céline Boulher dont on reste toujours sans nouvelles.

Le Parquet de Brest n’a pu que confirmer que les investigations, menées par la cellule spéciale constituée au sein de la section de recherches de la gendarmerie, n’avaient pour l’instant pas permis d’orienter l’enquête.

Céline a disparu le mercredi 18 juillet dernier alors qu’elle était en vacances dans sa famille. C’est au cours d’une promenade en compagnie d’un camarade de son âge, le jeune Nazer Baron, qui passait lui aussi quelques jours au domicile de ses grands-parents maternels, que Céline a été enlevée sans que l’on sache encore si cette agression a été le fait d’une ou de plusieurs personnes. Le ou les ravisseurs n’ont adressé aucun message à la famille et la disparition n’a fait l’objet d’aucune revendication.

Les parents de Céline, entourés par tous les membres de leur famille, marchaient en tête de cortège où ils ont fait montre d’une extrême dignité, lançant un nouvel appel aux ravisseurs pour qu’ils libèrent leur fille…

*

L’éclaireur de Brest - mercredi 18 septembre 1979

Disparition de Céline

Cela fait deux mois aujourd’hui qu’a disparu Céline Boulher et l’enquête de la section de recherches de la gendarmerie reste au point mort. Des centaines d’auditions et de vérifications n’ont toujours pas permis d’identifier la camionnette blanche dans laquelle aurait pu être enlevée la jeune fille. Si la « cellule Céline » a multiplié les fouilles et passé au peigne fin tous les renseignements obtenus, même les plus farfelus, les enquêteurs n’ont pu à ce jour dégager aucune piste sérieuse vers laquelle orienter leurs investigations.

Un homme interpellé il y a dix jours, un quinquagénaire de la région connu des services de police pour des faits d’agressions sexuelles sur deux fillettes, vient d’être libéré. L’alibi qu’il avait fourni lors des premiers interrogatoires n’avait pas convaincu, mais l’étude fouillée de son emploi du temps pour la journée du 18 juillet a finalement montré qu’il ne pouvait pas se trouver sur les lieux de l’enlèvement au moment des faits.

« Il n’est pas question de relâcher notre effort », assure le lieutenant-colonel Raymond Varet qui commande la section de recherches de Brest, « nous effectuons des vérifications quotidiennes sur des affaires de mœurs et de violences sexuelles, nous retraçons le parcours de personnes impliquées dans ce type d’agressions… ».

À quelques jours de l’automne, alors que les premières ondées viennent ternir les affichettes placardées aux vitrines des commerces, l’enquête s’installe désormais dans la durée, mais l’espoir de retrouver un jour Céline vivante s’amenuise de semaine en semaine.

*

Ouest République - lundi 21 juillet 1980

Céline, un an déjà

C’est le 18 juillet 1979 qu’a disparu Céline Boulher, alors qu’elle effectuait une promenade dans la campagne en compagnie d’un camarade de vacances. Un an après, jour pour jour, l’enquête n’a toujours pas permis de dégager la moindre hypothèse sérieuse sur ce qui a pu arriver à la jeune fille, qui serait aujourd’hui âgée de dix-sept ans et huit mois. Les gendarmes suivent toutes les pistes possibles, mais rien n’a encore permis de retrouver la plus infime trace de Céline…

*

Ouest République - mercredi 28 juin 1989

Le crime de la plage du Moulin-Blanc a-t-il un rapport avec la mystérieuse disparition de Céline Boulher en 1979 ?

Qui se souvient encore de Céline Boulher, enlevée le 18 juillet 1979 et jamais retrouvée ? Elle aurait aujourd’hui vingt-six ans. Si les recherches effectuées depuis lors n’ont toujours pas permis de faire aboutir l’enquête, le dossier demeure pourtant bien ouvert sur le bureau du juge d’instruction Paul Bougeot, en charge de l’affaire depuis octobre dernier.

« La cellule Céline reste active », affirme-t-il, « nous enregistrons toujours des témoignages, nous effectuons des recoupements… Chaque fois qu’une affaire d’agression sexuelle est ouverte quelque part, nous recevons une alerte et nous vérifions que les suspects ne se trouvaient pas dans le Finistère en juillet 1979… ».

On se souvient que Céline a disparu au cours de cet été-là et rien, malgré les efforts déployés par les enquêteurs, n’a depuis permis de retrouver la moindre trace de la jeune femme.

Un corps découvert dans une crique de Saint Renan il y a trois ans a un temps relancé les espoirs d’un progrès dans les recherches engagées. Le père de Céline, Charles Boulher, avait alors exprimé dans nos colonnes son espérance d’apprendre enfin ce qui était arrivé à sa fille. Il nous avait confié sa certitude que Céline était malheureusement morte, et son vœu de pouvoir retrouver sa dépouille pour effectuer le travail de deuil. Mais le corps découvert a finalement été identifié comme étant celui d’une plaisancière disparue aux larges des Glénan en 1982, et rejeté par la mer dans une partie escarpée de la côte.

Les parents de Céline étaient depuis retournés dans le silence, enfermés dans leur maison de la banlieue parisienne où ils savent désormais que Céline ne reviendra probablement jamais.

Le crime de la plage du Moulin-Blanc, découvert par des promeneurs le 14 mai dernier, va-t-il permettre de relancer l’enquête ? C’est en tout cas ce qu’espèrent les parents de Céline, par la voix de leur avocat maître Brieuc.

On se souvient que le dimanche 14 mai dernier, une aide-soignante de quarante-neuf ans, Pauline Pirès, a été poignardée et égorgée au Moulin-Blanc, près de Brest. Ce crime brutal et précis, commis sans mobile évident tant la victime était appréciée de tous, serait selon les enquêteurs de la gendarmerie du Relecq-Kerhuon l’œuvre d’un tueur ayant déjà commis d’autres crimes. On sait que cette partie de la plage est un lieu fréquenté par les toxicomanes et les marginaux. C’est dans cette direction que maître Brieuc souhaite voir s’orienter désormais l’enquête sur la disparition encore inexpliquée de Céline Boulher.

*

L’éclaireur de Brest - vendredi 10 avril 1992

Le crime du Moulin-Blanc peut-être élucidé. Et Céline ?

L’enquête menée par le maréchal des logis-chef Jean-Yves Abidall, de la gendarmerie du Relecq-Kerhuon, est sans doute sur le point d’aboutir après des années de traque, avec l’arrestation à Strasbourg d’un marginal, Francis Heaulme, qui a avoué le meurtre de l’aide-soignante au cours d’une audition le 7 janvier dernier (voir nos éditions). Les premiers éléments recueillis depuis laissent entendre que Francis Heaulme, âgé de 33 ans aujourd’hui, pourrait être à l’origine de plusieurs crimes non élucidés, commis depuis des années à travers tout le pays.

Rien cependant ne permet de le relier à la disparition de Céline Boulher en 1979. Âgé de seulement vingt ans à l’époque, Heaulme vivait chez ses parents en Meurthe et Moselle et n’avait pas commencé son périple meurtrier. Il n’aurait commis son premier crime qu’en novembre 1984, quelques semaines après la mort de sa mère, en assassinant une adolescente de 17 ans près de Pont-à-Mousson. Le mode opératoire se révèle par ailleurs de nature très différente et laisse les enquêteurs extrêmement sceptiques. Rien ne rapproche les deux affaires en dehors de la localisation géographique, et la mystérieuse disparition de Céline Boulher demeure toujours inexpliquée.

*

Ouest République - lundi 19 juillet 2004

Faits divers - Moi Céline, disparue depuis 25 ans

Céline Boulher a disparu le 18 juillet 1979 au cours d’une promenade et les enquêteurs cherchent toujours une piste sérieuse. Elle a été enlevée un jour de plein été, à quelques centaines de mètres de la maison familiale où elle était attendue pour déjeuner. Vingt-cinq ans après, sa disparition reste un mystère. Malgré d’intenses recherches, la jeune fille aux cheveux clairs n’a jamais plus donné signe de vie.

« Il n’y a pas risque de prescription, a indiqué samedi le procureur de la République de Brest, le délai est reporté à chaque acte de procédure ».

pourtant un quart de siècle plus tard, les enquêteurs ne disposent toujours pas d’hypothèses sérieuses malgré les dizaines de témoignages et l’abandon de plusieurs pistes.

En 1995, un portrait scientifiquement vieilli de la jeune femme a été diffusé en même temps qu’un numéro vert d’appel. En vain. Des centaines d’affichettes ont été apposées dans les lieux publics et les magasins, la « cellule Céline », toujours active, a entassé des tonnes d’auditions et de procès-verbaux et continué de vérifier chaque témoignage, réussissant parfois à faire renaître brièvement l’espoir. Comme en 1986 lorsqu’a été retrouvé le corps d’une plaisancière disparue au large des Glénan. Ou en 1992 lors de l’enquête sur le crime du Moulin-Blanc pour lequel Francis Heaulme a été condamné le 28 janvier 1994 par la cour d’assises du Finistère. Fausses pistes. L’hypothèse du tueur en série Michel Fourniret a été évoquée un temps. Lui aussi a sévi en Bretagne, à Rezé, près de Nantes, mais elle a été « totalement écartée » selon le Parquet.

Sept magistrats instructeurs se sont succédé, le lieutenant-colonel Raymond Varet, qui commandait la section de recherches en 1979, a pris sa retraite, son successeur est parti à son tour.

Pendant ce temps, les parents de Céline se sont enfermés dans leur souffrance, ravivée à chaque nouvelle disparition. Eux aussi ont été soupçonnés, leurs emplois du temps ont été contrôlés, leurs appels téléphoniques enregistrés. Ils n’en veulent à personne et se disent seulement meurtris par le manque de communication des magistrats. Ils ne correspondent plus que par l’intermédiaire de leur avocat et restent cloîtrés dans leur pavillon d’Aulnay-sous-Bois, au milieu des souvenirs. La mère refuse tout contact, elle est persuadée que sa fille ne souffre plus désormais, là où elle est… Le père, Charles Boulher, continue d’espérer. Il veut savoir la vérité, il cite l’exemple de Natascha Kampusch, une jeune autrichienne qui a réussi à échapper à son ravisseur huit ans après son enlèvement, ou des trois jeunes femmes de Cleveland retrouvées vivantes après plus de dix années d’enfermement par leurs ravisseurs. Il compte sur le seul témoin des faits, le voisin qui accompagnait Céline au moment de sa disparition. Le jeune homme a vieilli, il est devenu officier de police. Le commissaire Nazer Baron conserve, dit-on, dans la bibliothèque de son bureau, le dernier portrait de Céline, celui d’une jeune femme au printemps de sa vie, debout sur la margelle d’un lavoir éclaboussé par le soleil de juillet. Elle rit. Avant de disparaître.

1. Affaire criminelle non résolue.

Chapitre 2

D’une pression des bras sur les accoudoirs, le commissaire Baron propulsa ses épaules contre le dossier du fauteuil profond dans lequel il s’était lové comme un chat, après avoir longtemps feuilleté le dossier de presse qu’il avait ressorti. Une averse de grêle avait noyé les quais vingt minutes plus tôt, agaçant les carreaux, faisant ressembler Le Croisic à n’importe quel port noyé sous le déluge, hors saison estivale. Un désert aquatique…

Baron s’était perdu dans le fracas de l’ondée, il aurait aimé marcher sous la pluie en direction du môle dans une promenade sans but, saluer au passage la statue d’Hervé Rielle, cramponné à son gouvernail de marbre sur son socle de la place d’Armes. L’averse n’avait pas duré, à peine le temps de nettoyer les rues avant qu’un pâle soleil ne revienne éclairer les pavés.

Baron avait repris sa lecture, impatient à l’idée de pouvoir peut-être refermer la case de l’enlèvement de Céline après trente-cinq années de recherche. William ne lui avait pourtant pas dit grand-chose, du nouveau dans l’affaire Boulher, un témoignage dont on ne savait pas encore quel crédit lui accorder. N’empêche, un témoignage qui justifiait une rencontre en urgence…

Baron pencha la tête, distrait par les souvenirs. Tout cela remontait à une époque dont on ne se rappelait plus.

1979…

L’année de Breakfast in America et la Palme d’Or pour Apocalypse Now. La fuite du Shah d’Iran chassé par les mollahs, Thatcher à Downing Street, les troupes soviétiques prisonnières du piège afghan, l’affaire des diamants de Bokassa, un ministre qui se suicide par noyade dans trente centimètres d’eau…

Mohammad Reza Pahlavi était mort, la Dame de Fer aussi, l’Union Soviétique s’était effondrée comme un château de cartes, Bokassa n’existait plus. Un autre monde…

La terre tournait toujours.

Baron n’avait pas oublié Céline. Disparue. Ni la chaleur lourde de ce jour-là, ni l’image qui s’était imposée ensuite dans ses cauchemars, l’ombre d’une silhouette avant d’atteindre la route, la sensation, réelle ou imaginée, d’avoir été épié… les bruits dans leur sillage lorsqu’ils longeaient le cours d’eau sous les marronniers… et la frayeur, intense, abjecte, lorsque l’homme l’avait frappé. Il l’avait vu en un éclair… oublié… retrouvé…

Le temps avait dilué les apparitions, Baron avait fouetté beaucoup d’autres chats, l’idée de résoudre l’énigme et d’y coller un nom n’en restait pas moins bien réelle.

Trente-cinq années plus tard…

Le dossier de presse était étalé sur le parquet, il posa sur le dessus de la pile le numéro spécial qu’il venait de feuilleter et se leva pour marcher en boitant légèrement jusqu’au bow-window. Sa hanche le faisait souffrir, la blessure pas si ancienne profitait sournoisement des premières exhalaisons d’humidité pour se rappeler à son bon souvenir.

Il colla son front au carreau et demeura immobile, les mains glissées dans les poches de son pantalon. De l’étage, il avait une vue plongeante sur les chalutiers amarrés aux docks devant le bâtiment de la criée. Il faisait encore beau malgré l’heure, pas chaud mais beau. Les eaux du port, au travers des vitraux colorés, brillaient de teintes irisées qui gommaient les langues de fraîcheur soufflées par les courants du traict après l’averse de grêle. Des gens avaient repris leur promenade le long du quai du Port Charly en direction du môle, dans la lumière des boutiques qui s’éclairaient peu à peu.

Baron laissa s’écouler le temps en fixant le quai pour maintenir le vide dans sa tête. Un témoignage, avait dit Kalimanzaros. « On ne sait pas très bien encore… » Tellement d’années après, ce pouvait être n’importe quoi… Baron observa le ciel, cherchant dans les fibres de coton l’esquisse d’un panorama… L’automne frappait à la porte mais hésitait encore à entrer.

Il prolongea sa pause silencieuse le nez collé à la fenêtre, observant l’enfilade des cales, le long desquelles se balançaient doucement une multitude de coques bariolées. Des goélands promenaient fièrement leur bec hautain jusqu’à proximité de l’entrée des commerces, indifférents aux passants qui ne leur prêtaient pas davantage attention. Des manèges pour enfants étaient montés sur la place, à l’entrée du chenal, la grande roue ne tournait plus. Le tout baignait dans la lumière d’un soir qui hésitait encore entre ombre et clarté, dans une sorte d’éclairage teinté du bleu des fins de saison.

Céline Boulher, disparue brutalement trente-cinq années auparavant, il ne pouvait s’empêcher d’y penser…

Il se retourna. Les verrières teintaient les murs d’une mosaïque colorée, dessinant des arcs lumineux sur les panneaux de la bibliothèque à croisillons. Le meuble couvrait presque tout un mur, avec son lot d’éditions originales et de photos sous cadre.

Il se rapprocha pour saisir un ancien cliché, le portrait d’une jeune fille debout sur la margelle d’un lavoir. C’était lui-même qui avait confié l’anecdote au journaliste qui l’interviewait, par besoin de provoquer sans doute. L’espoir d’être lu par quelqu’un qui réagirait…

Le dernier portrait de Céline Boulher.

Baron hésitait entre colère et nostalgie. Tout le monde conserve des reliques et des papiers jaunis dans le fond de ses tiroirs, sans trop savoir pourquoi, les traces de quelque chose ou de quelqu’un, oubliées… Il suffit d’une odeur ou d’un bruit pour éprouver l’envie de les rechercher. Une tranche de vie concentrée dans une poussière de la mémoire.

Il remit le cadre à sa place, en partie caché derrière une statuette de bronze symbolisant Thémis, déesse grecque de la justice. Un cadeau du crétois Kalimanzaros qui n’allait justement plus tarder.

Il retourna à la fenêtre. Une voiture qu’il connaissait venait de passer dans la rue au ralenti, à la recherche d’un emplacement libre, et Baron sortit de ses songes pour jeter un œil aux aiguilles de l’horloge placée sur le bahut. Dix-neuf heures trente-cinq. Ils s’étaient mis d’accord pour dix-neuf heures trente.

La voiture se glissait dans un espace disponible à proximité de l’hôtel de ville et Baron quitta sans hâte le bow-window pour gagner le palier avant de descendre lentement les marches menant au rez-de-chaussée. Il longea le couloir, déverrouilla la porte et s’avança sur le trottoir, regard tourné sur sa gauche.

La maison était une construction du début du siècle précédent, un bâtiment étroit coincé entre deux immeubles plus élevés, sur trois niveaux, à la façade de brique et de moellon qui n’aurait pas dépareillé sur les quais de Cabourg. Une belle maison ancienne et qu’il avait pourtant hésité à conserver lorsqu’il en avait hérité. Le bow-window et ses vitraux originaux surmontés d’un petit balcon de bois au niveau du second étage, là où était installée la chambre, avec son fronton à clocheton, l’avait finalement convaincu.

William Kalimanzaros venait d’apparaître, longeant la devanture de la pharmacie voisine, en blouson de cuir et la peau toujours aussi mate, un sac de voyage accroché à l’épaule. Il avait prévu de passer la nuit au Croisic.

— Salut, Nazer !

*

— Mes respects, Monsieur le Procureur général.

D’une main ample, maître Ferdiger déposa le combiné téléphonique sur son socle, mettant un terme à la brève conversation qu’il venait d’avoir, et laissa son dos de bouledogue musculeux se renverser contre le dossier de son siège.

L’affaire était donc entendue, le commissaire Baron recevait en ce moment même instruction de rencontrer son client dès lundi et de procéder aux investigations nécessaires, sous commission rogatoire délivrée par le juge Malika Cergi, septième ou huitième magistrat instructeur chargé du dossier depuis l’enlèvement et la disparition de Céline Boulher.

Satisfait, l’avocat ouvrit le tiroir supérieur de son bureau, ramena une petite boîte jaune et noire et s’autorisa un Villiger Kiel.

Il avait été le premier surpris lorsque Tanneau lui avait mis le marché en main. Son client n’était pas un tueur, plutôt un petit malfrat constamment à la remorque. Qu’il ait été mêlé à l’enlèvement et à la disparition d’une gamine trente-cinq ans auparavant avait d’abord laissé maître Ferdiger sceptique. L’homme n’avait pas le profil. Il l’avait pourtant convaincu, à force de détails que seul un témoin présent sur les lieux était réellement en mesure de fournir, Tanneau n’inventait pas.

Tout en s’efforçant de dessiner des ronds de fumée qu’il soufflait en direction du plafond, l’avocat songea qu’il devait désormais passer le message à son client. Il décida de s’en occuper dès la première heure le lendemain.

*

— Tu as feuilleté ton dossier de presse2 ?

Kalimanzaros considérait les feuillets étalés sur le parquet.

— Pour me le remettre en mémoire, confessa Baron en soulevant un flacon de Finlaggan…

Il approcha deux verres et reposa le bouchon sur la carafe de cristal taillé après avoir servi, marquant une pause, une main serrée sur le cabochon à facettes, l’autre passant sur son visage. Une légère moiteur baignait ses cheveux. Trente-cinq ans après… il voulait y croire. Toujours le même espoir.

— Tu as des nouvelles des parents ? s’inquiéta encore Kalimanzaros.

Baron tourna des yeux sombres vers son compagnon. Ils s’étaient installés dans le bureau, à l’étage, et Kali s’était accordé deux minutes silencieuses à observer les quais avant de se retourner. Il se frottait les mains doucement sur un savon imaginaire, il avait besoin de se détendre, la route l’avait fatigué. Bientôt ce serait la nuit, le traict se couvrait d’un édredon bleuté.

— De Charles, de temps à autre, répondit distraitement Baron, il m’appelle pour les fêtes… Il espère toujours.

Kali opina du chef, lentement, apparemment peu convaincu.

— L’espoir est le dernier à mourir… dit-il.

C’était un échec collectif. Baron avait promis aux parents de chercher, sans doute les avait-il déçus…

Kalimanzaros semblait réfléchir, ayant terminé de se frictionner les paumes, puis se décida à pêcher dans la poche de son blouson, accroché à un dossier de fauteuil, le tirage en noir et blanc d’un visage. Il y jeta un coup d’œil pour se le remettre en mémoire avant de le tendre.

— Il s’appelle Jean-Louis Tanneau, dit-il, il est incarcéré au centre de Lorient pour un braquage.

Baron s’était emparé du cliché. Faciès commun, cheveux courts et largement clairsemés, figure ronde marquée par la couperose, taie à l’œil. Proche de la soixantaine. Il lui arrivait d’oublier des noms, rarement un visage.

— Physique fatigué, observa-t-il.

— Ça te dit quelque chose ?

— Rien…

L’homme avait un cou ridé, plissé comme le visage, un front fuyant, des lèvres avalées par un rictus tendu. Parfaitement déplaisant. Comme le sont tous les portraits anthropométriques, au-dessus de l’ardoise numérotée. Le col était ouvert, le teint légèrement cireux.

Baron formula sa pensée :

— C’est lui ?

— C’est lui… opina tranquillement Kalimanzaros. Il prétend avoir fait partie de l’équipe.

— L’équipe ?

— Ils étaient deux. Ça reste un peu flou…