Le mystère de la falaise - Hervé Huguen - E-Book

Le mystère de la falaise E-Book

Hervé Huguen

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Le crime parfait existe-t-il ?


Lorsque Patrick Pennec avait déclaré la disparition inexpliquée de Maud, il était sans nouvelles de son épouse depuis simplement quelques heures. Mais il était inquiet. Maud était rentrée fatiguée d’un rendez-vous professionnel la veille. Puis elle avait dormi, avant de quitter au petit matin leur villa perchée sur la falaise au-dessus des Sables Blancs. Personne ne l’avait plus revue ensuite. Patrick est le seul témoin des dernières heures de Maud. Il devient naturellement suspect. Son discours est émaillé d’incohérences et d’oublis. Des rumeurs courent. Maud n’a-t-elle pas plutôt disparu dans la nuit ? Patrick jure qu’il est innocent, et certains témoins le mettent hors de cause. Les preuves manquent. Alors ? Le commissaire Baron se heurte à un crime parfait, commis par un assassin sans visage dont on ignore tout des motivations. Un scénario diabolique.


Une fois de plus, Hervé Huguen nous livre une excellente enquête, à la Simenon, sur les terres du célèbre Chien Jaune…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Ce nantais, avocat de profession, consacre aujourd’hui son temps à l’écriture de romans policiers et de romans noirs. Son expérience et son intérêt pour les faits divers, événements tragiques ou extraordinaires qui bouleversent des vies, lui apportent une solide connaissance des affaires criminelles. Passionné de polar, Hervé Huguen a publié son premier titre en 2009 et créé le personnage du commissaire Nazer Baron, enquêteur rêveur, grand amateur de blues, qui se méfie beaucoup des apparences…

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Couverture

Page de titre

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Site de l’auteur :www.hervehuguen.weebly.com

« Il n’y a pas de crime parfait, il n’y a que des crimes impunis, ceux dont l’imperfection n’a pas étédécouverte » Alain Demouzon

« Nul homme ne peut réaliser le crime parfait ; le hasard, lui, en est capable » Vladimir Nabokov

À Soazick, Jean, Guillerme et Anne…

I

Le bruit l’avait fait sursauter.

Son esprit s’était égaré ailleurs, loin, très loin au-delà des murs… Il était absent. Les résidus de son cauchemar le hantaient. Tout se télescopait dans son cerveau.

La nuit.

Maud…

Et ce bruit !

Une réaction primaire, purement instinctive.

Il réalisa son erreur dans la seconde. Il s’était laissé surprendre. Un frisson lui avait secoué les épaules, des picotements nerveux étaient venus lui racler la gorge, irritants comme un voile de poussière.

Un réflexe d’angoisse…

*

— Je suis désolée, monsieur Pennec, s’excusa précipitamment Mélanie Bault.

Il s’était retourné. Elle le fixait, déjà accroupie malgré ses bras chargés de dossiers. La réaction animale de Pennec ne lui avait pas échappé.

Il resta à la dévisager, muet sous le coup d’une incompréhensible émotion.

Mélanie avait pincé les joues dans une moue d’excuse, creusant deux fossettes piteuses qui cavaient son visage banal, pas particulièrement maigre, plutôt rond. L’ourlet de sa jupe courte, tendue sur ses fesses rebondies, effleurait le talon de ses chaussures. Le vêtement était remonté très haut, jusqu’au renfort des collants qui lui gainait les cuisses qu’elle veillait à tenir bien serrées, les genoux orientés de travers pour ne rien lui laisser apercevoir d’indiscret.

Il hésita une seconde de trop. La jeune femme avait baissé les yeux et ne le regardait plus. Le dossier posé au sommet de la pile lui avait échappé des mains, une épaisse chemise de carton fort cadenassé par une sangle de toile, deux bons kilos de papier compressé qui avaient effectué un joli plat sur le parquet.

Vlam ! …

Rien d’autre. Sûrement pas de quoi sursauter. Pourtant il avait eu peur, une peur sourde, difficile à définir, qui lui faisait sortir la sueur de la peau. Ses lèvres frémissaient.

Mélanie Bault saisissait la lanière du dossier perdu. Elle penchait le buste en avant et Pennec, qui la dominait de sa haute taille, voyait la naissance de sa poitrine dans l’arrondi de son t-shirt évasé. De la dentelle blanche. Il s’obligea à regarder ailleurs.

— Je rêvais… se força-t-il à commenter.

Elle se redressa.

Il s’était bêtement fait la réflexion qu’elle devait avoir de beaux seins, plus lourds que ceux de Maud. Et de belles jambes… Il évita de croiser son regard. Question de dignité peut-être. Ou de honte. Des algues brunes lui brouillaient la vue. Il s’était contemplé tout à l’heure dans le miroir de l’ascenseur qui l’emportait vers les étages, avec sa tête d’insomniaque arraché à une léthargie peuplée d’ombres noires. Elle l’avait certainement remarqué.

Il eut le sentiment de fuir. Son bureau était situé au fond du local. Il traversa le plateau comme il le faisait chaque matin en arrivant, après avoir salué d’un sempiternel bonjour à l’encan qui lui évitait de serrer une douzaine de mains.

Il pénétra dans la pièce en refermant derrière lui et resta un moment paralysé, les épaules presque collées au battant en s’efforçant de canaliser son souffle. Son cœur battait trop vite, il encaissait l’afflux de sang propulsé jusque dans ses tempes. L’incident était totalement absurde, Mélanie n’était certainement pas la seule à s’en être étonnée…

Une longue minute s’écoula dans un silence épais. Les premiers clients n’étaient pas encore arrivés, chacun prenait sa place, le téléphone ne tarderait pas à sonner…

Ce n’était pourtant pas le moment de se laisser aller. Pennec parvenait enfin à s’apaiser. Le calme se répandait dans sa poitrine, il respirait mieux. Il se débarrassa en soufflant de son pardessus de demi-saison qu’il accrocha au portemanteau de bois brun, et contourna le bureau sur lequel il déposa sa sacoche de cuir, pressant au passage la poire de la lampe pour gommer les voiles d’ombre qui maraudaient dans les angles de murs.

La journée promettait d’être belle. On était en octobre, mais d’un début de mois paresseux qui n’était pas encore parvenu à déloger les résidus de l’été indien. Si le soleil se levait tardivement, il brillait toujours au cœur des journées écourtées, tiède et rassurant.

Toujours debout, Patrick Pennec laissa traîner un regard morne au travers de la fenêtre. Du troisième et dernier étage de l’immeuble, il dominait les lacets de la corniche et avait vue sur l’océan et la pointe du Cabellou, de l’autre côté du bras de mer et de l’anse de Kersaux. Une légère brume, à peine grisée par les ultimes lueurs de l’aube, se dissipait sur le miroir des vagues jusqu’à se perdre dans un lointain confus. Pennec suspendit le geste qu’il esquissait pour se retourner. Un rayon de soleil venait de s’échapper des nuages, son éclat indécis cherchait probablement à accrocher les murailles de la Ville Close, invisible au-delà du quai de la Croix.

Pennec aiguisa machinalement son regard, ébloui par le scintillement de la houle. L’océan avait été son univers exclusif dans une autre vie, et il le resterait finalement toujours, un peu moins exclusif évidemment, mais tout aussi nécessaire, d’une manière différente.

La lumière découpait la côte comme une ombre chinoise sur fond de chaos orageux. Une image fugitive. La clarté s’effaça d’un coup, tout redevint gris. Ce fut comme un signal. Une sonnerie se mit à vibrer au même instant, quelque part sur le plateau du secrétariat, quelqu’un décrocha…

Pennec se laissa tomber dans son fauteuil et alluma son ordinateur sans vraiment s’en rendre compte. Il était sans ressort, il n’avait envie de rien. Il en prenait conscience mais ne cherchait pas pour autant à changer d’attitude, trouvant simplement curieux d’agir de cette manière, comme s’il était programmé par une intelligence supérieure à laquelle il n’avait pas les moyens de dire non. Il ne réfléchissait pas. Il était devenu un automate, un robot de foire… Le contrôle des évènements lui avait échappé.

L’écran s’éclaira. D’ordinaire, il commençait par consulter sa messagerie. La lumière ce matin lui faisait mal. Un trou, du noir. Il vacillait… Il savait qu’il avait bu durant la nuit, il n’était pas ivre pourtant. C’était autre chose. Il ne voulait plus penser. Ou alors… Oui… Il eut aimé vieillir d’un coup, en une seconde, d’une journée ou deux, d’une semaine… Il avait peur. L’anxiété lui étranglait la gorge.

— Entrez…

Même sa voix lui parut différente de celle des autres jours. Sylvianne poussa la porte, souriante et coquette. Il avait toujours trouvé qu’elle était une jolie femme, d’une beauté classique, brune et mince, avec de beaux yeux couleur noisette et des lèvres charnues. Elle lui apportait un café, comme chaque matin à la même heure. Toujours le même café, noir, sans sucre, servi dans le même mug publicitaire d’une compagnie anglaise avec laquelle il ne travaillait plus.

— Tout va bien, Sylvianne ?

— Parfaitement bien, Monsieur.

Il lui avait probablement posé exactement la même question la veille.

— Régis est arrivé ?

— À l’instant.

Il réalisait qu’elle franchissait cette porte chaque matin depuis dix ans sans doute, porteuse du même gobelet qu’elle posait devant lui avec le même soin attentif.

Le même sourire, la même silhouette déliée. Ce n’était pas pour cette raison qu’il l’appréciait, il avait totalement confiance en elle.

Mais les mêmes mots, les mêmes gestes… Il la regarda, presque gêné. Il aurait dû se montrer plus attentif. Il prenait tout à coup conscience de la routine qui rythmait leurs journées.

— Merci, Sylvianne.

Elle aussi l’observait curieusement.

À cinquante ans passés, il était grand, carré, le visage couronné de cheveux noirs au-dessus d’un visage glabre aux pommettes marquées. Avec des rides au front qui lui conféraient un air sérieux.

Mais il y avait ce jour-là autre chose qu’elle ne lui connaissait pas… Des ombres dans le regard… Avec des hésitations, celles de quelqu’un qui cherchait des mots à prononcer et ne les trouvait pas. Il avait soupiré plusieurs fois.

— Vous avez l’air fatigué, nota-t-elle.

— J’ai travaillé tard.

Une explication qui en valait une autre. Elle savait que ça lui arrivait.

Une boule d’angoisse lui serrait pourtant la poitrine.

— Du nouveau ? fit-il l’effort de demander.

— Monsieur Lucas a rappelé hier après-midi pour son sinistre. La compagnie m’a promis le règlement dans la semaine.

— Prévenez-moi dès que ça arrivera, demanda-t-il, je me déplacerai. Autre chose ?

— La Somatec qui attend son projet.

— Régis s’en occupe.

— Je vois ça avec lui. Rien de particulier autrement.

C’était tout. La routine…

Il la suivit des yeux pendant qu’elle s’en allait. La porte se referma. Le silence de nouveau. Il observa le mug fumant. Tout était comme d’habitude… Il quitterait le bureau à l’heure du déjeuner pour s’arrêter dans l’une des brasseries de la place Jean Jaurès, ensuite il disparaîtrait tout l’après-midi. Des clients à voir, des risques à visiter. Il repassait parfois en début de soirée, pas toujours. Il était libre.

Des coups frappés au battant le tirèrent de ses réflexions. C’était au tour de Régis Lamarre de pénétrer dans son bureau.

— Sylvianne t’a dit pour la Somatec ?

— Elle voit ça avec toi.

— Ils ont fait rentrer plusieurs camions supplémentaires.

Son fondé de pouvoir avait traversé l’espace. Pennec lui serra la main.

— Tout va bien ?

Lamarre aussi fronçait ses gros sourcils bruns.

— Pourquoi ?

— Tu as une mine de déterré.

— J’ai passé une mauvaise nuit. Je ne sais pas ce que j’ai avalé hier… jeta Pennec sans réfléchir.

Et voilà. Pourquoi avait-il dit ça ? Lamarre n’était pas un homme à qui l’on mentait, il était intelligent, d’une intelligence intuitive. S’il lui prenait l’envie de bavarder avec Sylvianne…

— Sers-toi du budget commercial, décida Pennec en diversion, je n’aimerais pas voir la Somatec partir à la concurrence.

Il n’ajouta rien. Son téléphone portable qui sonnait le tira de son embarras.

— Excuse-moi… Monique, ajouta-t-il après avoir consulté l’écran.

Sa belle-mère était pourtant la dernière personne à qui il eut souhaité parler. Lamarre s’éclipsa. Il eut juste le temps d’entendre Pennec prononcer :

— Bonjour, Monique…

*

Monique Gloaguen se détacha de la fenêtre devant laquelle elle avait rêvassé, le regard perdu dans le tableau mélancolique de buissons laqués qui frémissaient à peine.

Ce n’était plus l’été mais pas encore l’hiver, une saison en demi-teinte à laquelle il était difficile de donner un nom, sans couleur véritable. Le ciel était d’une tonalité unie, pas encore claire, une espèce de bleu délavé marié au gris de l’aube, et les arbres du parc n’avaient pas encore adopté les flamboiements de l’automne.

Une saison que Monique Gloaguen n’avait jamais aimée. Septembre, les premiers jours d’octobre… Cela tenait peut-être aux bruits qui n’étaient plus les mêmes, aux gens qu’elle croisait de nouveau dans les rues et qu’elle connaissait pour la plupart, aux campings refermés, aux plages désertées. La fin d’un cycle. Les volets blancs de son enfance, verrouillés pour des mois, barricadés sur des jardins abandonnés. Elle avait l’impression de vieillir.

Elle préférait encore novembre. Ou décembre. Ceux-là au moins avaient du caractère.

Et Maud qui ne rappelait pas… Elle tenta sa chance une dernière fois.

« Vous êtes bien sur la messagerie de Maud Pennec. Je suis absente pour le moment, mais laissez-moi un message et… »

Elle coupa sans attendre la fin, sans prononcer le moindre mot, et remua la tête dans le vide, embarrassée. Paul pénétrait dans la pièce.

— Tu appelles qui ?

— Maud, rétorqua-t-elle. Ça ne répond pas.

Il grimaça son insouciance. La journée était commencée. Il allait être neuf heures et demie.

Monique avait tendu le cou, à la manière de quelqu’un à qui il venait une idée.

— Je tombe sur sa messagerie.

Il balaya l’air du bras. Il avait enfilé sa veste de toile et chaussé des tennis bleues aux semelles épaisses.

— Je vais marcher, annonça-t-il. Un aller-retour jusqu’à la marina. Tu veux m’accompagner ?

Elle se contenta d’un refus muet qui provoqua quand même chez Paul une réaction de surprise. Il s’était mis à observer sa femme, vêtue d’un jean et d’un chandail vert d’eau. Elle avait depuis longtemps cessé d’être esclave des teintures, les cheveux blancs lui allaient bien, Paul Gloaguen trouvait qu’ils lui adoucissaient les traits, comme une auréole lumineuse autour de son visage aux arêtes lisses. Mais à l’évidence, quelque chose la tracassait.

— Et ça t’inquiète ? s’étonna-t-il.

— Je lui ai parlé hier.

— Qu’est-ce qu’elle t’a raconté ?

— Rien. Mais avec sa petite voix mouillée… Je connais ma fille. Elle n’allait pas bien. J’aurais juré qu’elle avait pleuré.

Il ne répondit pas tout de suite. Il n’avait pas vraiment de réponse, de toute façon.

— Elle était peut-être simplement enrhumée, finit-il par objecter avec son esprit cartésien. C’est la saison, non ? Ou un petit coup de fatigue, tu sais comment elle est. Un souci avec un de ses patients…

Il imaginait mille raisons qui ne méritaient pas qu’on s’en tracasse vraiment.

— Elle m’en aurait parlé ! certifia Monique en remuant le front. Une mère, c’est précisément fait pour ça.

Il réagit d’un sourire. Une mère… Une mère poule, oui !

— Tu peux me rappeler quel âge elle a, ta fille ?

— Cinquante ans dans trois semaines. C’était même pour ça que je voulais la joindre. Quel rapport ?

— Crise passagère… pontifia-t-il. Le demi-siècle. Ses enfants qui lui manquent, la vie qui s’accélère… Elle a droit à un petit coup de déprime, non ?

Il avait raison, évidemment. À condition de ne pas tout savoir et elle, Monique, pensait plutôt aux confidences de Maud, qu’elle avait préféré garder pour elle.

— Souviens-toi, ma chérie. C’est l’époque où tu as décidé que j’étais bien capable de me débrouiller seul au bureau… Tu n’as qu’à appeler Patrick, ajouta-t-il pour clore le sujet, dis-lui que tu ne sais pas quel cadeau offrir à Maud pour son anniversaire…

Il esquissa un mouvement en direction de la porte.

— Il y a besoin d’acheter quelque chose ?

— Rien, merci.

Elle le regarda sortir, guettant l’écho de son pas sur les dalles de l’allée. Appeler Patrick. Bien sûr. Pour lui dire quoi ? Patrick, que Maud soupçonnait d’entretenir une liaison. Une épouse sentait ces choses-là, même sans certitude… Elle chercha le numéro dans son répertoire.

Il décrocha presque aussitôt.

— Bonjour, Monique…

— Je ne te dérange pas ?

— Je viens d’arriver, mentit-il. Allez-y.

Elle gonfla sa poitrine.

— Je cherche à joindre Maud, dit-elle en fixant le sol. J’ai besoin d’idées pour son cadeau d’anniversaire.

Elle s’était laissée aller, une fesse en appui sur le bord de la table, la jambe pliée, l’autre tendue bien collée au parquet.

— Je tombe sur sa messagerie.

— Ah… Elle travaille… fit-il remarquer, un peu pince-sans-rire, après deux secondes d’hésitation.

— Elle est au CMPP ?

— Sûrement, oui. Vous avez laissé un message lui demandant de vous rappeler ?

— Il y a une bonne demi-heure. Pas loin d’une heure, même.

Les mots flottèrent dans le silence, sans réaction. Il ne réalisait pas. Ou elle le dérangeait. Patrick était trop poli pour le lui faire remarquer. Le débriefing du début de matinée, elle connaissait.

— Je ne sais pas quoi vous dire, se désola-t-il enfin, d’un ton teinté d’un zeste d’indifférence. Réessayez.

— Tout allait bien ce matin ?

Elle n’aurait pas dû dire cela. L’interrogation le surprenait. Un raclement des cordes vocales vibra dans l’écouteur. Il n’était probablement pas seul, il était en train de s’excuser par gestes avant de répliquer.

— Vous m’inquiétez, Monique, finit-il par articuler, hésitant.

— Je ne sais pas pourquoi je te demande ça. J’ai parlé avec elle hier, j’ai eu l’impression que quelque chose n’allait pas.

— Hier soir ?

— Dans l’après-midi.

— Et elle vous a dit quoi ?

— Rien.

Dans le silence qui se prolongeait, elle l’entendit nettement soupirer.

— J’ai cru qu’elle avait pleuré.

— Qu’elle avait pleuré ?

Un monologue avec un perroquet. Monique Gloaguen leva les yeux au plafond.

— Vous êtes sûre ? … s’agaça-t-il de nouveau au bout d’un temps. Je sais qu’il lui arrive d’être fatiguée, mais de là à…

Elle l’imaginait secouant la tête, irrité.

— Non… Ne vous tracassez pas. Je ne sais vraiment pas quoi vous répondre.

C’était ça, il se contentait de répéter une formule qu’il avait trouvée.

— Elle n’est pas malade, au moins ? insista-t-elle.

— Pas que je sache, fit-il avec lenteur.

Paul avait peut-être raison. Elle se faisait des idées.

— Rassurez-vous, Monique. Maud est pareille avec les enfants. Un rien lui fait peur, elle panique tout de suite…

Elle ferma à demi les paupières.

— Vous savez, votre fille n’a plus vingt ans, plaisanta Pennec d’un ton soudain badin. Elle a le droit d’être exténuée.

— C’est aussi l’opinion de Paul, admit-elle sur le même registre futé. Je voudrais lui faire une jolie surprise pour son anniversaire. Tu as pensé à quelque chose, toi ?

— Des voyages. Elle rêve de connaître la Sicile. Noël à Palerme et le printemps dans un paradis des Antilles.

— J’ai besoin d’idées.

— Je vais y réfléchir.

Il marqua une nouvelle pause. Un temps d’absence. Elle discerna une sorte de raclement dans l’écouteur.

— Vous m’excuserez, Monique, mais je suis vraiment obligé de vous laisser, reprit-il.

— Ne t’inquiète pas. À plus tard.

Elle hocha la tête. Un simple coup de fatigue. Ou une contrariété dont Maud ne voulait pas parler.

Il y avait bien longtemps que sa fille ne lui disait pas tout.

*

Difficile de travailler, difficile même de se concentrer.

Les fesses posées sur le rebord de son fauteuil, le dos arrondi, les mains abandonnées sans force sur ses cuisses écartées, Patrick Pennec considérait le panneau de la porte qui venait de se refermer sur Colette Nitet.

Depuis déjà une bonne minute. Et il restait là, sans bouger, tourmenté.

Il n’avait pas retenu grand-chose de ce que sa responsable du service sinistres venait de lui rapporter. Il aurait dû, pourtant.

Le rapport technique était enfin tombé dans l’affaire Gosten, un sinistre majeur, l’un des plus importants de l’année, la destruction d’un hangar agricole ravagé par les flammes six mois auparavant, avec la vingtaine de bêtes que l’éleveur n’avait pas eu le temps de faire sortir. L’hypothèse du seul court-circuit dans le système de ventilation avait été rapidement abandonnée, quand l’expert avait détecté plusieurs foyers primaires et une propagation anormalement rapide de l’incendie. Ses prélèvements étaient venus confirmer la présence d’accélérants. Le sinistre était criminel.

Le malheureux Gosten avait alors plongé dans un univers auquel il n’était pas préparé.

Il jurait ne pas comprendre. Les gendarmes voulaient savoir qui avait mis le feu et pourquoi. Interrogatoires, soupçons. Tout avait été épluché. Comptabilité, vie privée, dettes éventuelles, addictions, vengeance d’un mari jaloux, d’une maîtresse délaissée, d’un concurrent envieux, ils refaisaient le monde en envisageant tout. Avant de découvrir qu’un artisan peintre intervenu récemment sur l’exploitation avait simplement nettoyé son matériel au white-spirit jeté chaque soir sur un tas de fourrage que Gosten destinait au hangar.

Une imprudence de l’artisan. Six mois d’enfer pour Gosten.

Pour rien.

Pennec laissa sa nuque rouler sur le dossier de son siège et noya son regard dans le désert blanc du plafond. Son assuré était tiré d’affaire et Pennec s’en moquait. Envie de rien. Ou plutôt si, de vieillir vite. Une impatience sournoise lui serrait les tempes comme dans un étau.

On entendait des bruits entremêlés dans les bureaux voisins, tout un fond sonore dans lequel il était difficile de distinguer qui parlait, l’écho d’une agitation qu’il voulait voir cesser. Le déclenchement brutal de la sonnerie de son téléphone le fit sursauter. Il baissa les yeux. Sylvianne. Son bras se tendit.

— Oui ?

— Un appel pour vous, Monsieur. Une certaine Estelle Picot, elle dit être une collègue de votre femme…

Pennec se redressa.

— Passez-la moi… Allô !

— Monsieur Pennec ? … Estelle Picot.

Il se souvenait d’elle pour l’avoir rencontrée à plusieurs reprises. Une femme d’une quarantaine d’années, responsable du centre médico-psychopédagogique qui employait Maud, dans le quartier de la rue de Quimper.

— Oui, madame Picot…

— Je suis vraiment désolée de vous déranger.

— Qu’est-ce qui vous arrive ? s’informa Pennec.

— Nous n’avons pas vu Maud ce matin et je commence à être un peu inquiète, nous ne parvenons pas à la joindre.

— C’est-à-dire ?

Son visage s’était transformé. Il regardait le socle du téléphone, un bloc noir équipé de plusieurs boutons, avec une sorte d’étonnement.

— Nous l’attendions et elle n’est pas venue.

— Sans vous prévenir ? coupa-t-il avec une certaine précipitation.

— Nous avons dû annuler plusieurs de ses rendez-vous.

Il resta silencieux, la femme également. Il entendait toujours des bruits autour de lui, le même murmure de l’autre côté du panneau de la porte refermée, et des criaillements de mouettes dans son dos, au-dessus des vagues. Il n’y prêtait plus attention.

— Monsieur Pennec ?

Un temps. Une hésitation.

— Vous ne savez pas où elle est ? insista sa correspondante.

Pennec ferma à demi les yeux… Les rouvrit. Son regard se perdait maintenant en direction du mur, accrochait l’attestation de garantie financière encadrée au-dessus d’un meuble de rangement. Les lettres se brouillaient, il était incapable de les déchiffrer.

— J’ai quitté la maison avant elle ce matin, hésita-t-il enfin, elle se préparait pour sortir.

— Et venir au CMPP ?

— C’est ce que je pensais…

— Elle ne vous a pas appelé non plus ?

— Non…

Pennec avait bougé pour se prendre la tête, son ordinateur s’était rallumé sur un fond d’écran ensoleillé. Des barques bleues et blanches amarrées à un quai, une mer turquoise. Agios Nicolaos peut-être, il n’en était pas vraiment certain. Ou Plaka. Ils avaient embarqué à bord d’un petit bateau pour l’île des Oubliés, en face… Il n’avait aucune envie d’y réfléchir, il était dans l’impasse. Ses tempes serrées devenaient réellement douloureuses. Le mal était là, il s’était insinué partout.

— Vous ne savez pas où elle est ? persista Estelle Picot.

— Je ne comprends pas.

— Vous auriez été prévenu si elle avait eu un accident.

— Sûrement…

Pourquoi songeait-elle à ça d’abord ?

Il faisait de nouveau bouger son regard avec harassement, chaque mouvement allait l’obliger à puiser dans ses réserves. C’était une sensation effroyable.

Un frisson lui remonta le long du dos.

— Elle a pu avoir un problème de voiture… ou être obligée de rentrer… entendit-il.

Il se redressa, aspira un gros volume d’air.

— Vous m’inquiétez. Je vais passer voir, décida-t-il brusquement en raffermissant sa voix.

— Je n’osais pas vous le demander. Et si c’est le cas, dites-lui bien de ne pas se tracasser. Qu’elle prenne sa journée, nous faisons le nécessaire pour reporter ses rendez-vous.

— Merci. Je vous rappelle, promit Pennec.

Il n’ajouta rien avant de raccrocher. Maintenant il était prévenu, il n’avait jamais aimé les situations ambiguës, il devait bouger.

Maud n’était pas au travail. Il savait exactement ce qu’il devait faire. Ses doigts pianotèrent avec nervosité sur le cadran de son portable pour sélectionner le répertoire. Le premier numéro de la liste. Pas de nom. Il n’avait enregistré que deux simples lettres : AA. C’était plus simple lorsqu’il appelait en conduisant. Une photo s’était affichée. Maud, souriante. Un portrait plus récent que le cliché des barques de Plaka. Il joignait sa ligne privée, qu’elle n’était censée communiquer qu’aux proches. Aucune sonnerie.

« Vous êtes bien sur la messagerie de Maud Pennec. Je suis absente pour le moment mais… »

Il avait éteint avant la fin de l’annonce et se mit précipitamment debout. Estelle Picot avait déjà dû saturer la mémoire du portable professionnel.

Il enfilait son pardessus lorsque Régis Lamarre pénétra dans le bureau après avoir frappé deux coups brefs.

— Tu pars ?

— Maud n’est pas arrivée au CMPP, jeta Pennec d’une traite, comme on lâche les flots d’une digue.

— C’est-à-dire ?

— Elle devait y être ce matin, personne ne l’a vue et son téléphone est coupé. Ça les inquiète. Je passe à la maison.

Il se sentait mieux maintenant qu’il était dans l’action.

— Elle ne t’a rien dit avant de partir ? commenta Lamarre.

— Rien.

— Et elle ne t’a pas appelé ?

— Aucune nouvelle.

Le téléphone sonnait sur son bureau. Il courut presque et décrocha à la volée.

— Oui, Sylvianne ? … Non, dites-lui que je suis en rendez-vous à l’extérieur. Ce qui est la vérité, d’ailleurs, je dois partir… Je vous appellerai.

Il raccrocha, nerveux.

— J’ai eu Monique tout à l’heure, lança-t-il à l’adresse de Lamarre, elle aussi commence à s’inquiéter.

Il sortit du bureau, bousculant presque son fondé de pouvoir.

— Patrick !

Lamarre se précipitait derrière lui.

— Ne va pas imaginer le pire tout de suite, tenta-t-il de rassurer. Il y a une explication. Elle peut être en panne de batterie…

— Tout ce temps ?

Lamarre ne répondit pas. Les accidents de la vie, c’était leur métier. Des gens qui s’assommaient dans la baignoire après avoir glissé, des jambes cassées dans les escaliers, des malaises cardiaques… Ça n’arrivait pas qu’aux autres, il était payé pour le savoir.

Pennec allongeait le pas. Il se retrouva sur le palier et renonça à l’ascenseur pour se propulser dans la volée de marches.

II

Il remontait la longue rue des Sables Blancs en longeant l’océan étalé sur sa gauche, délivré de sa brume matinale qui s’était dissipée. La route formait une patte d’oie à hauteur de l’hôtel Ker-Moor. Il traversa le rond-point presque sans ralentir, poursuivant son trajet le long de la corniche. Il sortait de Concarneau, les habitations s’espaçaient à l’abri des regards, plantées sur de vastes terrains dissimulés derrière des haies touffues.

Il vira dans une voie sans issue, trop étroite pour permettre un quelconque croisement. Le chemin bitumé s’enfonçait comme un pieu entre les deux propriétés voisines, défendues par des clôtures grillagées doublées de feuillage, pour ne desservir qu’une construction unique, moderne, bâtie en bordure de falaise, ses larges baies dirigés vers le miroir gris de l’océan.

Patrick Pennec abandonna sa Peugeot 3008 sur l’esplanade en demi-lune couverte d’une épaisse couche de gravillons blancs, et se précipita vers la porte. Toutes les ouvertures étaient équipées de volets électriques qui avaient été remontés. Il déverrouilla et se précipita aussitôt vers le tableau de l’alarme pour la déconnecter. La maison était vide.

— Maud ?

Tout était silencieux.

Il se contenta d’un arrêt à l’entrée de la salle de séjour. La lumière du matin envahissait la pièce par les vitres dépourvues de rideaux. Le regard portait loin, bien au-delà de la large bande de gazon, vers l’étendue de la mer immense au fond de laquelle l’attention finissait par se noyer. Un espace infini qu’il avait aimé parcourir autrefois. L’Amérique de l’autre côté. Les Antilles, les eaux transparentes des Caraïbes… Le golfe du Mexique… Des semaines de navigation… Des escales aux Açores… Un pub. Une fille parfois… Il en gardait le souvenir dans un coffre secret de sa mémoire. Sans nostalgie pourtant. L’aventure. Il avait adoré. Il s’en était finalement lassé. Il fit quelques pas dans la pièce, l’attention attirée par un téléphone posé sur un guéridon d’acajou. Il avait reconnu le portable fourni par le CMPP pour les appels professionnels de Maud. Il le consulta. L’appareil avait été positionné en mode silencieux. Il contrôla sans surprise les contacts enregistrés dans la matinée. Sept appels en provenance du centre médical qui avait laissé deux messages que Pennec ne se donna pas la peine d’écouter.

Il reposa le téléphone et pénétra dans la cuisine. Tout y était en ordre, la table débarrassée et la vaisselle rangée. Pas d’odeur. Une sorte de laboratoire aseptisé. Il traversa l’espace et ouvrit une porte, se contentant de jeter un regard au double garage accolé au pignon de la villa. Vide évidemment.

L’escalier le mena à l’étage. Leur chambre tournait le dos à la terre. Un accès vitré débouchait sur une terrasse carrée, encastrée dans la pente du toit. Il aperçut un cargo au loin, pas plus gros qu’une maquette naviguant vers le sud. Il pivota. Le lit était fait, le drap et la couverture parfaitement tendus, les rabats bien glissés sous le matelas, les oreillers tapotés, trois coussins semés en désordre.

La porte à galène qui fermait la salle de bains privative n’était pas tirée. Pennec vérifia d’un coup d’œil que tout était à sa place, les deux grandes serviettes séchant sur une patère, la corbeille dans laquelle ils avaient l’habitude de jeter le linge qui passerait à la machine, les brosses à dents électriques fichées sur leurs socles. Il ne manquait rien.

Il redescendit lentement en réfléchissant.

Appeler quelqu’un ? Il était trop tôt pour alerter Monique et Paul. Que pourrait-il leur dire ? Que Maud ne s’était pas rendue à son travail et qu’elle avait disparu après avoir éteint son téléphone. Il était à peine midi. Personne ne comprendrait une inquiétude aussi soudaine.

Il sortit de la maison sans rebrancher l’alarme et se repositionna au volant de sa Peugeot.

Il connaissait parfaitement le parcours suivi quotidiennement par Maud pour rejoindre le bâtiment du CMPP, elle évitait le centre-ville et faisait le tour par la rue du Pont de Lanadan, avant de virer route de Kerguéres, en direction du centre commercial.

Pennec patrouilla sur le chemin à vitesse lente sans rien repérer d’anormal. Il pénétra sur le petit parking juste avant de déboucher dans la rue de Quimper, à hauteur de l’établissement bancaire, et alla se ranger sur un emplacement libre, devant le centre médical. Plusieurs véhicules étaient stationnés là, mais pas celui de Maud.

Il resta un moment au volant, l’attention concentrée sur la file ininterrompue de voitures descendant en direction du port, avant de se décider à sortir son portable qu’il garda à la main. L’angoisse lui serrait la gorge. Il hésitait à franchir le pas. Rien ensuite ne serait jamais plus comme avant. Maud avait disparu.

Il pressa la touche. Le numéro était enregistré.

— Brigade de gendarmerie de Concarneau…

— Je voudrais parler au major Rabut, s’il vous plaît.

Un temps. Un déclic.

— Le major est absent pour l’instant, répliqua la voix anonyme. Je peux peut-être vous renseigner ?

— Quand sera-t-il là ?

— C’est de la part de qui ?

— Patrick Pennec.

— Ah… monsieur Pennec. C’est le brigadier Cochat.

Le ton était plus chaleureux. Pennec hésita une brève poignée de secondes. Il avait des copains partout. Tout le monde le connaissait dans la petite caserne de la rue de Kérose, depuis le temps. C’était peut-être mieux d’en parler tout de suite à Cochat. Moins officiel.

— Le major est en réunion à Brest, précisa le brigadier, il devrait être rentré en milieu d’après-midi.

— Est-ce que vous avez enregistré des accidents ce matin ? s’informa Pennec. Avec du corporel.

— Je ne crois pas. Ça concerne un de vos clients ?

Il hésita. Son visage s’était contracté.

Il n’avait pas chaud. Tout, autour de lui, respirait la fin de saison et des promesses de froid à venir. Il pouvait encore renoncer, attendre, laisser du temps au temps au lieu de plonger tout de suite dans un monde inconnu. Et après ?

— J’ai un souci, finit-il par avouer. Ma femme travaille au CMPP, rue de Quimper, elle aurait dû y être ce matin mais personne ne l’a vue. Elle n’a laissé aucun message, elle n’est plus à la maison et son téléphone est coupé. Je viens de refaire le trajet qu’elle emprunte normalement, je n’ai rien vu.

— Par où ?

— La rue du Pont de Lanadan et la route de Kerguéres.

Cochat laissa s’installer un court intermède. La conversation devait être enregistrée.

— Et elle n’a pas cherché à vous joindre ? reprit-il.

— À aucun moment.

— Vous l’avez vue ce matin ?

— Elle se préparait pour sa journée lorsque je suis parti, vers huit heures.

Le brigadier resta de nouveau silencieux. Il devait chercher, consulter des notes.

— Non, non… constata-t-il après un temps. Aucune intervention. On ne nous a rien signalé.

Sa voix était feutrée, comme retenue.

— Elle avait peut-être rendez-vous ailleurs ?

— Elle était attendue au centre.

— Elle a pu confondre et oublier de prévenir, envisagea Cochat. Ou faire face à une urgence imprévue.

— Quelle urgence ?

— Sa famille par exemple… Vous avez vérifié ?

— Sa mère m’a appelé parce qu’elle ne parvenait pas à la joindre.

— Alors une panne. Ou une course… Un rendez-vous médical, elle n’a pas voulu vous inquiéter…

Le brigadier parlait sur un ton raisonnable.

— Ça arrive, monsieur Pennec, reprit-il après une courte pause, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre.

Il s’accorda quelques nouvelles secondes de silence avant d’insister.

— Elle va vous contacter.

Pennec resta muet. Le trafic se densifiait le long de la rue, les voitures avançaient au pas. Il était l’heure de déjeuner.

— Vous ne devriez pas trop vous alarmer, compatit le brigadier, rassurant. Quelques heures d’absence ne sont pas inquiétantes.

— Ça ne lui ressemble pas.

— S’il lui était arrivé un incident, nous le saurions. Rappelez-nous en cas de besoin, mais à mon avis, elle ne va pas tarder à réapparaître. Je vous préviens si j’apprends quelque chose.

— Merci, Brigadier, se précipita Pennec avant de raccrocher, brusquement pressé.

Son attention s’était concentrée sur son rétroviseur. Il voyait l’entrée du CMPP dont la porte venait de s’ouvrir, livrant le passage à une femme en qui il reconnut Estelle Picot. Elle sortait. C’était l’heure de la pause.

Il attendit qu’elle se soit installée au volant de sa voiture avant de poser les pieds à terre. Il traversa l’espace qui les séparait.

Estelle Picot venait de démarrer.

Elle baissa précipitamment sa vitre en le découvrant.

— Monsieur Pennec !