Le naufrageur de Saint-Gué - Hervé Huguen - E-Book

Le naufrageur de Saint-Gué E-Book

Hervé Huguen

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Beschreibung

Jérôme Polani avait disparu. Ce n'était pas la première fois, pourtant cette fois-ci était différente, son avocate le sentait bien...

Pour le commissaire Baron, il ne s’agissait que d’un service à rendre à une vieille amie, partir à la recherche de Jérôme Polani qui n’avait pas regagné son appartement de Saint-Guénolé depuis près d’une semaine, et restait injoignable. Mais fallait-il vraiment s’en inquiéter, quand on connaissait le passé chaotique du jeune homme ?
Pourtant, lorsqu’un chalutier du Guilvinec ramena dans ses filets le corps d’un noyé, dépourvu de papiers d’identité et au visage rendu méconnaissable par un séjour prolongé dans l’océan, la disparition de Jérôme devint plus énigmatique.
Et lorsque les conclusions médicales révélèrent que la victime n’était pas morte noyée mais assassinée, l’affaire prit une tournure infiniment plus dramatique…
Jérôme avait disparu dans la nuit au cours de laquelle l’inconnu avait été tué.
L’affaire Polani commençait.

Pensez à retenir votre souffle tandis que vous plongerez dans la dix-septième enquête du commissaire Baron !

EXTRAIT

"N’était-il pas curieux de se souvenir si longtemps après, et avec une telle précision, d’instants aussi insignifiants ? Il les avait vécus comme des heures sans importance, tellement pareilles aux autres que sa mémoire devrait s’efforcer ensuite d’en reconstituer le fil égaré.
Pouvait-il prévoir qu’on lui demanderait de revivre ces moments parce que d’autres, des semaines plus tard, auraient besoin de comprendre ce qu’il faisait dans cet endroit ? Et pourtant, c’était bien ici que tout avait réellement commencé.
Il leur parlerait alors de maître Delijour dont il n’avait plus de nouvelles depuis bien longtemps… De ces mots qu’elle avait prononcés et qu’il avait accepté d’écouter…
Il n’y avait pas encore d’affaire Polani.
Il était donc simplement en congés, arrivé sur place en fin de matinée, avec avant tout l’intention de profiter de quelques jours d’escapade solitaire comme il les aimait, même si sa destination n’était effectivement pas le fruit du hasard."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Bien construit, bien écrit, un roman d'atmosphère comme l'affectionnent les lecteurs de Georges Simenon." - Louis Gildas, Télégramme

"J'aime beaucoup les romans policiers de Hervé Huguen qui en plus de présenter un personnage attachant, décrivent une région et ses habitants et présentent des intrigues bien tournées et surprenantes." - YvPol, Lyvres

"Nazer Baron est une découverte, je vais m'empresser de le retrouver dans sa dix-huitième enquête vers le Pouliguen, encore un endroit que je connais bien ayant vécu à La Baule." - jipaif, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Hervé Huguen : Ce nantais, avocat de profession, consacre aujourd’hui son temps à l’écriture de romans policiers et de romans noirs. Son expérience et son intérêt pour les faits divers, événements tragiques ou extraordinaires qui bouleversent des vies, lui apportent une solide connaissance des affaires criminelles.
Passionné de polar, il a publié son premier titre en 2009 et créé le personnage du commissaire Nazer Baron, enquêteur rêveur, grand amateur de blues, qui se méfie beaucoup des apparences…
Le naufrageur de Saint-Gué est le dix-septième volume de cette série aux intrigues bien ficelées et aux protagonistes attachants…

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Couverture

Page de titre

Site de l’auteur :www.hervehuguen.weebly.com

Retrouvez ces ouvrages surwww.palemon.fr

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Si ce roman tire son action de faits authentiques, les personnages et les lieux sont fictifs, de sorte que nul ne pourrait prétendre désigner qui que ce soit dans les protagonistes de cette histoire. La part de création ne saurait non plus prêter à interprétation. Ce livre est un roman, dans lequel l’auteur apporte au lecteur une solution qui reste le fruit de son imagination.

À maman,

Naufrageur : personne qui provoque la ruine de quelqu’un ou de quelque chose « La plage de Penmarc’h fait peur. C’est bien ici que les naufrageurs devaient attirer les vaisseaux perdus » Guy de Maupassant. Au soleil – 1884

I

N’était-il pas curieux de se souvenir si longtemps après, et avec une telle précision, d’instants aussi insignifiants ? Il les avait vécus comme des heures sans importance, tellement pareilles aux autres que sa mémoire devrait s’efforcer ensuite d’en reconstituer le fil égaré.

Pouvait-il prévoir qu’on lui demanderait de revivre ces moments parce que d’autres, des semaines plus tard, auraient besoin de comprendre ce qu’il faisait dans cet endroit ? Et pourtant, c’était bien ici que tout avait réellement commencé.

Il leur parlerait alors de maître Delijour dont il n’avait plus de nouvelles depuis bien longtemps… De ces mots qu’elle avait prononcés et qu’il avait accepté d’écouter…

Il n’y avait pas encore d’affaire Polani.

Il était donc simplement en congés, arrivé sur place en fin de matinée, avec avant tout l’intention de profiter de quelques jours d’escapade solitaire comme il les aimait, même si sa destination n’était effectivement pas le fruit du hasard.

Il n’avait pas oublié les détails. Il avait gardé le souvenir du restaurant où il s’était attablé près de la fenêtre. Le menu s’était effacé avec le temps, mais il aurait juré avoir bien déjeuné. Il avait beaucoup rêvassé. À un moment, la sonnerie intempestive d’un téléphone l’avait arraché à ses réflexions, et il en avait voulu au consommateur indélicat de ce bruit vulgaire qui le dérangeait. L’homme avait une allure de représentant de commerce, il avait coupé la sonnerie dans un réflexe honteux.

Nazer Baron avait laissé traîner son regard sur un crâne chauve auréolé de cheveux gris.

Puis il s’était de nouveau isolé dans sa rêverie.

Ensuite il y avait eu ces deux couples qui s’étaient installés bruyamment. Ils parlaient fort, les chaises avaient raclé le sol. Il les avait observés un moment.

Son esprit naviguait toujours dans des songes plus ou moins décousus. Il se demandait qui était Jérôme Polani, puisque c’était quand même à cause de lui qu’il se trouvait là.

Qui il était vraiment !

Lorsque maître Delijour l’avait appelé deux jours plus tôt, il n’avait encore jamais entendu prononcer ce nom de Polani. Baron n’avait aucune nouvelle de l’avocate depuis des années, il ignorait qu’elle avait refait sa vie.

C’était peut-être pour cette raison qu’elle n’était pas à l’aise, elle s’était contentée de tracer les grandes lignes, telle une artiste croquant un personnage qu’elle dessinerait plus tard. Elle était pressée, inquiète, irritée aussi sans doute de devoir s’occuper de quelqu’un qui n’était pas son fils.

Baron ne pouvait qu’imaginer, à partir de ce qui n’avait été qu’une simple esquisse.

Maître Delijour avait crayonné des contours un peu flous, qui mis bout à bout finissaient quand même par composer la vague silhouette d’un jeune homme de vingt-cinq ans mal dans sa peau. Baron se le représentait ainsi, encore adolescent, perdu, révolté probablement, fugueur, simulateur, solitaire…

L’avocate lui avait adressé une photographie, sur laquelle Jérôme Polani apparaissait comme un individu maigre, presque malingre, aux pommettes saillantes et aux yeux trop enfoncés dans des orbites creuses. Il avait les cheveux si courts que son crâne en était presque rasé, ce qui n’arrangeait rien à son allure. Une cicatrice se dessinait sur la peau, séquelle d’un accident de la route. Il était beau garçon pourtant, quelqu’un d’intelligent, il avait de l’humour autrefois…

Avant que sa mère s’en aille.

Sa descente aux enfers avait commencé là, alimentée par les mauvaises rencontres qui compensaient le manque et la colère… Une spirale. L’avocate ne le connaissait pas très bien, elle répétait ce que son nouveau compagnon lui avait raconté.

L’errance de Jérôme avait duré des années, jusqu’à l’été précédent où tout avait brusquement semblé aller mieux. Jérôme s’était stabilisé. Il travaillait, son employeur était satisfait de lui.

Et Jérôme avait une nouvelle fois disparu.

Ce qui voulait simplement dire qu’il n’était pas rentré chez lui un soir.

C’était à tout cela que pensait le commissaire. Seul à sa table, il avait cessé de s’intéresser aux deux couples bruyants, il s’était mis à réfléchir en observant la rue. Un rideau flottait doucement au carreau d’en face, la fenêtre était restée entrouverte. Il ne voyait personne.

Une demi-heure auparavant, il avait plu si dru sur Saint-Guénolé et les rafales venues de la mer avaient été si violentes que les immeubles avaient paru trembler, l’univers s’était noyé dans un brouillard liquide, on avait vu des lumières s’allumer aux façades assombries par l’averse. La chaussée s’était brutalement laquée d’une pellicule d’eau, que les roues des voitures passant au ralenti projetaient sur les trottoirs déserts. Et puis le temps s’était calmé aussi brusquement qu’il s’était déchaîné, les nuages avaient fini par passer, repoussés vers les terres, le ciel s’était déchiré par endroits, lardé d’écorchures bleues entre les nuées grises. Tout était comme lavé.

*

La dernière fois que quelqu’un avait vu Jérôme, c’était dans la nuit du vendredi précédent, aux alentours de minuit trente. Il était attendu en fin de matinée le lendemain, pour la reprise du service, mais il ne s’était pas présenté et n’avait laissé aucun message. Il n’était pas chez lui et son téléphone était coupé. Personne ne l’avait revu depuis.

— Ça lui était déjà arrivé ? avait vérifié Baron.

La question avait paru embarrasser maître Delijour. Elle l’avait admis, ce n’était pas la première fois.

— C’est un peu compliqué avec lui…

Jérôme ne trouvait pas sa place. Il suffisait d’une contrariété, d’une réflexion qu’il ne supportait pas, d’un coup de fatigue… Il laissait tout tomber… Il partait. Personne ne savait où il était. Et puis il revenait, il trouvait un travail… Jusqu’à la fois suivante, il s’en allait encore…

— Pourquoi penses-tu que ça pourrait être différent aujourd’hui ?

— Parce qu’il allait mieux, avait-elle assuré. Il avait appelé son père en début de semaine, il lui avait parlé de ses projets. Le restaurant devait fermer en décembre pour les trois mois d’hiver, Jérôme avait l’idée d’en profiter pour mettre un peu d’argent de côté jusque-là et s’installer ensuite en ville, Nantes ou Rennes, il ne savait pas encore…

— Tu as pensé à un accident ?

— J’ai contacté la gendarmerie. Rien ne leur a été signalé. Et la propriétaire est passée à l’appartement. Tout est en ordre et Jérôme n’y est pas.

Baron ne savait pas très bien pourquoi il avait écouté. Il était seul. Odile avait pris le train le matin même pour un séminaire de quatre jours à Villejuif, et rien ne lui interdisait de s’absenter. Il aurait pourtant pu inventer un prétexte. Et alors ? Il était déjà probablement trop tard, puisqu’il avait écouté. Et l’appel de maître Delijour était finalement tombé à pic, il avait eu envie de profiter de quelques jours de liberté pour parcourir la côte bigoudène. L’été indien se prélassait encore en cette mi-octobre, malgré les averses sporadiques qui rattrapaient la canicule estivale.

Il avait accepté la mission…

II

Il avait terminé son assiette et adressé un signe en direction de la serveuse pour commander un café, qu’il attendit sans impatience. Il n’était pas pressé. Il prit son temps avant de régler l’addition, enfila sa veste de cuir et sortit enfin dans la rue. L’air avait une odeur d’asphalte mouillé, les flaques de l’orage n’avaient pas fini de s’évaporer le long du trottoir.

Baron s’éloigna sans hâte aux fins de récupérer sa voiture et démarra, longeant la mer étalée sur sa gauche.

Il croisait peu de monde. Saint-Guénolé avait pris ses quartiers d’automne, beaucoup d’établissements étaient fermés.

Polani louait un logement rue du Viben, près de la plage, un quartier aux constructions éparpillées de part et d’autre de la voie qui s’en allait buter sur la pointe de la rue des Flots.

Baron finit par s’immobiliser sur une bande de terre mélangée au sable arraché par le vent.

Le ciel s’éclaircissait au-dessus de l’océan, il percevait le grondement des vagues à une centaine de mètres de l’endroit où il s’était arrêté, il devinait l’exhalaison salée de la mer dont il voyait l’horizon bleu. La musique remplissait l’habitacle : County Jail Blues. Le paysage lui faisait songer au voyage, à une île… Il aurait dû choisir une île où il se serait contenté de se perdre dans la lande en espérant le crachin. L’automne était la saison où l’on respirait le mieux…

Il resta au volant pour observer les lieux.

Revenant d’on ne savait trop où, Jérôme Polani avait fini par décrocher un travail à Saint-Guénolé le temps de la saison, son dixième ou douzième employeur sur la liste déjà longue d’un CV chaotique. Il ne tenait jamais bien longtemps au même endroit et le scénario était toujours le même. Il renonçait, il s’enfermait chez lui, coupait son téléphone, n’allait plus travailler, ne donnait plus de nouvelles. C’était toujours la faute des autres.

Il mentait, il s’inventait des excuses…

Il disparaissait. Avant de ressusciter un jour… Il cherchait de nouveau. Il trouvait encore…

« Ça fait des années… », avait commenté l’avocate, désemparée.

Baron avait cherché à l’imaginer pendant qu’elle lui racontait. Il conservait d’elle le souvenir d’une époque antédiluvienne. Une avocate et un commissaire de police ne faisaient pas forcément bon ménage. C’était loin. Une autre vie…1

Elle avait probablement beaucoup hésité avant de lui demander son aide.

Il soupira en y repensant et posa finalement les pieds à terre. Des égarés de la trempe de Jérôme Polani, il en avait croisé des dizaines. La plupart avaient besoin de toucher le fond pour pouvoir remonter, mais certains ne remontaient jamais.

Maître Delijour prétendait que cette fois, les choses étaient différentes, puisque Jérôme avait tenu le coup ! Deux mois comme saisonnier dans un restaurant de Penmarc’h, et son contrat avait même été prolongé. C’était son père qui lui avait dégotté ce logement, trop heureux d’y croire, d’espérer enfin… Tout allait beaucoup mieux.

Le commissaire fouilla ses poches à la recherche du double de clé que l’avocate lui avait adressé. Il était au pied de l’immeuble.

L’appartement avait été construit au-dessus d’un garage dont la propriétaire se réservait l’usage. Elle habitait en face. L’accès se faisait sur le côté gauche. Une boîte à lettres avait été vissée au mur, au-dessous d’une sonnette noire dont l’étiquette indiquait simplement « Polani ».

Baron pressa le bouton à tout hasard, sans déclencher de réaction. Il fit alors claquer la serrure de la porte d’une buanderie au rez-de-chaussée, un espace en longueur au sol de béton brut, où Jérôme pouvait remiser son scooter. L’endroit sentait la poussière. Un boyau sombre, simplement éclairé par une imposte étroite creusée dans le mur du fond.

Baron alluma. Quelques cartons traînaient au sol, des cartons vides empilés les uns sur les autres. Une caisse en bois avait été stockée dans un coin, également vide. Rien d’autre, pas de scooter. Il referma derrière lui et emprunta l’escalier qui débouchait dans une petite cuisine américaine. La pièce de séjour disposait d’ouvertures qui donnaient sur les deux flancs du bâtiment, on apercevait le moutonnement de la mer au-delà des constructions éparpillées le long de la langue de sable, sur la gauche, et de l’autre côté les habitations plantées aux abords de la route, autour d’une vaste aire d’accueil pour les camping-caristes. L’appartement était clair, sommairement meublé mais bien rangé. C’était propre.

« C’est son père qui paie le loyer… Par sécurité, tu comprends ? »

Il avait dû répondre qu’il comprenait.

De la vaisselle sale traînait sur le plan de travail de la kitchenette, les restes d’un petit-déjeuner et d’un dîner solitaires, à côté d’un cendrier plein. L’air sentait le tabac froid.

Baron se mit à ouvrir les tiroirs, inspecter les placards, vérifier le contenu du frigidaire pour se faire une opinion rapide. L’occupant des lieux n’avait pas eu l’intention de déménager à la cloche de bois. Les étagères étaient garnies, légèrement peut-être mais suffisamment pour assurer quelques jours de survie. Salades et barquettes de plats préparés. Les dates de consommation n’étaient pas encore périmées.

Le commissaire tourna sur lui-même. Un rayon de soleil réussissait à percer les nuages, il rampait sur le sol, marquait la limite du coin cuisine comme s’il indiquait une direction à suivre. Des objets personnels traînaient sur les meubles mais ce n’était pas du désordre, ils étaient à leur place.

Baron suivit la ligne des reflets. Il s’apprêtait à visiter la salle de séjour lorsque le déclenchement intempestif de la sonnette interrompit son mouvement. Il se porta jusqu’à la fenêtre pour se pencher à l’extérieur.

Une femme se tenait debout devant l’entrée, la tête levée en direction de l’étage. Âgée d’une soixantaine d’années, les mains aux poches d’un kabig qu’elle gardait ouvert.

— Je suis la propriétaire, madame Aillet, dit-elle en forçant la voix, j’habite en face !

C’était à ses yeux probablement une raison suffisante pour s’occuper de ce qui se passait chez son voisin. Un goéland protesta avec un cri insolent, alors qu’elle attendait une réaction qu’elle jugeait évidente.

— Je descends, annonça patiemment Baron.

De toute façon, il voulait l’interroger. Il referma et reprit l’escalier. La visiteuse avait toujours les mains au fond des poches.

— Je vous ai vu entrer, commença-t-elle avec l’air de s’excuser. Vous êtes de la famille de monsieur Polani ?

— Je suis de la police, répondit-il en lui présentant sa carte. Commissaire Baron. Je cherche Jérôme.

Elle souffla, après un coup d’œil à la carte.

— C’est bien ce que j’ai pensé. Vous ne savez toujours pas où il est ?

— Pas pour l’instant.

— C’est monsieur Polani qui vous a donné la clé ?

— Il en avait un double.

Elle hocha la tête. Elle ne montrait toujours pas ses mains, les pans du kabig avaient tendance à s’écarter sous la pression des bras.

— C’est qu’il ne m’a pas prévenue… dit-elle. Il n’était pas obligé, notez bien, mais on se méfie quand même.

— Je comprends, la rassura Baron. Je suppose qu’il vous est arrivé de voir Jérôme de temps en temps ?

— J’habite en face, répéta-t-elle. Même si on n’a pas les mêmes horaires, on se croise parfois.

— Vous l’avez aperçu dernièrement ?

— Il y a quelques jours. Je l’ai dit à son père. J’ai vu partir Jérôme en fin d’après-midi, pour l’embauche. J’étais dans le jardin, il m’a fait un signe en passant.

Baron opina en silence. Il avait l’intention de la questionner, mais plus tard, le moment était mal choisi.

— Vous serez chez vous dans dix minutes ? Je passerai vous voir, si ça ne vous ennuie pas… J’ai encore deux ou trois choses à vérifier avant.

— Je vous attends…

Il la remercia d’un sourire avant de refermer et de regagner l’étage. Il reprit tranquillement son inspection. Rien ne l’alertait. Aucun signe de confusion ni de départ précipité. Il pénétra dans la chambre. Le lit n’avait pas été refait, le drap et la couverture étaient simplement tirés. Un drap blanc et une couverture crème. Tout était de couleur claire dans la pièce, les murs renvoyaient la lumière. Il ne toucha à rien. Une veste de pyjama avait été jetée en travers de la couche, une unique veste à rayures bleues, qui correspondait à la taille de Jérôme Polani.

Il s’approcha. Un radio-réveil était posé sur la table de chevet. Baron vérifia simplement l’heure programmée. Neuf heures. Polani se couchait tard et n’avait pas besoin de se lever tôt. Prise de service probablement aux alentours de onze heures. Il était facile d’imaginer la scène qui s’était déroulée là. Banale. Jérôme s’était levé, avait sommairement refait son lit et s’était débarrassé de son pyjama pour passer sous la douche. Il avait donc l’intention de revenir. Cette fois, il ne s’était pas enfermé chez lui en se coupant du monde, rattrapé par ses démons.

Baron se pencha pour soulever la couverture. Rien… Si, pourtant. Les draps étaient froissés sur les deux bords du lit. Jérôme n’avait pas toujours été seul. Un couple avait dormi là à un moment, peu de temps auparavant, la dernière nuit ou la nuit précédente. Baron se courba davantage. Le couple ne s’était pas contenté de dormir. Jérôme avait passé la nuit avec une femme…

Le commissaire laissa retomber le drap et fit coulisser l’une des deux portes du placard mural. Uniquement des vêtements masculins, jeans suspendus et t-shirts sommairement pliés. Un rangement de célibataire. La femme ne vivait pas ici. Une valise à coque souple était posée par terre, entrouverte, vide. Jérôme n’avait rien emporté, ou alors pas grand-chose… Il n’était pas parti bien loin…

Baron quitta la chambre. La salle de bains était plus intéressante. L’idée du couple s’imposait de nouveau. Deux brosses dans le verre à dents, et « Bien-Être Oriental », une huile de douche posée sur l’étagère de verre dans la cabine. Maître Delijour n’avait pas évoqué une quelconque relation féminine dans la vie de Jérôme. Elle n’en savait peut-être rien.

Baron se pencha en direction du panier à linge. Il ne contenait pas grand-chose. Un t-shirt, un caleçon bariolé et des chaussettes. Il souleva ce qui l’intéressait davantage, une petite culotte de dentelle rouge. Une femme avait donc bien passé du temps ici récemment, peut-être même le jour de la disparition de Jérôme. Avec l’intention d’y revenir bientôt, sinon elle n’aurait pas laissé un sous-vêtement traîner derrière elle…

Il lâcha le fin morceau de lingerie. Il n’avait vu aucune photo dans l’appartement. Le peu de décoration fixée au mur était parfaitement anonyme. Pas de souvenirs, pas d’ancrage. Jérôme n’était que de passage.

De passage mais pas seul.

Une culotte rouge, un gel douche et une brosse à dents attestaient de la présence d’une compagne, épisodique peut-être, mais de quelqu’un qui pour l’instant n’avait pas jugé bon de se manifester.

*

Le salon était éclairé par une grande baie vitrée donnant sur l’arrière du jardin, clos par un muret de pierre sèche. Baron apercevait la construction voisine, et la fenêtre en façade ouvrait directement sur le garage et le logement qu’occupait Jérôme Polani, de l’autre côté de la route. Madame Aillet pouvait, sans se montrer, surveiller les allées et venues de son locataire. Elle ne devait pas s’en priver, dans un quartier où il ne passait probablement pas grand monde hors saison.

Elle était veuve. Maître Delijour le lui avait dit au détour d’une phrase. L’appartement avait été occupé tout l’été, il était libre à partir de début septembre, au moment où Jérôme s’était vu proposer une prolongation de son contrat de saisonnier. C’était son père qui avait signé le bail.

« La propriétaire est veuve, elle ne veut pas d’embêtements… »

Elle avait probablement eu raison.

Baron observait la femme, assise à l’extrémité d’un canapé. Elle était plutôt petite et fluette. Elle se prénommait Monique, il l’avait vu en traversant l’entrée, sur un courrier posé sur une desserte. La sonnette ne portait que le nom d’Aillet. Elle était bavarde, elle parlait depuis qu’il était arrivé.

— On ne disparaît pas comme ça… C’est incompréhensible.

Elle remuait le front en écartant les paupières dans un geste curieux, comme pour s’assurer qu’il était bien d’accord avec elle. Baron hochait la tête en conservant le silence.

— Il travaille à Penmarc’h, lui rappela Monique Aillet comme s’il ignorait les détails, tout près du phare d’Eckmühl ! C’est à trois kilomètres. S’il avait eu un accident, on l’aurait retrouvé !

Jérôme n’avait pas eu d’accident, pas sur cette route-là en tout cas.

— Vous m’avez dit l’avoir aperçu il y a quelques jours ? intervint le commissaire.

— En fin d’après-midi.

— Vous vous souvenez quand exactement ?

Elle n’était pas capable de le dire. Elle grimaça.

— Jeudi ou vendredi.

Jérôme avait disparu depuis cinq jours. Il avait quitté son service peu après minuit, tout allait bien. Il lui restait quelques kilomètres à parcourir pour regagner son domicile en empruntant une route côtière, en passant devant Notre-Dame-de-la-Joie et le camping, avant de traverser Saint-Guénolé. Il était attendu le lendemain en fin de matinée. Personne ne l’avait revu depuis, son téléphone était sur répondeur.

— Un peu avant dix-huit heures, ajouta Monique Aillet. J’étais dans le jardin, il m’a fait un signe…

— Il partait vers Penmarc’h ?

— Je pense qu’il allait travailler.

— Et vous ne l’avez plus revu ensuite ? C’était peut-être vendredi ?

— Je n’arrive pas à me souvenir. Les journées se ressemblent, vous savez…

Elle se tordait les mains, impuissante.

— Vous vous rappelez de ce que vous avez fait vendredi soir ?

— J’étais chez moi.

— Vous n’avez rien entendu ?

— Je ne crois pas… Enfin… Non. Je veux dire que je n’ai pas fait attention. Ma chambre donne sur l’arrière.

— Et samedi matin ?

— Je n’ai rien remarqué.

— Qui vous a dit que Jérôme avait disparu ?

Elle ne répondit pas. Ils étaient comme deux relations qui se connaissaient à peine, bavardant tranquillement dans un coin de salon. Le soleil caressait l’herbe rase derrière elle, lui dessinant une auréole jaunie autour de la tête, il voyait mal ses yeux.

Elle semblait l’observer tout en réfléchissant.

— Son père… finit-elle par répondre. C’est l’employeur de Jérôme qui l’avait appelé pour le prévenir.

— C’était quand ?

— Dimanche. Le restaurant était ouvert à midi, Jérôme aurait dû être là. Il n’était déjà pas venu la veille.

— Vous êtes allée voir ?

— Il me l’a demandé.

Elle se tut encore. Ça la dérangeait, cette histoire. Elle avait l’impression d’être en faute.

— Et alors ? relança Baron.

Il sentait bien qu’il faisait l’objet d’une attention particulière. Monique Aillet le scrutait, elle devait se demander pourquoi un commissaire de police se dérangeait ainsi, sur cette terre de bout du monde, deux jours après les gendarmes qui avaient déjà posé les mêmes questions.

— Alors rien, rétorqua-t-elle au bout d’un instant. J’ai la clé, je suis montée à l’étage, et je l’ai rappelé pour lui dire que Jérôme n’était pas là.

— Vous y êtes retournée ensuite ?

— Non ! Bien sûr que non ! C’est chez lui.

— Je n’ai pas vu de désordre.

— Il n’y en avait pas.

— Vous êtes entrée dans la chambre ? Vous vous souvenez si le lit était fait ?

— La couverture était tirée.

— Avec un pyjama posé dessus ?

— Une veste… bleue… jetée en travers.

Monique Aillet y était allée dimanche. Jérôme n’était donc pas repassé chez lui depuis, il n’y avait en tout cas sans doute pas dormi.

Baron tourna la tête. La pièce était vaste, elle occupait une grande partie du rez-de-chaussée. Il repéra le chat lové sur le coussin d’une chaise, il ne l’avait pas remarqué jusqu’alors. L’animal avait bougé, c’était ça qui l’avait alerté.

— J’ai vu les gendarmes l’autre jour, raconta-t-elle. C’est le père de Jérôme qui les a contactés.

— Je sais… Ils ont dû vous poser les mêmes questions. Vous leur avez montré l’appartement ?

— Ils n’ont pas voulu. Je leur ai dit que j’étais allée vérifier dimanche, à la demande de monsieur Polani.

Ils m’ont répondu que rien n’interdisait à une personne adulte de s’en aller sans prévenir.

C’était bien là le problème. Jérôme avait des antécédents, sa disparition n’avait rien de véritablement inquiétant pour l’instant. Sauf pour son père évidemment…

— Il avait des copains ?

— C’est plein de jeunes ici, l’été, même en septembre. Des surfeurs.

— Il recevait des visites ?

— J’ai vu des voitures garées plusieurs fois. Mais il n’y avait jamais de bazar, ça se passait bien.

— Des gars et des filles ?

— Sans doute…

Elle ne voulait pas laisser entendre qu’elle passait son temps à épier son locataire. Elle devait le faire pourtant, c’était humain. Tout le monde l’aurait fait dans sa situation. Elle vivait seule, ce n’était pas son chat qui occupait toutes ses journées. Avec une simple route en guise de frontière. C’était facile. Des éclats de voix, un bruit de moteur… Elle les entendait forcément. Elle pouvait se contenter de jeter un coup d’œil à travers le rideau.

Comme tout le monde…

— Une en particulier ? insista Baron.

— Une quoi ?

— Une fille… Une femme. Avez-vous vu Jérôme entrer ou sortir de chez lui avec quelqu’un ?

— Une copine, vous voulez dire ?

Elle secoua la tête.

— Il est présent plutôt dans l’après-midi, pendant sa pause. Il me semble que c’est à ce moment-là que j’ai vu des amis débarquer. Le soir, je suis couchée quand il rentre.

— Et le matin ?

— Je me prépare, je vais faire des courses… Il y avait sûrement des filles dans la bande, mais une en particulier…

Elle grimaça son ignorance.

— Je ne me souviens pas.

Elle avait hésité. Son regard s’était égaré en direction du sol.

— Pourquoi vous me parlez d’une femme ?

— Je ne sais pas…

— J’en ai vu une. Je crois bien que c’était samedi, samedi soir.

Elle redressait la tête. La mémoire lui revenait, le souvenir d’un détail resté coincé dans les méandres d’un cerveau qui ne retenait pas tout.

— Une blonde. Trop âgée pour Jérôme…

— C’est-à-dire ?

— La quarantaine. Elle était en voiture. Elle a sonné et elle a attendu, comme si elle pensait qu’il était chez lui, et elle a fini par partir.

— Vous l’aviez déjà vue ?

— Non…

Baron hocha la tête, marquant sa décision d’en rester là.

— Merci, Madame…

Il se leva, imité par Monique Aillet qui le raccompagna. Il attendit avant de traverser la route. Un groupe de cyclistes pédalait en direction de la pointe, il les regarda s’éloigner, en se demandant à quoi Jérôme occupait ses après-midi, entre le service du déjeuner et celui du dîner. Maître Delijour ne lui avait parlé de rien. Aucune passion, aucun hobby. À deux pas du spot de surf le plus célèbre de Bretagne…

Le commissaire se remit au volant et rattrapa le groupe de randonneurs longeant la baie de Pors Carn. Il roula jusqu’à la pointe de la Torche et se rangea sur le parking presque désert. Le vent faisait onduler l’herbe qui recouvrait les dunes. Il traversa la chaussée avant d’atteindre l’école de surf et pénétra dans le bar-crêperie où il demanda un café. Il n’y avait pas plus de cinq ou six personnes attablées dans la salle, des jeunes pour la plupart.

— Excusez-moi…

On venait de poser une tasse devant lui. Il sortit la photo de sa poche.

— Je suis à la recherche de cet homme, dit-il. Il travaille dans un restaurant de Penmarc’h. Il a disparu depuis près d’une semaine, personne ne sait où il est.

Le patron se pencha, bras largement écartés sur le zinc.

— Vous le connaissez ?

— Il me semble l’avoir déjà vu, admit-il.

Il se décida à saisir le portrait pour mieux le détailler.

— Sa tête me dit quelque chose, jugea-t-il avec une mimique chargée de doute. Vous êtes de sa famille ? … C’est ici que je l’ai vu, dans le bar… Avec une petite bande si je me souviens bien. Pas des touristes, des saisonniers plutôt.

— Récemment ?

Il hésita, rendit le cliché.

— Courant septembre peut-être. La saison est terminée maintenant, la plupart des intérimaires sont repartis. Et nous, on ferme dans quinze jours…

— Vous ne l’avez pas revu au cours de la semaine dernière ?

— C’est plus vieux que ça.

— Et vous vous souvenez s’il y avait des filles dans le groupe ?

— Oh là…

Il fit « plop » avec ses lèvres. Il avait passé trop d’heures à servir les clients sans même les regarder. Trop de précipitation pour pouvoir encore y réfléchir. Des filles ? Ça ne manquait pas à la Torche en juillet-août. Peut-être…

En effet…

— Il me semble…

— Quelqu’un que vous connaissiez ?

L’homme s’était redressé, l’attention déjà concentrée sur autre chose. Il esquissa quelques pas en direction d’un nouvel arrivant, repris par le rythme.

— Vous imaginez le nombre de personnes qui passent ici chaque jour en été ? dit-il en s’éloignant. S’il fallait connaître tout le monde… Salut, Jos. Je te sers quoi ?

— Un demi.

Il se retourna pour tirer sa bière, posa la chope. Revint.

— Vous dites qu’il travaille à Penmarc’h ?

— Au Buveur de Lune.

— Et ils ne l’ont pas vu depuis une semaine ?

Il eut un léger haussement d’épaules. Baron cherchait à croiser son regard.

— Ça arrive, vous savez, dit-il avec l’air de ne pas y attacher d’importance. Avec le boulot de saisonnier… Trois ou quatre mois tout seuls… Les types en ont marre d’être loin de chez eux, ils finissent par s’engueuler, ils savent qu’ils ne reviendront pas…

— Il n’a prévenu personne.

Le barman haussa de nouveau les épaules.

— Ça arrive… répéta-t-il.

Indifférent.

Blasé.

Baron vida sa tasse.

1. Voir Les messes noires de l’île Berder, même auteur, même collection.

III

Le Buveur de Lune…

Restaurant – Traiteur.

Le commissaire s’était arrêté sur la vaste place du maréchal Davout, au pied du phare d’Eckmühl. Le monument dressait ses soixante mètres de granite de Kersanton vers un ciel délavé et purifié de ses nuages noirs. Il ne flottait plus que quelques écharpes de coton derrière lesquelles se cachait le soleil. La clarté renvoyée par l’océan invisible dorait le sémaphore et la vieille tour. La grille, autour du phare, était ouverte.

Il faisait doux. On était en octobre et la terre exhalait encore une senteur de fin d’été, ou seulement un début d’automne, un peu humide. Rien de désagréable, au contraire.

Baron ferma à demi les yeux. Il y avait eu beaucoup de monde ici pendant la saison, la canicule de juillet avait drainé les foules vers les côtes atlantiques, mais tout était redevenu paisible depuis, le ressac marquait inlassablement le rythme des journées, le phare pointait son doigt protecteur en direction de l’azur, fidèle à la mission assignée par sa bienfaitrice2. Sauver des vies pour racheter les morts et tout le sang versé sur les champs de bataille de l’Empire…

Le commissaire avait tout de même une impression de vertige. Il était habité par une sorte d’impatience. En fait, il se demandait tout simplement ce qu’il faisait là, à rechercher un jeune adulte instable qui n’était rien pour lui, et qui avait sans doute choisi de disparaître parce que c’était son droit… Il regrettait maintenant d’avoir accepté cette mission. Il aurait vraiment dû se choisir une île… Il songea qu’il n’était peut-être pas trop tard pour en décider. Personne ne l’attendait, Odile ne rentrerait pas avant deux ou trois jours, fatiguée sans doute de son séminaire parisien…