Maldonne à Redon - Firmin Le Bourhis - E-Book

Maldonne à Redon E-Book

Firmin Le Bourhis

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Beschreibung

Un homme brillant qui faisait trop d'ombre ?

L’ascension sociale sans faille d’un homme particulièrement brillant, Willy Mernel, va s’arrêter avec le terrible accident dans lequel il succombe.
Tragique revers du destin ou machination parfaitement ourdie ?
Le capitaine François Le Duigou et le lieutenant Phil Bozzi vont devoir se glisser dans les coulisses d’un monde de rivalités politiques sans merci, pour faire la lumière sur cette affaire que la haute autorité leur a imposée et qui va prendre un tour de plus en plus dramatique.

S'inspirant de faits réels comme à son habitude, Firmin Le Bourhis plonge ses deux héros fétiches dans une affaire aux multiples rebondissements.

EXTRAIT

Aussitôt après, la nationale descendait à nouveau dans les virages prononcés, voire dangereux, qu’il connaissait bien. Venant en face, de puissants phares l’éblouirent. Sans doute ceux d’un camion. Il fit des appels.
— Le con, mais il va les baisser ses feux ! maugréa-t-il.
Sans succès. À cet instant, il remarqua deux autres puissants feux qui déboîtaient, se plaçaient sur sa propre voie de circulation, bien en face de lui, côte à côte avec les deux autres et l’aveuglaient tout autant…
— Bon Dieu, mais qu’est-ce qu’ils fichent ?
À l’autre bout de la ligne, son épouse entendait ses réflexions avec angoisse. Willy Mernel jura, klaxonna, freina. Mais, à sa vitesse, dans une manœuvre désespérée, il n’eut que le temps de braquer à droite pour éviter le choc frontal avec ce qu’il pensait être deux camions. Ce fut la dernière vision de cet homme avant la violence des secousses qui suivirent. Glissières de sécurité… grilles métalliques… gerbes d’étincelles dans les caténaires… et le choc final en piqué, quelques mètres plus bas, sur une voie ferrée… La communication fut coupée dès le premier contact brutal. Tous les systèmes de sécurité de la voiture venaient de fonctionner, mais le conducteur avait été tué sur le coup…

À PROPOS DE L’AUTEUR

Né à Kernével en 1950, Firmin Le Bourhis vit et écrit à Concarneau en Bretagne. Après une carrière de cadre supérieur de banque, ce passionné de lecture et d’écriture s’est fait connaître en 2000 par un premier ouvrage intitulé Quel jour sommes-nous ?, suivi d’un second, Rendez-vous à Pristina, publié dans le cadre d’une action humanitaire au profit des réfugiés du Kosovo.

Connu et reconnu bien au-delà des frontières bretonnes, Firmin Le Bourhis est aujourd’hui l’un des auteurs de romans policiers bretons les plus appréciés, avec vingt-huit enquêtes déjà publiées. Il est également l’auteur d’essais sur des thèmes médicaux et humanitaires. Ses ouvrages sont tous enregistrés à la bibliothèque sonore de Quimper au service des déficients.

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FIRMIN LE BOURHIS

 

 

 

Maldonne à Redon

 

éditions du Palémon

Z.I de Kernevez

11B rue Röntgen

29000 Quimper

 

DU MÊME AUTEUR

 

Aux éditions Chiron

 

Quel jour sommes-nous ? La maladie d’Alzheimer jour après jour

 

Rendez-vous à Pristina - récit de l’intervention humanitaire

 

Aux éditions du Palémon

 

n° 1 - La Neige venait de l’Ouest

n° 2 - Les disparues de Quimperlé

n° 3 - La Belle Scaëroise

n° 4 - Étape à Plouay

n° 5 - Lanterne rouge à Châteauneuf-du-Faou

n° 6 - Coup de tabac à Morlaix

n° 7 - Échec et tag à Clohars-Carnoët

n° 8 - Peinture brûlante à Pontivy

n° 9 - En rade à Brest

n° 10 - Drôle de chantier à Saint-Nazaire

n° 11 - Poitiers, l’affaire du Parc

n° 12 - Embrouilles briochines

n° 13 - La demoiselle du Guilvinec

n° 14 - Jeu de quilles en pays guérandais

n° 15 - Concarneau, affaire classée

n° 16 - Faute de carre à Vannes

n° 17 - Gros gnons à Roscoff

n° 18 - Maldonne à Redon

n° 19 - Saint ou Démon à Saint-Brévin-les-Pins

n° 20 - Rennes au galop

n° 21 - Ça se Corse à Lorient

n° 22 - Hors circuit à Châteaulin

n° 23 - Sans Broderie ni Dentelle

n° 24 - Faites vos jeux

n° 25 - Enfumages

n° 26 - Corsaires de l’Est

n° 27 - Zones blanches

n° 28 - Ils sont inattaquables

n° 29 - Dernier Vol Sarlat-Dinan

n° 30 - Hangar 21

n° 31 - L'inconnue de l'archipel

n° 32 - Le retour du Chouan

n° 33 - Le gréement de Camaret

 

Menaces - Tome 1 - Attaques sur la capitale

Menaces - Tome 2 - Tel le Phénix

Menaces - Tome 3 - Pas de paradis pour les lanceurs d'alerte

 

 

 

 

 

Retrouvez tous les ouvrages des Éditions du Palémon sur :

 

www.palemon.fr

 

Dépôt légal 4e trimestre 2014

ISBN : 978-2-916248-88-2

 

 

 

 

 

NOTE DE L’AUTEUR :

L’auteur s’empare, comme habituellement, d’une véritable affaire criminelle et, au terme d’une étude approfondie des faits et avec l’aide d’officiers de police judiciaire, en donne une version romancée aussi proche que possible de la réalité…

Un fait réel qu’il transpose dans d’autres lieux pour y bâtir une enquête qu’il livre à votre perspicace lecture…

 

 

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

 

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70 - Fax : 01 46 34 67 19 - © 2014 - Éditions du Palémon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

 

À l’office du Tourisme de Redon

et, notamment, Aurélie et Kristine.

 

À Pascal Vacher, Officier de Police Judiciaire,

qui m’apporte toujours

les renseignements nécessaires à l’orthodoxie

du déroulement des enquêtes policières.

 

À la compagnie de gendarmerie de Redon.

 

Au restaurant Le Théâtre à Redon.

 

À l’Hôtel Asther à Redon.

 

À l’Office de Tourisme de Rochefort-en-Terre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toute méchanceté vient de faiblesse ;

L’enfant n’est méchant que parce qu’il est faible ;

Rendez-le fort, il sera bon :

Celui qui pourrait tout ne ferait jamais de mal.

 

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

 

 

 

Chapitre 1

Vendredi soir, 5 février 2010.

Willy Mernel venait de s’exclamer en regardant sa montre : « Déjà dix-neuf heures ! » Plus de temps à perdre. À cette heure, le personnel avait déserté les locaux depuis déjà deux heures en cette fin de semaine. Il était le dernier à quitter son entreprise et devait, impérativement, être à vingt heures trente à Redon. Sa belle-famille l’attendait pour dîner. Il ne cessait d’y penser et cachait mal son impatience à tel point qu’il en devenait nerveux. Tant de décisions seraient prises avec son beau-père au cours de ce repas…

Cette soirée allait finaliser son premier grand pas en politique. Commencer cette carrière par les dernières régionales dans cette configuration avant la grande réforme nationale était déjà tout un enjeu, un nouveau challenge, ce qui n’était pas pour lui déplaire, bien au contraire. Dans la vie, ne les avait-il pas tous réussis jusque-là ? À quarante ans, en pleine force de l’âge, se retrouver sur le devant de la scène, en tête de liste, le réjouissait au plus haut point.

En quittant sa société située dans la zone de Troyalac’h toute proche de la voie express, près de Quimper, il devait, d’abord, passer par Rosporden pour déposer dans une entreprise un lot de pièces que l’un de ses ouvriers avait chargé dans le coffre de sa voiture. Son client venait d’ailleurs de l’appeler et il lui avait donc confirmé qu’il s’en allait. Son donneur d’ordres s’impatientait, sa grande société rospordinoise travaillant en deux/huit, il devait profiter du court répit de la nuit et du week-end pour procéder au changement des pièces qu’il attendait et effectuer sa maintenance afin d’être opérationnel dès le démarrage de la première équipe, très tôt lundi matin. Willy savait bien que ce petit détour ne lui prendrait pas beaucoup de temps, ce n’était pas la première fois qu’il agissait ainsi. Il ne traînerait pas et ensuite, il filerait pour rejoindre la voie express au niveau de Kérampaou. Mais, dans sa tête, il était déjà à Redon, en discussion avec son beau-père auquel il devait tant.

À présent, sa puissante voiture roulait à vive allure sur la nationale et abordait l’entrée de Saint-Yvi à une vitesse, certes excessive, mais pas de radar ni d’uniforme de la gendarmerie en vue… Il traversa le centre de la bourgade, sans se soucier de son compteur, il n’y avait, heureusement, ni circulation ni animation à cette heure. À dix-neuf heures treize, la voiture dévalait déjà la descente de la sortie de ville à plus de cent vingt kilomètres à l’heure. Personne devant… ni derrière bien sûr, et pour cause… Il remarqua à peine, à un kilomètre de là, dans le faux plat qui suivait, sur le côté droit, à un embranchement de route, une personne vêtue d’un gilet jaune fluo, car il téléphonait, à cet instant, à son épouse pour lui indiquer qu’il était sur la route du retour, qu’elle ne s’inquiète pas, il serait bien à la maison à l’heure prévue…

Aussitôt après, la nationale descendait à nouveau dans les virages prononcés, voire dangereux, qu’il connaissait bien. Venant en face, de puissants phares l’éblouirent. Sans doute ceux d’un camion. Il fit des appels.

— Le con, mais il va les baisser ses feux ! maugréa-t-il.

Sans succès. À cet instant, il remarqua deux autres puissants feux qui déboîtaient, se plaçaient sur sa propre voie de circulation, bien en face de lui, côte à côte avec les deux autres et l’aveuglaient tout autant…

— Bon Dieu, mais qu’est-ce qu’ils fichent ?

À l’autre bout de la ligne, son épouse entendait ses réflexions avec angoisse. Willy Mernel jura, klaxonna, freina. Mais, à sa vitesse, dans une manœuvre désespérée, il n’eut que le temps de braquer à droite pour éviter le choc frontal avec ce qu’il pensait être deux camions. Ce fut la dernière vision de cet homme avant la violence des secousses qui suivirent. Glissières de sécurité… grilles métalliques… gerbes d’étincelles dans les caténaires… et le choc final en piqué, quelques mètres plus bas, sur une voie ferrée… La communication fut coupée dès le premier contact brutal. Tous les systèmes de sécurité de la voiture venaient de fonctionner, mais le conducteur avait été tué sur le coup…

Quelques instants après, le TER, venant de Rosporden, freinait à son tour de toute sa puissance, mais, malgré tous les efforts du conducteur, la locomotive diesel vint heurter le véhicule immobilisé pratiquement à la verticale sur la voie. Ses réflexes et la ligne droite qui précédait le point d’impact lui avaient permis d’éviter le pire. La locomotive ne fit que pousser sur quelques mètres le véhicule en terminant sa course, évitant le déraillement de la motrice lors de l’arrêt final. Bien que sous le choc, le conducteur alerta immédiatement la gare de Quimper pour éviter, à tout prix, une nouvelle collision et pour prévenir les secours, si cela n’avait pas été fait, car il n’y avait personne sur les lieux du drame qui venait sans doute de se produire, du moins le pensait-il.

À Redon, une femme éplorée, Martine Mernel, tentait vainement de rappeler son époux. Sans succès. Où se trouvait-il ? Que s’était-il passé ? Extrêmement angoissée, elle appela son père, Charles de La Guichardaie, qui habitait non loin de chez elle, pour lui faire part de ce qu’elle venait de vivre en direct.

 

Chapitre 2

Mardi 9 février 2010.

Toute la journée du lundi, le temps s’était montré menaçant et la météo l’avait bien annoncé : « Risque de forte neige sur les quatre départements bretons. » Mais il n’en fut rien. Elle arriva le mardi.

Effectivement, une averse de neige habillait Quimper de sa blancheur immaculée, même si le ciel restait plombé et fuligineux. L’hiver ne voulait pas en finir cette année, c’était la quatrième vague de froid en quelques mois.

Malgré les difficultés de circulation, Phil, toujours en avance, venait de se servir un café à la machine et en avait profité pour en prendre un à François qui ne tarderait pas. Comme chaque début de semaine, les actualités servaient de support aux discussions entre collègues : des championnats de football aux derniers potins politiques sur la composition des listes pour les régionales en passant par l’évolution du terrible dossier sur le tremblement de terre de Haïti, sans oublier des sujets comme l’identité nationale, la retraite ou encore le scandale du vaccin de la grippe A…

François arriva à cet instant en secouant son manteau pour en ôter les flocons de neige qui se transformaient rapidement en eau.

— Heureusement que nous ne sommes pas trop loin de la mer, car je viens d’entendre à la radio qu’en Centre-Bretagne, du côté de Carhaix, la circulation est bloquée par la neige !

— Ici, elle ne tiendra pas… Tiens, voici une tasse de café qui va te réchauffer ! Alors, ce week-end ? lui demanda Phil, tout en se dirigeant vers leurs bureaux.

— J’étais avec mes amis de Concarneau et nous avons participé à la solidarité à Haïti… Toujours pour restaurer le bateau, Breizh Da Viken, cette fois, les gars font fort, ils viennent d’obtenir l’aide du « Grand Louis » !

— Du « Grand Louis » ? s’interrogea Phil.

— Ben oui, le précieux soutien de l’ancien ministre, Louis Le Pensec. Il va user de sa double légitimité - ancien ministre et aussi président de l’association des communes et régions d’Europe - pour ce fileyeur lorientais « sorti de pêche ». Je crois que l’association Solidarité-Pêche tient le bon bout ! L’objectif étant d’appareiller pour Haïti, en mai prochain…

— Là, l’association a le vent en poupe !

— Oui, il vaut mieux, d’autant qu’ils pensent s’aider d’une voile pour économiser du carburant pendant le trajet… La principale difficulté en matière de solidarité n’est pas d’agir dans la spontanéité générée par les événements du moment, mais de la faire durer ! C’est le cas de Solidarité-Pêche, elle œuvrait pour Haïti bien avant le tremblement de terre…

— Tu connaissais le type qui a eu un accident entre Saint-Yvi et Rosporden, vendredi soir ?

— Non. Il semblerait qu’il ait fait un sacré vol plané… J’ai lu qu’il était seul dans sa voiture et a été tué sur le coup. Il n’a pas eu de bol tout de même, juste au niveau d’un pont de chemin de fer… les trains n’ont pu rouler normalement qu’à partir de samedi matin, semblerait-il…

Ils reprirent leur place au bureau et le fil des affaires en cours, peu importantes depuis celle de Roscoff. Presque de la routine. Mais, vu le temps, ils ne regrettaient rien.

Dehors, la neige venait de cesser et une lumière commençait tout juste à percer le ciel gris et épais. Son mug de café à la main, le commissaire, Yann Le Godarec, se présenta à l’entrée du bureau. Il salua Phil et François et, sans dire un mot, s’installa sur un siège, après avoir pris la précaution de fermer la porte derrière lui, ce qui n’était pas du tout dans ses habitudes. Il paraissait ennuyé. Les deux OPJ1 se demandèrent ce qu’il allait leur annoncer ou demander ; visiblement, rien de réjouissant…

Un lourd silence de quelques secondes qui parurent une éternité, après deux gorgées de café et un raclement de gorge, Yann Le Godarec s’exprima :

— À l’instant, je viens d’avoir un appel du procureur…

— Et alors ? s’impatienta François, curieux de savoir où allait mener cette entrée en matière.

— Voilà… Il voudrait vous confier une enquête, disons, un peu particulière. Ne sachant sans doute comment présenter les faits, il s’accorda quelques secondes supplémentaires, en tournant la tête pour regarder à l’extérieur par la fenêtre, avant de revenir vers eux et de poursuivre : vous avez peut-être appris dans le journal l’accident qui s’est produit vendredi soir, sur la route entre Saint-Yvi et Rosporden ?

— Oui, on en parlait justement tout à l’heure.

— Eh bien, le chauffeur de la voiture a été tué… Son beau-père, franc-maçon, est membre de la même obédience que notre procureur. Bref, ils sont frangins, quoi… Ils font aussi partie de la même mouvance politique et ont occupé des fonctions importantes dans diverses associations caritatives dans la région Bretagne. Autant dire qu’ils sont très liés et ne peuvent rien se refuser…

— Oui, et alors ? demanda François.

— Le beau-père, un certain Charles de La Guichardaie, notable habitant Redon, a demandé au procureur de diligenter une enquête car il se refuse à croire à un accident de la circulation. Vous n’ignorez pas que nous n’aimons pas trop négliger les gens qui portent des noms à rallonge…

— Ce n’est pas notre domaine d’action. J’imagine que la gendarmerie doit s’en occuper… rajouta alors Phil.

— Oui, ils ont certainement fait le nécessaire, mais le procureur veut que nous allions plus loin et enquêtions pour vérifier qu’il n’y ait pas autre chose derrière. Pour reprendre les termes de notre procureur, il vient de me dire ceci, je cite : « nous avons sur les bras une enquête que nous aimerions voir discrètement menée et rapidement oubliée si, toutefois, nous ne découvrions rien et, pour cela, je vous charge de mettre deux bons OPJ sur le coup… » Je peux vous dire que sa voix était plus forte et le ton plus pressant que d’habitude.

Ils étaient tous les trois embarrassés, s’épiant du regard. Face à ce silence pesant, le patron rajouta :

— Le procureur veut que vous preniez cette affaire, disons délicate, car le beau-père est persuadé qu’il s’est passé quelque chose…

— Pourquoi nous ?

— Il veut des OPJ efficaces, discrets, passionnés… qui fouillent et n’abandonnent jamais… et, pour tout vous dire, il m’a cité vos deux noms… Que voulez-vous, c’est la rançon de la gloire ! tenta-t-il de rajouter pour décrisper la situation.

Ce qui laissa de marbre les deux OPJ, même si leur ego devait sans doute être sensible à cette marque d’estime.

Yann Le Godarec continua :

— Je bascule les dossiers que vous suivez en ce moment à vos collègues et j’espère que, lorsque vous aurez tout repris auprès de la gendarmerie et vérifié chaque point, vous serez rapidement libérés, car je n’aimerais pas vous enliser dans une affaire de longue durée et éloignée de Quimper, en raison de nos besoins dans le service… Il va de soi que vous travaillerez sur commission rogatoire avec extension de compétence !

François se saisit de son bloc-notes sur lequel il inscrivit la date et le lieu de l’accident et demanda :

— D’autres détails que nous devrions connaître ?

— Non… répondit le patron. Comme je viens de vous le dire, je sais seulement qu’il s’agit d’un accident de la route.

Le patron savait que ses deux hommes seraient prêts à aller jusqu’au bout, dès lors qu’ils mettraient les dents dans cette affaire, et ce, quelles que soient les conditions pour réussir leur mission. Phil s’était levé, avait quitté le bureau pour revenir quelques instants plus tard avec le Télégramme et Ouest-France qui relataient l’accident. Il découpa les articles.

François revint à la charge :

— Et donc, qu’a-t-on d’autre qui justifierait cette enquête ?

— Je ne sais rien de plus que ce que vous pourrez découvrir dans la presse. Je vous invite à prendre contact avec la compagnie de gendarmerie qui s’est chargée de cet accident…

« Piquer » une affaire à la gendarmerie était toujours délicat et autant dire que Phil et François détestaient ce genre de situation car ils travaillaient avec eux en parfaite intelligence et, habituellement, ce n’était pas leur manière d’agir. Généralement, sur le terrain, ils savaient trop qu’aucun ne voulait, de gaieté de cœur, céder son affaire à quiconque. Mais, comme la décision venait du procureur, ils n’avaient qu’à obtempérer…

Le patron détacha son regard de celui de ses OPJ, considéra son mug de café qui devait être froid et se leva.

— Je sais que je peux compter sur vous. J’appelle le procureur pour lui annoncer que vous prenez l’affaire… Vous voyez avec la gendarmerie et vous me tenez au courant.

Il se leva et quitta le bureau en refermant la porte derrière lui.

Un silence s’installa. Phil et François se regardèrent, étonnés, détestant ces formules où l’amabilité devenait ordre, privilège des patrons… Ils se plongèrent tour à tour dans les articles de presse, tout en notant sur leur carnet les questions qu’ils poseraient lors de leur prochain entretien avec la gendarmerie. Quelques instants après, ils échangèrent, mais le bilan leur parut vite fait et plutôt maigre. François s’exprima le premier :

— Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir dans cette affaire. La voiture est récente, haut de gamme, le véhicule roule seul sur la route… En dehors d’un type distrait par le téléphone ou autre chose, je ne vois pas.

— Peut-être un problème technique ou électronique sur ce genre de voiture bardée d’informatique ?

— Dans ce cas, une opération de bras de fer s’imposerait contre le constructeur et cela ne serait pas une mince affaire ni de notre ressort !

— Oui, mais en dehors de ça, je ne vois pas ce qui aurait pu interférer… Nous examinerons la question avec nos collègues : état de santé du chauffeur, alcoolémie éventuellement, somnifères ou autres médicaments. Mais, je ne crois pas que nous pourrons accomplir des miracles, rien de plus ni de mieux qu’eux sans doute…

 

*

 

Dans l’heure qui suivit, Phil et François arrivaient à la gendarmerie chargée de cet accident. Le capitaine, Jannick Rieux, les reçut fort aimablement. Il leur offrit un sourire à la Kennedy en leur tendant la main. Le contact fut franc et cordial. François évita la langue de bois et exposa très clairement les faits et la raison de leur visite. Il voulait jouer la transparence. Les trois hommes se connaissaient bien, pour avoir travaillé à plusieurs reprises ensemble sur différentes affaires, et cela se reproduirait certainement encore à l’avenir, dans un sens ou dans l’autre…

François aborda le sujet le premier :

— Vous avez des éléments sur la nature ou la cause précise de l’accident ?

— Non. Pas vraiment…

Le capitaine leur expliqua alors ce qui avait été constaté :

— Côté véhicule, nos experts n’ont rien découvert de particulier, pas de freins trafiqués ni d’usure anormale, pas d’anomalie sur l’accélérateur, le stabilisateur de vitesse n’était pas actionné, pas de problème non plus côté direction, bref, rien qui puisse laisser un doute quant à la nature de l’accident. Pour ce qui est du bloc électronique, ils doivent examiner la question avec le constructeur, il nous faut son accord et son intervention avec des appareils spéciaux pour le lire car nous ne possédons pas ce type de matériel. Le véhicule est récent, parfaitement entretenu, avec un faible kilométrage, enfin, vous voyez…

— J’imagine, rien de ce côté-là. Et le chauffeur ?

— J’ai reçu les résultats d’autopsie ce matin, pas d’arrêt cardiaque préalable ni de malaise, pas la moindre trace d’alcool, de drogue ni de médicaments, pas de fatigue au volant. Il téléphonait à sa femme au moment même de l’accident, il n’y a que la distraction et la vitesse qui pourraient expliquer la situation.

— Y a-t-il des témoins suivant, croisant ou précédant le véhicule ?

— Non. Personne. Rien non plus dans le voisinage. Depuis l’ouverture de la voie express, cette route est nettement moins fréquentée. Nous sommes arrivés en même temps que les pompiers mais, si ce n’était sécuriser la circulation, il n’y avait rien à faire. Le véhicule a été rapidement enlevé car il fallait éviter des conséquences sur la circulation routière et, surtout, rétablir les installations ferroviaires au plus vite. C’est un accident tragique, certes, mais banal quant à son déroulement… Pour nous, c’est simple, vitesse excessive, faute d’inattention, coup de frein en descente dans un virage, mais trop tard, perte de contrôle, la voiture est partie dans le décor. Manque de chance que cela se soit produit à cet endroit, avec cette ligne de chemin de fer en contrebas, mais contre un mur ou un arbre, le résultat aurait été le même…

— Avez-vous lancé un appel à témoins dans les médias ?

— Non, pas pour l’instant.

— Où se trouve la voiture ?

— À la concession à Quimper, parquée à l’abri dans un endroit où nous avons établi un périmètre de sécurité. Les spécialistes disposent de tout un ensemble de sacs contenant des mises sous scellés avec différents éléments recueillis sur place ou dans le véhicule. Êtes-vous allés sur les lieux de l’accident ?

— Non, pas encore, nous voulions d’abord vous rencontrer.

— Je vais vous donner, dans ce cas, un double de tous les plans établis par mes collègues avec les rapports sur le freinage, la course du véhicule et tout ce qui a été effectué, pas la peine de faire deux fois le même travail… Il appela un subordonné afin que celui-ci prépare toutes les pièces à remettre à Phil et François, puis il reprit la conversation : pour moi, pas de problème que vous enquêtiez, je reste à votre disposition pour échanger si vous le souhaitez. Je ne vais certainement pas vous emmerder si vous prenez la suite de l’affaire ! Nous sommes en sous-effectif dans le moment et tout ce mois-ci. Je dois vous avouer que je ne suis pas mécontent que vous en héritiez, car j’ai l’impression que, du côté de Redon, la famille fait le forcing autour de cet accident qui reste, je vous l’ai dit, malheureusement pour eux, terriblement courant et classique…

— Quelqu’un s’est-il rendu à Redon ?

— Non. Nous avons informé nos collègues de la gendarmerie de cette ville, mais nous attendions d’obtenir tous les résultats.

— Auriez-vous remarqué quelque chose de particulier sur le lieu de l’accident ?

— Non, rien, même pas sur la route, en dehors des marques de pneus laissées par ce véhicule. Aucune trace en face ni sur la berme de l’autre côté. Et, ce n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, une scène de crime et donc aucune précaution n’a été prise face à l’urgence d’enlever la voiture, de remettre la ligne de chemin de fer en activité et de sécuriser l’endroit, autant dire qu’il y a des dizaines de personnes qui ont travaillé sur place, sans compter les engins de levage et de remorquage utilisés pour dégager les lieux… Je sais ce que vous pensez, il aurait fallu prendre le temps, mais le temps, on n’en a pas eu…

Phil et François acquiescèrent d’un signe de tête. Au vu de ce qu’ils venaient d’apprendre, ils avaient envie d’en rester là avec le capitaine et d’empoigner rapidement cette affaire. Ils savaient qu’ils pouvaient disposer de tous les plans et des rapports des constatations de la gendarmerie. Pour le reste, tout était à faire… Ils prirent, avant de partir, tous les travaux réalisés par la gendarmerie que l’on venait de déposer sur le bureau du capitaine.

 

*

 

Ils se rendirent à la gare, question de se restaurer rapidement et d’encrasser un peu leurs artères… Ils mangèrent leur sandwich tout en discutant de cette nouvelle affaire, se posant surtout des questions, à défaut d’ébaucher des réponses.

La première visite fut pour le concessionnaire. Le directeur les conduisit au véhicule. Grand, élégant, cheveux gris peignés en arrière, l’homme possédait quelque chose de l’allure d’un ancien premier ministre qui avait quelques démêlés avec la justice suite à une curieuse affaire de listing et de faux documents et qui aurait aimé rentrer dans le jeu politique en vue de prochaines échéances nationales…

Ils découvrirent ce qu’il restait du véhicule écrasé de tous les côtés. Le directeur leur précisa :

— Tous les systèmes de sécurité dont est équipé ce type de voiture, ont parfaitement fonctionné, mais en cas de choc terrible et de vitesse excessive, même les meilleurs véhicules ne peuvent pas tout…

— Cinquante pour cent des problèmes techniques qui surviennent sur des voitures haut de gamme comme celle-ci, sont du domaine informatique, notamment sur l’ordinateur de bord. N’aurait-elle pas rencontré, je ne sais pas, disons des ondes radars, qui, cumulées au téléphone portable et à la ligne haute tension du chemin de fer, auraient créé un parasitage et une erreur de correction de trajectoire et, par conséquent, rendu le véhicule incontrôlable ?

— Non. Cela ne s’est encore jamais produit sur un seul de nos véhicules…

— Ce qui n’exclut pas l’exception… Vous savez bien qu’en France, le principe est de mettre en cause, en premier, le conducteur : vitesse excessive, non-respect du code de la route, parfois alcoolisation, tout ceci afin d’éviter d’engager la responsabilité du constructeur et de reconnaître une éventuelle défaillance technique. C’est tellement plus facile d’incriminer le conducteur plutôt que le constructeur. Chacun se souvient pourtant, par exemple, des procès intentés à l’encontre d’un autre constructeur, il y a quelques années…

— Je comprends et j’ai d’ailleurs informé la direction nationale du groupe qui veut faire toute la lumière dans cette affaire. Hélas, après un accident, les véhicules ne peuvent pas toujours livrer leurs secrets. Il n’existe pas encore de véritable boîte noire, même dans ce type de véhicule haut de gamme, cela viendra peut-être un jour…

— Sachez que nous ne cherchons aucunement à vous incriminer personnellement, vous êtes notre interlocuteur sur place, aussi, est-il normal que nous vous questionnons. Dans le cas d’un dysfonctionnement électronique ou informatique, ce sont les trois ou quatre dernières secondes qui sont déterminantes. Les conclusions n’auront peut-être rien à voir avec les causes de l’accident, mais nous devons tout vérifier…

— Le constructeur jouera la transparence totale avec vos spécialistes, soyez en sûrs ! La sécurité des véhicules s’est considérablement améliorée ces dernières années, notre constructeur en fait sa priorité. Il y avait dix-sept mille morts par an dans les accidents de la route, dans les années soixante-dix, aujourd’hui, on en compte quatre mille environ, l’amélioration de la sécurité sur les véhicules y est certainement pour quelque chose. Sachez que nos modèles les plus sophistiqués disposent de plus d’informatique embarquée qu’une Caravelle dans les années soixante !

Ils lui posèrent encore quelques questions, tout en n’espérant plus glaner grand-chose auprès de leur interlocuteur. Ils prirent congé et se rendirent sur le lieu de l’accident.

Il leur fallait reconstituer le dernier parcours de la voiture accidentée dans le but de bien se l’approprier. Ils se présentèrent discrètement, en s’arrêtant quelques secondes seulement devant la société spécialisée en pièces de précision de Willy Mernel, dans la zone industrielle de Troyalac’h, puis se dirigèrent vers le lieu du drame. Ils voulaient vérifier la distance et le temps de route. Le temps s’éclaircissait de plus en plus et la neige n’avait pas tenu au sol, à présent humide et luisant.

Leur Mégane banalisée traversa le bourg de Saint-Yvi, puis deux kilomètres plus loin, juste avant l’endroit exact, ils se garèrent dans une petite route qui montait vers deux lieux-dits. Des chiens hargneux aboyèrent dans une des propriétés qu’ils apercevaient à peine entre les arbres. Feux de détresse allumés, ils descendirent à pied jusqu’au pont qui enjambait la voie de chemin de fer. Ils consultèrent les documents en leur possession, le circuit emprunté par la voiture semblait parfaitement clair sur les croquis, la gendarmerie avait parfaitement fait son travail, rien ne leur sautait aux yeux.

Néanmoins, au vu de la courbe de la route et si c’était la force centrifuge du véhicule, provoquée par l’excès de vitesse, qui était la cause de l’accident, Phil et François déduisirent que le chauffeur avait dû donner un sérieux coup de volant sur la droite comme pour éviter un obstacle, sinon, la voiture se serait plutôt déportée naturellement vers la gauche… Au pire, il aurait pu partir en zigzaguant sur la route et rattraper la direction de son véhicule avant le virage à droite, juste après le pont…

Ce point intriguait les deux OPJ, mais n’expliquait rien. Une distraction en téléphonant tout en conduisant pouvait parfaitement valider l’hypothèse de la gendarmerie. Le garde-fou et les grilles placées derrière pour protéger la ligne ferroviaire étaient disloqués et des bandes plastifiées en interdisaient l’approche. Il arrive que des lieux, témoins de tragédie, en gardent des cicatrices, mais, le plus souvent, lorsque les choses reviennent à la normale, il faut un œil exercé pour les apercevoir. Ici, le parcours effectué par la voiture restait parfaitement visible et ne faisait aucun doute. Malgré le rétablissement des lignes électriques et la sécurisation de l’endroit, on distinguait clairement l’itinéraire emprunté par la voiture. Ils descendirent sur la voie de chemin de fer et constatèrent la chute effectuée en fin du parcours, mais ne découvrirent rien de particulier qui puisse les surprendre ou les interroger. Ils regagnèrent leur véhicule après s’être bien imprégnés des lieux.

Un homme âgé, s’aidant d’une canne, descendait la route en marchant vers eux. Il s’arrêta à leur hauteur. Ils échangèrent quelques mots et la conversation se porta immédiatement sur le tragique accident. L’homme ne demandait qu’à parler. Il leur dit qu’il devait être environ dix-neuf heures quinze, car il regardait depuis quelques minutes les informations régionales, sur France 3 précisa-t-il, lorsqu’il avait entendu le coup de frein et le bruit épouvantable du choc, sans doute lorsque la voiture avait quitté la route, mais rien de plus… Puis quelques instants plus tard, le crissement strident des freins d’un train et le nouveau choc…

C’est son voisin, bien plus jeune que lui, qui avait averti les pompiers au même moment que le conducteur de la locomotive. Les secours étaient arrivés sur les lieux moins d’une demi-heure après. Presque tous les voisins du quartier étaient alors venus voir… Ils n’apprirent rien de plus que ce qui figurait dans les rapports de gendarmerie.

Ils reprirent la direction de Quimper et regagnèrent leur bureau. Le plus urgent, à leurs yeux, était de lancer un appel à témoins afin d’obtenir la moindre information de quiconque ayant emprunté cette route nationale, le vendredi soir, entre dix-neuf et vingt heures… Ensuite, ils devaient examiner dans le détail les éléments remis par la gendarmerie et prendre rendez-vous avec l’épouse de Willy Mernel, ainsi qu’avec son père, Charles de La Guichardaie…

Avant même qu’ils ne se rendent voir le patron, ce dernier, impatient, avait appris leur retour et s’était empressé de venir recueillir leur première impression sur la façon dont se présentait l’affaire, montrant ainsi tout l’intérêt qu’il portait à ce dossier.

Plusieurs questions le préoccupaient : tout d’abord, comment s’était déroulée la rencontre avec la gendarmerie ? Ensuite, quel était leur sentiment sur le véhicule et l’entretien avec le concessionnaire automobile quant aux éventuelles défaillances techniques ? Avaient-ils pu se rendre sur les lieux de l’accident ? Qu’avaient-ils remarqué, à cette occasion ?

Sur tous les points, François se montra rassurant tout en adoptant, dans un premier temps, le ton de la plaisanterie :

— Aucun élément, surmonté d’un panneau « indice » n’a jailli devant nos yeux en dansant. La voiture non plus ne s’est pas montrée plus coopérative ni bavarde…

Puis il redevint sérieux, il savait pertinemment que le procureur devait aussi attendre des réponses de la part de leur patron. Ce dernier leur accorda immédiatement la requête pour lancer un appel à témoins dans tous les médias locaux, journaux, radios, télévision régionale, et se montra rassuré de cette prise en main de cette enquête.

Il demanda à Phil et François de se rendre à Redon, dès le lendemain, afin de rencontrer l’épouse et le beau-père, ce qui permettrait aussi de faire dégonfler la bulle d’inquiétude qui semblait grossir du côté du procureur et d’en savoir un peu plus sur les raisons des doutes du beau-père dans cette affaire.

Joël Le Traon2 fut chargé de coordonner tous les éléments de cette affaire et de gérer l’unité spéciale mise en place pour recueillir les témoignages qui ne manqueraient pas d’arriver.

1. Officier de Police Judiciaire.

2. Voir La Demoiselle du Guilvinec, même auteur, même collection.

 

Chapitre 3

Mercredi 10 février 2010, matin.

Il faisait encore nuit quand ils quittèrent la ville de Quimper pour rejoindre la voie express en direction de La Roche-Bernard. Pas de neige ce matin, mais toujours un froid persistant et bon nombre d’automobilistes, dont les véhicules devaient rester dehors, avaient dû gratter leurs vitres avant de prendre la route.

Par endroits, entre Lorient et Vannes, une forte gelée blanche recouvrait les champs et les arbres, attendant de fondre aux premiers rayons du soleil qui ne tarderaient pas ; le ciel s’annonçait clair et dégagé.

Ils sortirent à la hauteur de La Roche-Bernard pour prendre la direction de Saint-Dolay et Redon. Cette dernière ville se situe en Ille-et-Vilaine mais au carrefour de trois départements dont le Morbihan et la Loire-Atlantique.

Le pont de Cran en Saint-Dolay, un bel ouvrage de génie civil, enjambe la Vilaine. Une partie du pont se soulève pour laisser passer les bateaux sur le cours d’eau très fréquenté par la navigation de plaisance entre Redon et la mer ; autrefois, c’était une importante voie navigable commerciale. Au pied du pont, le long de la berge, L’Auberge du Passeur propose sa gastronomie dans un cadre agréable.

La route file dans un plat pays de marais avant qu’on aperçoive au loin la ville de Redon.

Ils traversèrent d’abord la zone commerciale d’Aucfer puis, après avoir longé le boulevard d’Armorique, débouchèrent sur le quai Surcouf dans le quartier du vieux port et eurent l’agréable plaisir de découvrir le bassin à flot ainsi que le port de plaisance. D’un côté, parfaitement alignés, de superbes voiliers et des vedettes à moteur se tenaient prêts pour le loisir de leurs heureux propriétaires et, de l’autre, le long du Musée de la Batellerie et d’un cinéma, aux allures délibérément modernes, d’anciennes péniches, des chalands et quelques vestiges d’un remorqueur de l’US Navy somnolaient paisiblement. Passé et présent coexistaient.

La voix mélodieuse du GPS les invita à se rendre en centre-ville, cœur historique de la cité, en empruntant la rue des Douves jusqu’au rond-point puis, après être passés sous le pont de chemin de fer, la rue Maréchal Foch. Sur leur droite, le très beau bâtiment de la Mairie jouxtait l’abbatiale Saint-Sauveur. Déjà la rue redescendait vers le boulevard de la Bonne-Nouvelle. À l’extrémité, dans une impasse, résidait la famille de monsieur et madame Mernel. La Vilaine longeait le boulevard, sur leur droite. Ils laissèrent sur leur gauche le conservatoire de musique et une résidence collective récente et remarquablement située, pour entendre, un peu plus loin, leur GPS leur annoncer qu’ils arrivaient à destination.

La famille occupait, sur les hauteurs surplombant la vallée de la Vilaine, une maison de caractère. Ils sonnèrent au portail métallique qui s’ouvrit automatiquement et garèrent leur voiture dans le petit parc entourant la demeure, au pied d’un arbre séculaire.

Une femme, tout de noir vêtue, apparut à la porte de la maison. Ils gravirent rapidement les deux ou trois marches et se présentèrent. Elle les invita aussitôt à entrer. Après avoir traversé le hall, ils la suivirent dans une grande pièce, salon-séjour, située de l’autre côté et dont les hautes fenêtres offraient une vue imprenable sur la Vilaine et une vaste plaine.

Ils furent installés dans le canapé en cuir du salon tandis qu’elle prenait place dans un fauteuil en face d’eux. Le silence régna pendant que Phil lançait son ordinateur. François considéra discrètement cette femme. La douleur émanant de son visage fermé était vive. Elle dégageait plus une impression de force que de fragilité et de grâce. Elle n’avait rien des canons de la beauté, mais une allure quelconque, bien qu’elle ne fût pas laide.

Grande, plutôt mince, ses cheveux noirs étaient courts et méchés, ses yeux marron, rougis par le chagrin, semblaient hantés… Ils allaient d’un point à un autre, au hasard, sans jamais s’arrêter. Elle avait les traits tirés. Son nez avait certainement abusé de mouchoirs jetables durant ces derniers jours. Elle n’avait pas dormi, rongée sans doute, en plus de la perte d’un être cher, par la pression intolérable du doute. Les ridules au coin de ses yeux et de sa bouche laissaient penser qu’elle avait bien entamé la quarantaine. Au moment où Phil lui demanda de décliner son identité, elle fit glisser son regard vers eux et s’exécuta mécaniquement.