Embrouilles briochines - Firmin Le Bourhis - E-Book

Embrouilles briochines E-Book

Firmin Le Bourhis

0,0

Beschreibung

Le côté obscur de Saint-Brieuc...

Un banal accident de chantier survenant à Quimper va propulser le capitaine François Le Duigou et le lieutenant Phil Bozzi dans la capitale des Côtes d’Armor.
À Saint-Brieuc, confrontés à une sombre affaire de travailleurs immigrés clandestins, ils se heurtent rapidement à quelques notables de la ville en relation avec des personnages interlopes...

Pour certains, les rebondissements de cette affaire feront surgir les fantômes du passé et mèneront à un dénouement bien imprévisible !

EXTRAIT

— Un type qui s’est cassé la gueule d’un échafaudage… a priori mal monté…
— Mal monté, l’échafaudage ? demanda Phil.
— Il semblerait, à moins que ce ne soit un problème technique… alors… vous prenez ou je passe le dossier à côté ?
— Dis François, qu’en penses-tu ? demanda Phil, puis se ravisant, il se tourna vers le patron. Cela fait combien de temps que l’accident s’est produit ?
— Moins d’une demi-heure. J’ai demandé à un binôme en tenue de se rendre sur place pour délimiter le périmètre de sécurité.
— OK, on prend, répondit alors François qui se leva au même moment pour saisir la feuille des mains du patron et commencer à ranger les dossiers éparpillés devant lui.
Finalement, en quittant le bureau, ils se dirent qu’ils avaient saisi cette enquête pour, simplement, changer d’air, quitter les locaux administratifs et la paperasse, car rien ne laissait supposer que, derrière ce malheur, il puisse y avoir matière à une investigation poussée et puis, une enquête sur un chantier les changerait de leurs habitudes.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Né à Kernével en 1950, Firmin Le Bourhis vit et écrit à Concarneau en Bretagne. Après une carrière de cadre supérieur de banque, ce passionné de lecture et d’écriture s’est fait connaître en 2000 par un premier ouvrage intitulé Quel jour sommes-nous ?, suivi d’un second, Rendez-vous à Pristina, publié dans le cadre d’une action humanitaire au profit des réfugiés du Kosovo.

Connu et reconnu bien au-delà des frontières bretonnes, Firmin Le Bourhis est aujourd’hui l’un des auteurs de romans policiers bretons les plus appréciés, avec vingt-huit enquêtes déjà publiées. Il est également l’auteur d’essais sur des thèmes médicaux et humanitaires. Ses ouvrages sont tous enregistrés à la bibliothèque sonore de Quimper au service des déficients.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 319

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

 

 

 

 

FIRMIN LE BOURHIS

 

 

 

Embrouilles briochines

 

éditions du Palémon

Z.I de Kernevez

11B rue Röntgen

29000 Quimper

 

DU MÊME AUTEUR

 

Aux éditions Chiron

 

Quel jour sommes-nous ? La maladie d’Alzheimer jour après jour

 

Rendez-vous à Pristina - récit de l’intervention humanitaire

 

Aux éditions du Palémon

 

n° 1 - La Neige venait de l’Ouest

n° 2 - Les disparues de Quimperlé

n° 3 - La Belle Scaëroise

n° 4 - Étape à Plouay

n° 5 - Lanterne rouge à Châteauneuf-du-Faou

n° 6 - Coup de tabac à Morlaix

n° 7 - Échec et tag à Clohars-Carnoët

n° 8 - Peinture brûlante à Pontivy

n° 9 - En rade à Brest

n° 10 - Drôle de chantier à Saint-Nazaire

n° 11 - Poitiers, l’affaire du Parc

n° 12 - Embrouilles briochines

n° 13 - La demoiselle du Guilvinec

n° 14 - Jeu de quilles en pays guérandais

n° 15 - Concarneau, affaire classée

n° 16 - Faute de carre à Vannes

n° 17 - Gros gnons à Roscoff

n° 18 - Maldonne à Redon

n° 19 - Saint ou Démon à Saint-Brévin-les-Pins

n° 20 - Rennes au galop

n° 21 - Ça se Corse à Lorient

n° 22 - Hors circuit à Châteaulin

n° 23 - Sans Broderie ni Dentelle

n° 24 - Faites vos jeux

n° 25 - Enfumages

n° 26 - Corsaires de l’Est

n° 27 - Zones blanches

n° 28 - Ils sont inattaquables

n° 29 - Dernier Vol Sarlat-Dinan

n° 30 - Hangar 21

n° 31 - L'inconnue de l'archipel

n° 32 - Le retour du Chouan

n° 33 - Le gréement de Camaret

 

Menaces - Tome 1 - Attaques sur la capitale

Menaces - Tome 2 - Tel le Phénix

Menaces - Tome 3 - Pas de paradis pour les lanceurs d'alerte

 

 

 

 

 

Retrouvez tous les ouvrages des Éditions du Palémon sur :

 

www.palemon.fr

 

Dépôt légal 4e trimestre 2014

ISBN : 978-2-916248-85-1

 

 

 

 

 

NOTE DE L’AUTEUR :

L’auteur s’empare, comme habituellement, d’une véritable affaire criminelle et, au terme d’une étude approfondie des faits et avec l’aide d’officiers de police judiciaire, en donne une version romancée aussi proche que possible de la réalité…

Un fait réel qu’il transpose dans d’autres lieux pour y bâtir une enquête qu’il livre à votre perspicace lecture…

 

 

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

 

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70 - Fax : 01 46 34 67 19 - © 2014 - Éditions du Palémon.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

 

 

À Pascal Vacher, officier de Police Judiciaire

pour ses apports techniques.

 

À l’accueil de l’Hôtel de Police

du boulevard Waldeck Rousseau à Saint-Brieuc.

 

Au personnel de l’Office du Tourisme de Saint-Brieuc.

 

Et à tous ceux qui m’ont aidé et qui se reconnaîtront…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le type qui a dit qu’on avait toujours tort

de donner des explications

avait cent fois raison !

 

Agatha Christie (1890-1976)

 

 

 

 

C’est la plus grande de toutes les faiblesses

que de craindre trop de paraître faible.

 

Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704)

 

 

 

Chapitre 1

Lundi 4 septembre.

Depuis la dernière affaire importante qui les avait conduits à Saint-Nazaire, aucune enquête significative n’était venue bousculer le quotidien du capitaine Le Duigou et du Lieutenant Phil Bozzi.

Les feux de l’actualité s’étaient, eux aussi, écartés pour un temps des problèmes de sécurité et de violence des cités. Les médias s’étaient déchaînés sur le sujet du Chikungunya à la Réunion, qui avait touché, selon la cellule interrégionale d’épidémiologie, plus de deux cent cinquante mille personnes et causé le décès direct ou indirect de près de deux cents personnes.

À cette épidémie vint s’ajouter rapidement un autre fléau, plus inquiétant encore, celui de la grippe aviaire. Venu d’Asie, le virus se propageait un peu partout dans le monde au passage des oiseaux migrateurs qui, tout comme le nuage de Tchernobyl, ne semblaient pas vouloir tenir compte des frontières !

Puis, brutalement, sans que qui que ce soit ne trouve de remède à ces situations, l’inquiétude disparut, reléguée par le CPE, le fameux Contrat Première Embauche ! S’agissait-il d’une solution miracle ? Il ne le semblait pas. Tout en prétendant apporter une aide sociale, il créa une belle pagaille dans le pays et bien du souci au premier ministre jusqu’à sa suppression partielle puis définitive, en raison des colères de la rue, atténuant du même coup l’inquiétude des acheteurs à l’égard de la consommation du poulet. Qui aurait pu imaginer, durant les mois précédents, qu’une grande partie des filières avicoles allait être partiellement sauvée par le CPE ? Finalement, une fois de plus, il s’avérait qu’en politique, il n’était vraiment pas facile d’établir des prévisions…

Les philippiques des différents syndicats et des partis politiques d’opposition achevées, un calme précaire s’établit à nouveau. Confirmant une fois encore la célèbre maxime de Samuel Beckett : « l’homme a besoin de changer de merde, la nouvelle merde effaçant temporairement l’ancienne permet, après un intervalle, de remuer l’ancienne un peu différemment. »

En réalité, il apparaissait une fois de plus que nos hommes politiques n’étaient clairs ni avec eux-mêmes ni avec notre humanité dans ce qu’elle a de plus précieux : la pensée, le désir de justice, la liberté, la fraternité, le sens de la responsabilité et du devoir… Leurs discours n’étant qu’une suite de mots truqués, le peuple semblait avoir de plus en plus de difficultés à distinguer l’endroit de l’envers des situations.

Finalement, en prenant un peu de recul, nous nous apercevions que le scrutin de 2002 avait surpris tout le monde, la crise des banlieues avait effrayé, le CPE jeté toute la jeunesse dans la rue… bien des symptômes qui révélaient des évolutions profondes, des déphasages au sein même de notre société.

Mais ceci n’entama en rien l’intérêt des Français pour la politique, bien au contraire. En effet, l’enjeu des présidentielles recréa un mouvement démocratique sans précédent dans le pays avec le résultat qu’on connaît, suivi aussitôt des législatives.

Au commissariat de Quimper, après juillet et août, la rentrée de septembre s’avérait toujours difficile pour le lieutenant Phil Bozzi. Elle sonnait le glas des bonnes habitudes et de la douceur de vivre familiale avec ses enfants et son épouse. Fini de goûter aux joies des bains de mer, des promenades pieds nus sur le sable, des soirées dans le jardin animées par les rires des enfants et celui des amis autour d’un barbecue. La rentrée précipitait les événements, bousculait le quotidien, donnait un rythme trépident à chaque moment de la journée, du fait des activités scolaires, professionnelles, culturelles ou sportives de chacun…

Le capitaine François Le Duigou, plus philosophe, et pour qui la rentrée scolaire n’était plus un souci depuis bien longtemps, trouvait au contraire que septembre était comme un nouveau départ. Les congés d’été lui permettaient de recharger ses batteries et de repartir « gonflé à bloc » ! D’autant que la saison avait offert son lot de bons coefficients de marée et qu’il avait eu la chance de bien en profiter avec son ami de Concarneau en effectuant de nombreuses sorties en mer avec le pêche-promenade de ce dernier. Il revoyait encore la couleur émeraude de la mer aux Glénan et ses joyeux retours de pêche. Mais, il était tout aussi content de s’atteler à sa tâche pour la reprise…

Bien entendu, Phil et François s’étaient rendus en famille un week-end de mai en Brière, accompagnés de leur formidable guide, Valérie Halgand, OPJ à Saint-Nazaire, ils avaient découvert avec un réel plaisir ce fabuleux parc naturel1. Le parc les avait conquis tout autant que la cité médiévale de Guérande et ses salines sans oublier la jolie chaumière de Valérie. En juillet, cette dernière, accompagnée de Stéphane Lemétayer et sa famille, était venue à son tour en Cornouaille…

Tout commença par une belle marche sur le sentier piétonnier menant de Concarneau à Beg-Meil en passant par Port-la-Forêt et le Cap-Coz avec retour en bateau. Puis, les jours suivants, promenade vers Locronan, la pointe de Crozon, visite de Bénodet et balade de Pont-Aven au Pouldu…

À présent, tout ceci appartenait aux souvenirs et le travail ne manquait pas, mais dans l’ensemble, aucune affaire ne sortait vraiment de l’ordinaire. La routine… Même si certaines avaient réservé quelques surprises voire quelques difficultés rapidement surmontées. Un peu avant dix-huit heures, le patron, Yann Le Godarec, se présenta tranquillement à la porte.

— Êtes-vous disponibles pour une petite affaire, rien de transcendant ou voulez-vous que je voie avec vos collègues ? demanda-t-il, sans enthousiasme.

Phil et François lui jetèrent un coup d’œil dubitatif avant que ce dernier ne trouve le souffle pour sonoriser quelques phonèmes :

— Faut voir…

— Rien de baisant. Un accident du travail.

— Mais encore ?

— Un type qui s’est cassé la gueule d’un échafaudage… a priori mal monté…

— Mal monté, l’échafaudage ? demanda Phil.

— Il semblerait, à moins que ce ne soit un problème technique… alors… vous prenez ou je passe le dossier à côté ?

— Dis François, qu’en penses-tu ? demanda Phil, puis se ravisant, il se tourna vers le patron. Cela fait combien de temps que l’accident s’est produit ?

— Moins d’une demi-heure. J’ai demandé à un binôme en tenue de se rendre sur place pour délimiter le périmètre de sécurité.

— OK, on prend, répondit alors François qui se leva au même moment pour saisir la feuille des mains du patron et commencer à ranger les dossiers éparpillés devant lui.

Finalement, en quittant le bureau, ils se dirent qu’ils avaient saisi cette enquête pour, simplement, changer d’air, quitter les locaux administratifs et la paperasse, car rien ne laissait supposer que, derrière ce malheur, il puisse y avoir matière à une investigation poussée et puis, une enquête sur un chantier les changerait de leurs habitudes.

Ils arrivèrent sur les lieux de l’accident, non loin du centre-ville de Quimper. Une maison des années soixante, délabrée, de style néo-classique, dans un jardinet clos d’un mur de parpaings dont la peinture n’était visiblement plus qu’un souvenir, un portail à deux vantaux en PVC blanc, grand ouvert. Deux voitures de police et une ambulance des pompiers se renvoyaient les lumières pivotantes de leurs gyrophares.

Au moment où ils sortaient de leur véhicule, les pompiers chargeaient une civière. François eut juste le temps de poser une question à celui qui semblait être le chef de l’équipe.

— C’est grave ?

— Très… C’est une très mauvaise chute. À mon avis… au vu de nos constatations, notamment concernant la tête et la colonne…

L’interlocuteur ne termina pas sa phrase et monta à l’avant du véhicule tandis que les deux portes arrière venaient de se refermer.

L’ambulance des pompiers, toutes sirènes hurlantes, quittait déjà les lieux. Assis à même le sol, un homme restait prostré, la tête entre les mains, près d’un policier en tenue. François et Phil comprirent aussitôt qu’il devait s’agir de l’infortuné collègue de travail de la victime. Son visage reflétait un profond désarroi. François s’adressa à l’agent :

— Il vous a expliqué ce qui s’est passé ?

— C’est-à-dire que ce n’est pas évident. Un : il est choqué. Deux : il n’est pas français, si bien qu’il ne saisit pas tout et s’exprime difficilement.

— Bon, tentons de comprendre d’abord ce qui s’est produit, dit François sur un ton qui se voulait entraînant.

L’homme se releva et accompagna Phil et François près de l’échafaudage écroulé au pignon de la maison, sur la pelouse du jardin. De taille moyenne, ascétique, un regard sombre acéré comme la lame d’un cimeterre, l’ouvrier expliqua, tant bien que mal qu’avec l’aide d’un troisième collègue, ils avaient monté l’installation le matin même et que, depuis le début de l’après-midi, ils décapaient la surface à peindre au jet d’eau sous pression. Il désigna le compresseur de la main. Ils comprirent que le troisième homme était parti sur un autre chantier et qu’il viendrait les rechercher le soir même pour les ramener à Saint-Brieuc.

— À Saint-Brieuc ! s’exclama Phil qui n’avait pas encore parlé et s’était contenté de prendre des notes sur les feuilles de son carnet à spirale qui ne le quittait jamais.

— Oui, il m’a expliqué que son entreprise se trouve à Saint-Brieuc, qu’il devait y retourner ce soir avec son collègue puis revenir demain, puis y rester tout le temps du chantier ici, sur place. Je lui ai demandé ses papiers, ceux-ci se trouveraient au bureau de son entreprise. Il a appelé celui qu’il désigne comme son chef, ce dernier ne devrait pas tarder…

— C’est lui qui a appelé les secours ? demanda-t-il au policier en tenue.

— Non. C’est un voisin qui a vu l’échafaudage s’écrouler qui a téléphoné de chez lui. Un de mes collègues est allé recueillir son témoignage.

— Très bien…

Phil et François examinèrent l’infrastructure métallique en cause. Visiblement, l’échafaudage n’avait pas été attaché à la maison, sans doute pour gagner du temps, comme cela se pratique parfois par négligence de la sécurité. D’autre part, une des roues s’était enfoncée dans un trou dans le sol trop meuble à cet endroit. Au vu de la torsion d’une des barres centrales, un des éléments avait ensuite dû céder. Le tout semblait avoir été monté rapidement sans respecter toutes les règles habituelles de sécurité pour travailler à une dizaine de mètres de hauteur…

Quelques instants après, un fourgon blanc s’arrêta sur le trottoir le long du mur de clôture. Un attroupement s’était formé à cet endroit.

Un homme sortit du véhicule et vint se présenter aussitôt à eux :

— Jacques Hervieux. Que s’est-il passé ? demanda-t-il en s’adressant à François, tout en regardant son ouvrier et l’échafaudage écroulé à côté du compresseur.

L’homme, d’allure athlétique, énergique, d’un mètre quatre-vingts environ, devait avoir entre trente-cinq et quarante ans. Il affichait aplomb et morgue et avait un air sournois. François lui résuma brièvement la situation. Il ne parut pas embarrassé ni ému par le contexte dramatique et semblait plus se préoccuper des complications administratives qui allaient immanquablement engendrer du retard sur les chantiers… Phil réagit violemment à cette attitude :

— Mais, enfin Monsieur, un de vos ouvriers se trouve peut-être entre la vie et la mort en ce moment à l’hôpital et c’est tout ce que cela vous fait ?

— Non. Bien sûr. Excusez-moi, je suis sous le choc et je suis un peu désemparé. Je viens de prévenir le patron…

— Vous pouvez nous donner ses coordonnées ?

— Oui. Bien entendu, voici la carte de visite de l’entreprise.

La carte reprenait les mêmes indications que celles portées sur le côté du fourgon : « SARL Briochine de ravalement », suivaient une adresse et un numéro de téléphone portable. Aucun numéro de fixe n’y figurait. Le jeune homme s’empressa de rajouter :

— Le patron est sur la route entre Rennes et Saint-Malo pour des chantiers. Je le verrai ce soir très tard. Je lui dirai de venir vous voir demain matin pour les déclarations, si vous voulez, car le portable sur la route, surtout à la campagne, ça ne passe pas toujours très bien…

— Nous allons l’appeler. Mais, à défaut, demandez-lui de se présenter à cette adresse, dès huit heures. Voici nos cartes. Pouvez-vous nous donner l’identité de vos deux ouvriers… ?

— Non. Désolé. Leurs papiers sont à la boîte. Ils sont d’origine turque et je serais incapable de vous l’écrire correctement. Je préciserai à mon patron de se munir des papiers des deux gars, pour vous et pour l’hôpital.

L’homme ne s’adressa pas à son ouvrier et ne se soucia pas de lui. Il examina dans le détail l’armature métallique.

Phil avait appelé la police technique et scientifique, mais elle ne pouvait pas se déplacer immédiatement, elle ne viendrait que le lendemain matin avec deux experts du bâtiment.

L’homme se tourna vers les deux OPJ et les surprit par ses propos :

— Je peux démonter le matériel et le ranger ?

— Mais Monsieur, vous n’y pensez pas ! Toute l’installation doit rester en l’état jusqu’à l’arrivée des spécialistes… Savez-vous où se trouvent les propriétaires de cette maison ?

— Non. Ils habitent dans les Côtes-d’Armor, c’est tout ce que je sais. Ils voulaient refaire le ravalement de la maison, en vue de la vendre, semblerait-il…

— Bon, en l’absence des techniciens, nous allons prendre quelques photos et nous fermerons le portail que nous mettrons sous scellés pour la nuit. Nous allons tout de suite vous interroger avec votre ouvrier afin d’enregistrer ce qui s’est passé.

— C’est-à-dire que je n’étais pas là et je vois bien que mon ouvrier est très choqué. Le plus simple et le plus efficace, c’est que je vienne demain avec lui et mon patron pour effectuer toutes les dépositions. Avec un peu de recul, il sera plus à l’aise avec le patron qu’avec moi pour s’expliquer.

Phil se tourna vers François, hésita avant de répondre.

Mais, devant l’assurance de leur interlocuteur, il considéra que c’était peut-être la meilleure solution, même si ça les gênait de les voir reprendre la route sans enregistrer de procès-verbal. À cette étape de l’enquête, seul le chef d’entreprise pouvait endosser une quelconque responsabilité. En attendant, ils se contenteraient du témoignage du voisin qui avait donné l’alerte.

L’homme revint aussitôt à la charge :

— Je peux rentrer à l’entreprise ? dit-il d’une voix dénuée d’émotion.

— Vous n’allez pas voir votre collègue ?

— Heu… si… si, si, nous y allons et nous rentrerons après. Est-il indispensable que j’accompagne mon patron demain matin ?

— Oui, s’il vous plaît, ainsi que votre ouvrier, bien entendu, afin qu’il signe sa déposition. C’est le témoin le plus important de l’affaire.

Phil et François les regardèrent rejoindre leur fourgon. Phil nota machinalement le numéro d’immatriculation du véhicule. Ils n’avaient pas ajouté un mot de plus. Une main sur la poignée de la portière, le chauffeur se retourna vers les deux OPJ avec un regard ambigu. Les deux hommes montèrent dans leur véhicule et quittèrent les lieux. Ce comportement dérangeait autant François que Phil qui tentait sans succès de joindre le fameux patron mais tombait inlassablement sur la boîte vocale.

— Drôle de loulou, ce type ! se contenta de dire Phil en parlant du chef d’équipe.

— Oui, j’y pensais justement et je me demandais si nous n’aurions pas dû garder l’ouvrier témoin dans nos locaux jusqu’à demain matin, tu ne vois pas le coup que nous ayons affaire à des travailleurs clandestins ?

— J’espère que nous n’avons pas fait une connerie en les laissant s’en aller, tout au moins avant d’avoir pu joindre leur patron…

Ils terminèrent leur travail de repérage et laissèrent aux policiers en tenue des consignes sur les précautions à prendre concernant les scellés avant de quitter les lieux. Phil et François se dirigèrent aussitôt vers le centre hospitalier de Quimper situé tout en haut de la ville, avenue Yves Thépot, et que tout le monde continuait à appeler l’hôpital René Laënnec, nom de l’ancien hôpital, en hommage à ce médecin né à Quimper en 1781, qui inventa le stéthoscope et l’auscultation.

Les nouvelles furent mauvaises. L’ouvrier blessé se trouvait toujours au bloc opératoire et le diagnostic était très réservé quant aux chances qu’il avait de s’en sortir. Si, toutefois, il devait survivre… Déjà, au vu des fractures de sa colonne vertébrale, il ne devrait plus retrouver l’usage de ses membres, leur précisa-t-on… Les deux OPJ furent sous le choc, mais avant de repartir, François demanda si le chef d’équipe et son ouvrier étaient venus s’informer de l’état de leur collègue. L’interlocutrice secoua négativement la tête après réflexion. Écœurés, ils quittèrent l’hôpital pour rejoindre leur bureau. Vraiment, cette situation les choquait. Sans plus de cérémonie, ils se hâtèrent vers la sortie.

Au loin à l’ouest, les derniers rayons du jour s’accrochaient encore. Le crépuscule flamboyant se prenait pour un tableau de maître. Quelques bancs de stratus persistaient à dessiner diverses formes dans le ciel. Tandis qu’ils rejoignaient la rue du Frugy, un ciel pourpre, piqueté de jaune, embrasait les toits et les cheminées de la ville en contrebas.

Dès leur retour, ils rendirent compte de la situation au patron. Ce dernier resta perplexe au vu des déclarations et partagea aussitôt leurs doutes et leur inquiétude. Il appela immédiatement son collègue en charge de l’hôtel de police de Saint-Brieuc. L’entreprise de ravalement lui était totalement inconnue, elle n’avait jamais fait parler d’elle et l’adresse correspondait à un bon quartier de la ville. Il n’y avait peut-être pas lieu de s’inquiéter inutilement et, de toute façon, à cette heure, il fallait attendre.

 

*

 

Le lendemain matin, mardi 5 septembre, le sommeil de Phil et de François avait été perturbé par l’accident de la veille. L’un et l’autre restaient tracassés par cette affaire et le comportement peu responsable du chef d’équipe. Ils ne cachaient pas leur hâte de prendre des nouvelles de l’état de santé de l’ouvrier blessé et de rencontrer le patron de l’entreprise afin de rédiger les procès-verbaux nécessaires. Le doute s’était insinué dans leur esprit et ils le vivaient mal. Ils n’étaient vraiment pas d’humeur compatissante et pensaient pouvoir déverser sans tarder leur mauvaise humeur sur le chef d’entreprise.

Ils se servirent rapidement un café au distributeur et revinrent aussitôt à leur bureau pour appeler le centre hospitalier.

Mauvaise nouvelle.

Une hémorragie cérébrale s’était déclenchée durant la nuit, juste après la fin de l’intervention chirurgicale. L’homme était décédé. Les services administratifs de l’hôpital attendaient justement leur appel afin d’enregistrer l’état civil de la victime et d’accomplir les formalités d’usage… Ils accueillirent la nouvelle de la mort de l’ouvrier avec une sombre résignation, presque comme s’ils étaient touchés personnellement.

La journée commençait mal, très mal… Et le portable du chef d’entreprise restait toujours inaccessible… Au moment même où Phil et François se levaient pour aller rendre compte de la situation au patron, leur poste téléphonique sonna. Les spécialistes de la police technique et scientifique et des experts du bâtiment s’inquiétaient…

— François, nous sommes sur place, tu es sûr de l’adresse ?

François reprit les renseignements et s’assura bien du numéro et du nom de la rue qu’il redonna aux collègues.

— C’est bien ce que nous avions compris. Nous y sommes, mais il n’y a rien…

— Comment ça, rien ?

— Le portail était ouvert et visiblement tout a été emmené. Nous avons été surpris de constater que les scellés avaient « sauté », puis, de découvrir que, dans le jardin, il n’y avait plus de trace d’échafaudage, de compresseur ni de quoi que ce soit…

— Merde, mais c’est quoi ce bordel à la fin ! se mit à jurer François.

Voilà que l’affaire commençait à se compliquer singulièrement.

Très contrariés, ils en référèrent immédiatement au patron qui appela aussitôt le procureur. Ce dernier décida de leur confier l’enquête et les invita à se rendre aussi rapidement que possible sur place à Saint-Brieuc, tout en leur demandant de se mettre en relation avec l’hôtel de police de cette ville. Pour lui, il paraissait évident que tout, dans ce dossier, respirait l’irrégularité. Il attendait des renseignements dans la journée même et une mise en garde à vue du patron, du chef d’équipe et de l’ouvrier présent au moment de l’accident.

Il les invitait également à contacter l’inspection du travail de la ville afin qu’un contrôleur de ce service puisse les accompagner. Il considérait ce qui venait de se produire comme proprement inqualifiable et inimaginable et ne cachait pas sa colère.

Phil et François venaient d’assister à l’entretien téléphonique enflammé entre leur patron et le procureur, ils se sentaient terriblement mal à l’aise. Ils ne se firent pas prier pour préparer leurs affaires et prendre aussitôt la direction de Saint-Brieuc, ils n’eurent pas le temps de se poser de questions.

Et voilà comment, dans l’heure suivante, leur voiture quittait le département du Finistère pour entrer dans celui des Côtes-d’Armor en direction de son chef-lieu.

Ils roulaient dans une Mégane flambant neuve qu’ils venaient de prendre en charge quelques jours plus tôt. Ce nouveau véhicule étant équipé du système GPS, ils attendaient pour entrer l’adresse du commissariat de Saint-Brieuc que le patron les appelât pour leur fournir ce renseignement et leur communiquer, par la même occasion, le nom de son homologue. Ce qu’il fit sans tarder.

Leurs visages ne dissimulaient pas leur embarras. Chacun se posait mille questions sur cette affaire, sans pouvoir retenir quelque hypothèse. Ils contournaient à présent Rostrenen. Plus loin, en passant au pied des fortifications de Corlay, ils se dirent que la capitale des Côtes-d’Armor n’était plus très éloignée. Leur esprit n’était pas disposé à se laisser distraire par la beauté des sites qu’ils traversaient. Déjà, à l’ombre de son château fort, apparaissait la ville de Quintin avec sa remarquable architecture du XVIIIe siècle qui portait la forte empreinte de sa manufacture de toiles de lin. Après Plaintel, ils quittèrent la voie express pour entrer dans le quartier du Brézillet à Saint-Brieuc. Après avoir laissé le centre des Congrès et l’Aquabaie sur leur droite, ils empruntèrent la rue de l’Abbé-Garnier… Sur leur gauche, le Sporting Club Briochin paraissait bien discret malgré ses riches heures de gloire du passé, puis ils abordèrent le rond-point Clémenceau-Charner…

Ils furent étonnés des précisions fournies par la commande vocale de leur GPS tout au long de cette entrée de ville et, notamment, lorsqu’il les invita à tourner à droite pour emprunter le boulevard Waldeck Rousseau.

Un peu plus loin, sur leur droite, le commissariat se remarquait à peine. Le feuillage de trois arbres plantés sur le trottoir dissimulait l’enseigne en drapeau de « Police ». Quant aux grandes lettres argentées fixées sur la façade en retrait indiquant « Hôtel de Police », elles n’étaient visibles qu’aux personnes circulant dans l’autre sens sur le boulevard et quittant la ville, si bien qu’ils dépassèrent le bâtiment et durent faire le tour du rond-point suivant pour revenir sur leurs pas.

Enfin, ils garèrent leur voiture sur le parking réservé à l’hôtel de police. Cet espace dominait la vallée du Gouédic et donnait l’impression, de l’intérieur de la voiture, de se trouver au bord d’une falaise. Puis, ils revinrent vers l’entrée réservée au public du bâtiment dont ils franchirent les deux lourdes portes vitrées pour se retrouver dans un hall d’attente. À l’accueil, on les conduisit au bureau du commissaire principal en charge de l’unité.

La grande vitre de son bureau faisait face au pont d’Armor et il était aisé d’observer les va-et-vient des voitures sur le parking de l’hôtel de police. En entrant, des messages radio de collègues sur le terrain résonnaient dans la pièce. Ils s’installèrent dans le bureau de l’homme-orchestre du commissariat, à la fois meneur d’hommes, gestionnaire et interlocuteur privilégié du préfet, du procureur, des élus, des organismes sociaux, éducatifs et autres…

Ce dernier, quinquagénaire actif, les accueillit avec le sourire et leur confirma l’entretien qu’il avait eu avec leur patron, Yann Le Godarec. François et Phil remarquèrent à peine l’armoire vitrée aux étagères chargées de livres et de diverses récompenses… Un œil averti aurait pu aussi distinguer un document attestant de la réussite au concours d’inspecteur et de commissaire de la police nationale de l’école de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or dans les années quatre-vingts. Le bureau reflétait une personnalité active, sans ostentation. Le commissaire ne s’attarda guère en présentation, rappelant simplement au passage que, depuis le redéploiement de septembre 2005, la circonscription de sécurité publique de Saint-Brieuc comprenait désormais les communes de Trégueux, Langueux et Ploufragan… Puis il aborda le sujet de leur préoccupation :

— Drôle d’affaire qui vous arrive, ne put-il s’empêcher de leur souffler en dodelinant de la tête. Une enquête qui commence ainsi, laisse présager bien des complications… Visiblement, il n’y a pas de temps à perdre, je vais vous adjoindre un collègue, Vincent de Landiras, qui travaillera avec vous sur cette enquête, tout au moins dans le ressort du département. Il exerce habituellement avec un tout jeune lieutenant fraîchement promu, mais ce dernier est absent dans le moment.

Ce patron avait toujours soutenu le capitaine Vincent de Landiras car il avait repéré en lui, dès son arrivée à Saint-Brieuc, un membre d’élite, mais il avait toujours veillé à ce que celui-ci ne le sache pas. Car il avait une fâcheuse tendance à prendre des initiatives déroutantes qui, en réalité, s’avéraient toujours fructueuses. Sans perdre de temps, le commissaire principal les conduisit au pas de charge dans le bureau du collègue en question.

L’homme, proche de la quarantaine, des cheveux châtain clair, courts et bouclés, des yeux bleus et vifs et des traits réguliers, d’un bon mètre quatre-vingts, plutôt corpulent sans paraître gros pour autant, se leva et se présenta en leur tendant la main de façon franche et cordiale. L’homme semblait dynamique et passionné. Il était le seul du commissariat à porter le costume-cravate.

— Capitaine Vincent de Landiras.

Il les invita à s’asseoir en face de lui sur des chaises de bureau qui ne s’harmonisaient pas avec le reste mais qui se révélèrent étonnamment confortables, tandis qu’il prenait place dans son fauteuil.

Chacun se présenta à son tour. Le contact étant établi, le commissaire principal regarda ostensiblement sa montre et, sans un mot, tourna les talons pour rejoindre son bureau. Le capitaine Vincent de Landiras afficha un large sourire et engagea la discussion :

— Si vous me racontiez ce qui vous arrive et ce qui vous conduit à moi…

Phil et François se regardèrent en silence, pour décider qui allait intervenir. François prit la parole et expliqua de façon brève tout ce qui s’était passé depuis la veille. Le capitaine griffonna quelques notes et resta dubitatif au moment de la conclusion de François.

— Effectivement, c’est pour le moins curieux, cette dérobade, se contenta-t-il de dire en approuvant de la tête. À mon avis, il y a fort à parier que tout est louche sur toute la ligne dans cette entreprise. Eh bien, nous allons lui rendre visite ensemble, ce n’est pas très loin et puis nous déjeunerons tous les trois en ville, question de faire plus ample connaissance… d’accord ?

— Volontiers, acquiesça François, soulagé de mener cette affaire avec un collègue de la ville.

Vincent de Landiras semblait particulièrement jovial et sympathique à Phil et François, sa légère surcharge pondérale et sa bonhomie faisaient de lui un homme à l’allure avenante, un peu comme ces représentants de commerce qui paraissent aimables, disponibles et toujours à l’écoute des autres. Son visage et son regard tendre et sans défense auraient donné envie à n’importe quelle femme de le prendre dans ses bras, se dit même François en le regardant. Le courant passa aussitôt entre eux.

Le siège social de la « SARL Briochine de Ravalement » se situait dans la rue tortueuse de Quinquaine du quartier de la Grille, non loin de la place des Halles. Vincent de Landiras les conduisit en voiture et se gara à proximité dans le secteur piétonnier de la ville. Il se montra particulièrement enjoué sur le parcours, commentant au passage telle ou telle curiosité et situant la ville de Saint-Brieuc avec ses cinquante mille habitants dans une agglomération qui en comptait plus de cent mille. Il s’exprimait avec clarté et sobriété :

— Comme vous pouvez le constater, le bois et la pierre ont conservé les traces de l’histoire à Saint-Brieuc et invitent le visiteur à une promenade, surtout dans ce quartier du XVe et du XVIe siècles. Nous possédons de belles maisons à colombages telles que l’Hôtel des Ducs de Bretagne et la maison du Ribeault, par exemple, sans oublier la place Louis Guilloux. La maison du Chapeau Rouge qui borde cette place est une véritable auberge Renaissance avec son griffon sur le rampant droit du toit, grimaçant vers l’extérieur pour mieux impressionner les visiteurs et pour protéger la demeure… le griffon est l’emblème de la ville. Toute cette zone est intéressante quand on se promène, que ce soit de la place au Lin à celle du Martray…

— Tiens, la place du Martray, ce n’est pas sans nous rappeler quelque chose !2 précisa Phil.

— Je suppose que vous n’ignorez pas que le nom de Martray date du Moyen Âge et désigne la place des martyrs ou le lieu des exécutions publiques de l’époque.

— Oui, nous l’avons appris lors d’une enquête que nous avons menée à Lorient, Pontivy et Guémené-sur-Scorff. Ce nom de place du Martray se retrouve ainsi dans de nombreuses villes qui possèdent encore un quartier médiéval…

— Effectivement. Ici, à Saint-Brieuc, ce fut aussi l’emplacement primitif du cimetière… L’ensemble de ce quartier est très animé avec le marché le mercredi et le samedi et les « nocturnes » tous les jeudis et vendredis soir de juillet et d’août… Voilà, nous sommes arrivés, normalement votre entreprise a son siège dans ce bâtiment.

Ils s’arrêtèrent devant une belle maison à colombages parfaitement restaurée.

Pas d’enseigne apparente, pas de publicité clinquante pour annoncer l’entreprise. Ils se présentèrent à une porte ouverte qui donnait sur un couloir où diverses boîtes aux lettres étaient fixées au mur sur leur gauche. Ils découvrirent sur l’une d’entre elles, une carte de visite telle que celle en leur possession, sur laquelle était rajouté au stylo « premier étage à gauche ». La boîte semblait chargée de publicité non relevée depuis plusieurs jours. Ils gravirent l’escalier en bois et se retrouvèrent devant la porte indiquée. Ils frappèrent à plusieurs reprises, sans réponse. Phil tenta une ultime fois d’appeler le numéro de portable du chef d’entreprise, mais il restait silencieux et n’offrait même plus le message de la boîte vocale. Signe qu’il devait être coupé.

Ils décidèrent alors de frapper à toutes les portes, sans succès pour les premières.

La dernière, enfin, tout en haut de l’escalier, s’ouvrit.

Un jeune homme se présenta. Il leur annonça aussitôt qu’il n’occupait le logement que depuis son embauche au mois de juin dernier et n’avait jamais vu personne entrer ni sortir du logement réservé à l’entreprise…

Il parut désolé de ne pouvoir apporter la moindre information quant aux occupants.

Ils apprirent cependant que l’immeuble était uniquement constitué de meublés allant du studio au T2 et que le ou les propriétaires confiaient les locations à une agence immobilière assurant également le rôle de syndic d’immeubles… Ils notèrent les coordonnées de cette agence située, non loin de là, du côté de l’Office de Tourisme.

Tandis qu’ils se dirigeaient vers l’agence immobilière, Phil pensa au numéro d’immatriculation du véhicule et téléphona à un collègue de Quimper pour lui demander de rechercher le propriétaire auprès de la préfecture afin de le localiser…

L’agence immobilière avait bien pignon sur rue et, selon Vincent de Landiras, elle bénéficiait d’une bonne presse en ville. Depuis quelques mois, les agences fleurissaient à une vitesse impressionnante à tous les coins de rue, comme partout sur le territoire national.

— À une époque, à chaque fois qu’on fermait un commerce c’était pour ouvrir un guichet de banque ! Aujourd’hui, c’est pour ouvrir une agence immobilière ! lâcha le capitaine en riant.

Les enseignes en franchise comme les agences indépendantes rivalisaient d’ingéniosité pour tenter de conquérir des parts de marché. Mais, depuis quelques mois, le ralentissement du nombre des ventes semblait montrer les limites d’une telle escalade à l’installation. Certaines agences étaient même en difficulté financière.

L’hôtesse d’accueil fut impressionnée par l’arrivée des trois OPJ et s’empressa d’aller voir le responsable de l’agence qui se présenta aussitôt. L’homme, plutôt rondouillard, engoncé dans ses vêtements, leur serra la main. Des gouttes de sueur perlaient sur son front dégagé, il semblait éprouver une certaine difficulté dans ses déplacements en raison de son embonpoint. Il invita ses hôtes à le suivre dans son bureau et à s’installer. Il se laissa choir dans un fauteuil très directorial en prenant ses aises, puis s’accouda sur le sous-main placé devant lui pour se mettre à l’écoute de ses visiteurs.

François évoqua le nom de la SARL Briochine de ravalement et demanda le double du bail signé par l’entreprise. Le responsable de l’agence parut embarrassé et précisa aussitôt qu’il ne gérait pas de baux commerciaux mais, uniquement, ceux de particuliers. Il reconnaissait cependant avoir en charge les locations de l’immeuble désigné par l’adresse… Il transpirait de plus en plus et ses mains tremblaient quand il appela sa secrétaire afin qu’elle lui sorte tous les contrats de location de l’immeuble concerné. Rapidement, la jeune femme posa devant lui les documents, aucun ne concernait une SARL quelconque.

Un silence de plusieurs secondes flotta dans le bureau. Phil demanda de ressortir le contrat concernant l’appartement de l’étage où ils s’étaient présentés.

D’après l’emplacement, celui-ci correspondait à une location accordée à un jeune homme depuis le premier juin dernier, le paiement s’était effectué en liquide contre quittance et ce d’avance pour six mois… il se souvenait que ceci l’avait surpris et précisa :

— En général, c’est le contraire qui se produit. Alors, quelqu’un qui paye d’avance, pour nous, c’est plutôt pratique.

Phil lui demanda s’il se souvenait du jeune homme et s’il pouvait tenter de le décrire même sommairement. Au vu des renseignements fournis et sous toutes réserves, il pouvait s’agir de l’homme rencontré à Quimper et se faisant passer pour le chef d’équipe, mais rien pour l’instant ne le prouvait. Phil nota ses coordonnées : Jacques Hervieux, contremaître à la SARL Briochine de ravalement.

Ceci fit bondir les trois OPJ.

— Et avez-vous noté l’adresse de son employeur ?

— Non. Je me souviens qu’il m’avait dit que c’était une société en cours de constitution, c’est tout. Et comme, dans le bâtiment, le travail ne manque pas et qu’il payait d’avance, je n’ai pas insisté davantage. Pourquoi, quel est le problème… que se passe-t-il ?

— Le problème est que la SARL est censée avoir son siège social dans l’appartement que vous avez loué et que cette dernière emploie des salariés dont l’un d’entre eux vient d’être victime d’un accident mortel. Nous aimerions bien, par conséquent, rencontrer les responsables.

— J… J’ignorais… Sincèrement, je ne savais pas… C’est très grave ce que vous venez de m’apprendre…

Le choc avait été violent, l’homme ne cachait pas son inquiétude, il tremblait de plus en plus. Il cherchait ses mots et bredouilla quelques bribes de phrases :

— Je vous assure que je ne savais pas que j’avais affaire à une entreprise. D’ailleurs, je n’aurais jamais signé de bail… L’exercice d’une activité commerciale est strictement interdit dans tous les baux de location que nous établissons. Vraiment, cette situation me préoccupe au plus haut point, que puis-je faire ?

— Tout d’abord, en aviser le propriétaire. D’ailleurs, de qui s’agit-il ?

— Un couple très sérieux qui occupe un bon poste à la préfecture et qui a investi dans l’immobilier pour se constituer un petit patrimoine, comme beaucoup de monde, vous savez… Ce couple possède également deux petits ensembles de ce type et m’en confie la gestion…