Peur sur le volcan - John-Erich Nielsen - E-Book

Peur sur le volcan E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Dix trekkers bloqués dans un chalet, la nuit de Noël. Tous ne reviendront pas…

Archie mon neveu ne m'écoute jamais ! Je l'avais pourtant prévenu que cette randonnée ne me disait rien qui vaille... Quelle idée aussi ! Grimper sur un volcan le jour de Noël, alors que nous passons des vacances sans histoires sous le soleil des Canaries. Deux morts ! Vous vous rendez compte ? Une touriste étrangère, et John Hatchington, le leader mondial de l'industrie pneumatique. Deux accidents à ce qu'il paraît... Dire que mon neveu aurait très bien pu lui aussi... mon Dieu ! Je préfère encore ne pas y penser. Mais le voilà tout de même dans de beaux draps : arrêté par la police alors que lui-même est inspecteur à la criminelle ! J'ai bien essayé de lui expliquer à ce commissaire du port de Santa Cruz. Pourvu qu'il ait compris...
En plus, je ne sais pas pourquoi, mais je sens que tout ça n'est pas terminé. Mon pauvre Archie ! Comment cette histoire va-t-elle finir ?
Marjorie Sweeney.

En acceptant d'accompagner sa tante Midge sur l'île de Tenerife, l'inspecteur Sweeney ne s'attendait pas à vivre des vacances aussi mouvementées ! Découvrez vite le deuxième tome de ses enquêtes !

EXTRAIT

Une fois sur l’avenue, Sweeney sentit la chaleur bienfaisante du soleil matinal qui l’enveloppait comme une seconde peau. La journée s’annonçait bien.
Machinalement, il leva les yeux au-dessus des rangées de dattiers qui bordaient l’ Avenida. Puis il laissa son regard remonter lentement, cherchant ce Teide qui dominait toute l’île, et dont il s’apprêtait à défier le sommet.
Great Scott ! pesta soudain Sweeney. Entourée par une ceinture de nuages majestueux, la cime enneigée du volcan demeurait invisible.
Le Teide doit être masqué par cette fameuse mer de nuages dont nous a parlé le guide… Quand on parvient à franchir cette barrière, alors le sommet vous apparaît enfin, immaculé sur un ciel bleu… Ah ! Comme je suis impatient de voir ça ! s’enthousiasma l’Écossais. Puis il jeta un dernier coup d’œil à sa montre : Six heures trente-cinq. Avant midi, je serai là-haut !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Dans la grande tradition, ce roman d’enquête est fertile en passionnantes péripéties. Une palpitante aventure, entre mystère et sourire. - Claude Le Nocher, Rayon Polar

Ecriture de qualité, intrigue intéressante, héros sympathique ! Bref un excellent polar ! - JLB21, Booknode

Totalement bluffé ! Le premier j'avais bien déduit une partie de la vérité mais là...Quel coup de maître. - kbnha, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Des rollmops sous les tropiques

– Archie ! Il est six heures du matin ! Ne me dis pas que tu comptes avaler ça ?

– Pourquoi pas, tante Midge ? répliqua Sweeney.

De retour du buffet, le jeune homme déposa son assiette de hareng cru sur la table.

– C’est très sain le rollmops. Toi-même, tu m’as toujours dit que…

– Peut-être, mais pas à l’hôtel Archie ! le coupa la vieille dame.

– Tu sais, si l’hôtel ne voulait pas qu’on en mange, il n’en proposerait pas de pleins bocaux… Regarde, même Berthie adore ça.

– Archie ! Pas de nourriture au chien, voyons !

– Mais tante, il n’y a personne à cette heure… et Sweeney glissa un morceau de poisson dans la gueule affamée de son teckel.

Affolée, tante Midge s’empressa de scruter les quatre coins du restaurant de l’hôtel Flamingo. Les fleurs de strelitzias, sagement alignées le long de la fenêtre ouverte sur l’océan, demeurèrent impassibles.

– Archie, je t’en prie ! Tu vas me faire mourir de honte. Je ne t’ai pas élevé de cette façon-là enfin.

– Voilà tante. J’ai fini… Va jouer maintenant, Berthie. Allez, file !

Rassasiée, la saucisse brune s’enfuit ventre à terre en direction de la piscine.

– Tante Midge, ne me regarde pas comme ça. On dirait que je viens de commettre un crime. Et puis, avant une randonnée comme celle-là, il faut quand même que je prenne un petit déjeuner complet, non ?

– Parlons-en, quelle idée ! Comme s’il n’y avait rien de mieux à faire aux Canaries que d’aller escalader une montagne.

– Tu me connais… Dès que j’ai aperçu son pic enneigé par le hublot de l’avion, je me suis dit qu’il fallait que j’aille la voir de plus près… Ce sommet qui émergeait au-dessus des nuages, en plein milieu de l’Atlantique, c’était irréel. On avait l’impression de pouvoir la toucher… Et puis ce n’est pas seulement une montagne tante, c’est surtout un gigantesque volcan. Le cratère, la Caldera de las Cañadas, fait près de seize kilomètres de diamètre !

– Il n’est pas en activité au moins ? s’inquiéta aussitôt tante Midge.

– Non. Sur l’archipel, la dernière éruption date de 1971. Je n’étais même pas né.

– Toi peut-être, mais moi oui. Je ne trouve pas que ce soit si ancien que ça, Archie.

– Tante !… se désola Sweeney. Le Teide ne va pas se réveiller précisément le jour où je lui pose le pied dessus. Avoue que ce serait une sacrée malchance, tu ne crois pas ?

– Oh bien sûr, acquiesça tante Midge. Mais je ne suis pas rassurée de te voir partir là-haut… Je n’aime pas ça, c’est tout, fournit finalement la vieille dame pour seule explication.

– Tante, écoute… voulut argumenter Sweeney.

– Et tu vas y arriver au moins ? l’interrompit-elle à nouveau. Ce n’est pas trop difficile ?

– Mais j’ai déjà escaladé le Ben Nevis l’année dernière, souviens-toi.

– Justement ! Je m’en souviens très bien : tu es rentré avec deux doigts de pied gelés. Le médecin a même cru qu’il faudrait t’opérer.

– Tante ! la rabroua Sweeney. Tu exagères, c’était un petit bobo sans importance. Deux jours plus tard, tout était rentré dans l’ordre.

– Je ne suis pas folle Archie, tes orteils étaient gelés ! insista tante Midge… Et puis dis donc, mon neveu : chez nous en Écosse, tout le monde sait que le Ben Nevis fait 1344 mètres d’altitude… Alors ton volcan, là, j’espère au moins qu’il n’est pas aussi haut ?

– Mais si tante, il le dépasse même nettement. Le Teide est le point culminant d’Espagne, il s’élève à 3718 mètres.

– Quoi ? s’étouffa tante Midge. J’en étais sûre !… Est-ce que tu es fou, mon garçon ? Je ne vais certainement pas te laisser partir : pour te voir revenir sur une civière ? Il n’en est pas question ! gronda la vieille dame.

– Mais ce n’est rien, je te promets, tenta de la rassurer Sweeney. Je t’explique : le taxi va tout d’abord nous déposer à El Portillo, à un peu plus de 2000 mètres d’altitude. C’est là que se trouve le pied de la véritable ascension, et ensuite seulement, nous partirons pour le sommet… Fais le compte toi-même, ce n’est pas plus compliqué que de gravir une colline dans les Highlands… Allez, ne t’inquiète pas tante. Même les débutants sont acceptés.

– Oui, bon. Peut-être… grommela tante Midge. Est-ce que vous serez nombreux ?

– Je ne crois pas… Enfin, je n’en sais rien. On verra bien tout à l’heure au départ.

– Au fait, tu as tout ce qu’il te faut dans ton sac à dos ? l’interrogea-t-elle encore.

– Je n’ai pas emmené grand-chose. Tu as vu le temps qu’il fait ce matin ? Je suis persuadé qu’avant neuf heures, le thermomètre affichera déjà les vingt-cinq degrés.

– Combien est-ce que ça fait en degrés Fahrenheit ?

– Ah oui, pardon… Tu multiplies par trois environ : soixante-quinze.

– Mais une fois au sommet ? Vous n’aurez pas soixante-quinze degrés là-haut ?

– Non, tu as raison. La température ne devrait pas excéder zéro… euh, trente degrés Fahrenheit si tu préfères.

– Et tes vêtements chauds ? Tu ne comptes pas grimper en tee-shirt tout de même ?

– Alors ! s’impatienta Sweeney, avant de commencer son énumération : dans mon sac j’ai pris mon pull-over en shetland, mes lunettes anti UV, mon bob et ma crème, pour me protéger du soleil, et puis mes gants. Je crois que je n’ai rien oublié… Bon, tu me laisses partir cette fois ?

– Et qu’est-ce que tu as pris à manger ?

– Tante ! se crispa la mine désespérée de Sweeney.

– Ne t’énerve pas, Archie. Je demande ça pour ton bien… Je m’occupe de toi depuis que tu as cinq ans, alors forcément… Mais dis-moi, est-ce que tu seras de retour pour l’office de Noël au moins ? J’ai trouvé une jolie chapelle, à environ un mile de l’hôtel.

– Oui, rassure-toi. L’ascension dure un peu plus de trois heures. Ensuite, il nous faudra encore deux heures pour redescendre. Enfin, le retour en bus jusqu’à Playa de las Americas… je serai là, voyons… oui, avant la fin de l’après-midi. Tu vois, il n’y a aucun souci à se faire, lui sourit le jeune homme.

Puis, changeant rapidement de sujet, il lui demanda :

– À propos de l’office tante, il sera dit en espagnol, n’est-ce pas ? On ne va rien comprendre.

– Je me suis renseignée. Il y a tellement de touristes étrangers à cette période de l’année que le premier aura lieu en anglais.

– Tu prévois décidément tout… Une messe de Noël sous le soleil des tropiques, je suis impatient de voir ça. Mais c’est bizarre, ajouta-t-il, j’ai du mal à réaliser que c’est Noël. Sûrement à cause de la mer et de la chaleur.

– Oui. Avec tous ces gens en short ou en maillot de bain, l’atmosphère ne se prête guère au recueillement.

– C’est vrai. J’ai l’impression que ce ne sera pas un Noël comme les autres… songea Sweeney.

Avant de relancer sa tante :

– Tu es sûre que tu ne veux pas un peu de rollmops ?

*

Sweeney finit d’ingurgiter ses redoutables rouleaux de poisson cru. Puis il reprit :

– Et toi tante Midge, quel est ton programme pour aujourd’hui ?

– Je te remercie de t’inquiéter pour moi Archie, mais mon emploi du temps est extrêmement simple : piscine et farniente. Pour rien au monde je ne voudrais manquer ça : nager en plein soleil une veille de Noël, c’est tellement excitant !

– Tante ! sursauta Sweeney.

– Eh bien quoi ? En tout cas, poursuivit la vieille dame, ce sera toujours plus amusant que ta balade sur un gros tas de cailloux. Même ton chien est de mon avis : Berthie resterait des heures allongé au bord de la piscine, à réchauffer sa carcasse auprès de mon transat. Il adore ça, je ne l’ai jamais vu en aussi bonne forme.

– Alors si je t’écoute, mon chien a tout compris de la vie lui, la moqua Sweeney.

– Plus que toi, mon garçon. Quand je pense que tu n’as qu’une semaine de vacances et que tu vas aller t’esquinter la santé sur cette montagne…

– Volcan, tante.

– Si tu veux, c’est pareil. Tu ferais mieux de rester tranquillement avec nous et de te reposer. Je te trouve fatigué depuis la rentrée… En fait, depuis que tu as résolu cette affaire de meurtres chez les golfeurs. C’est vrai Archie, on a l’impression que le commissaire Wilkinson ne te lâche plus. Et inspecteur Sweeney par-ci, et inspecteur Sweeney par-là… Est-ce qu’ils n’ont que toi à la criminelle d’Édimbourg ?

– Mais c’est de ta faute après tout ! riposta Sweeney, en s’efforçant de garder son sérieux.

– Comment ça ? s’étonna tante Midge.

– Bien sûr. Sans toi, jamais je n’aurais réussi à découvrir le mobile de l’assassin ! et le jeune homme gratifia sa tante d’un large sourire… Tu sais, même si je me suis fait remarquer il y a deux mois, c’est surtout McTirney qui assure le plus gros du boulot dans notre équipe. En ce qui me concerne, j’ai encore tout à apprendre du métier. En réalité, grâce à McTirney, plus je travaille et plus j’apprends… Alors tu vois, après tout, tant mieux si Wilkinson m’a autant à la bonne.

– Il t’a quand même un peu trop « à la bonne », si tu veux mon avis… Est-ce que tu te rends compte ? Depuis octobre, tu n’as pas trouvé le temps de venir une seule fois me voir à Aberdeen, s’attrista tante Midge. Il a même fallu que j’aille toute seule à Crathes Castle nettoyer la tombe de tes parents avant l’hiver.

– Tu as raison. Ça, je regrette. J’aurais tellement voulu pouvoir t’y accompagner…

Le visage soudain grave, Sweeney marqua un temps d’arrêt. Puis il murmura :

– Hem… Tante Midge…

– Oui ?

– Je n’ai pas encore eu l’occasion de te le dire, mais… merci.

– Merci de quoi ?

– Merci de m’avoir offert cette semaine de vacances aux Canaries.

– Mais il le fallait bien, Archie ! Sans cela, le commissaire Wilkinson t’aurait tué à la tâche. Et puis, c’était pour moi le seul moyen de réussir à te voir… Ceci dit, pour en revenir à ta randonnée, je trouve que tu aurais mieux fait de…

– Ho ! Six heures trente ! la coupa volontairement Sweeney. Il faut que je me sauve, tante. Le taxi de l’organisation passe me prendre dans cinq minutes.

Alors le jeune inspecteur se leva de table, puis il embrassa sa tante et empoigna son matériel de trekking.

– Ah bon ? Tu emmènes une canne ? fit remarquer la vieille dame.

– Pas exactement, tante. C’est un sand wedge, le club de golf de Buddy Nelson. Tu te rappelles, le joueur américain assassiné l’été dernier. Il me l’avait donné le jour de sa mort. Je l’ai conservé depuis, je ne sais même pas pourquoi… Un porte-bonheur sans doute… Et puis je me suis dit que ça pourrait me servir tout à l’heure, pour progresser dans les rochers… Allez, j’y vais cette fois.

– Sois prudent, Archie. Et reviens à l’heure pour l’office !

Sweeney épaula son sac à dos, traversa la salle, et il fit un dernier signe à sa tante avant de sortir du restaurant climatisé. Parvenu dans le vaste hall de l’hôtel Flamingo, l’Écossais se dirigea enfin vers le guichet d’accueil pour y déposer sa clé.

Surprise par ce client si matinal, la réceptionniste au tailleur bleu contempla l’étrange silhouette qui s’avançait vers elle. Tiens ! se dit la belle Canarienne. Voilà déjà un premier… Voilà un… un… Mince ! Ce type ne ressemble à rien !

En effet, de taille moyenne, Sweeney ne se distinguait par aucun signe particulier. À l’exception de sa barbe rousse… Une barbe courte mal taillée, mal peignée, mal foutue vraiment… Cette auréole pileuse lui enflammait joues et menton. Au milieu du visage, ses deux yeux, petits et noirs, semblaient inexpressifs, perdus, tout juste ouverts-un-point-c’est-tout. L’inspecteur Sweeney n’était qu’une barbe. Quant à ses vêtements… bah ! Un tee-shirt aux couleurs fadasses, un pantalon à larges poches définitivement froissé, ainsi que d’épais godillots aux lacets plats. Dans son dos, un sac de marche dont les multiples et inesthétiques protubérances trahissaient l’absence totale de rangement et, sur l’épaule, une improbable tige métallique qui ressemblait plus à un club de golf qu’à une canne. Un désastre ! La silhouette de l’Écossais paraissait n’avoir pour seule finalité que de lui servir à déplacer sa barbe rousse d’un point à un autre.

Étonnant pour un jeune homme, songea l’hôtesse. Une vraie dégaine de British en goguette. Mais on en voit tellement par ici…

– Bonjour mademoiselle, la salua l’étonnant randonneur. Je vous laisse ma clé ?

– Oui señor, gracia.

– Je participe à une marche. Est-ce que vous savez où passe le taxi des Tenerife Treks ? s’inquiéta Sweeney.

– Bien sûr, il s’arrêtera vous prendre juste devant l’entrée de l’hôtel.

– Merci.

– Euh… Señor, vous allez sur le Teide ? lui demanda la réceptionniste.

– Oui, ce sera la première fois. Pourquoi ?

– En hiver, ce n’est jamais très prudent.

– Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ! soupira Sweeney, découragé.

– Pardon ?

– Non, rien… Pourquoi dites-vous cela ? La météo n’est pas bonne ?

– Euh… Si, señor. Mais en décembre, le temps peut tourner en quelques minutes. Surtout en montagne.

– Oh, ça ne m’inquiète pas trop. Le guide me semble connaître parfaitement son affaire.

– Avec qui partez-vous ?

– Un jeune Belge, un brun… Comment s’appelle-t-il déjà…

– Frank ?

– Oui, c’est ça. Vous le connaissez ?

– Évidemment, c’est le meilleur des Tenerife Treks. Avec lui vous ne risquez rien… Vous revenez ce soir, señor ?

– En fin d’après-midi. Ma tante Midge m’attend pour l’office de Noël, alors je n’ai pas intérêt à être en retard ! plaisanta l’Écossais.

– D’accord… Eh bien, bon courage pour l’ascension. Et si je ne vous revois pas d’ici-là, feliz Navidad(1) señor !

– Heu… Oui, vous aussi, balbutia Sweeney qui ne comprenait pas un mot d’espagnol. Puis la barbe rousse s’éloigna du séduisant guichet, avant de quitter l’ambiance feutrée de l’hôtel Flamingo.

Une fois sur l’avenue, Sweeney sentit la chaleur bienfaisante du soleil matinal qui l’enveloppait comme une seconde peau. La journée s’annonçait bien.

Machinalement, il leva les yeux au-dessus des rangées de dattiers qui bordaient l’Avenida. Puis il laissa son regard remonter lentement, cherchant ce Teide qui dominait toute l’île, et dont il s’apprêtait à défier le sommet.

Great Scott ! pesta soudain Sweeney. Entourée par une ceinture de nuages majestueux, la cime enneigée du volcan demeurait invisible.

Le Teide doit être masqué par cette fameuse mer de nuages dont nous a parlé le guide… Quand on parvient à franchir cette barrière, alors le sommet vous apparaît enfin, immaculé sur un ciel bleu… Ah ! Comme je suis impatient de voir ça ! s’enthousiasma l’Écossais. Puis il jeta un dernier coup d’œil à sa montre : Six heures trente-cinq. Avant midi, je serai là-haut !

(1)Feliz Navidad : Joyeux Noël

Dix de trek

Un crissement de pneus, brusque et plaintif, déchira la douce torpeur de l’aube. Le minibus Mercedes blanc, aux couleurs des Tenerife Treks, surgit des hauteurs de Torviscas et s’engouffra sur l’avenue. Instantanément, le véhicule fonça droit vers l’hôtel. Il franchit en un éclair la distance qui le séparait du Flamingo et stoppa sa course aux pieds du touriste écossais.

Sweeney vit alors débarquer un conducteur trapu et moustachu, la chemise ouverte jusqu’au nombril. L’homme lui demanda :

– Señor Sviné ?

– Euh… Oui, confirma sobrement la barbe rousse.

Ce court sésame parut suffire au Canarien. Il s’empara du sac à dos de son client, fit glisser la porte coulissante du minibus, puis il invita le randonneur à prendre place. Sans réfléchir, Sweeney grimpa. À peine installé, le conducteur lui balança son sac sur les genoux et il bondit sans plus attendre au volant du Mercedes. Sa brutale accélération propulsa l’Écossais au fond du siège. Puis le minibus bifurqua rapidement sur la gauche et il quitta enfin l’Avenida.

Sweeney put alors reprendre ses esprits. Il remarqua sur sa droite un couple de jeunes gens, serrés l’un contre l’autre par les virages au couteau du moustachu. L’inspecteur gratifia ses compagnons du jour d’un « Hello ! » aux accents écossais. Le salut lui revint dans un anglais plutôt rugueux.

En tournant légèrement la tête, Sweeney aperçut un jeune homme brun aux cheveux courts. Il semblait assez grand. Ses genoux s’enfonçaient profondément dans le dossier du fauteuil placé devant lui. Les mains bien à plat sur les cuisses, le dos parfaitement droit et immobile, son corps paraissait insensible aux changements de cap nerveux du minibus. Son visage impassible renforçait encore cette impression de rigidité. Même ses vêtements de marche, faits d’un tissu imperméable qui lui collait à la peau, subissaient sans un pli les mouvements désordonnés du véhicule.

La jeune fille à ses côtés adressa soudain la parole à son compagnon. Sweeney crut tout d’abord identifier un mélange d’allemand et d’anglais, puis il reconnut finalement les sonorités abruptes du néerlandais. Ses voisins devaient être Flamands, ou Hollandais, pensa-t-il. Mais l’échange ne dura pas. Le grand brun se tut rapidement, ses joues grêlées se figèrent, et son regard se porta de nouveau vers l’avant.

L’Écossais avait cependant eu le temps d’observer la jeune femme. Elle avait parlé d’une voix chantante, et seule l’apparente froideur du jeune homme avait paru refréner son entrain. Sur son front, un bandeau rouge retenait de longs cheveux bouclés que le soleil levant, en traversant la vitre, rehaussait d’auburn. Le visage que devinait Sweeney était frais et détendu, parsemé de taches de rousseur aussi gaies que le profil du garçon semblait austère et froid. Enfin, l’inspecteur n’avait pas manqué de remarquer son pull vert ; sa coupe étroite laissait entrevoir des formes définitivement… séduisantes !

La barbe rousse fut brusquement interrompue dans sa contemplation par une nouvelle embardée du véhicule. Puis, peu après, le conducteur pila net devant l’hôtel Palm Beach. Aussitôt, l’explosif Canarien débarqua et il se précipita vers une femme d’une cinquantaine d’années qui semblait attendre dans le hall.

Tiens, une Allemande, songea Sweeney…

Avant d’immédiatement se reprocher ce jugement hâtif et stupide : Mais pourquoi serait-elle Allemande, après tout ?… Sa tignasse blonde et frisée ? Son visage disgracieux, à la limite désagréable ? Ce coupe-vent bleu qui lui gonfle la taille ? Son piolet, décoré de ridicules edelweiss, ou bien encore ce short étroit où s’étrangle une paire de cuisses trop rouges ? Si tante Midge m’entendait… C’est vrai, j’exagère. Mais n’empêche, je parierais quand même qu’elle est Allemande ! s’obstina Sweeney dans un sourire amusé.

À son tour, la dame se hissa dans le minibus, sac sur le dos et piolet à la main, puis elle salua les trois premiers occupants d’un énergique « Guten Morgen1 ! »

Je le savais ! jubila l’Écossais, rassuré sur ses remarquables capacités de déduction.

Rapidement, le Mercedes blanc reprit sa course effrénée dans les rues de Playa de las Americas.

Les hôtels luxueux se succédaient sur l’avenue. Derrière leurs façades assoupies, l’Atlantique s’éveillait à peine, s’étirant avec langueur le long des plages de sable noir.

Sur le passage du véhicule, une voluptueuse arborescence de dattiers et de palmiers endémiques égrenait en chapelet son inépuisable joie de vivre. La fraîcheur des arrosages matinaux baignait de senteurs les trottoirs finement carrelés. Les jardins, envahis à ras de terre par d’étranges cactus, laissaient jaillir à mi-hauteur des cascades de fleurs inconnues, jaunes, rouges ou mauves, dont l’éclat estival semblait absolument indécent en cette veille de Noël.

Après un nouveau freinage intempestif, la rêverie de l’Écossais s’acheva cette fois devant l’entrée de l’hôtel Vulcano. Personne n’attendait sous les imposantes colonnes de marbre rose.

Agacé, le bouillant conducteur courut jusqu’au guichet d’accueil.

Sweeney l’y entendit réclamer une certaine “Kim Andersen”. Soudain, une silhouette s’avança dans le hall. Et, contre toute attente, ce ne fut pas la lave qui s’échappa du Vulcano, mais… la glace !

Une jeune fille athlétique d’à peine vingt ans prit d’un pas lent la direction du minibus. Ses cheveux d’ébène, noués en natte dans le dos, contrastaient avec la blancheur laiteuse de sa peau. La moue dédaigneuse, les yeux absents, elle semblait ignorer l’espace autour d’elle et n’avoir pour seul intérêt que la musique que crachaient les écouteurs de son baladeur. Équipée de vêtements et de chaussures modernes parfaitement adaptés à la marche en haute montagne, elle dégageait une impression de supériorité mêlée de lassitude.

Sweeney fut aussitôt sensible à l’aspect mystérieux ainsi qu’au regard vert de la jeune fille.

Quel charme ! s’enflamma la barbe rousse.

Sans un mot ni même un regard pour les autres randonneurs, la nouvelle venue prit place à l’arrière du véhicule. Derrière elle, le conducteur referma pour la dernière fois la porte à glissière du Mercedes.

Alors, visiblement satisfait d’avoir aussi vite récupéré tous ses clients, le Canarien se hâta de quitter la zone hôtelière. Il traversa Las Caletillas à toute allure, puis il remonta vers le nord, en direction de l’unique autoroute de l’île de Tenerife, l’Autopista del Sur.

Sweeney sentit l’océan qui s’éloignait progressivement dans son dos. On n’allait dorénavant plus cesser de grimper vers les pentes escarpées du Teide, passant en moins d’une heure du niveau de la mer à l’altitude de 2020 mètres, le point de rendez-vous d’El Portillo.

Mais, tandis que le taxi prenait enfin la route du sommet, l’Écossais sentit que l’enthousiasme qui l’avait animé jusqu’alors semblait s’être mystérieusement volatilisé. À force de subir les coups de volant incessants du conducteur, Sweeney éprouvait à présent comme un poids sur l’estomac. Est-ce que les rollmops du petit déjeuner supportaient mal les virages canariens ? Peu probable, jugea-t-il, un Écossais peut tout ingurgiter sans jamais être malade. Alors quoi ?

Cette gêne étrange, inexplicable mais bien réelle, paraissait s’être emparée de ses autres compagnons. Gardant le silence, chacun fixait au loin une sorte de point imaginaire, en s’efforçant d’y tenir à distance son propre malaise. Sweeney tenta de les imiter, mais en vain : ses intestins n’en finissaient plus de se nouer.

Et puis, tout à coup, l’Écossais réalisa qu’il y avait autre chose, un sentiment invraisemblable… Il comprit que la seule façon de contenir cette nausée qui montait en lui, c’était encore d’identifier au plus vite la cause véritable de son mal-être. Alors, plutôt que de vomir, la barbe rousse préféra s’avouer sa faiblesse. Cela semblait illogique, sans aucun fondement, et pourtant : oui, Sweeney avait tout simplement peur !

*

Le minibus filait à présent sur l’autoroute, traversant les paysages arides du sud de Tenerife. Au loin, l’azur de l’océan s’appliquait à rafraîchir de son mieux les rivages assommés de soleil de l’île-volcan.

Après quelques minutes, le véhicule des randonneurs atteignit les abords de l’aéroport Reina Sofia. Dans le prolongement de l’autoroute, la carlingue étincelante d’un avion de ligne surgit tout à coup. Un Airbus entamait son approche…

Les pistes se trouvaient coincées entre l’océan et la Punta Roja, un rocher aux teintes rouges haut de près de deux cents mètres, qui semblait veiller sur l’aéroport tel un phare. Sweeney se dit que l’étroitesse du site, conjuguée aux rafales de vent qui soufflaient en permanence sur la pointe sud de l’île, devait donner aux équipages l’impression d’accoster sur le pont instable d’un porte-avions.

L’Écossais observa l’appareil frôler de ses ailes la Punta Roja, corriger en douceur l’inclinaison de son fuselage puis, d’un seul coup, descendre vers le sol. L’instant d’après, son train d’atterrissage heurtait sèchement le tarmac brûlant de l’aéroport… Le freinage de l’avion fut alors incroyablement bref et violent. Puis, retrouvant soudain son calme, l’oiseau blanc s’en alla rouler tranquillement en direction du terminal de Reina Sofia. Un nouveau contingent de touristes venait de se poser à Tenerife… Sweeney détourna son regard de cette scène aussi captivante que banale.

Moins d’un mile plus loin, le minibus quitta l’autoroute et bifurqua cette fois vers le nord, remontant le long du Barranco de la Piedra. Cette gorge de pierre, large et sèche, dessinait dans ce paysage désolé une cicatrice apparemment aussi profonde qu’inoffensive. Pourtant, l’Écossais devinait à son relief raviné et tourmenté qu’au premier orage, le Barranco pouvait brutalement se faire le lit d’un torrent ivre de rage, et qu’il devait alors déverser une colère d’autant plus sauvage qu’elle était rare.

Les lacets de la route 821 continuèrent de s’enrouler autour des innombrables plantations de tomates et de bananiers qui fleurissaient sur l’île. Les cultures s’étendaient à perte de vue. Recouvertes de vastes tissus, leur surface ondulait sous la caresse du vent, formant comme une immense mer de voiles.

En s’élevant, la route devint petit à petit plus étroite et plus sinueuse encore. Les plantations disparurent. Les maisons blanches finirent elles aussi par se faire plus clairsemées.

Et puis d’un seul coup, à la sortie d’une piste aveugle, un pick-up chargé de bananes s’engagea sans crier gare sur la voie principale ! Anticipant le choc, Sweeney retint son souffle…

Le conducteur du minibus freina en catastrophe !… et parvint, au dernier moment, à éviter la collision.

Devant eux, imperturbable, le pick-up poursuivit sa route sans se soucier un seul instant de l’accident qu’il avait failli provoquer.

La bordée de jurons canariens qui s’ensuivit confirma à Sweeney l’explosivité salutaire de leur chauffeur. Mais alors, dès que le virulent moustachu eut terminé de cracher son dernier Hijo de p…2 ! et que le Mercedes eut redémarré, l’Écossais remarqua à quel point ses compagnons de route restaient silencieux.

Depuis qu’ils avaient quitté Playa de las Americas, personne n’avait échangé la moindre parole. Même le couple de Néerlandais sur sa droite n’avait pas livré le moindre commentaire sur les paysages traversés. Seuls le bruit de fond du baladeur de la jeune fille assise à l’arrière, et le ronflement sonore de la touriste allemande assoupie, étaient venus rythmer leur ascension.

La faute à l’heure matinale ? s’interrogea la barbe rousse.

Après une quarantaine de minutes, on dépassa le toit de tuiles d’une dernière maison blanche. Le minibus se retrouva isolé dans la montagne, environné d’anciens champs de lave au creux desquels une vigne chétive, plantée là par quelque vigneron insensé, s’accrochait encore avec désespoir à la peau râpeuse du Teide.

Et puis enfin, inattendue, apparut au détour d’une épingle une nouvelle rangée de murs blancs : Vilaflor ! Le village le plus haut perché de tout le royaume d’Espagne. Pelotonnées sur les flancs de la montagne, narguant depuis leur imprenable promontoire l’océan lointain, les ruelles en terrasses constituaient l’ultime effort de l’homme pour s’approprier ces terres escarpées. Au-delà, Sweeney le sentait, les lois de la nature régnaient toujours en maîtresses inflexibles.

Alors, dès que le véhicule passa devant la dernière bâtisse, l’Écossais ne put s’empêcher de se retourner, cherchant à garder en mémoire cette image de la civilisation.

Par chance, ce sentiment d’abandon s’estompa dès la sortie du village. Une végétation dense, mais lumineuse, entoura rapidement le minibus. Le Mercedes pénétra dans une vaste forêt de pins, aux troncs élancés et aux couleurs étincelantes. Les sentiers, jonchés d’une couche d’épines moelleuse et craquante à souhait, semblaient réserver au promeneur des randonnées d’une absolue sérénité. Et si les tourments de la roche modelaient encore la montagne, la végétation les recouvrait d’un voile omniprésent de senteurs et d’éclats. Même les à-pic vertigineux n’y étaient plus que des présentoirs au-dessus desquels des pins acrobates, accrochés au roc par la seule force de leurs racines, faisaient étalage de toute leur virtuosité.

Absorbé par cette douce contemplation, Sweeney finit par oublier la peur qui lui nouait l’estomac. Car paradoxalement, en jaillissant des entrailles de la pierre, le vert et l’ocre mêlés démontraient qu’en dépit des apparences, les fureurs du volcan engendraient finalement la vie. Cette forêt d’un éternel printemps semblait puiser sa vigueur au cœur même des plis de la lave morte.

C’est une leçon qui mérite que l’on s’en souvienne… se mit à réfléchir la barbe rousse.

Mais si Sweeney se sentait globalement mieux, ses oreilles commençaient en revanche à souffrir des effets de l’altitude. On devait approcher du palier des deux mille mètres… L’Écossais avala sa salive, et il finit par entendre un léger claquement lui soulager les tympans. Il réitéra l’opération à cinq ou six reprises, jusqu’à ce que l’effet de l’altitude se fût estompé.

Cependant, une fois son ouïe retrouvée, Sweeney ne put alors que constater le silence oppressant qui continuait de régner parmi les randonneurs…

On sortit de la forêt de pins. Après une courte descente, le minibus approcha soudain d’un gigantesque mur de brume. L’épaisse matière blanche, opaque et menaçante, semblait dégouliner du haut des parois de la Caldera.

Quel dommage ! se désola Sweeney. Le volcan doit être juste là, devant nous, et l’on ne peut toujours pas le voir. Le géant sait se faire désirer… Mais ça ne fait rien ! Tout à l’heure, il faudra bien qu’il courbe l’échine, se promit l’Écossais. Pour se consoler, Sweeney ferma les yeux et il imagina la flèche insolente du Teide, encore invisible derrière les nuages, qui s’élançait majestueusement de la bouche édentée du cratère…

Au même instant, le véhicule des Tenerife Treks ralentit son allure avant d’aborder l’entrée du Parque Nacional del Teide. Un garde forestier en chemise et pull verts s’avança vers le minibus. Le conducteur abaissa sa vitre et, aussitôt, un froid mordant pénétra l’habitacle jusqu’alors douillet du Mercedes. « Brrr !… » frissonna Sweeney, et il s’empara comme par réflexe du shetland roulé en boule dans son sac.

Le chauffeur baragouina au fonctionnaire du parc quelques phrases en canarien. Rapidement satisfait, le garde fit signe au Mercedes de passer et, à la satisfaction de tous, la vitre se releva enfin.

Toutefois, l’invasion subite du froid avait eu le mérite de faire réagir les occupants du véhicule. La touriste allemande avait cessé de ronfler et, surpris par la température, les autres randonneurs s’étaient pour la première fois souri d’un air complice. Seule la jeune fille brune à l’arrière était demeurée impassible. Tout comme le conducteur, dont pas un des poils du torse n’avait paru ressentir la caresse cinglante du froid.

Le minibus reprit sa route. Il s’engagea sur la droite et franchit alors les imposants remparts de lave de la Caldera. Brusquement, en contemplant les murs décharnés du cratère qui se refermaient derrière lui, Sweeney eut la sensation désagréable de glisser inéluctablement dans la gueule du volcan…

Le Mercedes progressait à présent sur une chaussée rectiligne, soulevant des pans de brume toujours plus lourds. Cernés par la masse nuageuse qui stagnait dans le cratère, les voyageurs ne distinguaient qu’avec peine les abords de la route.

Mêlées à la noirceur de la roche, les pierres y déclinaient toute une gamme de bruns, d’ocres et de rouges. La Caldera était un royaume minéral, un royaume de mort et de silence. Pas une plante, pas un animal, rien d’autre que le roc, dur et froid… Sweeney frissonna de nouveau.

À l’issue d’une longue frange de malpaises, des crachats de lave durcie, inquiétants et infranchissables, les limites d’une vaste plaine s’esquissèrent dans le pinceau mal assuré des phares. Un sable grossier, de couleur jaune, couvert par endroits de larges plaques verdâtres – du soufre, devina Sweeney – s’étira alors pendant près de deux miles.

Puis, au terme de cette large plaine, on pénétra au cœur d’un véritable paysage lunaire… d’où surgirent soudain, brutales et sombres, des roches aux contours aussi acérés que des poignards. Ces lames de pierre semblaient émerger d’une couche de poussière grise, manifestement profonde. Seuls quelques fragments d’obsidienne, à la noirceur de jais, parsemaient encore çà et là ce tapis de cendres.

Et derrière elles, guettant à moins de vingt mètres, se dressait, encore et toujours, le mur obsédant du brouillard…

Pourtant, caché derrière cette paroi hostile, Sweeney le devinait déjà, là, tout près : le maître des lieux veillait. Le Teide les attendait… Même s’il dissimulait encore sa puissance sous cet insupportable masque de brume, l’Écossais pouvait en ressentir la présence, comme un regard… et subitement, son impatience d’en découdre avec le volcan supplanta la peur. Dorénavant, plutôt que de trembler, Sweeney brûlait de partir affronter le géant !

Enfin le minibus ralentit. À la sortie d’une large courbe, on aperçut un groupe de bâtiments fouettés par le passage incessant des nuages.

Le Mercedes quitta prudemment la route. En se rangeant sur le parking, on entendit des paquets de cailloux qui crissaient sous ses pneus. Les trekkers jetèrent un regard inquiet vers ces murs humides qu’ils devinaient à peine. Les lumières électriques, qui leur parvinrent par les fenêtres, finirent par les rassurer sur l’existence d’une présence humaine et sur sa chaleur.

Le conducteur stoppa le moteur. Il débarqua, la chemisette brinquebalée par le vent. Sans ménagement, il fit coulisser la porte latérale du véhicule, livrant d’un coup ses occupants aux attentions brutales du froid. Puis, la tête rentrée dans les épaules, le Canarien hurla :

– El Portillo ! Feliz Navidad a todos3 !

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