Tais-toi sinon… - José Carcel - E-Book

Tais-toi sinon… E-Book

José Carcel

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Tais-toi sinon… - Les grillons qui chantent faux représente le fruit d’une réflexion axée sur des « situations cliniques » toutes signifiant une problématique qui s’articule autour d’un noyau central : le désir d’emprise. L’auteur met en scène Tristan, un enfant de sept ans sous l’influence de son père. Sensible, intelligent, rêveur, Tristan veut écrire un livre « pour dire ce qu’il n’a pas le droit de dire ».


À PROPOS DE L'AUTEUR


Psychologue clinicien, José Carcel a exercé dans plusieurs hôpitaux et tribunaux en tant qu’expert. En outre, il est auteur de plusieurs ouvrages publiés dont Tais-toi sinon… - Les grillons qui chantent faux dans lequel il partage les idées issues de ses constats cliniques.

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Seitenzahl: 274

Veröffentlichungsjahr: 2022

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José Carcel

Tais-toi sinon…

Les grillons qui chantent faux

Roman

© Lys Bleu Éditions – José Carcel

ISBN : 979-10-377-5539-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

– Au pays de l’autre, Éditeur Indépendant, 2007 ;
– L’écho des voix et du silence, Éditeur Indépendant, 2007 ;
– Le clown pleureur, Édilivre, 2008 ;
– L’échelle, Édilivre, 2008 ;
– La nuit des tambours, Édilivre, 2008 ;
– Le chant des sirènes, Édilivre, 2008 ;
– L’Architecte, Édilivre, 2008 ;
– Voyage au-delà du miroir, Édilivre, 2008 ;
– Capucine, passage d’un monde à l’autre, Édilivre, 2008 ;
– Les plus beaux sentiments, Édilivre, 2008 ;
– La dernière rive, Édilivre, 2008 ;
– Le temple invisible, Édilivre, 2008 ;
– Sur le chemin du souvenir, Édilivre, 2008 ;
– Sur le chemin des oubliés, Édilivre, 2008 ;
– Les naufragés de la vie, Édilivre, 2008 ;
– Félix, le père parfait, Édilivre, 2008 ;
– Le visage et le regard, Édilivre, 2008 ;
– La chose, Édilivre, 2008 ;
– Les retrouvailles, Édilivre, 2009 ;
– Quand l’automne arrivera, Édilivre, 2009 ;
– Le fils du poète, Édilivre, 2009 ;
– La bête folle, Édilivre, 2009 ;
– Les mauvais bergers, Édilivre, 2009 ;
– Le petit chercheur, Édilivre, 2009 ;
– L’hystérie de conversion, Édilivre, 2009 ;
– L’autre pays, Édilivre, 2010 ;
– Le cirque universel, Édilivre, 2010 ;
– Le grand rocher, Édilivre, 2010 ;
– Mon île, Édilivre, 2016 ;
– Les quatre mondes de Narcisse, Édilivre, 2016 ;
– Mon enfant a été tué au nom de Dieu, Édilivre, 2016 ;
– L’héritière, Édilivre, 2016 ;
– Le fils de l’autre, Édilivre, 2016 ;
– Le postier et l’homme de lettres, Édilivre, 2016 ;
– Émeraude et moi, Édilivre, 2016 ;
– Un train peut en cacher un autre, Édilivre, 2019 ;
– Le poète disparu, Édilivre, 2019.

Cinq pièces de théâtre, Édilivre, 2019 :

– Quand on n’a que l’amour ;
– Le dimitrisme ;
– La pierre brute ;
– L’emprise ;
– Un heureux évènement.
– De l’univers psychologique à l’univers initiatique, Édilivre, 2019 ;
– Le procès du Procureur Félon, Spinelle, 2021 ;
– D’un inconnu à l’autre, Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;
– L’Espoir sinon rien ! Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;
– Le père aliénant, Le Lys Bleu Éditions, 2021 ;
– La médiocrité d’esprit, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;
– Je veux… Au pays des goélands, Le Lys Bleu Éditions, 2022 ;
– La Vallée des Loups, Le Lys Bleu Éditions, 2022.

Remarques préliminaires

« Tais-toi sinon… » C’est l’injonction menaçante de faire ou ne pas faire, de dire ou ne pas dire ; c’est « l’ordre » du père « tout-puissant » au fils, du patron cruel au salarié, du religieux dogmatique au croyant, du dictateur au citoyen, bref, c’est l’expression autoritaire dont raffolent notamment ceux qu’on appelle actuellement à tort et à travers les « pervers narcissiques ».

La « perversion narcissique », une nouvelle pathologie ? Quel que soit le « nom » qu’on leur donne, les pervers narcissiques ont toujours existé, certes moins « visibles » qu’aujourd’hui. Avec la psychopathisation croissante de la société, ils y trouvent un terrain propice au développement et à la satisfaction de leurs tendances malsaines. Contrairement aux névrosés, aux dépressifs et aux psychotiques, les pervers narcissiques ne fréquentent pas les structures de soins ! La raison est simple, ils n’éprouvent aucune souffrance psychologique, aucun remords, aucun sentiment de culpabilité ! Vampires de l’âme, machiavéliques, amoraux, colériques, malveillants, manipulateurs, calculateurs, menteurs, cruels, destructeurs, toxiques, ces sinistres personnages se moquent de la loi, des structures de soins et de la souffrance qu’ils infligent à leurs victimes. Les spécialistes se posent la question de savoir si les « pervers narcissiques » sont des malades mentaux (psychiatriques). Pour certains, « il ne s’agit pas d’une maladie mentale mais d’une organisation de personnalité » or, comme le montre la clinique, la perversion narcissique est une maladie pulsionnelle qui relève de la psychiatrie au même titre que la paranoïa ou la dépression… Qui sont-ils les pervers narcissiques ? À quoi ressemblent-ils ? Comment agissent-ils ? On les reconnaît notamment à leur volonté de nuire, au désir d’anéantir leur victime, à la jouissance qu’ils éprouvent à détourner l’enfant des personnes qu’il aime, au dénigrement des règles de vie, de l’autorité et de la loi, à leurs propos malveillants, calomnieux, accusateurs et menaçants. Pour exister, pour combler le vide de leur « âme », ils n’hésitent pas à séduire leurs futures victimes en affichant une « beauté intérieure » qui leur est totalement étrangère, puis ils laissent libre cours à leur « désir d’emprise », au besoin, ils adoptent la position de victime… Hélas, la Justice éprouve beaucoup de difficultés à les cerner et à condamner leurs agissements, notamment, quand ils sont coupables « d’aliénation parentale ». À défaut de preuves visibles à l’œil nu, ils bénéficient souvent d’une « relaxe » ce qui contribue à accroître voire à légitimer leurs conduites destructrices. La victime, dont la parole est parfois discréditée, se retrouve livrée à elle-même, disqualifiée, bafouée, voire « coupable » d’une faute qu’elle n’a pas commise.

Tais-toi sinon… les grillons qui chantent faux représente le fruit d’une réflexion autour de « situations cliniques », toutes signifiant une problématique qui s’articule tout entière autour d’un noyau central : le désir d’emprise dont l’une des conséquences majeures c’est l’aliénation de l’enfant.

L’auteur met en scène Tristan, un jeune enfant sous l’emprise de son père. Sensible, intelligent, rêveur, Tristan désire écrire un livre « pour dire ce qu’il n’a pas le droit de dire ».

I

Au cœur de l’été 2018 le ciel était de nouveau menaçant et le « vent fou » hurlait violent, dénudant à son passage les arbres et les rosiers. Cet été, un air de révolte soufflait aussi dans l’esprit de la plupart des habitants de Ralbolville, une ville située entre la mer et la haute montagne où Tristan était né. Déçus par les promesses des faux prophètes annonçant la fin de la pauvreté, la plupart des habitants, incapables de joindre les deux bouts à la fin du mois, songeaient déjà à faire la « révolution ». On murmurait dans les rues que la promesse d’un avenir radieux pour tous n’était qu’un piège mortifère pour satisfaire les désirs malsains de quelques-uns.

Hélas, Ralbolville, la ville paisible où les ancêtres de Tristan avaient rêvé du meilleur des mondes n’était plus ce qu’elle avait été. Avec la perte des rêves, la quête du profit pour soi avait pris la place du bonheur partagé ; les lois de la haine avaient pris le pas sur les lois de l’amour. Eh oui, Ralbolville était devenue une ville au cœur froid où tous les coups étaient permis y compris « l’instrumentalisation » odieuse des enfants, des femmes et des vieillards. Conscient du danger qui planait sur les gens, Jean, surnommé « la mémoire de Ralbolville », exhorta la population à lutter contre les agissements crapuleux de ceux qu’il appelait « les grillons qui chantent faux. »

***

Un jour, poussé par le désir de partager son vécu, Tristan, âgé de 7 ans, rejoignit Jean dans son jardin avec un gros cahier à la main. Ce n’était pas la première fois qu’il sollicitait l’attention du vieil homme pour lui parler de ses soucis, de ses passions et de ses rêves. Mais ce jour-là, il n’était pas comme d’habitude… il s’assit à côté de Jean sans dire mot, les yeux larmoyants.

« Tu es bien silencieux », dit Jean en faisant un large sourire.

Tristan ouvrit son cahier et dit d’un ton soucieux :

« J’aimerais faire comme Pierre… Tu sais, à l’école tous les enfants l’appellent “Sisyphe”… »

« Sisyphe… pourquoi ils l’appellent Sisyphe ? »

« Je ne sais pas, peut-être parce qu’il a le corps courbé comme un arc. »

« Dis-moi Tristan, qu’est-ce que Pierre a fait ? »

« Il a écrit un livre où il raconte sa vie… moi j’ai commencé le mien mais je ne suis pas content du résultat, veux-tu l’écrire à ma place ? »

Surpris par sa demande, Jean lui répondit :

« Je ne peux pas l’écrire à ta place, si tu veux je peux t’aider à l’écrire. »

« Super ! » s’exclama Tristan sursautant de joie.

« Dis-moi, tu veux vraiment écrire un livre sur ta vie ? »

« Oui… regarde mon cahier, j’ai déjà écrit tout ça ! »

« Tu as écrit tout ça ? C’est formidable ! »

« Merci, Jean… mais je n’ai pas tout dit. »

« Tristan, je me permets de te dire que tu es bien trop jeune pour parler de ton vécu, il faudra attendre encore un peu… tu sais, il faut de l’expérience pour parler des évènements vécus. »

« Cyprien dit qu’on peut écrire des dizaines de livres sur les “évènements” vécus au cours des cinq premières années de sa vie. »

« Je comprends ce qu’il veut dire mais à ton âge il est difficile de parler du miracle de la naissance, de la joie des premiers pas, de la poussée des premières dents, des épreuves de l’enfance… Tu sais, avec tout ça, c’est vrai, il y a de quoi faire de gros livres. »

« Qui est Cyprian ? »

« C’est mon meilleur copain ! Il est beaucoup plus grand que moi, on dirait un géant ! Il sait même conduire la voiture de sa maman ! Les gens disent qu’il est surdoué depuis qu’il est tout petit. Je ne sais pas ce que veut dire “surdoué”… Il m’a dit que les gens disent n’importe quoi. Jean… »

« Oui ? »

« Moi, je voudrais écrire un livre pour dire ce que je n’ai pas le droit de dire ! »

« Je ne comprends pas très bien. »

« Tu sais, depuis que papa a déclaré la guerre à maman, il dit des choses sur maman que je n’ai pas le droit de dire… Il… il est… c’est vrai, je pense qu’il veut la peau de maman… je… je ne voulais pas mais je me suis senti obligé de faire équipe avec lui contre maman… »

« Tu as déclaré la guerre à ta maman ? »

« Oui… »

« Pourquoi donc ? »

« Pour lui faire payer sa faute… »

« Quelle faute ? »

« Le divorce ! »

« Voyons, le divorce n’est pas une faute. »

« Maman dit comme toi mais papa se moque de ce qu’elle dit, il a décidé de la punir, il n’arrête pas de lui dire des choses méchantes pour lui faire du mal. Maman dit qu’elle portera plainte s’il continue à lui faire du mal, papa dit que le juge ne la croira pas. Je pense qu’il va tout faire pour la faire passer pour une folle… moi, je ne veux pas qu’elle passe pour une folle, c’est pour ça que je veux écrire mon livre… »

« Je vois… Bon, je vais t’aider à écrire “ton” livre ! »

« Je suis content, il sera très gros, très, très, très gros ! Il sera fini ce soir ? »

« Je ne le crois pas, écrire un livre ça prend beaucoup de temps, peut-être des mois ou des années. »

« Je pourrai venir te voir quand je veux pour te raconter ma vie ? »

« Bien sûr ! Mais il faut que ta maman soit d’accord. »

« Je lui en ai parlé, elle est d’accord. »

« T’en as parlé aussi à ton papa ? »

« Non, je ne veux pas qu’il le sache. »

« Pourquoi ? »

« Je n’ai pas envie de le dire. »

« Si tu n’as pas envie de le dire, ne le dis pas. »

« Jean, tu connais mon papa ? »

« J’ai entendu parler de lui mais je ne l’ai jamais rencontré. »

« Tu sais, mon papa est… je n’ai pas envie d’en parler. »

« Ce n’est pas grave, tu en parleras quand tu voudras. »

« J’ai hâte de commencer mon livre. »

« Attends un peu, je vais rappeler ta maman, je reviens tout de suite. »

Quelques minutes plus tard, Jean était de retour, Tristan feuilletait attentivement les pages blanches de son cahier…

« Tristan, je suis content de t’annoncer que tu vas pouvoir écrire “ton livre” avec moi, ta maman est d’accord. »

« Chouette ! Comment on va faire ? »

« Voilà, je te propose de raconter tout ce que tu veux, je vais enregistrer tes paroles et après nous l’écrirons ensemble… »

« Je peux tout dire ? »

« Bien sûr ! »

« Même les choses que je n’ai pas le droit de dire ? »

« Tu peux dire tout ce que tu veux… »

« Chouette ! Je peux commencer ? »

« Oui… attends un instant que je mette mes oreillettes. »

« Moi, je ne mets pas des oreillettes mais quand je veux, j’entends tout ! »

« Tu as de la chance, moi, même avec des oreillettes je suis loin d’entendre tout. »

« Tu sais, mon prof de français dit que je l’entends bien mais je ne l’écoute pas… »

« Je vois… »

« Tu n’as pas entendu ? »

« Oui, j’ai bien entendu ce que tu as dit. »

« Alors pourquoi tu as dit “je vois” ? »

« C’est une façon de dire que j’ai compris. »

« Jean, je suis prêt à écrire mon livre, tu peux me dire comment le commencer ? »

« Simplement, tu parles de ta vie, de tes rêves, du monde qui t’entoure, tu dis comment tu te vois, comment tu vois les autres, etc. »

« Ah ! Ça me rappelle quelque chose… »

« Quoi donc ? »

« Cyprien dit qu’il existe quatre façons de regarder le monde : la première est celle du petit enfant qui regarde le monde en se confondant avec lui ; la deuxième est celle de l’enfant qui le regarde surtout avec les yeux de ses parents ; la troisième est celle de l’adulte qui croit le regarder avec les siens ; la quatrième est celle du sage qui le regarde avec ses propres yeux. Qu’est-ce que tu en penses ? »

« J’aime bien les quatre regards dont parle ton copain, je vais réfléchir. »

« Moi, je les aime bien aussi mais je ne comprends pas tout. Tu connais beaucoup de sages ? »

« Non, je n’en ai jamais rencontré un seul. »

« Moi non plus… Cyprien dit la même chose que toi, il pense que le sage n’existe que dans l’imaginaire des gens. »

« Je le pense moi aussi. »

« Ça veut dire quoi l’imaginaire ? »

« Oh ! Ce n’est pas facile à expliquer. C’est une façon de voir les choses que nous ne pouvons pas voir avec nos yeux… tu as compris ? »

« Oui. »

« J’ai oublié de te dire que l’imaginaire permet de donner des réponses aux questions peut-être sans réponse… tu comprends cela ? »

« Bien sûr, quand j’étais petit je demandais souvent : comment j’étais avant d’être né ? Comme personne ne me répondait, j’inventais des réponses. »

« Je vois, tu as bien compris. »

« Jean… le magnétophone marche ? »

« Oui. »

« J’ai une idée… »

« Quelle idée ? »

« Avant de raconter ma vie, je vais te montrer tout ce que j’ai écrit… attends je reviens tout de suite. »

Tristan est arrivé quelques instants après avec une page sous le bras.

« Regarde ! »

« Tu as écrit tout ça ? »

« Oui ! Tu sais, Cyprien m’a aidé à l’écrire. Tu vas voir, je raconte une histoire un peu triste… quand je l’ai relue la première fois j’ai pleuré. Je peux te lire ce que j’ai écrit ? »

« D’accord… »

« Si tu as envie de pleurer toi aussi, tu me le dis. »

« D’accord. Je t’écoute. »

« Il était une fois sur la planète Terre… la plus belle planète de l’univers ! On disait cela mais quand je suis né à Ralbolville on entendait partout le chant faux des affreux grillons. C’était une planète où l’on avait inventé des trains, des usines, des lois, des gratte-ciel, des bateaux et même des cathédrales. Une partie de l’humanité voulait lutter contre la haine des affreux grillons hélas les affreux grillons se prenaient pour des “dieux” et s’acharnaient à imposer leur propre loi. J’aurais voulu naître sur une autre planète mais je suis né à Ralbolville. Comme papa était affreux avec moi et avec maman, un jour, j’ai décidé de raconter ma vie…

Je m’appelle Tristan, je suis le fils d’Héloïse et de Jack Lalimace. Quand j’étais tout petit, je regardais le monde avec mes yeux, mais comme j’étais trop petit, je ne me souviens pas du monde qui s’offrait à mes yeux, puis, en faisant mes premiers pas, j’ai commencé à le regarder avec les yeux de mes parents ; à douze ans, je le regarde toujours avec les yeux de mes parents et un peu avec les miens. Tu sais, le monde que je vois avec les yeux de mon papa n’est pas le même que celui que je vois avec les yeux de ma maman ! Jean, tu penses que je raconte bien mon histoire ? »

« Je trouve le commencement très beau. »

« Tu dis cela pour me faire plaisir… »

« Non, je te dis la vérité, j’étais loin d’imaginer que tu commencerais comme ça. »

« Tu sais, la prof de français m’aime bien, elle dit qu’un jour je deviendrai écrivain. »

« Ça ne m’étonnerait pas. »

« Tu sais, je suis nul en mathématiques… »

« On ne peut pas être bon partout. »

« Jean, en vrai, je ne suis bon en rien, j’ai rarement dépassé le 5/20… le prof d’histoire-géo dit que ce n’est pas glorieux. »

« Tristan, il faudra faire des efforts. »

« Je n’arrive pas, j’ai trop de choses dans ma tête qui m’empêchent de travailler pour devenir un grand écrivain. Tu sais, un jour Cyprien m’a dit : “Pour devenir écrivain, il faudrait que tu quittes Ralbolville.” »

« Pourquoi il dit cela ? »

« Je ne sais pas. »

« Dis Jean, pourquoi il y a tant d’abrutis à Ralbolville ? »

« Pourquoi tu me poses cette question ? »

« Je ne sais pas… Cyprien dit qu’il y a trop d’abrutis à Ralbolville. »

« Malheureusement, il a raison. »

« Jean… je ne veux pas être un abruti ! J’ai entendu dire que Ralbolville est devenue une ville de malheur à cause des abrutis… je ne comprends pas pourquoi les gens disent cela. »

« Tu es trop jeune pour le comprendre. »

« C’est vrai ce que disent les gens ? »

« Hélas oui. »

« Tu sais, je connais quelqu’un qui voudrait être directeur des ressources humaines dans une entreprise, pourtant il est moins humain qu’un sanglier, c’est mon meilleur copain qui le dit. »

« Il exagère. »

« Les gens disent qu’il est obsédé par le pouvoir et l’argent… “Obsédé”, je ne sais pas ce que cela veut dire. »

« Tu le comprendras plus tard. »

« Jean, il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas… »

« Moi non plus. »

« Les gens disent que tu es un sage… Cyprien dit que tu es “presque sage”. »

« Cyprien a raison, je ne suis pas plus sage que le commun des mortels. »

« Alors pourquoi les gens le disent ? »

« Tristan, on ne peut pas arrêter l’imaginaire des gens. »

« Jean… je vais te parler de moi… Je suis fils unique, j’ai les yeux bleus, les cheveux blonds et une tête pleine de beaux rêves et de cauchemars. J’ai grandi dans une maison située au bord de l’autoroute que papa avait surnommée, contre l’avis de maman, le “Château”. C’était une maison un peu pourrie entourée d’un grand jardin envahi de mauvaises herbes. Maman trouvait le nom ridicule mais papa ne lui donnait pas le droit de choisir un autre nom. Je n’ai jamais su pourquoi il voulait vivre dans un “Château” ! Le “Château” a toujours été au centre de ses préoccupations. Il disait à maman que si elle n’acceptait pas le prix qu’il proposait, elle pouvait faire une croix sur sa part, qu’il ne le vendrait pas avant vingt ans ! Cyprien me disait : “Tristan, ton papa a un problème avec son caca.” Comme je ne savais pas ce que cela voulait dire, Cyprien m’a dit aussi : “Ton papa, à défaut d’avoir fait caca avec joie quand il était enfant, maintenant, il fait chier tout le monde.” »

« Jean… tu comprends ce que cela veut dire ? »

« Oh ! J’ai une petite idée… »

« Je ne savais pas que faire caca avec joie quand on est petit rend gentil avec les gens. »

« Cela peut paraître étrange mais c’est vrai. »

« Tu sais, Cyprien est mon meilleur copain, il a une grosse tête, une tête pleine d’idées… Il m’a beaucoup aidé à voir clair dans ma vie. »

« J’aimerais qu’un jour tu me présentes ton meilleur copain. »

« D’accord, il sera content de faire ta connaissance. »

« Moi aussi. »

« Cyprien dit que Ralbolville est peuplée de gens sans foi ni loi. »

« Peut-être bien, c’est même sûr. »

« Je ne sais pas ce que cela veut dire “sans foi ni loi” mais s’il le dit ça doit être vrai. »

« Tu sais, l’existence des gens sans “foi ni loi” ne date pas d’aujourd’hui, les gens sans foi ni loi existent depuis que l’homme a peuplé la planète Terre. »

« Cyprien dit qu’ils peuplent aussi les familles. »

« Pourquoi il dit cela ? »

« Il m’a dit qu’il connaît des papas sans foi ni loi… Tu connais à Ralbolville des papas sans foi ni loi ? »

« Oui, quelques-uns… »

« Ils sont comme des sangliers ? »

« Oui, on peut le dire comme ça. »

« Tu sais, mon papa est un peu “sanglier”, c’est mon meilleur copain qui le dit. »

« Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? »

« Je n’ai pas envie de le dire. »

« Excuse-moi, je n’aurais pas dû te poser la question. »

« J’aimerais que tu me dises un jour ce que tu penses des “papas sangliers”. »

« D’accord. »

« Tu veux me le dire tout de suite ? »

« Non, plus tard. »

« Jean, quand je me regarde avec les yeux de maman, je me trouve beau et gentil, pourtant je ne suis pas très gentil avec elle. Je suis un enfant… je ne sais pas comment le dire, je ne suis pas un enfant comme les autres. Souvent, je fais des choses à maman qui l’empêchent de dormir. Ce n’est pas toujours de ma faute si je lui fais des misères… C’est bizarre, depuis que je la regarde avec les yeux de papa, je ne peux pas m’empêcher de faire des crises pour l’embêter. »

« Tristan, tu les fais exprès ? »

« Quelquefois oui, des fois non… »

« Tu sais, quand j’étais petit papa me battait pour tout et pour rien, depuis que je fais des misères à maman il ne me tape presque plus, il dit même qu’il m’aime beaucoup ! Il croit que je vois maman seulement avec ses yeux, ce n’est pas vrai, je la vois aussi en secret avec les miens… Papa m’a toujours dit que j’étais “idiot et fou”… ce n’était pas vrai, je suis très doué pour raconter des histoires. Je ne suis pas “idiot et fou”… Tu penses que mon papa est un “abruti” ? »

« Je ne sais pas, en tout cas battre un enfant pour tout et pour rien ce n’est pas normal. »

« Moi, je pense qu’il est un peu abruti, il n’a pas le droit de taper son enfant. »

« Je suis d’accord avec toi. »

« Mon meilleur copain dit qu’il faudrait l’enfermer. Dis Jean, ton papa te tapait aussi pour tout et pour rien ? »

« Non mais parfois il était sévère quand je dépassais les bornes. »

« Tu sais, je dépasse souvent les bornes mais comme mon papa est complètement borné, il me tape toujours. »

« C’est grave… »

« Tu sais, il avait la manie de me dire de gros mots qui me faisaient mal au cœur, il avait l’air d’être comme tous les papas mais, lui, il était un peu “spécial”, c’est Cyprien qui me le disait. Je le trouve… je ne sais pas comment le dire… Quand j’étais petit, il me faisait penser aux dieux de la mythologie ! J’adorais les dieux de la mythologie ! Il m’arrivait de penser que j’aurais aimé être, moi aussi, un “dieu”… Quelquefois, je me disais que j’avais la chance d’être le fils d’un “dieu”, des fois je me disais que c’était une catastrophe d’avoir un papa qui se prenait pour un “dieu”… Si j’avais adoré les mêmes choses que lui peut-être que tout serait différent pour moi, mais moi je détestais ce qu’il aimait, je préférais étudier la vie des animaux, des étoiles et des fleurs. Jean… tu penses que mon papa est comme tous les papas ? »

« Il fait comme s’il était comme les autres papas mais les autres ne se prennent pas pour des dieux. »

« Je ne comprends pas… »

« C’est simple, quand un papa se prend pour un dieu il promet aux autres le ciel ou l’enfer… »

« Comme le curé de l’église de Ralbolville ? »

« Non, Tristan, les curés ne se prennent pas pour des dieux, ils croient simplement à l’existence du ciel et de l’enfer. »

« C’est trop compliqué pour moi… j’ai compris que “promettre” et “croire” ce n’est pas la même chose. »

« Tu as bien compris. »

« Dis Jean, pourquoi ils promettent le ciel ou l’enfer ? »

« Cela leur permet d’imposer leur propre loi et de régner en maîtres »

« Cela veut dire quoi ? »

« Cela veut dire simplement qu’au nom du ciel ou de l’enfer tout le monde doit les obéir. »

« Merci Jean, j’ai compris… je dirai à mon papa d’arrêter de se prendre pour un dieu et de me promettre le ciel… tu sais, ce matin il était très heureux parce que la veille il avait fait la fête avec ses copains. »

« Je sais, et quelle fête ! »

« Jean, pourquoi ils font la “fête des dieux de la mythologie” ? »

« C’est une tradition à Ralbolville… Tous ceux qui se prennent pour des “dieux” adorent parcourir les rues sous les applaudissements d’une foule exaltée. »

« Mon papa s’est déguisé en Jupiter… Jean, parlons d’autre chose… tu trouves mon histoire intéressante ? »

« Oui ! J’ai hâte de connaître la fin. »

« Il faudra attendre longtemps car j’ai beaucoup de choses à dire… »

« Nous avons tout notre temps. »

« Tu sais, depuis le début de la séparation de mes parents, papa n’arrête pas de faire la guerre à maman, il la fait pleurer, il a décidé de la rendre malheureuse toute sa vie. Il disait que tout était de la faute de maman et qu’il allait la faire chier toute sa vie… il parlait toujours comme ça. Comme il n’a pas des limites dans sa tête – c’est mon meilleur copain qui le dit –, il la punissait jour après jour. Il faut que je te dise que je fais souvent le méchant avec maman. J’ai remarqué que papa est très content quand je m’oppose à maman. C’est bizarre, depuis que je fais équipe avec lui, même si j’ai horreur du foot il ne me dit plus que je suis “idiot et fou”. Jean… mon papa est bizarre… Dis Jean, comment il fait pour n’avoir pas des limites dans sa tête ? »

« Tu me poses une question très compliquée. »

« Si tu ne veux pas me répondre, ce n’est pas grave. »

« Tristan, je te répondrai plus tard. »

« D’accord. Tu sais, avant, j’avais les cheveux longs, maintenant, j’ai les cheveux courts, je ne les aime pas, maman non plus. Un jour, papa a demandé à son amoureuse de me couper les cheveux. J’ai pleuré. J’aimais bien mes cheveux longs… C’est triste de les avoir coupés, c’est comme si on m’avait coupé un rêve… Maman disait avec fierté que j’avais des cheveux comme les champions de surf. Pourquoi il a voulu couper mes cheveux, il avait sûrement une idée derrière la tête… Jean, je pense que c’est fou de m’avoir coupé un rêve… »

« Tu sais, c’est triste à dire mais il y a des papas qui ont la manie de couper les rêves de leurs enfants… »

« Pourquoi ils font ça ? »

« C’est très compliqué à expliquer. »

« Tu me répondras plus tard ? »

« D’accord ! »

« Jean, comment tu trouves mon papa ? »

« J’attends la suite pour me faire une idée. »

« Tu sais, il est… »

« Que veux-tu dire ? »

« Rien, je n’ai pas envie de le dire… »

« D’accord ! »

« Jean, tu connais beaucoup des coupeurs de rêves ? »

« Oui, j’en ai connu quelques-uns à Ralbolville. »

« Cyprian dit que les coupeurs de rêves sont partout. »

« Oui, hélas ils sont partout. »

« Jean, c’est trop triste d’être interdit de rêves… »

« Pourquoi tu dis cela ? »

« Je n’ai pas envie de le dire… »

« D’accord. »

« Tu sais, depuis que mes parents sont séparés c’est une catastrophe… Maman est démoralisée, elle cherche de l’aide partout, papa lui envoie des textos tous les jours, il l’insulte, lui fait des chantages, la dévalorise, la menace… il a toujours les mots pour la rendre malheureuse. C’est étrange, maintenant, quand maman veut une chose pour moi, papa n’est pas d’accord, je crois qu’il le fait exprès pour la contrarier. Je ne sais pas pourquoi il lui en veut tout le temps. Il dit qu’elle est folle, qu’elle a raté son mariage, son divorce, sa vie de femme et de mère. Il a dit cela plein de fois. Il dit tant de choses méchantes sur elle que je ne sais plus quoi penser. Il a une façon de les dire que souvent je me sens obligé de le croire… Ma maman est démoralisée, mon papa fait tout pour lui couper ses rêves. »

« Quels rêves ? »

« Ses rêves… Jean… Cyprian dit que les habitants de Ralbolville ne rêvent plus… c’est vrai ? »

« Il se trompe, j’en connais qui font encore de beaux rêves »

« La nuit ? »

« Et le jour aussi ! »

« C’est vrai que l’absence de rêves c’est comme la mort ? »

« Oui, un homme sans rêves n’est vraiment plus un homme »

« Les femmes rêvent aussi ? »

« Bien sûr, pareil que les hommes. »

« Cyprian dit que mon papa s’acharne à tuer les rêves de tous ceux qu’il rencontre sur son chemin… Pourquoi il fait ça ? »

« Je ne sais pas pourquoi il le fait, en tout cas j’ai constaté que c’est le rêve de tous ceux qui ne rêvent pas et qui se prennent pour des dieux. »

« J’ai compris ! »

***

Comme le voulait la tradition, la nuit de la « fête des dieux » tous les hommes de trente ans environ, déguisés en « dieux » se livraient une bataille sans merci entre eux. Le vainqueur, nommé le « dieu des dieux » fixait les règles à respecter durant l’année qui suivait. Cette année-là, après un combat acharné, le père de Tristan fut nommé « le dieu des dieux » ! Le lendemain Ralbolville honorait le nouveau « dieu » et oubliait l’ancien.

Comme d’habitude, avant la tombée de la nuit, Tristan, rejoignit Jean avec son cahier sous le bras.

« Jean… c’est vrai que la peur a envahi le cœur des habitants de Ralbolville ? »

« Oui, les gens ont peur de sortir la nuit. »

« Les gendarmes ne font rien ? »

« Tu sais, les gendarmes ont peur aussi. »

« Moi aussi. Tu sais, la nuit j’ai peur, je ne sais pas pourquoi. Papa dit qu’un grand garçon comme moi ne doit pas avoir peur, moi, je lui dis que ce n’est pas de ma faute. Il ne le sait pas mais j’ai toujours eu peur de lui, s’il ne m’avait pas tapé quand j’étais petit, je n’aurais pas peur de lui. Je crois qu’il aimait me faire peur pour me montrer qu’il était le plus fort. Quand il me tapait comme une brute, il disait toujours que c’était de ma faute, après il me faisait des câlins… C’est vrai, parfois je faisais des bêtises mais pas tout le temps. Moi, quand je serai papa, je ne taperai pas mes enfants, c’est trop dur de pleurer et d’avoir peur tout le temps. Maman était malheureuse quand elle m’entendait pleurer, elle me prenait dans ses bras et me consolait. Papa croyait qu’il était le meilleur papa du monde, en revanche, il pensait que maman était une maman ratée. Même si je fais équipe avec lui, je n’aime pas qu’il dise des choses méchantes sur maman… Jean, je voudrais te dire… »

« Quoi ? »

« Non, rien. »

« Tu n’as pas envie de dire ce que tu as pensé ? »

« Non, je n’ai pas le droit de le dire. »

« Comme tu voudras ! »

« Jean, moi, je trouve mon histoire trop triste… »

« En effet, parfois elle est triste. »

« Jean, moi, quand je serai papa, je ne taperai pas mes enfants, c’est trop dur de pleurer et d’avoir peur tout le temps. »

« Tu l’as déjà dit. C’est très beau de dire ça. »

« Tu dis ça mais selon mon meilleur copain les enfants battus battent à leur tour leurs enfants. »

« Oui, cela arrive souvent mais ce n’est pas une fatalité. »

« C’est quoi la fatalité ? »

« Ce n’est pas facile à expliquer. Il y a deux sortes de fatalités, celle qui vient de l’extérieur et celle qui vient de l’intérieur. »

« Jean, donne un exemple pour que je comprenne bien. »

« D’accord. Quand quelqu’un est blessé par la chute d’un arbre, on dit qu’il est victime de la fatalité extérieure. Quand quelqu’un se blesse volontairement on dit qu’il est victime de la fatalité intérieure. »

« J’ai compris ! »

« Dis-moi ce que tu as compris. »

« J’ai compris que les cons sont victimes de la fatalité intérieure. »

« On peut le considérer comme ça, en partie au moins. »

« Jean, je connais quelqu’un qui est souvent victime de la fatalité intérieure… »

« Qui donc ? »

« Je n’ai pas envie de le dire. »

« D’accord, tu le diras quand tu voudras. »

« Dis Jean, tout le monde est victime de la fatalité intérieure ? »

« Oui, plus ou moins. »

« Toi aussi ? »

« Bien sûr ! »