Ahélya, fille des Indes - Jeanne-Marie Delly - E-Book

Ahélya, fille des Indes E-Book

Jeanne-Marie Delly

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Beschreibung

Fidèle à une parole donnée, Alwyn Clenmare est parti pour les Indes à la recherche d'Ahélya, une jeune cousine qui a disparu étrangement. Ahéiya, dont la mère était Hindoue, a été enlevée par le puissant brahme Marindra et ceux de sa secte. Ils la gardent captive. Ne doit-elle pas consacrer sa vie au culte de Siva, puisqu'elle a refusé d'épouser e rajah Prithwidji, bafouant ainsi la tradition? Arrachée par Alwyn aux griffes de ses ravisseurs, Ahélya s'installe avec lui en Angleterre, à Loreyl-Castle, dans le vieux château de leurs ancêtres. Un profond sentiment s'enracine dans leurs coeurs. Mais deux ennemies intriguent dans l'ombre contre la trop belle Ahélya . Aurora Clenmare, qui convoite sa fortune et Viviane de Coëtbray, passionnément éprise d'Alwyn. "Je ne renoncerai jamais à lui ! a-t-elle déclaré': La haine et la jalousie triompheront-elles de l'ardent et pur amour d'Ahélya, ? Il est bien menacé ! Marindra débarque non loin du château...

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Ahélya, fille des Indes

Pages de titreIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVIIPage de copyright

Delly

Ahélya, fille des Indes

I

Pendant la longue absence de lord Rusfolk aux Indes, la vieille chapelle de Loreyl-Castle avait été aménagée pour la célébration du culte catholique, qui était celui du nouveau lord, de sa mère et d’Ahélya. Tous trois y entendirent la messe pour la première fois, le lendemain qui suivit la visite au château de sir Fabian Hartwill.

Dès que l’office fut terminé, lord Rusfolk décida d’explorer, mieux qu’il n’avait pu le faire jusqu’alors, le vieux bâtiment de Loreyl-Castle et surtout la Tour rouge.

– Venez-vous avec moi, Ahélya ? demanda-t-il à sa cousine. Il est vrai que vous devez connaître tout cela...

– Cela ne fait rien, répondit la jeune fille. Je vous accompagnerai bien volontiers, car j’aime beaucoup ces vieilles pierres et les souvenirs qu’elles me rappellent.

Lord Rusfolk demanda à Harriston de leur servir de guide.

Ce fut une visite passionnante durant laquelle le premier intendant donna à son maître les explications qu’il demandait.

Après que les visiteurs eurent escaladé d’étroits escaliers dissimulés dans des murailles énormes, pénétré dans des chambres secrètes désignées sur un vieux plan que lui avait remis son fidèle serviteur, lord Rusfolk s’étonna de ne trouver sur le document aucune indication de la communication qui, d’après la tradition, devait exister entre la crypte de la vieille chapelle et les souterrains de la Tour rouge.

– Cela n’a rien d’étonnant, expliqua Harriston à son maître, car le secret, transmis oralement par le chef de famille à son héritier, s’est perdu en l’an 1124. À cette époque, le seigneur de Loreyl-Castle était Éric Clenmare, époux d’une belle Castillane de noble famille qu’il avait ramenée d’un de ses nombreux voyages à travers le monde. À peine âgé de vingt-six ans, il disparut et l’on n’entendit plus parler de lui : il emporta le secret dans sa tombe. Les seigneurs qui lui succédèrent à Loreyl-Castle firent effectuer des recherches, mais elles n’eurent aucun résultat.

Pendant que Harriston donnait cette explication, lord Rusfolk et Ahélya examinaient avec intérêt l’endroit où ils se trouvaient. C’était, au rez-de-chaussée de la Tour rouge, une immense salle au sol de granit, à la voûte de pierre soutenue par des piliers massifs. Un peu de lumière pénétrait parcimonieusement par d’étroites fenêtres garnies de barreaux de fer disposés en croix.

– Ces souterrains sont donc depuis lors inaccessibles ? sembla conclure lord Rusfolk.

– Oui, mylord. À l’époque où fut construit le château, continua Harriston, la crypte devait avoir une autre destination, car les ancêtres des marquis de Rusfolk n’avaient pas encore reçu le baptême. La tradition rapporte aussi – Votre Seigneurie le sait sans doute – que les souterrains en question doivent communiquer avec des grottes d’où la mer ne se retire jamais.

– Oui, je le sais. N’a-t-on pas essayé de découvrir ces souterrains par ce côté ?

– Certainement, mylord. Malheureusement, ces tentatives ont toujours été vaines.

– Je me demande si les recherches ont été poussées bien à fond. Ce que vous venez de me dire, Harriston, excite ma curiosité.

Alwyn se tourna vers Ahélya, qui avait écouté la conversation des deux hommes avec beaucoup d’attention.

– Ahélya, lui dit-il, vous qui êtes certainement curieuse comme toutes les femmes, n’aimeriez-vous pas explorer, un jour, ces grottes avec moi ? Peut-être serons-nous plus heureux que nos prédécesseurs ?

– Oh ! oui, Alwyn, je ne demande pas mieux. Ce sera très amusant.

– Vous ne craignez pas le danger ? Vous venez pourtant d’entendre Harriston : il paraît que ces grottes sont difficilement accessibles puisque la mer les occupe continuellement.

– Avec vous, Alwyn, je n’ai peur de rien ni de personne, répondit Ahélya.

– Eh bien ! c’est entendu. Nous ferons ensemble, un jour, cette exploration. Harriston, qu’avez-vous encore à nous montrer ?

– Plus rien, mylord. Votre Seigneurie connaît désormais Loreyl-Castle aussi bien que moi-même.

Lord Rusfolk congédia l’intendant et quitta la Tour rouge avec sa compagne. Ils traversèrent la chapelle, s’engagèrent dans un long couloir éclairé par d’étroites et hautes verrières garnies de vitraux cerclés de plomb.

Tout en avançant, Alwyn étudiait le plan qu’il avait en main. Il s’arrêta dans l’ancienne salle des gardes, haut voûtée, où aboutissait l’escalier tournant autour d’un énorme pilier et par lequel on accédait au premier étage du vieux bâtiment.

– Chère Ahélya, la conversation que je viens d’avoir avec Harriston m’incite à examiner quelques-unes de nos vieilles chroniques. Seriez-vous intéressée à en prendre connaissance avec moi ? Peut-être y découvrirons-nous des indices précieux.

– Avec grand plaisir. Lord Walter Rusfolk m’avait refusé l’autorisation de fouiller à mon gré dans ces archives. J’aurais pu demander à lord Algernon de me communiquer quelques documents, mais je n’ai pas voulu m’adresser à lui.

– Eh bien ! nous examinerons ensemble ces vieux papiers. Montons à la salle des archives.

Cette salle, éclairée par de beaux vitraux violets et pourpres, était garnie de vénérables armoires de chêne sculpté, les unes aussi anciennes que le château lui-même, les autres datant d’époques ultérieures. Elles renfermaient, précieusement conservées, numérotées avec le plus grand soin, les archives de la vieille et illustre race des Clenmare. Le défunt lord Walter avait eu à son service un archiviste, mais à la mort de ce dernier, lord Algernon avait demandé de le remplacer car, disait-il, rien ne lui plaisait et ne l’intéressait autant que l’étude et le classement de ces documents anciens. Lord Rusfolk avait accédé, quoique à contrecœur, à sa requête.

– Savez-vous, Alwyn, que lord Algernon passe une grande partie de son temps à cette occupation ? dit Ahélya, tandis que son cousin réunissait les chroniques qu’il ferait rapporter plus tard par son valet de chambre. C’est une vraie passion chez lui, au point que sa bibliothèque se trouve à côté, tout près de la salle où nous sommes, et renferme ses chères paperasses.

En prononçant ces paroles, Ahélya montrait du doigt une porte basse, sous un cintre surbaissé.

– Lord Algernon détient peut-être chez lui des documents de grande valeur, déclara lord Rusfolk. Je lui demanderai de me les confier pour les examiner aussi.

Pendant un instant, Alwyn resta songeur, les sourcils légèrement froncés. Puis il murmura :

– Après tout, pourquoi ne pas les lui réclamer tout de suite ?

Il frappa discrètement à la porte.

N’obtenant pas de réponse, il ouvrit un des battants et entra dans une vaste pièce, meublée de bibliothèques murales en hêtre patiné, d’une lourde table recouverte d’un tapis de velours rouge, de fauteuils à hauts dossiers sculptés.

Il régnait partout un ordre parfait. Pas un papier ne traînait sur la table où quelques livres à reliure ancienne étaient alignés près d’un encrier de vieille porcelaine de Saxe.

Ahélya avait suivi son cousin et constaté avec lui l’ordonnance soignée de la pièce. Elle dit à mi-voix :

– Vous le constatez vous-même, mon cousin, lord Algernon est un homme d’ordre. Il doit avoir l’esprit méthodique en toutes choses et ne rien laisser au hasard. Ne le pensez-vous pas ?

– Peut-être, répondit Alwyn, mais je ne le connais pas assez, cependant, pour me prononcer sur ce point... ni pour le juger sur d’autres.

– Oh ! vous le connaîtrez bientôt, Alwyn. Vous ne vous laisserez pas tromper, vous, ni par lui ni par sa fille.

Alwyn se tourna vers sa cousine et, sur le ton de la plaisanterie :

– Qui sait ? Aurora ne vous paraît-elle pas capable de me séduire ?

– Elle ? Oh ! Alwyn, vous ne seriez pas celui que je crois si pareille chose devait arriver.

Elle posait sur le bras d’Alwyn une main frémissante. Dans ses yeux sombres levés vers le jeune homme passait une lueur d’ardente protestation.

Il sourit, prit dans les siennes la petite main de la jeune fille et l’effleura de ses lèvres.

– Vous avez raison, chère Ahélya, de penser ainsi. Autant que j’ai pu la juger jusqu’à présent, cette jeune personne me semble être une admirable comédienne.

Tout en regagnant la salle des archives, lord Rusfolk ajouta d’un ton nuancé de sarcasme :

– En tout cas, je crois Mlle de Coëtbray tout à fait sous le charme de ma cousine.

– Oui, elles semblent s’entendre le mieux du monde. Ce n’est pas étonnant, d’ailleurs.

– Pourquoi ?

– Parce que Mlle de Coëtbray, je m’en suis déjà aperçue, est sensible à la flatterie et aime les compliments, les cajoleries. Aurora a su vite découvrir la faiblesse de son caractère. Comme elle est maître dans l’art de la flagornerie, elle n’a rencontré aucune difficulté pour faire de Mlle de Coëtbray son alliée.

– Vous avez bien deviné, en effet, un des aspects de cette étrange nature, dit Alwyn. Me trompé-je en ajoutant que la belle Viviane ne vous est pas très sympathique ?

Ahélya secoua la tête. Sa physionomie traduisait en cet instant quelque perplexité.

– Pas sympathique... l’expression est peut-être trop forte et... injuste. Je crois plutôt qu’il n’existe pas d’affinités entre nos deux caractères. Vous, Alwyn, qui la connaissez depuis plus longtemps, que pensez-vous d’elle ?

– Elle est très ambitieuse, ma chère Ahélya. Ce sentiment, poussé à un degré exagéré, comme c’est le cas pour elle, dirige et commande toute sa conduite. Si elle n’y prend garde, cela peut la mener plus loin qu’elle ne voudrait.

– Comment cela ?

– Eh bien ! Viviane de Coëtbray recherche le mariage riche avant toute considération. Ce mariage riche lui a échappé en Bretagne, où la courtisait, par amusement, je crois, un neveu de Mme de Friollet, le baron Adolphe Desmuriers. Je ne me rappelle plus les raisons qui ont fait échouer « l’affaire », si je peux m’exprimer ainsi. Toujours est-il que le baron s’est marié avec la fille d’un armateur nantais qui la dota richement. Mais, malgré son échec, Mlle de Coëtbray n’a certainement pas renoncé à son dessein de faire un riche mariage...

Ahélya eut une moue de dédain.

– Alors, c’est une personne assez peu intéressante pour mon goût... Remarquez, il est possible qu’elle réussisse à trouver un mari répondant à son attente, car elle est belle, n’est-ce pas ?

– Oui, c’est vrai.

Alwyn regardait sa cousine en prenant entre ses doigts une des boucles aux reflets cuivrés qui encadraient son délicat visage.

– Mais vous aussi, chère Ahélya, vous êtes très belle. Et je constate, par votre teint, que l’air de ce pays vous réussit merveilleusement. Allons, voici l’heure du lunch. Nous ferons après une promenade en voiture ou, peut-être, si cela vous plaît, nous pourrions aller jusqu’à Temple-Court.

– Oui, c’est cela, répondit Ahélya avec enthousiasme, allons rendre visite à sir Fabian et lady Hartwill, qui sont si bons.

– La sympathie que vous éprouvez pour mes fidèles amis n’est-elle pas due, du moins en partie, au fait qu’ils partagent vos antipathies ? demanda Alwyn avec une amicale ironie.

– Peut-être, mais il est certain que cette communauté de sentiments contribue à nous rapprocher... Oh ! Alwyn, si vous aviez voulu...

– Quoi donc ?

Elle dit à mi-voix :

– Vous auriez pu donner à lord Algernon et à sa fille de quoi vivre... ailleurs qu’ici, puisqu’ils vous déplaisent aussi.

– Ma chère enfant, j’ai un motif très grave pour que les choses demeurent telles quelles, du moins pour le moment. Dès qu’il me sera possible de me séparer d’eux, croyez bien que je n’hésiterai pas à le faire, ne serait-ce que pour vous faire plaisir.

– Oh ! je le sais bien. Pardonnez à mon impatience, cher Alwyn. Je suis une enfant gâtée, vous ne l’ignorez pas...

– Une enfant charmante, je le sais, et je ne blâme d’aucune façon le peu de sympathie que vous éprouvez pour lord Algernon et Àurora, qui nous sont malheureusement unis par le sang.

Alwyn, en parlant, prenait la main d’Ahélya et la glissait sous son bras. Ils quittèrent la salle des archives, descendirent l’escalier tournant, gagnèrent le vestibule dallé qui précédait la chapelle de Saint-James érigée en l’honneur du premier lord Clenmare gagné à la religion anglicane.

L’office, qui se célébrait tardivement, venait de se terminer. Un serviteur ouvrait les deux battants de la porte aux délicates sculptures dorées, patinées par les siècles.

Lord Algernon parut d’abord, la mine grave, recueillie. À quelques pas derrière lui venait Aurora. Elle avançait lentement, les yeux un peu baissés, une main serrant contre sa poitrine un missel armorié.

– Ah ! cher Alwyn, je ne m’attendais pas à vous voir ici, s’écria lord Algernon.

– Je viens de visiter la partie ancienne du château. Ahélya et Harriston m’accompagnaient. À ce propos, il faut que je vous demande un renseignement. J’ai l’intention d’étudier nos vieilles chroniques. Sont-elles toutes au complet dans les archives ou bien en avez-vous conservé quelques-unes pour vos travaux ?

– Je possède seulement deux parchemins du Xe siècle, de peu de valeur et d’un déchiffrage pénible. Je les remettrai en leur lieu et place, mon cher Alwyn... ou bien entre vos mains, si vous désirez les consulter.

– Non, pas pour le moment, je vous remercie. J’aurai des lectures plus intéressantes à faire dans nos chroniques des siècles postérieurs.

– Des XVIe et XVIIe siècles, surtout, dit Ahélya qui venait de recevoir avec froideur un tendre baiser de lady Aurora. À cette époque vivait, m’a-t-on dit, lord Abel Clenmare qui composait des poisons violents dont il avait appris le secret en Italie...

– Que vous êtes romanesque ! ma chère enfant, l’interrompit Aurora avec un léger sourire amusé. Vous nous racontez là une légende parmi tant d’autres... S’il fallait croire toutes les histoires d’empoisonnements plus ou moins fantaisistes dont cette époque est prodigue...

– Ne vous en déplaise, lady Aurora, il y en a beaucoup de vraies, certainement, et un grand nombre de ces crimes sont restés, resteront toujours inconnus et, hélas ! impunis.

Cette réflexion était faite par Alwyn. Lord Algernon approuva :

– Je suis de votre avis. Peut-être lord Abel Clenmare ne fut-il pas coupable des méfaits qu’on lui attribue, mais je crois qu’on ne l’a pas accusé sans motif. Au reste, il y a, dans l’existence de notre aïeul, une part de mystère qui laisse place à bien des conjectures. Vous en jugerez vous-même par les documents en notre possession, lord Alwyn, et vous me direz votre opinion.

Une demi-heure plus tard, ils se retrouvaient tous autour de la table de lunch.

Sur une question de sa mère, Alwyn raconta la visite qu’il venait de faire au vieux bâtiment.

Comme il parlait des souterrains dont l’entrée était introuvable, Aurora hocha la tête avec un air de regret :

– Quel dommage, n’est-ce pas, de ne pouvoir découvrir leur issue ? À chaque génération, les Clenmare cherchent vainement...

Mon père et le vôtre n’y ont pas manqué, dans leur jeunesse. Ils n’ont pas été plus heureux que leurs prédécesseurs.

– Avez-vous essayé par les grottes ? demanda lord Rusfolk en s’adressant à son oncle.

– Certainement. J’ai pénétré jusqu’à la plus profonde d’entre elles, mais je n’ai pas vu le moindre indice d’un passage.

Viviane de Coëtbray, qui écoutait avec intérêt, fit observer :

– Ne pourrait-on creuser le sol de la Tour rouge pour essayer d’arriver à ces souterrains ?

– Impossible, mademoiselle, répondit lord Algernon. La Tour est bâtie sur le granit indestructible de la côte.

– Pas si indestructible que la dynamite ne puisse en avoir raison, dit Alwyn.

Lord Algernon eut un tressaillement.

– Au nom du Ciel, cher Alwyn, je ne suppose pas que vous ayez idée de tenter une chose pareille, au risque de faire crouler la Tour rouge, vestige précieux de notre passé ?

– Rassurez-vous, je n’y songe pas. La découverte de ces souterrains n’a que peu d’importance ; c’est affaire de curiosité, voilà tout.

– Simplement... ajouta Aurora avec son doux sourire.

II

Ahélya ayant accepté avec joie la proposition de lord Rusfolk de rendre visite aux Hartwill, à Temple-Court, les deux jeunes gens quittèrent Loreyl-Castle après le lunch.

La distance qui séparait le château de la demeure de leurs amis n’était pas grande et une demi-heure de marche eût suffi pour la parcourir. Comme l’après-midi s’annonçait très beau, lord Rusfolk décida, avec l’assentiment de sa cousine, d’allonger quelque peu le parcours et de suivre le chemin qui longeait la falaise.

Du large s’élevait une brise légère qui animait les cheveux aux reflets cuivrés d’Ahélya. Les promeneurs n’échangeaient que de rares paroles. Tout en marchant au côté d’Alwyn, la jeune fille regardait la mer qui déferlait sur les rochers de la grève avec des bruits sourds. Elle semblait perdue dans un rêve d’où la tira brusquement Alwyn.

– Vous êtes toute songeuse, Ahélya. Je ne me serais pas permis de vous distraire de vos pensées si je ne lisais dans vos yeux une expression de mélancolie, de tristesse même. Ai-je vu juste ?

Ahélya ne répondit pas tout de suite. Elle tourna son visage vers lord Rusfolk, le fixa un moment de ses beaux yeux sombres.

– Oh ! Alwyn, comment pouvez-vous croire... ? Je n’ai aucune raison d’être triste. Je suis heureuse, au contraire, de vivre à Loreyl-Castle où, grâce à vous, j’ai retrouvé une famille et un toit.

– Ce n’est pas grâce à moi, mais à mon grand-père, lord Walter, que vous devez quelque reconnaissance. C’est lui qui m’a dévoilé votre existence. Je l’ignorais jusqu’au jour où il m’a raconté le drame qu’ont vécu vos parents aux Indes, et l’enlèvement dont, ici même, vous avez été la victime.

Ahélya protesta :

– Vous êtes la modestie même, Alwyn. C’est pourtant à vous que je dois la vie. Au péril de la vôtre, vous m’avez délivrée des griffes de Marindra et de ses séides. Sans votre dévouement et votre aide, que serais-je devenue ? Je pense parfois au destin qui eût été le mien si vous n’étiez intervenu à temps pour me sauver.

– Je rends grâce au Ciel, Ahélya, d’avoir permis le succès de mon entreprise. Votre sort eût été affreux, en effet, puisque vous deviez épouser contre votre gré le fils du rajah Prithwidj, qui régnait sur l’État de Mahore, ou être consacrée à Siva, c’est-à-dire vivre dans son temple en recluse et y mourir sans jamais revoir le jour. Et tout cela parce que votre tempe droite porte un petit signe en forme de lotus...

En disant ces dernières paroles, Alwyn s’arrêtait et, les mains posées sur les frêles épaules de sa cousine, l’obligeait à lui faire face. D’un doigt, il écartait une mèche de cheveux rebelle et dégageait la marque fatidique.

Ahélya redressait la tête et regardait Alwyn. Ses yeux noirs, en ce moment, n’étaient que douceur et fierté. Sous la caresse du doigt qui frôlait sa peau d’une touche légère, Ahélya parvenait difficilement à cacher son trouble.

Les jeunes gens reprenaient alors leur marche, un instant interrompue. Pendant quelques minutes, ils n’échangèrent pas un seul mot. Mais Alwyn décidait de rompre le silence et de redonner courage à sa cousine.

– Il ne faut plus penser au passé, chère Ahélya, mais à l’avenir, cet avenir qui vous appartient, avec toutes ses promesses. Je m’efforcerai de le préserver et, si possible, de le bâtir pour vous dans la sécurité.

– Je vous remercie de vos bonnes paroles, de vos encouragements, Ahvyn, mais d’aucuns, à Loreyl-Castle, sont animés à mon égard d’intentions beaucoup moins favorables et, parmi ces personnes...

Lord Rusfolk l’interrompit :

– Vous voulez parler de mon oncle lord Algernon, n’est-ce pas ?

Ahélya baissa les yeux et, sans répondre tout de suite, continua de suivre l’étroit chemin qui séparait maintenant de maigres champs de sarrasin. De-ci de-là, des chênes rabougris, courbés vers la lande par le vent du large, tendaient leurs branches tordues dont les plus basses effleuraient des talus recouverts de bruyères et de taillis de châtaigniers. Au loin, on apercevait quelques chaumières misérables qui rappelaient que des hommes vivaient sur cette terre ingrate.

– Lord Algernon ? reprit Ahélya. Naturellement, c’est le nom qui vient en premier sur vos lèvres. Mais il n’y a pas que lui et, en disant cela, je pense à Aurora, et à Viviane de Coëtbray, complètement subjuguée par votre cousine. Enfin ! quels que soient mes scrupules à prononcer son nom, il me faut bien ajouter à la liste lady Clenmare, votre mère. Vous-même, Alwyn, vous ne semblez pas nourrir à son égard l’affection filiale qu’elle serait en droit d’attendre de vous.

Le jeune lord blêmit en entendant la dernière phrase prononcée par sa compagne. Ahélya ignorait tout du passé de son cousin. Il était très réservé et ne se confiait à personne. Il eût tant aimé pourtant soulager son cœur... Ahélya n’était-elle pas une confidente rêvée, capable de garder pour elle seule ses plus secrètes pensées ?

– J’ai mes raisons, Ahélya, pour tenir ma mère à l’écart de mes affaires et me montrer distant. Ne me jugez pas sans m’entendre. Mais, que voulez-vous, c’est sa faute si mon père n’a pas été heureux avec elle. Au bout de peu de temps, il regretta – mais trop tard – cette union. Il se rendit compte qu’il avait épousé une femme superficielle, de caractère léger et instable. Et c’est pour cette femme que mon père refusa de s’incliner devant les ordres de lord Walter Rusfolk et se vit rejeter de la famille comme un paria. Ainsi les mariages d’amour ne sont pas forcément des gages de bonheur futur...

– Oh ! répondit vivement Ahélya, vous n’allez pas dire du mal des mariages d’amour ? D’ailleurs, je ne vous croirais pas, Alwyn, si vous me disiez partager les vues de Mlle de Coëtbray sur ce sujet.

– Oh ! non, protesta Alwyn, ne craignez rien. Je connais bien les idées de cette jeune personne sur le mariage, car j’ai eu tout le temps de me faire une opinion sur Mlle de Coëtbray pendant mon séjour en Bretagne quand je la rencontrais avec sa cousine, Mme de Friollet, au manoir de la Ville-Querdec. Oui, j’ai pu me rendre compte, là-bas, de son ambition, de son orgueil, de sa cupidité surtout. Au service de ses bas calculs, elle a un atout dont elle se sert à merveille : sa beauté. Mais la beauté...

Ahélya interrogea, plus vite qu’elle ne l’eût souhaité :

– Y êtes-vous resté insensible, Alwyn ?

Le jeune homme qui, d’une baguette de coudrier, décapitait des tiges d’herbe folle en bordure du sentier, parut réfléchir, revivre par la pensée un passé point mort.

– J’ai été séduit dès ma première rencontre avec Mlle de Coëtbray, avoua-t-il, par son incontestable beauté, mais je me suis vite aperçu de l’erreur que j’aurais commise en m’y laissant prendre. Et puis, j’étais pauvre, à l’époque. Et la pauvreté ne trouve pas grâce aux yeux des jeunes filles qui, comme elles sont essentiellement préoccupées d’assurer leur avenir sur la fortune acquise par leur signature au bas d’un contrat de mariage. Mais nous reprendrons cette conversation plus tard, Ahélya, car nous voici en vue de Temple-Court.

III

La demeure de sir Fabian Hartwill semblait être le château de la Belle au Bois dormant sous la pénible chaleur de cet après-midi d’été. Temple-Court n’avait pas les imposantes proportions de Loreyl-Castle, mais il se dégageait de l’unique bâtiment construit en demi-cercle une impression de grâce et de mesure. Brisant l’harmonie de l’ensemble, en avancée sur la façade est, on apercevait une terrasse à balustres, surchargée de fleurs, où sir Fabian et sa femme aimaient à se reposer sur des chaises longues pendant les heures chaudes de la journée.

À peine Alwyn et Ahélya s’étaient-ils présentés à l’entrée du domaine qu’un domestique accourait au-devant des visiteurs. Après avoir ouvert la grille en fer forgé, il pria les deux jeunes gens de bien vouloir le suivre. Derrière ses talons, ils traversèrent le parc qui avait un aspect sauvage et abandonné, du moins dans la partie la plus éloignée de l’habitation. Comme Ahélya le faisait remarquer à son compagnon, ce dernier précisa que sir Fabian l’avait désiré ainsi. C’était une de ses distractions favorites de se promener dans ce coin délaissé par les jardiniers, où sa femme, en revanche, ne s’aventurait jamais.

Cependant, au fur et à mesure que l’on s’approchait de la demeure, le parc offrait ses parterres de fleurs, ses pelouses soignées, ses allées ratissées avec soin. À quelque vingt mètres du perron de pierre, un parterre d’œillets rouges entourait une fontaine de marbre, composée de sirènes, qui laissait tomber une eau fraîche dans une vasque de granit.

Toujours précédés du domestique, Ahélya et Alwyn étaient accueillis chaleureusement par leurs hôtes au bas de l’escalier qui conduisait à un perron donnant accès, par une grande porte-fenêtre, à un vaste hall décoré de trophées de chasse et de bahuts de chêne sculpté dans lequel donnaient, à droite et à gauche, les principales pièces de Temple-Court.

Après avoir aimablement répondu aux paroles de bienvenue de sir Fabian et de sa femme, lord Rusfolk et sa cousine furent introduits par eux dans le salon-bibliothèque. La pièce, peu spacieuse, donnait une impression de paix, de quiétude. Elle était meublée avec beaucoup de goût d’un bureau Renaissance et de fauteuils de la même époque. Aux murs, des tapisseries de Flandre alternaient avec des tableaux de valeur. Tous prirent place autour d’une table basse en marqueterie, placée devant une cheminée monumentale garnie de chenets de cuivre.

Lady Hartwill sonna une domestique pour le thé. Quand il fut servi, sir Fabian se tourna vers lord Rusfolk.

– Je ne pense pas, mon cher Alwyn, lui dit-il en souriant, que vous connaissez mon fils Lawrence...

– Non, répondit lord Rusfolk, mais ma cousine Ahélya m’a quelquefois parlé de lui. C’était son camarade de jeux préféré, n’est-ce pas ?

– Oui, Alwyn, Lawrence était pour moi un véritable ami.

– Eh bien ! enchaîna aussitôt sir Fabian, je vais pouvoir vous le présenter dans quelques instants, car il travaillait dans sa chambre au moment où vous êtes arrivés tous les deux. Je l’ai fait mander, il ne va plus tarder. Oui, voilà mon fils de retour définitivement à Temple-Court, après un long séjour en France, où il perfectionna ses connaissances dans les questions d’agriculture et d’élevage des chevaux.

– Dois-je comprendre, demanda lord Rusfolk, que votre fils est appelé à assurer tôt ou tard la gestion de votre domaine ?

Sir Fabian se tourna affectueusement vers sa femme, comme pour quêter son approbation à un projet qui, manifestement, si l’on en jugeait par la complicité des regards des deux vieux époux, avait dû faire l’objet de nombreuses conversations.

– Oui, c’est notre vœu le plus cher et aussi celui de notre bon Lawrence, répondit sir Fabian en souriant. Je suis resté fidèle, jusqu’à présent, aux anciennes méthodes, à celles que m’a léguées mon père. Mais, voyez-vous, l’agriculture, aujourd’hui, doit suivre le progrès technique pour donner des résultats rentables. Il faut aller de l’avant. N’est-ce pas votre avis ?

– Je suis tout à fait d’accord avec vous, sir Fabian, approuva Alwyn.

Puis, s’adressant à Ahélya :