Le roi aux yeux de rêve - Jeanne-Marie Delly - E-Book

Le roi aux yeux de rêve E-Book

Jeanne-Marie Delly

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Beschreibung

- Resterez-vous quelque temps à Pelcoat? - C'est probable. Je me contenterai de courts séjours à Paris. Ainsi, mademoiselle, j'espère avoir le très grand plaisir de vous rencontrer encore, probablement chez M. le recteur? Luz répondit avec sa spontanéité habituelle: -Mais je l'espère bien aussi, monsieur! Après quoi elle prit congé du jeune homme qui l'accompagna jusqu'au delà du pont. Elle regagna les trois chênes toute joyeuse. Enfin, elle l'avait revu, cet Hoël, dont le nom était aujourd'hui célèbre! Comme, sous la correction élégante de la tenue, sous les manières d'homme du monde, elle le retrouvait semblable à autrefois!

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Le roi aux yeux de rêve

DellyPremière partieIIIIIIVVDeuxième partieII - 1III - 1IV - 1V - 1Page de copyright

Delly

Le roi aux yeux de

rêve

Première partie

I

Elles s’en allaient à pas pressés, dans le sentier qui longeait la lande, les deux toutes petites filles presque de la même taille : Claire Sibreux et sa cousine, Luz Talmez. Claire, blonde, bien potelée ; Luz, brune à la peau ambrée, aux grands yeux noirs pleins de vivacité et de malice. Elles avaient six ans et, tout en se disputant assez fréquemment, elles s’entendaient fort bien pour faire de nombreuses sottises. Ainsi en était précisément ce matin-là. Hier, Luz avait dit à sa cousine :

– Mathurin annonce qu’il va geler cette nuit. Te rappelles-tu comme l’étang était joli, l’année dernière, avec cette glace dessus ? Demain, ce sera la même chose. Veux-tu que nous allions le voir ?

Mollement, Claire avait objecté :

– Mais c’est défendu. On nous punira.

– Non, puisqu’on ne le saura pas. Nous irons pendant que Mademoiselle donnera à Albert sa leçon de latin. Et ce sera bien plus amusant que d’être avec les grandes personnes qui nous empêchent de nous approcher.

Claire n’avait plus opposé de résistance. Et voilà pourquoi les deux cousines se trouvaient en ce matin de décembre sur le chemin de l’étang de Penbaol, où jamais encore elles ne s’étaient aventurées seules.

Cette liberté les grisait, et en particulier Luz, plus vibrante que Claire. Elle bavardait, bavardait...

– Tiens, regarde ces corbeaux, Clairette ! Qu’ils sont gros ! Ah ! là-bas, c’est le père Le Miro, avec sa chèvre et son vieux chien ! Pourvu qu’il n’aille pas dire qu’il nous a vues ! Ah ! le petit garçon de Kerlozo !

Claire demanda :

– Où ça ?

– Là... Tu ne vois pas ? Dans le chemin.

– Ah ! oui, oui ! Qu’il est mal habillé ! On dirait un petit pauvre.

Et Claire plissa dédaigneusement ses lèvres.

Dans le chemin bas que surplombait le sentier où marchaient les petites filles s’avançait un garçonnet d’une douzaine d’années. Il allait dans la même direction que Claire et Luz, mais en flânant. Elles le dépassèrent bientôt. En entendant le bruit léger de leurs pas sur le sol rocailleux, il leva la tête et leur jeta un coup d’œil distrait. Dans son visage aux traits fins, hâlé par le vent et le soleil, rêvaient de grands yeux à la nuance changeante, bleus ou verts, selon le moment. Sa chevelure blonde, longue et embroussaillée, tombait sur son front en mèches folles. Il était vêtu d’une culotte rapiécée, en étoffe de coton bleu fort déteinte, et d’une petite veste en drap râpé, verdâtre, trouée aux coudes, qui enserrait son corps maigre et nerveux. Ses pieds chaussés de gros bas de laine déchirés s’enfonçaient dans des sabots. Les mains dans ses poches, il s’en allait, le regard perdu dans le rêve, l’allure souple et singulièrement élégante. En dépit de sa mise pauvre, il n’avait aucunement l’apparence d’un campagnard. Et, de fait, un sang très aristocratique coulait dans ses veines. Il s’appelait Hoël de Pendeguy, et ses ancêtres avaient été, jadis, les seigneurs de tout le pays. Maintenant, il ne restait plus au marquis de Pendeguy, chef de nom et d’armes, que son vieux château de Kerlozo, en partie ruiné, et quelques landes où paissaient une demi-douzaine de moutons.

Le père d’Hoël, officier, avait épousé une jeune fille sans fortune. Quand Hoël, à sept ans, se trouva orphelin, il n’avait guère, comme ressource, que sa pension d’enfant de militaire. Le marquis de Pendeguy, son grand-oncle paternel, le recueillit à Kerlozo. Le vieillard vivait là, dans la solitude, avec une seule servante, presque aussi âgée que lui. Il ne sortait guère, sinon pour aller jeter un coup d’œil sur ce qu’il appelait pompeusement « ma bergerie », laquelle se composait de six moutons maigres que suffisait à garder un vieux chien hargneux et pelé, à demi aveugle. Le reste du temps, M. de Pendeguy consultait les anciennes chroniques de sa maison, prenait des notes, se promenait pendant des heures à travers les ruines de sa demeure, en marmottant et en faisant de grands gestes. Dans le pays, on le croyait un peu fou. Cependant, il avait le regard très lucide et conversait de façon sensée, quand, par hasard, il daignait adresser la parole à quelqu’un. Il se disait très pauvre et portait des vêtements minables qui semblaient avoir reçu toutes les pluies du ciel breton, depuis un demi-siècle. Certains le prétendaient surtout avare. Mais le vieux marquis, sans s’inquiéter de ces jugements, continuait son existence frugale et solitaire, que ne vint changer en rien la présence du petit Hoël

L’enfant fut mis aussitôt à la garde des moutons, avec Kennoch, le vieux chien. Du pain et du lait, de la bouillie de blé noir, parfois quelques pommes de terre cuites sous la cendre devinrent sa nourriture d’un bout de l’année à l’autre. Le linge, les vêtements soignés, confectionnés par les mains maternelles, furent remplacés, vaille que vaille, à mesure qu’ils s’usaient, par les soins de Perrine, la servante maladroite et rustique, qui négligeait le raccommodage et que trous et taches n’offusquaient guère. Hoël, abandonné à lui-même, vagabondant tout le jour à travers le pays, fût devenu une sorte de petit sauvage, si, vers sa neuvième année, M. de Pendeguy ne s’était avisé qu’il convenait tout de même de lui faire donner quelque instruction. Dans ce but, et bien qu’il fût fort loin d’être dévot – personne dans le pays ne se rappelait l’avoir vu à l’église depuis des années – il confia l’enfant aux bons soins du recteur de Pelcoat, village voisin de Kerlozo. Le prêtre, depuis longtemps, avait remarqué cet enfant si différent, par les allures et la physionomie, des autres garçonnets du pays. Il soupirait en songeant à l’abandon dans lequel était laissée cette petite âme. Ce fut donc avec joie qu’il accueillit la démarche de son peu exemplaire paroissien, et, tombant volontiers dans le panneau que lui tendait celui-ci, il accepta de faire gratuitement l’instruction de l’enfant, après que le vieillard se fût plaint longuement de sa pauvreté qui l’empêchait de faire élever le futur marquis de Pendeguy comme il l’eût voulu.

Hoël, d’abord rétif à la perspective de ce nouveau programme d’existence, céda vite devant la bonté patiente du professeur et l’intérêt que présentait l’étude à une nature intelligente et réfléchie telle que la sienne. Mais, aussitôt la leçon finie et les devoirs terminés, il s’évadait à travers landes et champs, toujours seul – car il était fier et, s’il échangeait volontiers quelques mots avec les enfants de paysans, s’il avait fait de quelques-uns d’entre eux ses camarades de jeux, il n’acceptait la compagnie de personne, quand il s’en allait ainsi, les yeux pleins de rêve, comme en ce clair matin d’hiver, lorsque le dépassèrent les petites filles des Trois-Chênes. Elles trottinaient devant lui, de leur petit pas pressé. L’air était vif et sec, car il avait gelé cette nuit, comme l’avait bien dit Luz à sa cousine. À droite, au flanc de la ravine, le givre étincelait sur les branches nues des chênes tordus, avant de se fondre sous le soleil. Dans la lumière pâle, Kerlozo, bien assis sur son roc, dressait ses tours éventrées, en partie couvertes d’un lierre épais. De loin, il avait toujours grand air, le vieux château. Hoël le considérait avec complaisance. M. de Pendeguy, bien que ne s’occupant guère de son petit-neveu, lui avait narré parfois quelque récit extrait des chroniques de la famille, et, voyant l’attention passionnée de l’enfant, il se décidait, depuis quelque temps, à lui confier ces chroniques elles-mêmes pour qu’il y apprit l’histoire de sa race. Hoël connaissait ainsi les exploits de ses ancêtres qui avaient tenu haut rang à la cour de Bretagne. À travers le château il recherchait leur souvenir, se représentait leur existence. Et cette demeure minée, dans laquelle il vivait comme un pauvre, lui semblait le signe tangible de sa noblesse qu’il n’eût pas échangé contre un monceau d’or.

Sans souci du froid piquant, il continuait de flâner le long de la lande. Sur le ciel d’un bleu pâli, les corbeaux passaient en jetant leur dur croassement. Dans la clarté douce du soleil d’hiver, l’étang de Penbaol apparut gelé, étincelant, entre les roseaux de ses rives. Autrefois, il appartenait aux Pendeguy. Des pêches magnifiques s’y étaient faites, jadis, et les carpes de Penbaol avaient grand renom dans toute la Bretagne. Aujourd’hui, il était la propriété de M. Sibreux, le père de Claire, qui exploitait le domaine des Trois-Chênes, proche de Pelcoat.

Un instant. Hoël demeura ébloui par le soleil qui se réfléchissait dans la nappe d’eau glacée. Quand il souleva les paupières, il vit les petites filles tout au bord de l’étang. La voix claire de Luz parvint jusqu’à lui :

– Tu ne veux pas aller sur la glace ? Moi, j’y vais. Ce sera si amusant !

Hoël ouvrait la bouche pour crier :

– Attention ! C’est dangereux !

Mais, déjà, l’impétueuse petite fille se trouvait sur l’eau gelée, trop superficiellement gelée. Car, sous le poids léger, elle craqua doucement, et Luz s’enfonça, avec un cri d’effroi.

D’un bond, Hoël fut sur la berge. Il quitta sa veste, se débarrassa de ses sabots et plongea dans l’eau glacée. Luz s’accrocha à lui. Il détacha les petites mains qui menaçaient de paralyser ses mouvements, et, se retenant à la berge heureusement toute proche, il réussit à y ramener l’enfant évanouie.

Claire, jetant des cris affreux, s’enfuyait au hasard. Hoël leva les épaules, en murmurant dédaigneusement :

– C’est bête, les filles !

Après un court instant de réflexion, il étendit sa veste sur la petite fille ruisselante, puis, laissant là ses sabots qui l’auraient gêné, il prit sa course vers les Trois-Chênes.

À quelque distance des bâtiments de la ferme se trouvait la maison d’habitation, reconstruite une dizaine d’années auparavant, M. Sibreux trouvant trop peu confortable la vieille maison des ancêtres. C’était une bâtisse blanche et quelconque, précédée d’une cour ornée de corbeilles fleuries. Précisément, quand Hoël franchit la grille, Mme Sibreux se tenait sur le large perron, près de l’institutrice qui demandait ses élèves à tous les échos. À la vue de l’enfant mouillé et tout rouge d’avoir tant couru, elle s’écria :

– Qu’est-ce qu’il y a, petit ? Que viens-tu faire ici ?

– Madame, une de vos petites filles est tombée dans l’étang. Je l’ai repêchée, mais il faudrait aller vite la chercher, pour qu’elle n’ait pas trop froid.

– Une des petites ?... Ô ciel !

Toute pâle, Mme Sibreux s’élançait vers Hoël, lui saisissait le bras...

– Laquelle ? Claire ou Luz ?

– Ah ! je ne sais pas leur nom, moi, madame ! C’est une petite qui a des cheveux bruns...

– Luz, alors !

Laissant échapper un soupir de soulagement, Mme Sibreux, se tournant vers l’institutrice consternée, dit vivement :

– Faites chauffer son lit, je vous prie, mademoiselle !... Appelez Mathurin, qu’il m’aide à la rapporter... Toi, petit, conduis-moi... Ah ! mais, c’est que tu es bien mouillé !

Hoël claquait des dents. Il expliqua :

– J’ai laissé ma veste sur la petite fille. Il faut que j’aille la chercher.

– Attends !

Elle rentra dans le vestibule, prit une pèlerine de drap qu’elle jeta sur les épaules de l’enfant. Puis en courant, elle se dirigea vers l’étang, précédée par Hoël. Presque aussitôt les rejoignit Mathurin, le domestique des Trois-Chênes. Ce fut lui qui emporta Luz toujours sans connaissance, tandis qu’Hoël, échappant aux remerciements de Mme Sibreux, s’enfuyait vers Kerlozo.

II

Luz fut très malade, à la suite de ce bain glacé. Un moment, on la crut perdue. Enfin, elle entra en convalescence, et aussitôt elle voulut qu’on lui racontât comment elle avait été sauvée.

– Il est très brave, ce petit garçon, dit-elle d’un ton admiratif. Il faudra que j’aille le remercier, dites, mademoiselle ?

– Ce sera convenable, en effet, ma petite.

Claire, qui était présente, déclara :

– Maman lui a dit merci déjà. Et il s’est sauvé, à ce moment-là. Hier, papa l’a vu de loin, sur la lande, et l’a appelé. Alors il s’est mis à courir, bien vite de l’autre côté.

Mlle Élise convint :

– C’est un enfant un peu sauvage, et très fier, paraît-il. Mais M. le recteur assure qu’il a des sentiments excellents et une intelligence rare.