Gwen, Princesse d'Orient - Jeanne-Marie Delly - E-Book

Gwen, Princesse d'Orient E-Book

Jeanne-Marie Delly

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Beschreibung

Les années ont passé. Grâce à l'amitié de Mlle Herminie, une cousine des Dourzen, Gwen est devenue une jeune fille accomplie. Avec la complicité de la vieille demoiselle, qui a déniché pour elle, dans une vieille malle, un merveilleux sari moucheté d'or, Gwen, sans y être invitée, paraît au bal masqué costumé que le comte Ivor de Penanscoët donne, un soir, dans son château de Kermazenc. Personne ne reconnaît Gwen. Dougual, le fils du comte Ivor, très intrigué, mais conquis par la grâce de la jeune fille, cherche, lui aussi, à percer l'identité de la belle inconnue qui, malgré l'insistance du jeune homme, refuse de se démasquer... et s'enfuit du château. Pourtant, après une enquête habile, il apprend finalement la vérité et fait enlever Gwen qui est transportée, inconsciente, à Pavala, dans l'île de Bornéo. Traitée en princesse, Gwen se laisse gagner peu à peu par le charme et les prévenances de son ravisseur qui veut l'épouser. Après de longues hésitations, elle accepte. L'orpheline de Ti-Carrec est devenue une princesse d'Orient. Sera-t-elle heureuse avec cet homme orgueilleux et dominateur qu'elle a choisi librement?

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Gwen, Princesse d'Orient

Pages de titrePremière partieIIIIIIIVVDeuxième partieI - 1II - 1III - 1IV - 1V - 1VIVIIVIIIIXXXIXIIXIIIXIVXVXVIXVIIIPage de copyright

Delly

Gwen, princesse d’Orient

Ce roman fait suite à :

L’orpheline de Ti-Carrec.

Première partie

Le palais du prince

I

La résidence des rajahs de Pavala, à Bornéo, se composait de plusieurs palais, construits au milieu de jardins magnifiques et reliés entre eux par de longues galeries de marbre blanc. Ils avaient chacun leur nom.

Celui de Sa Hautesse Han-Kaï s’appelait le palais de la Lumière Heureuse. Sa Hautesse Han-Kaï, jeune rajah de Pavala, portait, en France, le nom du vicomte Dougual de Penanscoët. Il était, en effet, le fils du comte Ivor de Penanscoët, dont la résidence personnelle était connue sous le nom de palais du Dragon d’Or. Comment ces Bretons se trouvaient-ils à la tête de cet État hindou ? De tout temps, les membres de la famille de Penanscoët, dont l’origine était perdue dans les brumes de la légende, avaient aimé les aventures lointaines d’où ils revenaient bien souvent pervertis par l’or et les plaisirs. Ne faisant pas exception à cette tradition familiale, les deux frères Ivor et Riec quittèrent très jeunes le domaine de Kermazenc – cadeau du duc de Bretagne à un de leurs lointains ancêtres – pour courir le monde. On apprit, un jour, qu’après mille mésaventures ils avaient épousé deux sœurs, filles d’un maharajah. Mais, tandis que Riec mourait l’année suivante, suivi peu après dans la tombe par sa femme, Ivor avait été désigné par le rajah de Pavala pour lui succéder. Et c’est ainsi qu’il était devenu un puissant despote oriental.

Il était resté de longues années sans revenir en France, mais s’était tout de même décidé à aller passer un été dans son château de Kermazenc. Il était accompagné dans ce voyage de sa femme Nouhourmal, de son fils Dougual, de son confident, un brahmane nommé Appadjy, et de ses nombreux domestiques indigènes, hindous, malais et chinois. Il avait donné des fêtes somptueuses, dignes d’un potentat d’Orient, transportant pour une nuit ses invités bretons dans les féeries des Mille et une Nuits. Depuis peu, il était de retour à Palava. Son fils l’avait précédé de quelques jours.

Cet après-midi, il travaillait dans une salle fraîche et parfumée en compagnie de son fidèle Appadjy et d’un secrétaire à qui il dictait du courrier, quand Dougual entra. D’un geste, Ivor congédia le secrétaire. Restés seuls, le comte, son fils et le brahmane s’entretinrent, en prenant le thé, de quelques faits de politique générale qui, à ce moment, occupaient l’Europe. M. de Penanscoët les ramenaient à sa grande préoccupation : une organisation secrète, formidable, du monde asiatique.

– Les gouvernements européens, dit-il, ayant les yeux tournés vers cette menace, s’apercevront d’autant moins du cataclysme, autrement grave, qui se prépare pour eux.

Appadjy inclina approbativement la tête.

– Ils ont quelques inquiétudes de ce côté-là aussi, mais ils se croient les plus forts, ils ne peuvent s’imaginer que ces peuples, depuis longtemps soumis à leur domination, peuvent, un jour, s’unir dans la révolte. Nous avons d’ailleurs réuni toutes les conditions indispensables du mystère, de discrétion absolue, et bien malins seraient ceux qui pourraient savoir d’où vient le ferment qui, en ces dernières années surtout, a si bien travaillé l’Inde, la Chine, l’Indochine, les îles malaises... Bien malins, en vérité.

En effet, depuis des années, le comte de Penanscoët et le brahmane travaillaient à la mise sur pied d’un mouvement formidable qui devait soumettre l’Asie tout entière à un maître suprême, à un souverain mystérieux : l’Élu. Ils étaient prêts à déclencher l’action.

Celui qui, dans leur projet, devait devenir le maître absolu de centaines de millions d’êtres humains, qui verraient en lui une émanation de la divinité et, comme telle, lui rendraient un culte, adoreraient ses effigies comme ils le faisaient pour celles de Brahma, de Dourga, de Bouddha, était le jeune Dougual. Depuis sa plus tendre enfance, les deux hommes l’avaient formé pour cette destinée qu’on lui préparait, en exaltant son orgueil, en lui desséchant le cœur, en faisant de lui un monstre d’égoïsme et de cruauté, indifférent devant la souffrance des autres et capable de s’imposer par la terreur si besoin était.

Il semblait que leurs efforts avaient été couronnés de succès, car Dougual, prévenu du rôle qu’il aurait à jouer, était un vrai despote, n’obéissant qu’à son bon plaisir, pliant tout sous sa loi.

Enfoncé dans les épais coussins d’un divan de soie chinoise aux broderies multicolores, il buvait son thé à lentes gorgées, tandis que ses yeux semblaient rêver dans l’ombre des longs cils abaissés. Il avait ainsi la mine impassible, presque hiératique, que les religions d’Asie donnent à leurs idoles.

– Nous pourrons lancer le signal du soulèvement général dans quelques semaines, dit Ivor. Bientôt, mon fils, tu seras plus puissant que ne le furent jamais les conquérants d’autrefois.

Une orgueilleuse allégresse luisait dans le regard du comte. Mais la physionomie de Dougual conserva son indifférence hautaine.

– ... Tu en es heureux, Dougual ?... Tu n’auras plus rien à désirer maintenant.

– Rien, en effet, dit brièvement Dougual.

Il fit un signe, et la jolie Chinoise accroupie au bout de la salle, sur des coussins, vint lui verser une nouvelle tasse de thé, après une humble prosternation.

– Tout va bien ici ? demanda Ivor en allumant un cigare. La petite Dourzen te plaît encore ?

Cette fois, les cils se relevèrent, le regard de Dougual se fixa, altier et presque dur, sur M. de Penanscoët, qui souriait.

– Gwen Dourzen me plaît si bien que j’en ai fait ma femme.

Le comte sursauta, et Appadjy ne put contenir un geste de surprise.

– Ta femme ?... Que dis-tu là ?

– Je l’ai épousée devant un prêtre catholique.

– Toi, Dougual ? Voyons, je rêve ? À quel propos ?

Les sourcils de Dougual se rapprochèrent légèrement, donnant à sa physionomie une expression de froide contrariété.

– Pourquoi vous en étonnez-vous, mon père ? Cette jeune fille est une Dourzen, elle a dans les veines le même sang que nous, elle est en outre admirablement douée, de toute façon, et il m’a plu de la traiter autrement qu’en épouse éphémère.

– C’est inimaginable ! La mère de cette jeune fille était une aventurière...

– Qu’en savez-vous ? Mme Dourzen répandait ce bruit par pure méchanceté, je l’ai compris d’après ce que m’a raconté Gwen. Puis, admettons... elle ne le fut certainement pas plus que certaines de nos aïeules, entre autres cette Anne de Penanscoët, dont la vie fut le désordre et l’aventure personnifiés.

Ivor, déjà, reprenait tout son sang-froid un moment entamé. Il répliqua d’une voix redevenue calme :

– Enfin, si cela te plaît, mon cher, tu es libre. Quand tu auras assez de cette jeune personne, il te sera d’autant plus facile de t’en séparer qu’aux yeux de la loi française elle n’est pas ta femme.

– C’est une lacune que j’ai l’intention de combler, le moment venu.

– Non, pas cela, Dougual ! Que, cédant à je ne sais quelle fantaisie, tu te sois uni à elle par un lien religieux dont tu ne te soucieras guère, ton caprice fini, passe encore... J’ai agi ainsi, autrefois, pour étouffer les premiers scrupules d’une femme et l’avoir mieux à moi. Mais un lien légal !... Non, non ! D’ailleurs, nous sommes convenus que le souverain de l’Asie devait prendre pour compagne légitime une femme de ce pays.

D’un geste d’ennui, Dougual posa sur une petite table, près de lui, la tasse qu’il tenait à la main. Sa physionomie témoignait d’une impatience hautaine qui s’exprimait aussi dans sa voix tandis qu’il répliquait :

– Vous m’avez toujours répété, mon père, – et Appadjy de même – que le futur et tout-puissant maître de l’Asie n’aurait à consulter que son bon plaisir, que, sur un signe de lui, le dernier des esclaves pourrait devenir l’un des premiers de son empire, que seule sa volonté serait la loi suprême. Je veux suivre vos leçons... et je vous dis que ma femme légitime, ce sera Gwen Dourzen, qu’il me plaît d’élever jusqu’à moi.

Sur ces mots, Dougual se leva. Le comte, dont les lèvres se crispaient légèrement, dit avec un accent de sarcasme :

– Tu es donc tellement amoureux ? Je ne te croyais pas capable de risquer, pour une femme, l’échec de la magnifique partie que nous jouons.

– Je ne risque rien, bien au contraire. Une femme comme Gwen, qui possède la beauté, le charme, l’intelligence, ne peut que contribuer au succès de celui qui l’associe à son existence. Rassurez-vous tous deux, mon père et Appadjy, je tiens autant que vous à voir réaliser ce pour quoi vous m’avez élevé. Car vous m’avez donné la soif de la domination, le goût violent du pouvoir, le désir ardent de voir les foules idolâtres courbées dans la poussière, devant moi, le tout-puissant, le maître redouté. Cette soif, ce goût, ce désir, il faut que je les assouvisse... car je ne pourrais plus vivre une vie ordinaire, n’être plus que le vicomte de Penanscoët, ou même le rajah Han-Kaï. Mais dans l’ombre de ma puissance, je veux voir Gwen. Elle n’aura pas le titre d’impératrice, mais personne d’autre ne l’aura. Je régnerai seul. Aucune femme, officiellement, ne prendra place près de moi.

– Tu ne nous avais jamais dit cela, Dougual...

La physionomie d’Ivor témoignait d’une vive surprise.

– ... Non que je te blâme, d’ailleurs ! Tu sais mes idées au sujet des femmes. Plus nous les tenons en état d’infériorité, mieux nous nous en trouvons. D’après ce que tu dis là, Gwen Dourzen aura près de toi le rôle de favorite officielle...

– D’épouse morganatique, rectifia Dougual.

– Soit !... Eh bien ! elle doit trouver du changement avec Coatbez, cette jeune personne ! Il faudra que nous refassions sa connaissance, Dougual... car je ne l’ai pas vue depuis qu’elle est jeune fille.

– Je vous la présenterai demain.

– Fort bien. Elle s’arrange avec les femmes de ton harem, cette merveille bretonne ?

– Je n’ai plus d’autre femme qu’elle.

Sur ces mots, Dougual salua son père, adressa un signe de tête à Appadjy et quitta la pièce.

Les deux hommes se regardèrent en silence, pendant un moment. Puis Appadjy dit lentement :

– Voilà que sa vraie nature se révèle. Un passionné, lui que nous croyions seulement capable de la plus froide ambition... Une volonté orgueilleuse qui nous brisera, si nous sommes un jour en conflit avec elle...

Ivor se leva, fit quelques pas agités. Un peu de sang montait à ses joues bronzées.

– Jamais je n’aurais pu imaginer pareille chose !

Sa voix était rauque de colère.

– ... Épouser cette Gwen, qu’il tenait à sa merci ! L’épouser sérieusement, d’après ce qu’il dit... Car si c’était comme mon mariage avec Varvara...

Il eut un rire de cynique ironie.

Appadjy leva les épaules.

– Sérieusement ou non, le fait n’a pas une telle importance. Il paraît assez fortement épris d’elle pour le moment ; mais, en admettant même qu’il ne la délaisse pas quelque jour pour d’autres femmes, – ce dont nous pouvons douter –, les satisfactions d’orgueil, d’ambition, de gloire, qui l’attendent feront une dangereuse concurrence à cette belle Gwen. Non, Ivor, ce qui me préoccupe le plus, en ce moment, c’est la révélation – pas tout à fait inattendue d’ailleurs – de ce Dougual qui entendra être le seul maître et ne verra en nous, ses conseillers, ses initiateurs, que les premiers de ses serviteurs. Il y a là un grand danger, mon ami. Tu le sens comme moi ?

– Oui... Mais qu’y pouvons-nous ? Ce sont nos leçons qui lui ont donné cet orgueil, cette soif de domination, de pouvoir sans limites, de vénération idolâtre qu’il vient de proclamer devant nous. C’est de moi, son père, qu’il tient cette volonté implacable, cette dure volonté prête à tout broyer sur sa route.

Un léger sourire de sarcasme détendit, pendant quelques secondes, les lèvres d’Appadjy.

Ivor, arrêté un instant en face de son ami, se remettait à marcher de long en large. Il dit entre ses dents :

– Pourtant, cette Gwen Dourzen... Non, je ne puis supporter que la fille de Varvara soit la femme de mon fils !

– Tu t’es bien vengé de la mère. Que t’importe la fille ?

– Je la hais... simplement parce qu’elle a dans les veines le sang de Varvara. Tu ne comprends pas cela, Appadjy ? Toi, tu ne reculerais devant aucune action, si terrible fût-elle, pourvu qu’elle ait un but pratique. Mais chez moi, la haine, la vengeance, ne connaissent pas de limites, ne s’embarrassent pas de raisonnements. C’est un besoin de ma nature, quand on m’a offensé, de poursuivre le coupable jusqu’à la mort et de l’avoir en abomination même dans sa descendance.

– Je ne te conseille pas de t’attaquer à cette jeune personne – du moins tant que Dougual s’intéressera aussi vivement à elle, dit le brahmane.

M. de Penanscoët ricana légèrement, sans interrompre sa promenade.

– Il y a des moyens sans danger, murmura-t-il.

Un mauvais sourire entrouvrait ses lèvres. Après un court silence, il ajouta, en s’arrêtant de nouveau devant le brahmane qui buvait lentement son thé :

– Elle pourra disparaître comme sa mère, sans qu’on trouve jamais d’où lui est venue la mort.

Appadjy secoua la tête.

– Méfie-toi de Dougual ! Tu serais le premier qu’il soupçonnerait, Ivor, puisqu’il te sait hostile à cette union.

– Alors, trouve un autre moyen, sans inconvénient pour nous, Appadjy, car je te l’affirme, je ne pourrai supporter que la fille de Varvara soit l’épouse de mon fils, de mon beau Dougual qui demain sera le maître d’une partie du monde !

Qui était cette Gwen Dourzen qui venait ainsi se mettre en travers des vastes projets du comte de Penanscoët ? Une pauvre orpheline, la fille d’Armaël Dourzen, cousin d’Ivor, et de cette Varvara Tepnine, Russe exilée, dont il parlait avec tant de mépris.

Varvara avait été la femme d’Ivor et c’est elle qu’il évoquait quand il disait à son fils qu’il avait épousé religieusement – mais pas civilement – une femme pour étouffer ses scrupules. De leur union était né un fils, Willy, qu’il avait pris à sa mère, pendant une absence, pour le faire élever suivant ses principes.

Pour échapper à la domination de cet être pervers, Varvara s’était enfuie et elle avait épousé Armaël. Ils avaient eu une fille, Gwen.

Armaël était mort peu de temps après et sa veuve s’était retirée dans la maison de son mari, à Ti-Carrec, près du château de Kermazenc, vivant très modestement, se croyant à l’abri des poursuites d’Ivor qui ne revenait jamais en Bretagne.

Mais, au cours de l’été précédent, sa quiétude avait été troublée par la venue du comte de Penanscoët qui, dès la première rencontre, lui avait appris qu’il avait fait disparaître son mari pour la punir de sa fuite et de sa désobéissance, car il lui avait interdit de se marier. Puis, comme elle refusait de revenir auprès de lui, qui avait flétri son âme de jeune fille, annihilé pour quelque temps son sens moral, il l’avait condamnée et, quelques jours après, on avait trouvé Varvara empoisonnée.

Gwen était donc restée seule au monde. Elle avait été recueillie par des cousins, Hervé et Blanche Dourzen, habitant le petit château de Coatbez, voisin, lui aussi, de Kermazenc. Hervé était son tuteur légal. La pauvre orpheline n’avait pas été heureuse, car Blanche Dourzen et ses deux filles, Rose et Laurette, la traitaient en servante, ne lui ménageant ni les humiliations ni les coups, l’accablant sous les plus dures besognes. Elle était la Cendrillon de ce foyer et elle n’avait trouvé de compréhension qu’auprès d’une vieille demoiselle, Herminie Dourzen qui, de par le testament de son grand-père, avait à Coatbez la jouissance d’une aile du château.

Herminie avait souvent consolé la pauvre enfant et mieux encore, en cachette de Blanche, lui avait formé l’esprit, mettant en valeur des dons intellectuels remarquables. Gwen, chaque soir, quand tout le monde était couché, se rendait chez Mlle Herminie et prenait des leçons de littérature, de sciences, de musique et de dessin. De sorte qu’à dix-huit ans elle possédait une solide culture, connaissait trois langues étrangères, était une excellente pianiste et peignait l’aquarelle en artiste.

C’est d’ailleurs à cette cousine compréhensive, bien que peu sensible, – elle n’avait jamais témoigné d’affection à la jeune fille – que Gwen devait son bonheur actuel. En effet, le comte de Penanscoët avait invité ses cousins Dourzen à un grand bal costumé et masqué, et la pauvre enfant, après avoir aidé Rose et Laurette à s’habiller, était allée, le cœur gros, se réfugier auprès de Mlle Herminie. Celle-ci, prévoyant la douleur de la jeune fille, avait, en bonne fée, sorti un costume d’Hindoue rapporté d’un voyage, en avait habillé Gwen et l’avait envoyée au bal. Celle-ci, après avoir un peu résisté, s’y était rendue et, masquée d’un loup de velours, regardait d’un kiosque chinois isolé cette fête splendide. Son costume authentique avait attiré l’attention de Dougual. Il l’avait abordée, avait parlé avec elle et, devant son refus de se faire connaître, lui avait arraché son masque. Gwen, jeune fille au cœur pur, s’était alors échappée, indignée de cette audace. Mais elle avait fait la plus vive impression sur le jeune rajah. Il chargea son demi-frère Willy et son fidèle serviteur chinois Wou de la retrouver. Wou, dès le lendemain, savait qui elle était et, deux jours après, alors qu’elle était allée en pèlerinage à la maison de Ti-Carrec, elle était enlevée, déposée dans un avion et n’avait repris ses sens que dans le harem du palais de Palava.

Elle s’était révoltée contre cet enlèvement et son attitude énergique avait maintenu en respect l’intraitable Dougual. Très épris, le rajah s’était incliné devant la volonté de cette jeune fille et lui avait finalement exprimé ses regrets sincères d’avoir ainsi agi à son égard. Il l’avait assurée qu’elle était la seule femme qu’il eût jamais aimée. Elle avait, semblait-il, transformé d’un seul coup ce monstre d’orgueil et d’égoïsme. Gwen, séduite aussi par ce prince charmant, ne le repoussa plus lorsqu’il lui eut promis qu’elle serait sa seule épouse et qu’un prêtre catholique bénirait leur union.

Et c’est ainsi que la Cendrillon de Coatbez était devenue la femme du jeune rajah de Palava au grand dam du comte de Penanscoët.

II

Gwen fut présentée au père de Dougual dans un kiosque de marbre rouge qui s’élevait sur la berge d’un petit lac fleuri de lotus roses.

Émue, un peu anxieuse, elle y entra en compagnie de son mari et vint s’incliner devant Ivor qui s’entretenait avec son inséparable Appadjy.

– Voici ma femme, dit Dougual.

Le comte tendit sa main et serra légèrement les doigts un peu frémissants qui s’y posaient.

– Soyez la bienvenue, dit-il avec une froideur polie qui fut le ton général de l’entrevue, assez courte, après laquelle Dougual prit congé, en emmenant sa femme.

Appadjy et le comte les suivirent des yeux un long moment, en silence. Puis M. de Penanscoët murmura, le front barré d’un pli profond :

– Je comprends qu’elle plaise furieusement à Dougual !... C’est une beauté rare et d’un charme... beaucoup trop dangereux.

– Je suis de ton avis. Une femme telle que celle-là, avec l’intelligence vive que l’on devine chez elle, pourrait avoir trop d’influence sur lui, surtout en prenant de l’expérience. Donc, il faudrait les séparer...

– Ah ! tu y viens aussi, toi ? dit vivement M. de Penanscoët.

– Oui... mais il faut agir avec précaution. Rien ne presse.

Le comte eut un rictus qui donna à sa physionomie une soudaine expression de férocité.

– Je voudrais déjà la savoir hors d’ici, loin de mon fils ! dit-il violemment.

Appadjy leva les épaules en le considérant avec un sourire d’ironie.

– Eh ! pourquoi le priver si vite des joies que lui donne cette belle Gwen ? Rien ne presse, je le répète. Pas de fausse manœuvre, surtout, car avec Dougual...

– Ne crains rien... Dougual n’aura aucun soupçon.

Dougual et Gwen s’étaient éloignés à travers les jardins. Près d’eux marchait une toute jeune panthère, dont le rajah avait fait don à sa femme. Celle-ci, le front penché, avançait machinalement, le regard songeur, les lèvres un peu crispées. Dougual, jetant sur elle un regard investigateur, demanda :

– Qu’as-tu, Gwen ?

Elle eut un tressaillement léger.

– Mais rien... vraiment rien, cher Dougual.

Elle souriait, non sans effort.

– Tu ne me dis pas la vérité en ce moment, Gwen. C’est mon père qui a fait sur toi une impression désagréable.

La jeune femme rougit.

– Vraiment, ce que tu t’imagines là...

– Est exact. Avoue-le-moi sans crainte, ma bien-aimée.

– Eh bien ! oui, son regard... Oui, j’ai éprouvé un singulier malaise, sous ce regard-là...

– Sa nature n’est pas faite pour t’inspirer de la sympathie. Mais tu auras peu de rapports avec lui. Son existence et la mienne, au point de vue de la vie privée, sont très séparées, tout à fait indépendantes.

Gwen leva sur Dougual un regard surpris, C’était la première fois qu’il lui parlait ainsi de son père.

– Tu t’entends cependant bien avec lui ?

– Oui... Mais cela ne m’empêche pas de connaître et de juger son caractère.

Après un instant d’hésitation, Gwen demanda :

– Tu as cependant de l’affection pour lui ?

– De l’affection ?

Un rire d’ironie vint aux lèvres de Dougual.

– ... Avant que tu apparaisses dans ma vie, ce mot-là n’avait aucune signification pour moi.

– Comment ? Et ta mère, ne l’aimes-tu pas ?

– Ma mère est presque une inconnue pour moi. Elle est restée complètement étrangère à mon éducation, et je n’ai eu avec elle que des rapports assez rares, en quelque sorte officiels... Ma chère Gwen, pour des raisons différentes, nous étions tous deux, moralement, des solitaires.

– Mais moi, si j’avais conservé ma mère, je n’aurais pas eu de solitude. Nous nous serions aimées... Oh ! ma pauvre maman, si tragiquement disparue !

Des larmes vinrent aux yeux de Gwen. Dougual se pencha pour mettre un baiser sur les paupières palpitantes.

– Je rechercherai le meurtrier de ta mère, ma Gwen aimée, et je lui infligerai la punition de son crime. Car il n’y a pas de doute pour moi : on lui versa le poison dont elle mourut.

– Comment le retrouver ?

– Ce ne sera sans doute pas difficile, avec les moyens dont je dispose... Pendant quelques mois, je vais être fort occupé... Je te dirai bientôt pourquoi. Mais, ensuite, il me sera possible de mettre en train cette recherche.

Ils atteignaient en ce moment le palais de Dougual. Celui-ci appela Willy, qui se tenait appuyé contre une colonne de marbre, et lui donna un ordre. Comme le jeune homme s’éloignait, Gwen fit observer :

– Son regard me produit presque la même impression que celui de M. de Penanscoët, Dougual. Il y a d’ailleurs une étrange ressemblance...

– Pas étrange, puisque Willy est le fils de mon père.

Gwen eut un sursaut d’étonnement.

– Ah ! vraiment !

– Sa mère était russe, je crois... Il avait une nature difficile, et mon père l’a fait élever fort durement. Il l’a mis tout jeune à mon service. Pour moi, c’est un chien dévoué, jusqu’à la plus féroce jalousie... du moins, il me paraît ainsi. Mais peut-on connaître les complexités de la nature humaine ?... et surtout d’un être tel que ce garçon, qui a dans les veines le sang des Penanscoët, avec, sans doute, leur orgueil, leur esprit d’aventure, leurs défauts et leurs qualités... ceux-là l’emportant, peut-être, sur celles-ci... Il a vécu dans une sorte d’esclavage ; mais il donne parfois l’impression d’un esclave prêt à la révolte. C’est une âme vindicative, fermée, dans laquelle subsiste quelque chose de sauvage. Il se courbe docilement sous mon joug, il semble avoir pour moi une sorte de culte. Mais j’ai toujours eu de lui une instinctive défiance, alors que je me confierais absolument à Wou et à quelques autres de mes serviteurs.

– Il a dû souffrir, dit pensivement Gwen. Je le comprends, moi qui ai vécu dans une si pénible dépendance, sans affection, sans appui.

– Mais, heureusement, ta nature n’est pas devenue mauvaise pour cela, ma très chère.

Elle n’osa lui répliquer qu’elle n’avait pas pour père un Ivor de Penanscoët... étrange, inquiétante figure dont les yeux durs et brillants – ces yeux qui étaient ceux aussi de Willy – la poursuivaient depuis cette courte entrevue de tout à l’heure. Heureusement, Dougual n’avait pas ces yeux-là !... et rien, dans sa physionomie, ne rappelait son père, sauf toutefois le type commun, en général, à tous les Penanscoët. Moralement, il devait être aussi très différent de lui, elle le pressentait.

Ressemblait-il à sa mère ? Elle avait trop peu vu encore Mme de Penanscoët pour en juger au point de vue physique. Quant à la nature de la comtesse, c’était l’inconnu... et très probablement ce le serait toujours, puisque pour son fils même elle était restée presque une étrangère.

III

Le soir de ce jour, Gwen alla rendre visite à sa belle-mère.

Mme de Penanscoët – ou, comme on l’appelait ici, la princesse Nouhourmal – occupait une suite de pièces somptueuses dans le palais du Lotus blanc, réservé aux femmes du rajah Tung-Dow – ainsi nommait-on à Pavala Ivor de Penanscoët.

Gwen fut introduite dans une petite salle dont les murs de marbre étaient incrustés de pierres précieuses qui étincelaient à la lueur de deux lampes de bronze suspendues à la voûte par de longues chaînes. Sur un divan de soie jaune brochée d’argent était à demi étendue Mme