Chants du peuple juif - Pierre Léoutre - E-Book

Chants du peuple juif E-Book

Pierre Léoutre

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Avec cet ouvrage, l'auteur, Pierre Léoutre, a voulu célébrer la permanence de l'histoire du peuple juif au travers de trois chants qui lui sont dédiés. Le premier chant est celui du troubadour Mordecaï Gebirtig qui, au coeur du ghetto de Cracovie, et durant ses pires souffrances, a fait entendre un chant d'espoir et de lucidité. Des poèmes, traduits pour la première fois en langue française par Gil Pressnitzer, éclairent cette histoire moins connue que celle du ghetto de Varsovie et une analyse historique replace ces poèmes dans leur contexte tragique. Un deuxième chant est consacré à un peintre, Pierre Lachkar, dont les oeuvres sont imprégnées de la mystique juive. Enfin un troisième chant d'espérance est le récit d'un voyage en Israël, qui fut un véritable voyage initiatique. Ces trois chants, allant des ténèbres à la lumière, sont un acte d'amitié profonde pour le peuple juif.

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Avec mes remerciements à Louis Cau

Sommaire

PREMIÈRE PARTIE : LE CHANT DES GHETTOS

UNE LANGUE ASSASSINÉE, UN PEUPLE ASSASSINÉ

LES GHETTOS ET L’ENFERMEMENT D’UN PEUPLE

LES GHETTOS, ANTICHAMBRES DE L’ANÉANTISSEMENT

LA NAISSANCE DES GHETTOS EN POLOGNE

LA VIE DES GHETTOS EN POLOGNE ET PARTICULIÈREMENT CELUI DE CRACOVIE.

LA RÉSISTANCE DANS LE GHETTO DE CRACOVIE

LE QUOTIDIEN DES GHETTOS

LES PASSEURS DE PAROLES DU GHETTO

MORDECAÏ GEBIRTIG : UN SIMPLE TROUBADOUR

POÈMES : TRADUCTIONS INÉDITES

RECUEIL ES BRENT

POÈMES ÉPARS TIRÉS DE

AUTRES POÈMES

L’AVENIR DE CES PAROLES

LES MANUSCRITS SAUVÉS, LA MÉMOIRE VIVANTE

DEUXIÈME PARTIE : LE CHANT DES COULEURS

INTRODUCTION

VINCENT VAN GOGH

LES CHATS

TOULOUSE

JÉRUSALEM

LES MAÎTRES

LA VIE D’ARTISTE

LES TECHNIQUES DU PEINTRE

LA MÉMOIRE DES LIEUX

TROISIÈME PARTIE : LE CHANT DE LA

UN VOYAGE EN ISRAËL

PREMIÈRE PARTIE

LECHANT DES GHETTOS

par Pierre Léoutre et Gil Pressnitzer

Primo Lévi : « Survivre sans avoir renoncé à rien de son propre monde moral, à moins d'interventions puissantes et directes de la chance, n'a été donné qu'à un tout petit nombre d'êtres supérieurs, de l'étoffe des saints et des martyrs. »

Marina Tsvetaeva : Tout poète estjuif

UNE LANGUE ASSASSINÉE, UN PEUPLE ASSASSINÉ

Le peuple juif ainsi se souvient de ce qu'il fut, de ce qu'il est, de ce qu'il sera peut-être, sans jamais se désolidariser du monde, mais en voyant inscrit au front sa lucidité, ses poètes assassinés, sa « folie » de mesurer la justice du monde sur son propre corps.

La langue yiddish est le témoin encore vivant de cette histoire, née dans les territoires rhénans, puis devenue la langue de tous les jours des Juifs de l'Europe de l'Est, dans les ghettos de Pologne, de Russie, de Roumanie, de Hongrie...

Le Chant des ghettos

Cette langue qui semble avoir métabolisé le malheur était aussi et surtout une langue de joie. Elle était la langue vernaculaire, la langue profane de tous les jours : celle du charretier, celle du marchand de harengs, celle des prostituées, celle du poète. Et puis les femmes n'ayant pas le droit d'apprendre en ce temps l'hébreu, le yiddish fut leurs causeries, leurs railleries, leurs chansons. C'était la langue laïque des gens du quotidien, celle des causeries interminables celle de la vie, celle de la truculence et non pas ce qui semble rester : la langue des cendres.

Dérivé de l’allemand moyenâgeux de la région du Rhin (dont il a conservé une grande part de vocabulaire), et emporté comme une langue autonome par les émigrants vers l’Europe de l’Est, le yiddish a emprunté la syntaxe et de nombreux mots slaves et hébreux, voire araméens ou persans et, plus récemment, des termes anglo-américains. Puisqu’il s’écrivait en caractères hébraïques, donc sans voyelle, sa prononciation variait d’une région à une autre. Cette langue était vivante et sonore, et parlée depuis le XVe siècle. Elle avait reçu tous les affluents des contes bibliques, talmudiques et contes populaires.

Ductile, souple, presque orale, elle aura servi aussi bien aux blagues qu’à la célébration, en tant qu’alphabet de la mort, des derniers messages de toute une génération brûlée vive par le nazisme, et pour les rares survivants, une autre génération de poètes sera décapitée par le stalinisme.

Cette langue qui avait été amenée « à la cheminée » aura survécu à ses bourreaux.

Si longtemps après la Shoah, les berceuses restent, les enfants pleurent. Car les chansons, surtout avec l’apparition des pogroms et des ghettos, seront le ciment d’un peuple isolé, agressé. L’identité des Juifs d’Europe Centrale sera véhiculée par les poèmes et les chants. Les chansons d’enfants, les chansons d’amour et de mariage, les chants religieux, les chants historiques, les chants d’artisans et d’ouvriers, les chants de combat social et politique, plus tard les chants des ghettos et des camps de concentration, les chants des résistants et partisans.

Langue du dernier souffle et des utopies, de l’Arbeter-Ring, du Bund (mouvements socialistes), le yiddish fut aussi une langue de luttes sociales et politiques, le dernier mot qui sera dit dans le ghetto de Varsovie.

Nuit et pluie, nuit et vent, flammes lâchées sur les vivants pour faire l’humus de la terre, enfants brûlés et hommes traqués comme des chiens. Tout cela est dans la poésie yiddish. Même le Messie, est-il dit, ne peut supporter ses larmes.

La langue yiddish a su se faire porteuse des paroles des grands poètes – Mordecaï Gebirtig, Itsik Manguer, Chaim Bialik, Aron Lutski… Ceux-là disaient : « Nous sommes là debout, dans nos recoins sombres ni vus, ni connus, seuls… et nous martelons de nos tristes doigts au-dessus de vos têtes pour vous rappeler que nos vies, elles, se sont flétries avant même que les blés n’aient mûri, avant même que l’avoine ne soit prête à couper » (Le Troubadour).

Langue mémoire, langue de vie, le yiddish n’a pas donné de loi mais a donné des chansons qui sont un pays englouti dans la folie et la cruauté, toujours latentes, mais un pays d’or.

Si les Juifs déportés emportèrent leur langue initiale et primordiale (allemand, roumain, hongrois…), le yiddish fut la langue natale des ghettos, et les poètes, dont nous parlerons, se seront exprimés en yiddish.

« Mesdames et messieurs je voudrais vous dire à quel point vous comprenez beaucoup plus de yiddish que vous ne le croyez », disait Franz Kafka qui continuait ainsi : « Vous comprendrez le yiddish par intuition et, si vous restez dans le silence, vous serez au cœur du yiddish. Car le yiddish est un monde, il est le Verbe, la mélodie hassidique et l’être du comédien juif lui-même. Vous ne reconnaîtrez plus votre calme passé. Vous aurez peur non plus du yiddish, mais de vous-même» (Discours sur la langue yiddish).

LES GHETTOS ET L’ENFERMEMENT D’UN PEUPLE

Si le mot de ghetto vient de l’Italie qui, parmi les nations, fut l’une des premières à vouloir séparer les Juifs de la population non-juive en 1516 – le ghetto Vecchio –, il résonne aujourd’hui principalement rattaché avec les images de l’holocauste. L’antisémitisme vénitien était autant fait de haine religieuse que de la peur de voir les Juifs concurrencer son pouvoir commercial. Dans la seconde moitié du XVe siècle, le Conseil des Dix leur accorda le pouvoir de résider à Venise, à condition qu’ils portent un signe distinctif : un O de toile jaune cousu sur les vêtements, ou un chapeau rouge. Ainsi, l’application d’une marque visible, comme pour les parias, était inventée et sera reprise ultérieurement par l’étoile jaune, en passant par la rouelle dès le Moyen Âge en France, en Espagne et en Italie, un rond jaune sur la poitrine.

En histoire, l’on observe que la première marque d’exclusion se fait par le marquage, comme pour un troupeau, qui montre au regard des autres des sous-populations. Cette mesure prise sous l’impulsion de l’Église catholique (décret d’Innocent III en 1215) sera complétée en France en 1219 par le très bon saint Louis, antisémite féroce, par deux raies jaunes. Le jaune avait été considéré par les catholiques comme le symbole de la trahison et de la diablerie ; les nazis le reprendront.

Le symbole de l’étoile de David jaune jouera le rôle de la crécelle pour les lépreux. Des fonctionnaires zélés prévoyaient le port « sur le côté gauche de la poitrine, solidement cousue ». Le refus de port conduisait à la déportation immédiate. En France, c’est le décret du 29 mai 1942 qui l’instituera. Le travail de brisure morale par l’humiliation et le repérage permettra les étapes suivantes. Une fois tatoué d’infamie, l’autre n’est déjà plus un homme. Le temps de l’esclave pouvait advenir.

Dès leur entrée en Pologne en 1939, les Allemands commencèrent à parquer les Juifs, avec la complicité enthousiaste et active des Polonais qui voyaient là un moyen d’apaiser leur vieil antisémitisme religieux et aussi de récupérer à bon compte les biens et les propriétés des Juifs.

Et, voir ainsi ses voisins rire et se moquer des persécutions fut une douleur non encore effacée dans le monde juif.

Depuis, l’exemple de la Bosnie nous aura appris toutes les haines possibles chez les gentils voisins. La haine de palier est une des plus atroces car elle est enceinte de toutes les rancœurs accumulées.

En Pologne, les Allemands obligèrent les Juifs à porter non pas une étoile mais un brassard blanc au bras droit d’une largeur d’au moins dix centimètres sur lequel il y avait une étoile de David et l’inscription « Jude », Juif. Cette ordonnance est du 23 novembre 1939 et signée par le gouverneur Frank. Dans cette vie, soudain enfermée dans des villes où ils vivaient, ou dans des zones dites réglementaires, il se trouva une forme de résistance très spécifique, la résistance par la pensée et la poésie.

Il s’éleva un chant des ghettos qui jusqu’à la fin affirma que la déshumanisation industrielle des nazis ne passerait pas. Ce sont ces chants que nous voudrions ici saluer et, en particulier, le plus évident, le plus populaire des poètes, Mordecaï Gebirtig. Car la révolution spirituelle des Juifs fut plus lumineuse que bien d’autres résistances.

LES GHETTOS, ANTICHAMBRES DE L’ANÉANTISSEMENT

Quand on pense ghetto, on ne cite souvent que celui de Varsovie ; le seul à être célébré dans la mémoire actuelle.

Cela vient de plusieurs faits :

La volonté des Juifs en Israël de détruire l’image de Juifs résignés et passifs devant les massacres en mettant en exergue les actes héroïques et le soulèvement du ghetto de Varsovie, première défaite militaire du Reich nazi pendant vingt-sept jours.

La résistance dans les autres ghettos, ou même dans les camps de concentration avec celle des « sonderkommandos », est mal connue car rapidement vouée à l’écrasement. Et les Allemands faisaient silence sur ces révoltes « d’esclaves ».

C’est l’écrasement total du ghetto de Cracovie en mars 1943 qui convainquit les gens des autres ghettos qu’il n’y avait pas d’autre choix que de mourir debout ou gazé, et la révolte du ghetto de Varsovie est le contrecoup de ce massacre.

Le choix des résistances fut divers dans les ghettos car il fallait une profondeur stratégique, et aussi une masse critique de combattants ; et alors que quatre cent cinquante mille Juifs étaient parqués à Varsovie, ailleurs à Vilno ou Cracovie, leur nombre était bien plus restreint, et le ghetto trop petit.

Aussi une autre forme de résistance se fit jour, le harcèlement en zone aryenne des soldats allemands fut adopté.

Le chant des partisans du ghetto de Varsovie

Ne dis jamais que c’est ton dernier chemin

, devenu célèbre, a laissé dans l’ombre bien d’autres chants moins mobilisateurs.

Les ghettos auront une fonction précise, savamment étudiée et mise en place :

« Le but du ghetto et du camp d’extermination était la destruction totale de l’homme comme être biologique, psychologique et social. Soit la dissolution du lien social entre individu et collectif (entre bourreau et victime, bien sûr, mais aussi entre les victimes elles-mêmes), la dépersonnalisation de l’individu par sa dégradation, l’abolition de son sens du réel par le bouleversement de tous ses repères spatio-temporels présents, passés et à venir, afin de transformer l’homme en une matière première exploitable, un objet effaçable à merci » (Littérature de la Shoah, encyclopédie Universalis 2004).

LA NAISSANCE DES GHETTOS EN POLOGNE

Les ghettos furent au début, alors que la conférence de Wannsee n’avait pas encore défini la théorie de l’extermination complète des Juifs, un moyen de séparation des Aryens polonais appelés à un autre destin d’esclavage et de politique nataliste, et des sous-hommes, les Juifs.

Il fallait dénombrer précisément les Juifs, les rassembler, les marquer, les isoler.

Bien sûr la terreur et l’horreur étaient le quotidien imposé, mais la mort n’était pas encore totalement programmée et mise en forme de management industriel avec ses appels d’offres, son économie directe et parallèle, ses critères de rendement, ses statistiques scrupuleuses tenues par les Allemands. Non, c’était un peu à l’image des réserves d’Indiens dans un autre temps. Et cela servait de défouloir aux soldats et aux Polonais qui venaient ainsi au zoo humain, voir comment on humiliait les Juifs et comment on pouvait transformer des hommes en bêtes. Si par hasard un Juif pouvait passer hors des ghettos, il était ramené triomphalement par les Polonais afin qu’aucune bête ne vienne à manquer.

Mais pas plus que les Juifs, les Polonais et les soldats allemands de base ne pouvaient concevoir les usines méthodiques et performantes de la mort que les chefs nazis avaient déjà programmées au plus haut niveau.

Ces parcs à Juifs servirent évidemment de réservoir pour les camps de la mort. À partir de l’été 1942, les ghettos se vidèrent peu à peu de la population juive, suite au début des déportations massives vers Auschwitz, Maïdanek et les autres camps d’extermination.

Il y avait plus de quatre cents ghettos de l’Europe orientale sous occupation allemande avec la mort lente suite aux maladies, la famine, le désespoir. Et dans la plupart, l’activité culturelle constitua une forme de survie et aussi de défi.

Si le premier camp de concentration fut établi en Allemagne, le 23 mars, à Dachau, dès après la mise en application des théories racistes, en septembre 1935, lois raciales dites « de Nuremberg », les choses se professionnalisent et Buchenwald est ouvert le 15 juillet 1937.

C’est en fait après l’annexion de l’Autriche, le 13 mars 1938, que la répression s’étend et le camp de concentration de Mauthausen en Autriche est ouvert le 8 août 1938, avant même la Nuit de Cristal, en Allemagne, qui verra la déportation de trente-cinq mille Juifs dans les « maisons » déjà préparées pour eux et qu’ils se refusaient de voir s’édifier.

Car cela ne pouvait être possible et Monsieur Hitler mettait un peu d’ordre, et les Juifs d’ailleurs, pauvres et pouilleux ne pouvaient être comparés avec les Juifs allemands si cultivés et si bien intégrés dans la grande nation allemande.

Dans un discours clair, le 30 janvier 1939, Hitler menace les Juifs d’anéantissement total en cas de guerre. Un des derniers camps de concentration, celui de Ravensbrück en zone allemande, est ouvert le 18 mai 1939.

Les Allemands entrent en Pologne le 1er septembre 1939 et, le 21 septembre à peine, ils décident de regrouper les trois millions trois cent mille Juifs polonais dans des ghettos qui s’ouvrent et dans des zones intermédiaires.

Si les ghettos vont ensuite être construits partout en Europe orientale occupée, la quasi-totalité des camps de la mort va l’être en Pologne pour quatre raisons essentielles :

– La présence sur place du matériel humain des Juifs polonais placés en ghettos.

– L’excellent réseau ferré existant.

– La complicité active des Polonais dans le massacre des Juifs (les pogroms et le fanatisme de l’église polonaise avaient préparé les consciences).

– Les auxiliaires de la mort si présents et si zélés comme les Ukrainiens, les Lettons, les Lituaniens…

Auschwitz est ouvert en juin 1940 et ce camp est destiné aux prisonniers politiques polonais. Le camp d’Auschwitz II (Birkenau), conçu en vue de l’extermination principalement des Juifs et des Tziganes, est commencé en octobre 1941. La plupart des industriels allemands se sont battus férocement pour remporter ce « marché ».

Le plus grand ghetto du monde, le ghetto de Varsovie est créé le 16 novembre 1940.

Les faits s’enchaînent et dès le 7 décembre 1941, le camp de Chelmno (Kulmhof), premier camp d’extermination, entre en activité. Cent cinquante mille Juifs y trouveront la mort. Il sera suivi de Belzec, Sobibor, Treblinka et Maïdanek, également équipés de chambres à gaz.

Le 20 janvier 1942, à Wannsee, près de Berlin, le plan d’extermination totale des Juifs dans toute l’Europe est élaboré dans les moindres détails et devient la priorité du régime nazi. Dès le 17 mars 1942, après les expérimentations de meurtres en masse en Russie par l’utilisation des camions à gaz, fut lancée la phase industrielle et à Belzec, cinq cent cinquante mille Juifs sont massacrés.

Dès le 20 mars, avec l’aide des ingénieurs des industries chimiques allemandes (Bayer, IG Farben…), qui tentent d’améliorer jour après jour les qualités des gaz mortels, la machine à tuer est lancée à Auschwitz, où un million de Juifs seront exterminés jusqu’au dernier jour de la guerre.

En mai, le camp de Sobibor entre en activité avec deux cent mille Juifs anéantis.

Le 23 juillet, Treblinka commence ses opérations de gazage : sept cent cinquante mille Juifs y seront tués.

En octobre, c’est au tour de Maïdanek de monter en puissance : cinquante mille Juifs y seront tués.

Les deux tiers des Juifs ont ainsi disparu, plus de six millions, enfants, femmes et hommes.

Mais quelle fut la part exacte de la politique des ghettos dans cette horrible comptabilité de la mort ?

La ghettoïsation, la séparation totale des Non-aryens avec les autres, aura pour sa part, d’après des estimations faites, provoqué la mort de huit cent mille Juifs, par la famine, les maladies, les exécutions. Cette mort artisanale comparée à celle des camps de la mort, usines perfectionnées du déni de l’humanité, aura donc une part importante.

La vie des ghettos se passa entre 1939 et 1943 car, en juin 1943, Himmler ordonna la destruction totale de tous les ghettos de Pologne et de Russie soviétique ; seuls resteront ceux de Roumanie, de Hongrie…

Ainsi, les ghettos auront pendant presque trois ans enfermé un peuple entre la terreur et le désespoir.

Que furent les ghettos ?

LA VIE DES GHETTOS EN POLOGNE ET PARTICULIÈREMENT CELUI DE CRACOVIE.

Le tout premier ghetto établi en Pologne le sera à Piortkow en octobre 1939, un mois juste après l’entrée des Allemands. Il sera le prototype. Dix mille Juifs puis trente mille par concentration des Juifs de la région y seront internés, et vingt-deux mille victimes seront décomptées. Le dernier ghetto fut celui de Lodz, créé en février 1940, et détruit entre juin et juillet 1944. Tous ses habitants (plus de sept cent cinquante mille en mai 1944) périrent dans les camps de Chelmno et d’Auschwitz-Birkenau.

Les ghettos seront souvent inclus dans les anciens quartiers juifs, sauf à Cracovie. Les principaux ghettos seront ceux de Lublin, de Czestochowa, de Kielce, de Lodz, Varsovie, Kovno, Vilno, Lvov…

Le ghetto est juste l’étape suivante après le marquage à l’étoile, le regroupement et les multiples interdictions immédiatement édictées en 1939 (interdiction de voyager, d’avoir une radio, de commercer avec les Aryens…).

Une fois regroupés, le parcage et la déshumanisation pouvaient commencer.

Chaque ghetto était entouré d’un immense mur d’environ trois mètres, hérissé de barbelés, avec des miradors. Des sentinelles juives souvent montaient la garde, et les Conseils juifs, créés en octobre 1939 par les Allemands (Judenrat), étaient chargés de régenter la vie du ghetto avec les compromissions associées. À Varsovie, comme à Lodz, il y avait un grand et un petit ghetto reliés par une passerelle d’où les Juifs pouvaient voir en bas la vie normale et la circulation intense de la ville polonaise. Les mesures antisémites commençaient partout par des ordonnances. Ordonnances précises, détaillées, conformes à l’esprit méthodique des Allemands.

Dans cet espace clos, la mort lente était programmée. La quantité de nourriture distribuée aux Juifs avait été scientifiquement portée à 184 calories par jour afin de les faire mourir de maladie et de faim. Conditions effroyables d’hygiène, de promiscuité, de faim, de froid et surtout ces jours qui ne passent plus. Les Juifs soudain déracinés et sans repère étaient condamnés à l’errance, au chômage. La destruction était aussi bien intérieure qu’extérieure, mais la mort de masse était déjà élaborée. Dans cet univers carcéral, on sentait la vie battre de l’autre côté des murs et souvent les enfants le « passaient » pour rapporter nourriture, cigarettes et nouvelles. Un marché noir