Sectographie - Pierre Léoutre - E-Book

Sectographie E-Book

Pierre Léoutre

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Beschreibung

Un roman policier sur le phénomène sectaire, écrit à Toulouse en 1991. De l'humour et un regard désuet sur la police de l'époque.

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Avertissement

Ce roman est une œuvre de pure fiction et n'engage en rien la responsabilité des organismes cités. Merci à Simone !

Sommaire

OUVERTURE

CIGARE BELGE

COUSCOUS

RG

SECTION RECHERCHES

COURRIER

MÉDITATION

SEXE

IL VAUT MIEUX EN RIRE

LES FEMMES DANS LA POLICE

ANTICOMMUNISME

MÉDECINE

BLACK AND WHITE

ARCHEVÊQUE

LE MOYEN ÂGE

FORNICATION CATHOLIQUE

ÉLU DU PEUPLE

GAINSBOURG

LES NOUVEAUX ÉCRIVAINS

TATOUAGES

SHOAH

ROCK AROUND THE BUNKER

NUIT CALINE

GNOSE OPÉRATIVE

ANARCHIE

BACK IN THE U.S.S.R.

CASTAGNE

NELLY EN VACANCES

OUVERTURE

Lou Reed, "Walk on the Wild Side".

Le téléphone intérieur sonne, je coupe la cassette. C'est le secrétariat du Directeur, je suis convoqué immédiatement dans le bureau du grand chef. Que se passe-t-il ?

J'emprunte un dédale de couloirs, je pousse une porte capitonnée, j'arrive devant une porte blindée à interphone ; je sonne. J'entends ronronner le moteur électrique de la caméra, qui enregistre mon beau visage de Policier d'élite des services de renseignements français ; un autre moteur électrique, plus puissant celui-ci, entre en action, et la porte blindée s'entrebâille ; je pousse, je rentre, je décline mon identité professionnelle à une jolie jeune femme glaciale tandis qu'un garde du corps patibulaire passe un détecteur de métaux sur mon costume ; obéissant à une injonction sèche, je donne aussitôt ma carte professionnelle, qui est soigneusement rangée dans un coffre, je suis enfin catapulté dans le bureau du Directeur. Il était temps, je commençais à prévoir de passer la nuit dans l'antichambre du centre de commandement de ma direction.

Le Directeur est assis derrière son bureau, en train de lire un dossier, comme tous les Directeurs. Je le salue avec déférence, il m'enjoint de m'asseoir sur l'un des somptueux fauteuils qui trônent sur une moquette d'excellente qualité et soigneusement entretenue. Quoique blasé par une dizaine d'années de bons et loyaux services, je ne peux m'empêcher d'être impressionné par la mise en scène ; je n'ai aucune chance de pouvoir refuser ce qui va m'être proposé, je le sais déjà. Soudain, le Directeur m'adresse la parole :

- Inspecteur, vous faites partie des bons éléments de la Direction.

- Je vous remercie, Monsieur le Directeur.

- Ne me remerciez pas, vous méritez ce compliment, jusqu'à preuve du contraire. Mais je ne vous ai pas convoqué pour des congratulations, ni pour vous annoncer une promotion, ce n'est pas mon rôle. Je vous ai fait venir ici car la situation est grave. La suite de notre conversation est classée « secret-défense ».

- J'en prends note, Monsieur le Directeur.

- Non, ne prenez pas de notes

- Non, je voulais dire, je prends acte que la suite de notre conversation est hautement confidentielle.

- Ah bon !

Le Directeur toussote, réajuste ses lunettes, puis reprend le dossier qu'il lisait lorsque je suis entré dans son bureau.

- Nos amis de la CIA ont eu l'amabilité de me faire parvenir un rapport sur l'ingérence des services que nous combattons dans nos propres agences de renseignements. Le bilan est dramatique ; la DGSE est en pleine perestroïka, et les RG sont KO. Je ne vous en dirai pas plus, mais vous comprenez ce que je veux dire.

- Oui Monsieur le Directeur.

- Le dossier de la CIA émet même l'hypothèse que notre propre Service puisse être soumis à une influence étrangère ! Des éléments de cette Direction prestigieuse auraient relâché leur vigilance professionnelle et se laisseraient aller au doute, porte ouverte à des cafouillages graves que je ne saurais admettre ni même envisager. Nous devons réagir, Inspecteur.

- Oui, Monsieur le Directeur.

- À la lecture de ce rapport catastrophique, j'ai organisé une réunion secrète des chefs de tous les services de renseignements français, et nous avons décidé la mise en place de l'opération “RELAX”. Vous êtes un pion de l'opération “RELAX”.

- J'en suis très honoré, Monsieur le Directeur.

- Votre rôle sera le suivant : Vous quitterez officiellement le Service, et serez reconverti comme détective privé dans une ville de province ; cette affectation, votre couverture, est bien entendu, un leurre, destiné à tromper nos adversaires ; vous serez actionné ponctuellement par un agent de notre Service, et vous bénéficierez pour chaque mission de l'intégralité des dispositifs du Ministère de l'Intérieur. À ceci près que votre indépendance opérationnelle vous donnera une marge de manœuvre dont nous ne disposons plus actuellement, et qu'en situation extrême, vous disposerez de la même protection de la Direction qu'actuellement ; vous savez que, quelles que soient les circonstances, nous ne laissons jamais tomber nos agents.

- C'est exact, Monsieur le Directeur.

- En ce qui vous concerne j'ai d'abord pensé comme affectation à la ville de Toulouse, où vous avez passé votre jeunesse étudiante ; j'ai ensuite choisi comme agent de liaison l’une de vos collègues, avec laquelle vous entretenez, je crois, d'excellentes relations, l'Inspecteur Nelly.

- Vous êtes bien informé, Monsieur le Directeur.

- C'est la moindre des choses, non ?

- Oui, Monsieur le Directeur.

- Bien ; acceptez-vous d'intégrer ce dispositif ? Vous remarquerez que je vous ai octroyé des conditions de travail particulièrement agréables.

- C'est indéniable Monsieur le Directeur. J'accepte.

- Je n'en attendais pas moins de vous. Au revoir, Inspecteur.

Je me lève et me dirige vers la porte. Au moment où je vais quitter la pièce, le Directeur m'appelle :

- Inspecteur ?

- Oui, Monsieur le Directeur ?

- Vous êtes un élément de valeur. Ce sont des Policiers comme vous qui font la carrière de vos directeurs.

- Merci, Monsieur.

Je referme la porte. Je ne sais pas trop comment prendre cette dernière apostrophe, mais mon expérience professionnelle m'a appris que dans certaines circonstances, il était préférable de ne pas réfléchir excessivement ; de toute façon, le Directeur ne m'a pas menti, il m'a vraiment offert une situation favorable ; j'adore Nelly et j'adore Toulouse, et les conditions de complète indépendance, propice à l’initiative, de ce nouveau poste, sont plutôt stimulantes. Va pour Toulouse.

Je repasse devant le poste de contrôle ; après avoir certifié que je ne porte pas de micros cachés dans ma cravate ou les talons de mes chaussures, je réclame ma carte professionnelle ; la jeune femme me répond :

- Vous n'en avez plus besoin.

Les nouvelles vont vite dans cette Direction.

CIGARE BELGE

Je reviens de chez le marchand de tabac, où j'ai acheté une boîte de “Corps Diplomatique” (After Dinner), une marque de cigares belges que m'a conseillée un ami. « Plutôt que de te ruiner la santé à fumer trois paquets de Camel par jour, tu devrais faire comme moi et te mettre au cigare ; tu tousses un peu moins, ton entourage trouvera que les pièces où tu es passé sentent moins le tabac froid. Bref, une nouvelle vie, mon vieux ! »

La marchande du kiosque à journaux a bien ri en voyant dépasser la boîte de cigares de la poche de ma veste, mais elle n'a fait aucun commentaire en me donnant mon journal. De toute façon, j'étais fatigué, j'avais la mine des mauvais jours, ou plutôt de la nuit blanche que j'avais grillée à jouer aux cartes dans l'arrière-salle d'un café toulousain dont je tairai le nom, vous comprendrez pourquoi.

Je m'affale sur mon fauteuil et je contemple d'un air absent le téléphone sans fil que l'une de mes maîtresses m'a offert pour mon anniversaire. Prémonition ou singulier hasard, la sonnerie se met à retentir, le double carillon strident me fait aussitôt songer à la boîte d’Efferalgan qui traîne dans l'armoire à pharmacie. Je décroche.

- John ?

Très peu de gens me connaissent sous ce pseudonyme. Je sais qui m'appelle. Un nouveau rodéo en perspective…

Ce n'est pas que je m'ennuie, j'ai du pain sur la planche, comme d'ailleurs tous les détectives privés depuis quelques années. Une profession d'avenir, je vous le dis, dans une société paranoïaque où tout le monde veut tout savoir sur tout le monde. Les maris trompés, les femmes jalouses qui tournent en rond, l'espionnage économique aussi, de plus en plus porteur.

Il est vrai que j'appartiens à une espèce particulière de détectives privés, celle des vrais-faux détectives privés. Je vous explique. Ils ont un bureau, une raison sociale, ils sont inscrits au Tribunal de Commerce, ils font même des enquêtes comme leurs pseudo-collègues. Mais en réalité, ils appartiennent à un Service. En l'occurrence, la DST, la Direction de la Surveillance du Territoire.

Je palabre, je discute, et le temps passe, alors que John a rendez-vous avec sort correspondant.

Je pénètre dans le café, point de chute habituel de nos rencontres, Il est en retard, contrairement à son habitude. Je regarde la rue à travers la porte vitrée ; il fait soleil, le printemps est arrivé, et nous pouvons contempler à nouveau les jambes des Toulousaines. Il était temps, ce dernier hiver avait été particulièrement long, et cinq mois sans pouvoir contempler de jolies inconnues, c'est vraiment insupportable.

J'en vois passer une, plus ravissante que les autres, qui doit faire le même raisonnement que moi, mais en sens inverse ; robe courte et légère, visage lumineux, jeune, avec quelques rondeurs ; si le travail n'avait pas déjà commencé, et si une énorme flemme ne pesait pas sur mes épaules, je l'aurais peut-être invitée à boire un verre.

La porte s'ouvre, et entre mon agent de liaison.

- Bonjour, John. Excuse-moi pour le retard.

La garce. Elle m'a serré la main.

Elle s'assied, elle semble aussi fatiguée que moi, mais certainement pas pour les mêmes raisons. Toujours aussi blonde, toujours aussi belle, mais hélas si distante depuis que nous ne sommes plus amants. C'est la vie. Heureusement pour elle et moi, nous n'avions pas que ce seul point commun, et notre amitié s'est prolongée dans le travail.

Amitié… Est-il possible d'être ami avec une femme que l'on a aimé ?

- John, arrête de me regarder avec ces yeux d'amoureux éconduit. J'ai peu de temps. Tu m'offres un verre ?

Je n'aime pas la voir tendue. Je sais qu'elle mène une vie impossible, la rumeur dit qu'elle œuvre dans une des sections les plus dures de la DST, celle qui est chargée des missions internationales. J'ai toujours pensé que son patron me l'envoyait entre deux de ces missions, un peu comme des vacances : “Agent 009, vous avez bien travaillé, allez voir le Toulousain”. À moins qu'elle ne vienne de sa propre initiative, allez savoir, dans ce milieu, tout est possible. Non, les agents de la DST ne prennent jamais d'initiatives.

- John, à quoi rêves-tu ? Je t'ai demandé de m'offrir un verre.

Elle n'est vraiment pas de bonne humeur. Le garçon nous sert nos boissons et elle entre tout de suite dans le vif du sujet :

- Les services centraux sont accablés de notes qui évoquent un développement phénoménal de sectes, de groupements pseudo-métaphysiques qui recrutent massivement dans tous les milieux. Tant qu'il s'agissait d'églises parallèles, cela n'avait pour nous aucune importance, que les gens aillent voir un curé ou un gourou, il n'y avait aucun danger pour la sécurité de l'État. Mais depuis quelques mois, plus exactement depuis les événements dans les pays de l'Est, nous constatons une prolifération d'organisations clandestines, qui ciblent particulièrement leurs objectifs, et qui diffusent une idéologie dangereuse pour les démocraties occidentales. Nous n'avons pas combattu le communisme pour le voir remplacé par le fascisme ; or, des signes inquiétants se multiplient dans plusieurs pays européens, qui tendent tous à démontrer une volonté de fragilisation de nos systèmes politiques.

- Volonté de qui ?

- Comme toujours, rien n'est simple. La vieille garde des services de renseignements de l'ancien Bloc de l'Est, qui ne supporte pas la défaite du système dont elle s'est nourrie et qui rêve de revanche ; les jésuites du Vatican, qui se croient revenus au temps des Croisades et fantasment sur une conversion en masse ; l'internationale nazie, qui perd son ennemi obsessionnel et se découvre un nouveau combat. L'Europe est en train de se construire, tout le monde espère y participer, à sa manière.

La dernière fois que je l'avais vue, elle m'avait parlé du dernier coup tordu de l'ex-KGB, qui passait par la Yougoslavie, la Syrie et la Libye. Un classique du genre, simple à comprendre, même pour moi. Voilà maintenant qu'elle se lance dans la géopolitique. Je vais devoir me mettre au goût du jour.

- Que suis-je censé faire ?

- Il y a eu à Bruxelles la semaine dernière une réunion des services de renseignements de L’OTAN, à laquelle étaient invités les responsables de leurs homologues de la CEI, la Communauté des États Indépendants, l'équivalent de notre CEE à l'Ouest ; et tous sont tombés d'accord pour mesurer l'ampleur de ce phénomène sectaire. Les Américains ne peuvent pas se permettre de voir l'Europe sombrer dans un Moyen-Âge idéologique, même si au nom de la Liberté religieuse, ils ont une approche très différente de nous sur ce sujet ; les Russes n'ont pas envie de voir leur ancien empire se diviser en de multiples petites Polognes ; et les Français ne souhaitent pas voir disparaître cinquante années d'efforts en faveur de l’Europe laïque et démocratique au profit d’une mosaïque nationaliste et belliciste.

- La situation est grave à ce point ?

- Si je suis à Toulouse pour t'en parler, c'est qu'il se passe effectivement quelque chose.

Je tourne la tête vers la rue. Passe un groupe d'étudiants turbulents et joyeux. J'envie un quart de seconde leur insouciance, puis je reprends la conversation.

- Tu sais, vu d'ici, les problèmes que tu évoques paraissent bien lointains. N'y vois pas une réticence de ma part, mais, franchement, je ne sais pas comment je vais pouvoir t'aider.

Pour cette fois.

- Tu te trompes. Et je vais te le prouver. Tout de suite.

COUSCOUS

Elle se penche sous la table et attrape sa valise. Elle l'ouvre, et je découvre à l'intérieur, spécialement aménagé, le dernier Macintosh portable, le Powerbook. Elle allume son ordinateur, fait apparaître à l'écran un dossier qu'elle commence à me lire :