Histoire de Fleurance - Pierre Léoutre - E-Book

Histoire de Fleurance E-Book

Pierre Léoutre

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Beschreibung

Préface de Madame Émilie Muñoz-Dennig, Maire de Fleurance L'Histoire est une science rigoureuse qui a pour objet la recherche, l'étude et la conservation des objets, des événements, des personnes et leurs mémoires ; ce qui est important pour une Commune. C'est un travail vaste et minutieux à la fois ; qu'il faut être capable d'analyser avec calme et modestie, toujours étayé par des éléments concrets. Cette matière permet surtout, à l'aune du passé, de vivre pleinement l'instant présent et d'envisager l'avenir. Avec cet ouvrage c'est tout cela que nous avons voulu faire : ne pas perdre la trace de nos aïeux et le témoignage de tout ce qu'ils ont apporté à notre Ville. Ce qui nous donnera, en partie, les moyens de comprendre comment et pourquoi Fleurance est cette cité accueillante dans ce XXIe siècle si tourmenté. Nous avons donc souhaité, avec entre autres le soutien aux animations, à une offre culturelle, mettre sur pied les outils pour vivre ensemble et aimer la bastide ; se l'approprier et surtout nous l'espérons transmettre aux jeunes, à nos enfants le goût de s'investir pour elle, cette passion à lui donner dans le futur un rayonnement plus grand encore. Sans être exhaustif, le présent livre se veut précis, ludique et global. Ainsi il pourra servir à présenter notre Ville tant au grand public qu'aux touristes. D'un vaste regard sur l'ensemble des siècles il ramène toujours les grands moments de l'Histoire à la vie locale, à ses traditions et ses déclinaisons sur notre terre fleurantine. L'auteur, Pierre Léoutre a ainsi eu un accès privilégié aux archives municipales, aux collections privées, il a de plus pu recueillir des témoignages et se rendre sur divers sites pour appréhender les problématiques les plus variées. Pour tout cela qu'il soit remercié ainsi que tous ceux qui lui ont apporté leur concours sous quelque forme que ce soit. En unissant nos volontés, nos forces nous avons permis que Fleurance une fois de plus soit fidèle à sa devise : Fleurance a fleuri, fleurit et fleurira toujours. Bonne lecture à tous.

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Table des matières

Préface de Madame Émilie Muñoz-Dennig, Maire de Fleurance 

Préface 

Le temps de l’Histoire 

Avant Fleurance 

Le contexte historique de la création de Fleurance 

La création de Fleurance 

Une bastide anglaise 

La guerre de Cent Ans 

Les épidémies ravagent la ville 

La tourmente du XVIe siècle 

Les guerres de Religion 

Les malheurs du XVIIe siècle 

Le XVIIIe siècle 

Le XIXe siècle et l’ère industrielle 

La première guerre mondiale 

La seconde guerre mondiale 

Les organisations de la Résistance 

Les étrangers dans la Résistance 

Les parachutages 

Les opérations de la Libération 

Réfugiés et Résistants juifs à Fleurance 

Le Mémorial de la Déportation 

Quelques personnalités de la Résistance 

Cahiers de doléances gersois pour les États Généraux de la Renaissance Française 

La mémoire de la Résistance 

Fleurance, par Florent Carly, photographe de presse 

Les traces de l’Histoire 

Les églises de la commune 

L’église Saint-Laurent 

Une autre curiosité : l’orgue de l’église Saint-Laurent 

Les monuments remarquables 

Les moulins 

Les sols, les ruisseaux et les bois 

Les armes de Fleurance 

Les consuls 

Les coutumes et marchés 

L’agriculture 

La politique sociale 

L’enseignement 

La Loge « La Victoire » à l’Orient de Fleurance 

Petite chronique fragmentaire de l’économie fleurantine au XIXe et début XXe siècles 

Quelques traditions des années cinquante 

L’opération « Bolero-Paprika » 

Origine des noms de rues et de lieux 

Quelques personnalités remarquables 

Alexandre Laffont 

Louis Damblanc : un scientifique visionnaire toujours d’actualité 

Les Maires de Fleurance 

Fleurance de nos jours 

Sources et Bibliographie 

Préface de Madame Émilie Muñoz-Dennig, Maire de Fleurance

L'Histoire est une science rigoureuse qui a pour objet la recherche, l'étude et la conservation des objets, des événements, des personnes et leurs mémoires ; ce qui est important pour une Commune.

C'est un travail vaste et minutieux à la fois ; qu'il faut être capable d'analyser avec calme et modestie, toujours étayé par des éléments concrets. Cette matière permet surtout, à l'aune du passé, de vivre pleinement l'instant présent et d'envisager l'avenir.

Avec cet ouvrage c'est tout cela que nous avons voulu faire : ne pas perdre la trace de nos aïeux et le témoignage de tout ce qu'ils ont apporté à notre Ville. Ce qui nous donnera, en partie, les moyens de comprendre comment et pourquoi Fleurance est cette cité accueillante dans ce XXIe siècle si tourmenté.

Nous avons donc souhaité, avec entre autres le soutien aux animations, à une offre culturelle, mettre sur pied les outils pour vivre ensemble et aimer la bastide ; se l'approprier et surtout nous l'espérons transmettre aux jeunes, à nos enfants le goût de s'investir pour elle, cette passion à lui donner dans le futur un rayonnement plus grand encore.

Sans être exhaustif, le présent livre se veut précis, ludique et global. Ainsi il pourra servir à présenter notre Ville tant au grand public qu'aux touristes. D'un vaste regard sur l'ensemble des siècles il ramène toujours les grands moments de l'Histoire à la vie locale, à ses traditions et ses déclinaisons sur notre terre fleurantine.

L'auteur, Pierre Léoutre a ainsi eu un accès privilégié aux archives municipales, aux collections privées, il a de plus pu recueillir des témoignages et se rendre sur divers sites pour appréhender les problématiques les plus variées. Pour tout cela qu'il soit remercié ainsi que tous ceux qui lui ont apporté leur concours sous quelque forme que ce soit.

En unissant nos volontés, nos forces nous avons permis que Fleurance une fois de plus soit fidèle à sa devise :

Fleurance a fleuri, fleurit Bonne lecture à tous. et fleurira toujours.

Madame Émilie MUÑOZ-DENNIG

Maire de FLEURANCE

Préface

L'une des communes les plus originales et dynamiques de la Gascogne gersoise s'appelle Fleurance, sur l'ancien territoire du comté de Gaure, aux limites des communes de Pauilhac (Pays de Gaure) et de Castelnau d'Arbieu (Fezensaguet), partie du Gers qu'elle partage avec Lectoure, Saint Clar et Miradoux. Fleurance, ancienne capitale du comté de Gaure, actuelle quatrième ville du Gers, est une cité chaleureuse et attachante qui a su garder, huit siècles après sa naissance, les qualités liées à sa création : une ville nouvelle, commerçante et industrielle, qui regarde l'avenir.

Et c'est avec un grand plaisir que j'ai accepté la proposition de la Mairie de Fleurance de rédiger ce livre sur l'histoire de cette bastide, l'une des villes de la Lomagne gersoise où j'ai passé mon enfance.

De nombreux travaux historiques de qualité ont déjà été rédigés sur Fleurance et par respect pour leurs auteurs, au lieu de réaliser une réécriture, je les reproduis intégralement lorsque cela se justifie, en citant bien entendu les sources.

Pierre Léoutre,

ancien secrétaire de « La Floureto »

Le temps de l’Histoire

Avant Fleurance

La fonte des glaciers du quaternaire a dessiné le paysage gersois avec ses multiples vallées. Le gisement paléontologique de Montréal-du-Gers, découvert en 1987, nous livre quelques indices sur ce qu’était la Gascogne aux temps préhistoriques : daté d’environ 17 millions d’années, il a livré une très importante faune de vertébrés miocènes – allant de la taille d’une souris à celle d’un éléphant –. Il s’agit d’espèces disparues. Des fossiles issus de plus de 90 espèces de vertébrés ont été découverts :

des mammifères. Les restes de plus de 50 espèces ont été trouvés : un marsupial, des dinothères et mastodontes (genres disparus de la famille de l’éléphant), des rhinocéros, des suidés (la famille du sanglier), des rongeurs, des carnivores, des ruminants…

des reptiles, comme des tortues, des lézards, des serpents, des crocodiles, caractéristiques des régions généralement chaudes ou des lacs dont l’eau est chaude.

des amphibiens. Des tritons, une espèce de crapaud et une de grenouille ; espèces qui ont besoin d’eau pour leur développement larvaire.

des oiseaux. Bien que les os creux se conservent mal, on en rencontre appartenant à différents ordres, parmi eux, des oiseaux de milieux aquatiques.

Les chercheurs ont également trouvé des coquilles de mollusques gastéropodes (famille de l’escargot) terrestres et d’eau douce. Parmi tous ces fossiles, quatre nouvelles espèces ont été découvertes : deux sortes de sangliers, un cerf girafe, un rhinocéros ainsi qu’une sorte de lion tigre (un prédateur énorme renommé Megamphicyon giganteus).

Par ailleurs, un échantillon d’argile a livré des grains de pollens en grande quantité. Cet ensemble, ou flore pollinique, est largement dominé par les végétaux herbacés, généralement sous-représentés par rapport aux arbres.

Ces environnements ouverts se trouvaient en plaine à proximité du littoral du golfe d’Aquitaine.

Les plantes adaptées aux milieux salés y étaient abondantes. Des marais d’eau douce se développaient en arrière du littoral. Plus loin, les environnements forestiers comprenaient des arbres de climat tropical à subtropical. Les premiers reliefs pyrénéens étaient peuplés par des arbres vivants sous des conditions tempérées à chaudes.

Les points hauts étaient occupés par des conifères et surtout des cathaya.

La présence de grains de pollen, adaptés aux environnements secs, souligne le voisinage de milieux méditerranéens.

Bon nombre des éléments arborés recensés sur ce site ont des aires de distribution résiduelle actuellement en Chine subtropicale voire tropicale. Pour cette raison, le modèle d’étagement des végétaux retenu pour le Miocène sud européen est la végétation chinoise.

Les reconstitutions climatiques indiquent une température moyenne annuelle autour de 20 °C – aujourd’hui 14 °C –, et des précipitations annuelles proches de 1 500 mm, actuellement environ 800 mm.

Lartetotherium sansaniense. Collection Édouard Lartet. Étage : Langhien entre - 15,97 à 13,65 mA. d'années. Découvert au lieu-dit « Le Capané » à Sansan (Gers). Didier Descouens (CC-BY-SA-4.0) - Muséum de Toulouse.

Syntype d'Ampelomeryx ginsburgi, crâne (Montréal-du-Gers. Miocène. Photographie de Didier Descouens, octobre 2017).

Dicrocerus elegans, os frontal et cornes. Collection : Édouard Lartet. Étage : Miocène 23,03 ± 0,05 à 5,332 ± 0,005 million d'années. Découvert à Sansan (Gers). Didier Descouens (CC-BY-SA-4.0) - Muséum de Toulouse.

En résumé et pour reprendre le qualificatif de Francis Duranthon, docteur en paléontologie des vertébrés, conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Toulouse, la Gascogne préhistorique était une jungle : une vaste zone marécageuse entre Massif central et Pyrénées avec des rivières et des fleuves bordant un grand golfe aquitain commençant au niveau d’Auch. Le Gers, à moitié gelé l’hiver, voit passer des troupeaux de rennes et parfois un mammouth sortant d’une forêt de bouleaux, de chênes et de sapins.

À Fleurance, il n’existe pas de traces de peuplement humain datant de 3 000 ou 4 000 ans avant notre ère ; ont été découvertes sur le territoire de l’actuelle commune de Fleurance quelques haches polies utilisées par les bûcherons du Néolithique.

La présence d’habitats préhistoriques subsiste près de Condom, à Lectoure, le gisement de Nauterie à La Romieu… À Céran furent découverts de nombreux vestiges préhistoriques, dont une massue qui aurait 800 000 ans.

L’historien Jean-Pierre Cantet (1) a étudié l’occupation humaine à partir des cavités naturelles gersoises et c’est ainsi qu’il est possible d’imaginer le mode de vie et les habitats des hommes du Paléolithique, chasseurs-cueilleurs, puis ceux des hommes de la fin de la Préhistoire, qui passèrent du nomadisme à la sédentarisation. Le même Jean-Pierre Cantet avait étudié en 2007 le site préhistorique de Landloy à Lamothe Goas : grâce à une prospection très fine et très pertinente sur le terrain avec le concours précieux de M. Gauze, découvreur du site, l’historien avait pu présenter de nombreuses illustrations figurant des racloirs, des lames, un nucleus en quartzite, des burins, des couteaux en silex qui témoignent d’une implantation humaine durant la période du paléolithique. Certains autres éléments permettent de penser qu'un site néolithique a également existé.

°°°

La peuplade gauloise des Garites, citée dans les commentaires de Jules César et considérée par les historiens comme étant les premiers habitants de la région fleurantine, occupait le pays compris entre le Gers et la Baïse. « Les Garites vivaient isolés dans les forêts, et ils y habitaient de pauvres et chétives masures, aux murs de terre et aux toits de chaume. En cas d’alarme, d'invasion imprévue et soudaine d'un ennemi, ils avaient construit, sur les hauteurs, des enceintes fortifiées, de véritables villes entourées de solides remparts, pour s'y réfugier avec leurs familles et leurs troupeaux. Nous croyons que le Sempuy, dont l'existence remonte très haut, était une de ces forteresses. En tout cas la ville existait du temps de Fredelon et des premiers comtes de Gaure, puisqu'elle était la capitale de ce comté. Saint Puy était au Moyen Âge une ville siège de la seigneurie de ce nom, dans le comté de Gaure, et, probablement jusqu'à la fondation de Fleurance, la capitale de ce comté ». Les Garites ont été soumis par Crassus, l’un des lieutenants de l’empereur romain Jules César, comme les autres tribus gauloises de l’Aquitaine primitive.

Fleurance alors n’existait pas et son site actuel était constitué par une colline entourée de la rivière du Gers et de plusieurs ruisseaux, et recouverte d’une forêt de chênes qui rejoint au nord celle du Ramier, à l’ouest celle de Réjaumont, habitée par des sangliers, des cerfs et des loups. Autour de cette étendue boisée, on rencontrait d’autres forêts à la superficie moindre : celle de las Hanetas, lieu non identifié, peut-être entre Héraut et Caussens. La forêt de Labetis, probablement la forêt de Réjaumont. Celle de l’Aulmemort ou de l’Homme Mort, du côté de Saint Puy comme celle de Higués.

De cette époque date la création de la seule voie qui traversait, en ce temps-là, notre territoire. Cette voie allait d’Agen à st Bertrand de Comminges en passant par Lectoure et Auch.

Elle suivait la rive droite du Gers jusqu’à Lectoure puis longeait la rive gauche jusqu’à Montestruc. Selon toutes probabilités, cette voie devait traverser l’emplacement sur lequel Fleurance devait s’ériger ; c’est ce que maintient un citoyen fleurantin féru d’histoire locale qui prétend que le quartier de la Peyrine doit son nom à cette chaussée (puisque Peyrine signifie voie dallée). Quoi qu’il en soit, Fleurance a été érigée au carrefour de ces voies romaines, propices à développer des foires et des marchés qui se tiennent sur la place. Et bien située sur la carte des routes, Fleurance connaît et connaîtra des marchés importants et prospères.

Après la conquête romaine et l’édification de villas sur le territoire, c’est vers 720 que s’installent plusieurs familles nommées Vascons ou Gascons. En 1011, est élevée une abbaye dédiée à Saint Pierre (l'abbaye Saint Pierre de Bouillas ?) qui sera confiée aux Bénédictins.

La première trace d’importance est la création d’un monastère en 1125 par Ardouin de Bouillas, qui confie aux moines le défrichement de l’immense forêt du Ramier. L’historien Noël Cadéot évoque l’abbaye de Bouillas en ces termes : « Selon toutes probabilités, la forêt du Ramier (l'Arramé, comme on la désigne communément dans tout le pays), était confondue ou fondue avec celle que les chroniques médiévales désignent sous le nom de Portaiglon ou Porte-Glands (foresta de Portu-Aquilonis) ou de Bouillas, au milieu de laquelle se cachait l'agglomération de Pauilhac qui vivait en partie du travail et du produit des bois, s'il faut en croire du moins ce vieux dicton populaire conservé par la tradition :

Sense lou bruc et l’üouèro (l’oronge)

Tout Paouilhac séré dèns la misèro.

Sans le cèpe et l'oronge

Tout Paulhac serait dans la misère

Le nom de Bouillas fit oublier bien vite celui de Portaiglon, en raison de l'importance que prit rapidement l’abbaye cistercienne édifiée au milieu de ces bois en 1125 par Ardouin de Bouillas, seigneur de Pauilhac, sur les conseils de Guillaume d'Andozille, évêque de Lectoure. Ardouin de Bouillas possédait la plus grande partie de Porteglands qu'il tenait à foi et hommage des seigneurs de Preissac d'Esclignac. Aux premiers religieux qui vinrent s'installer sur ses terres, Ardouin donna une immense étendue de bois avec quelques arpents de terres labourables sur lesquelles les moines jetèrent les fondations de leur monastère. Mais le domaine territorial du couvent s’accrut avec rapidité. Raymond de Castarède et sa femme, Bonne de Bouillas, sœur d'Ardouin, dotèrent la communauté de nouveaux terrains, bois et terres cultivées. Quelques années plus tard, Ardouin et sa sœur, abandonnaient encore au profit des religieux, tout ce qui restait de la forêt de Porteglands jusqu'au ruisseau de Saint-Laurent.

D'un autre côté, Guillaume II d'Andozile (1126-1170), appelé de l'évêché de Lectoure au siège archiépiscopal d'Auch, apportait au monastère de Bouillas sa puissante protection et son influence : bientôt, le couvent était érigé en abbaye et affilié à la célèbre communauté de l'Escale-Dieu. II continuait à recevoir des donations nouvelles, et, lorsque le premier abbé, Galind, vint prendre possession du monastère, l'abbaye de Bouillas était l'une des plus opulentes de la Gascogne féodale.

Vers la fin du XlIIe siècle, l'abbé de Bouillas était maître incontesté de territoires immenses s'étendant sur toute la juridiction de Pauilhac et sur la plus grande partie de Fleurance et de Sainte-Radegonde.

Sur les bords du ruisseau de Saint-Laurent, les moines de Bouillas avaient édifié une église autour de laquelle s'étaient groupées quelques masures qui formaient le hameau d'Aygueval (vallée d'eau), ou d'Ayneval comme l'appelaient les Chroniques de st. Denis. C'est ce hameau qui devait, quelques années plus tard, donner naissance à la bastide de Fleurance. » (2)

Noël Cadéot

(1) : Jean-Pierre Cantet, « Cavités naturelles gersoises et occupation humaine : le point sur nos connaissances à l'aube du IIIe millénaire », Bulletin de la Société Archéologique, Historique, Littéraire et Scientifique du Gers, CII, 2, p. 127-139, Auch : Société Archéologique du Gers, 2001.

(2) : Noël Cadéot, «Fleurance, notes d'Histoire», Auch, 1947, p. 15. D'autres historiens estiment qu'Ayneval n'a pas donné naissance à la bastide.

Le contexte historique de la création de Fleurance

Si Fleurance fut créée ex nihilo, son territoire et ses habitants existaient déjà avant la fondation de la bastide et ont partagé l’histoire tourmentée de la Gascogne. Pour tenter d’imaginer ce qu’ont vécu les futurs Fleurantins, il faut s’intéresser à la savoureuse « Histoire de la Gascogne » de Monlezun et citer plusieurs extraits qui concernent la période préalable à la construction de Fleurance : un siècle de guerres féodales dont le récit historique nous offre quelques lueurs sur la vie en Lomagne aux XIIe et XIIIe siècles.

C’est tout d’abord « Bernard Tumapaler (Bernard II Tumapaler, mort après 1064, comte d'Armagnac de 1020 à 1061 et comte de Gascogne de 1039 à 1062) qui avait fait accepter sa suprématie des Pyrénées à la Garonne. Les seigneurs de Lectoure prenaient encore le titre de vicomtes de Gascogne. Arnaud II en céda les droits au comte d’Armagnac par un traité solennel et se reconnut son vassal pour le Bruillois et le Gimois. Depuis ce traité dont la date est inconnue, les successeurs d’Arnaud ne se qualifièrent plus que de vicomtes de Lomagne et d’Auvillars. » (2)

« Pendant que le Tumapaler ne s'occupait qu’à lutter avec l’Église, son compétiteur Gui Geoffroi de Poitiers, songeait à profiter de ses embarras. Il rompit, on ne sait sous quel prétexte, le traité qui avait fixé la part des deux maisons et traversa la Garonne à la tête d’une armée nombreuse. Le comte d’Armagnac, pris au dépourvu, ramassa à la hâte quelques troupes et marcha à l’ennemi qu’il rencontra dans les plaines de la Castelle, sur les bords de l’Adour. Les forces étaient inégales, aussi la victoire fut complète. Contraint de fuir, Bernard ne voulut plus tenter le sort des armes et abandonna ses droits sur la Gascogne, moyennant la somme de 15,000 sols et le titre viager de comte de Gascogne qu’il portait. Alors fut consommé le vasselage de la descendance mérovingienne. Ce que n’avait pu obtenir la puissance de Pépin (le Bref) et de Charlemagne, un seul combat le donna sans retour au chef d'une province, et chez un peuple que nous avons toujours vu si impatient du joug étranger, si ennemi de toute dépendance ; aucune résistance que nous sachions ne protesta contre cet asservissement. La date elle-même du combat et du traité honteux qui le suivit est incertaine, tant ils laissèrent l'un et l'autre peu de traces dans les esprits. Gui Geoffroi demeura quelque temps dans la Gascogne pour y consolider sa puissance. » (3)

« Après Garsias vint Guillaume, fils du seigneur d’Andozille ou Andoufielle, selon les uns, frère, et selon les autres avec plus de vraisemblance, beau-frère de Saint-Bertrand de Comminges, mais d’après tous issu des seigneurs de Montaut. On raconte que sa mère, qui avait déjà eu plusieurs enfants et les avait tous perdus en bas âge, se plaignit de son malheur à Guillaume Bernard de Montaut, archevêque d’Auch, son parent.

Le prélat lui conseilla de consacrer à Dieu le premier fruit qu'elle concevrait et de le vouer à l’Église ou au cloître. Guillaume d’Andozille, qui naquit bientôt après, fut d’abord élevé sous les yeux de St-Bertrand dans sa ville épiscopale.

On l’envoya ensuite dans le monastère de Saint Paul de Verdun, d’où il passa à Toulouse pour y être admis dans le chapitre de Saint Étienne (4) où vivait encore le souvenir des vertus de son oncle. C'est là que les vœux du clergé de Lectoure vinrent le chercher pour le placer à la tête du diocèse. À une haute naissance, Guillaume joignait toutes les qualités qui font les grands prélats : piété sincère, connaissance profonde des sciences divines et humaines, sens profond, prudence consommée, sage fermeté, constance inébranlable dans les projets ; nous nous laissons aller au plaisir de traduire les vieux cartulaires.

Peu après son sacre, en 1122, nous le trouvons à la donation de Bragayrac. Ce monastère, situé dans l’ancien diocèse de Lombez, aux limites de notre département, avait été fondé pour une communauté de filles et dépendait, au milieu du XIe siècle, de l’abbaye de Moissac. Il fut détruit dans la suite et rétabli pour des hommes. Aymeric, qui en était prieur, le donna en 1122 à Pétronille, abbesse de Fontevraud, et lui promit obéissance de l’agrément d’Amélius, évêque de Toulouse, en présence de Guillaume, évêque de Lectoure, et de Béatrix, vicomtesse de Lomagne. »

« Le sort des vicomtes de Dax et de Bayonne n’intimida nullement le vicomte de Lomagne. Avec toute l’imprévoyance de son époque, il refusa de reconnaître Richard pour son suzerain alors que la soumission du reste de l’Aquitaine ne laissait aucune chance à son refus. Richard accourut en toute hâte et assiégea Lectoure. Le vicomte n’attendit pas d’être forcé ; il s’offrit de prêter le serment de vasselage qui fut accepté, et la réconciliation fut si complète que le Cœur-de-Lion l’arma chevalier au mois d’août suivant (1181). Le vicomte se nommait Vesian et était fils d’Odon, qui s’intitulait : par la grâce de Dieu vicomte de Lomagne et d’Auvillars. » (5)

« La ville de Toulouse venait alors de faire sa paix avec Vésian, vicomte de Lomagne, et Odon, son fils. Ceux-ci avaient augmenté la leude ou impôt que les étrangers payaient à Auvillars. On se soumit généralement, mais de mauvaise grâce au nouveau tarif. Les marchands de Toulouse, plus hardis, ayant refusé de l’accepter, subirent des vexations.

Les Toulousains se vengèrent sur les marchands de la Lomagne. D’autres sévices réciproques aigrirent les esprits et on en appela enfin aux armes des deux côtés. Le sort des combats paraît avoir été favorable aux Toulousains.

Leur armée, commandée par les consuls, assiégeait Auvillars, lorsque le vicomte et son fils s’engagèrent à ramener la leude à l’ancien état. À ce prix le passé fut oublié et la confiance rétablie. L'acte fut passé à Auvillars le lundi 14 juin 1204, en présence de Géraud, comte d’Armagnac, d’Odon de Lomagne son parent, de Raymond, évêque de Toulouse, de Bernard de Marestan, de Pierre Raymond, frère du comte de Toulouse, de Bernard Jourdain, comte de l’Isle, de Bernard d’Orbessan, de Pierre de Montbrun, de Jourdain de Villeneuve et de quelques autres seigneurs.

Bernard d’Orbessan composa aussi avec les consuls de tous les méfaits et de toutes les déprédations dont son père et lui avaient pu se rendre coupables à l’égard des habitants de Toulouse, et s’engagea à voler au secours de la ville avec six chevaliers bien et dûment armés dès qu'il en serait requis. Pélegrin de Legmond ou Léomond et trois autres seigneurs se rendirent garants de la parole de Bernard d’Orbessan.

Bernard II occupait alors le siège de Lectoure. Plusieurs prélats s’étaient assis sur ce siège depuis Vivien, mort après 1166 ou peut-être après 1183 ; car vers cette époque une charte de Belleperche nous parle d'un En Besian, évêque de Lomagne, le même, pour ceux qui connaissent la langue gasconne, que notre Vésian. Mais si la date est vraie, Vésian épuisé par l’âge s’était démis de son évêché. Il est certain qu’en 1170 il avait été remplacé par Bertrand de Montaut, qui, ainsi que Garsias Sanche son successeur, n’a laissé que son nom dans quelques donations faites aux abbayes de Belleperche et de Gimont. Bernard est plus connu. II s’attacha à la maison d’Aquitaine et parut à côté d’Aliénor, lorsque la princesse confirma en 1197 les privilèges accordés par Henri II son mari et Richard son fils au monastère de Sauve-Majeure. Il l'accompagna deux ans après à Poitiers et fut témoin de quelques actes de souveraineté qu'elle fit avant d’associer à son duché Jean-Sans-Terre, que la mort de Richard venait d’appeler au trône d’Angleterre. » (6)

°°°

« Tout le Midi était alors sous les armes. L’orgueil de la célèbre Isabelle, comtesse de La Marche, qui ne pouvait supporter l’idée d’être descendue du trône d’Angleterre pour devenir la vassale du frère du roi de France, avait provoqué ce soulèvement. Ses intrigues gagnèrent le faible Henri, son fils, et l’inconstant Raymond. Le comte de Toulouse entraîna à son tour Bernard, comte d’Armagnac, Bernard, comte de Comminges, Arnaud Othon. vicomte de Lomagne, Jourdain de L’Isle et une foule d'autres seigneurs. Henri III accourait de son île : il avait convoqué autour de lui les seigneurs de la Gascogne et les gens de Bordeaux, Bayonne, St Émilien, La Réole, Langon, St-Macaire et Bazas. Il avait demandé au sénéchal de Gascogne tous les arbalétriers qu'il pourrait lever. »

°°°

« Presque aux portes d’Auch, se trouvait le comté de Gaure, petit pays qui ne se composait que du St Puy, Lassauvetat, Pauillac, Pouy-Petit, Réjaumont et St-Lary, dans lequel on venait de bâtir la ville de Fleurance, destinée non seulement à en être la capitale, mais encore à prendre rang parmi les villes les plus importantes du département du Gers. Là, au berceau de notre histoire, habitaient les Garites, mentionnés par César.

Après l’invasion des Barbares, ce pays avait-il eu son seigneur particulier avec Frédelon, le frère du premier comte de Fezensac et d’Armagnac ? Nous n’oserions l’assurer.

La part du puîné eût été évidemment trop faible, à moins qu’à l’exemple du Père Montgaillard, on n’y ajoute le Pardiac plus vaste alors qu'il ne le fut depuis. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, les successeurs de Frédelon nous sont inconnus jusqu’à Gérard de Cazaubon (Casali boni).

Son contemporain Géraud d’Armagnac prétendit, on ne sait trop sur quel fondement, que le comté de Gaure ou du moins le château du St Puy (summum podium, très-grande hauteur), relevait de l’Armagnac, et en conséquence il exigea impérieusement le serment de vasselage. Gérard de Cazaubon soutint, de son côté, et vraisemblablement avec plus de fondement, que sa seigneurie dépendait du comté de Toulouse, et qu’ainsi il n’en devait l’hommage qu’au roi de France, héritier d’Alphonse et de Jeanne. Ce refus fut suivi de provocations mutuelles. Ainsi des deux côtés on courut aux armes. On ne connaissait guère encore alors d’autre justice. Le comte d’Armagnac entre le premier en campagne, et suivi de ses vassaux, il marche sur le château de Sompuy qu’il essaie d’emporter d’assaut. Cazaubon était préparé à l’attaque. Il résiste avec courage et contraint son agresseur à se retirer. Changeant alors de rôle, il tombe à son tour sur l’arrière-garde et la culbute. À cette vue, Arnaud-Bernard, frère du comte d’Armagnac, accourt pour la protéger. Cazaubon vole à lui, l’étend sans vie d’un coup de hache, et abat sur son corps sanglant plusieurs chevaliers qui s’empressaient pour défendre leur jeune maître. Dès lors, le succès ne fut plus disputé ; tous se dispersent, et le superbe Géraud lui-même est forcé de fuir devant l’ennemi qu’il était venu braver jusques sous ses murailles.

Irrité de cette défaite, et surtout de la mort de son frère, il jura d’en tirer une vengeance éclatante, et appela à lui ses proches et ses amis. Ils accoururent à sa voix, mais nul ne se montra aussi empressé que le comte de Foix, son beau-frère. Cazaubon, voyant une ligue formidable prête à l’écraser, prit le seul parti que lui commandait sa faiblesse. Il se plaça sous la protection de la France (7), livra le Sompuy et tous ses domaines au sénéchal de Toulouse et aux officiers royaux, et se constitua prisonnier dans le château Narbonnais avec sa femme et ses enfants. Il y attendit le jugement du roi touchant la mort d’Arnaud-Bernard d’Armagnac.

Le sénéchal prit possession au nom de la couronne du château. qu’on lui abandonnait, y arbora la bannière des lys, proclama la sauve-garde dont son maître couvrait son vassal, et défendit au nom de la France à tout-venant de l’assaillir. Devant une défense pareille, la politique la plus vulgaire conseillait de s’arrêter. Mais à cette époque, le plus souvent on suivait impétueusement ses passions sans en calculer les suites. On battait ou l’on était battu. La prison ou l’amende faisait raison du vaincu et tout rentrait en paix.

Il n’était pas même rare de voir les ennemis de la veille se réunir pour accabler leur voisin devenu l’ennemi du jour.

C’est l’histoire des peuples dans leur enfance.

La vengeance criait trop haut ; les deux beaux-frères ne purent consentir à voir leur ennemi échapper à leur fureur.

Ils s’avancèrent à la tête de leur troupe, attaquèrent le château au mépris de la protection royale et s’en rendirent maîtres après une défense désespérée.

Géraud que poursuivait leur fureur trouva néanmoins moyen de s’évader, mais sa femme et ses enfants moins heureux tombèrent entre les mains des vainqueurs, qui pourtant respectèrent leurs jours. Tout le reste fut massacre, et quand les bras furent fatigués de carnage, on pilla le château et on le livra aux flammes. Du Sompuy, les confédérés se répandirent dans tout le comté de Gaure, et y portèrent la dévastation et la mort (8).

Philippe (le Bel) n’eut pas plutôt appris l’insulte faite à sa bannière, qu'il résolut de la punir sévèrement. Dans cette vue il fit publier le ban et l’arrière-ban, convoquant ainsi tout ce qui était tenu au service militaire. Certes, il n’en fallait pas autant pour accabler deux faibles seigneurs ; mais Philippe voulut au début de son règne faire craindre sa puissance afin de mieux contenir ses vassaux. Pendant que ses troupes se réunissaient, il fit citer les deux coupables à sa cour pour y rendre compte de leur conduite. Le comte d’Armagnac se sentant trop faible, demanda merci et l’obtint, non sans avoir versé au trésor royal quinze mille livres tournois d’amende.

Le comte de Foix plus hardi, osa braver l’orage et se mit en état de défense. Il comptait que l’aspérité des lieux et la force de ses châteaux placés presque tous sur des hauteurs à peu près inaccessibles le mettraient à l’abri des armes françaises. Telle était sa confiance, qu’il ne craignit pas même de braver son ennemi.

Eustache de Beaumarchez traversait paisiblement le comté de Foix. Roger-Bernard tomba sur lui à l’improviste, le força de fuir en laissant entre ses mains quelques prisonniers et une partie de ses bagages. Cette insulte ne resta pas longtemps sans vengeance. Eustache assembla les milices de la sénéchaussée, soumit le pays de Foix jusqu’au pas de La Barre, et eût poussé plus loin ses conquêtes s'il n’eût cédé aux avis de ses officiers qui lui persuadèrent d’attendre l’arrivée du roi.

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« Le comté de Gaure se composait des terres suivantes : Fleurance ; Lasauvetat ; Paouillac ; Pouypetit ; Réjaumont St-Lary ; St Puy (ou plutôt Sompuy). Ce comté avait été aliéné par contrat du 17 janvier 1643 ; il fut réuni à la couronne par arrêts du conseil des 4 juin 1666, 17 février et 2 juillet 1668 ; mais l’engagiste en fut remis en possession par arrêt du 27 janvier 1674. Enfin, il a été revendu par contrat du 27 mai 1751, à la charge qu’on rembourserait l’engagiste et qu'on paierait au domaine une rente annuelle de 600 livres. » (9)

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(2) T. II, pp. 22-23.

(3) T. II, p. 37.

(4) : Le chapitre des chanoines de la cathédrale saint Étienne à Toulouse.

(5) : T. II, p. 222.

(6) T. II, pp. 245-246.

(7) : Noël Cadéot exprime dans son ouvrage une opinion différente.

(8) : Suivant un manuscrit qui nous a été communiqué, Cazaubon aurait péri sous les ruines de son château avec sa femme et Anne sa fille, jeune enfant à peine âgée de 16 ans.

(9) : T. II, pp. 443-444.

La création de Fleurance

Après ce regard sur le contexte de la vie des futurs Fleurantins, il convient d’aborder la création de la bastide de Fleurance. Au XIIIe et XIVe siècles (1250-1390), dans le sud-ouest de la France est lancé un vaste mouvement de création de bastides, noms génériques de ces villes nouvelles, car la population augmente et le pouvoir royal cherche à s’imposer à des seigneurs empêtrés dans leurs querelles. C’est exactement le cas du comté de Gaure, qui recouvrait en partie le territoire actuel de la commune de Fleurance (tout ce qui est rive droite du Gers n'était pas en Gaure mais en Fezensaguet : hippodrome, moulin de Labarthe, etc.) et ses environs. Lorsque les Romains envahissent la Gaule, ils désignent ce lieu sous l’appellation Summun Podii. Au fil des siècles et des différentes invasions ce nom se déforme et devient Sumpouy, Sempouy… Sempuy et pour finir Saint Puy. Sempuy est donc la capitale de ce pays de Gaure. Ce territoire est en fait une enclave au cœur du comté d’Armagnac dont le siège est à Lectoure.

Aussi loin qu’on remonte dans les temps féodaux, les seigneurs du pays de Gaure constituaient une baronnie du comté d’Armagnac. Le cazau, terme gascon signifiant maison avec jardin, leur donne, à eux comme à la commune homonyme, leur nom de Cazaubon. Malheureusement, le pays de Gaure où s’exerce leur pouvoir reste, vers la fin du XIIIe siècle, un faible îlot au milieu des vastes domaines de l’Armagnac ; Géraud de Cazaubon, comte de Gaure, y défend autant qu’il le peut l’indépendance de son domaine et la souveraineté de son roi, parmi les convoitises, les alliances, les trahisons et les guerres qui déchirent ses dangereux voisins. Mais des escarmouches incessantes opposent ces seigneurs. L’ambition portait toujours le comte d’Armagnac à guerroyer ; en outre, ce dernier, le puissant Géraud V d’Armagnac, avait prêté serment à Édouard Ier d’Angleterre et voulait soumettre le comte de Gaure, qui souhaitait lui rester fidèle au roi de France. Lorsque le modeste comte de Gaure lui refuse l’allégeance qu’il réclame, il sait qu’il court le risque de cruelles représailles.

L’histoire dit (à moins que ce ne soit la légende) qu’un jeune officier anglais de la garnison de Condom vint offrir au comte de Gaure son épée et sa troupe, et sans doute pour gagner le cœur de sa fille, la jolie châtelaine Anne de Cazaubon. Le jeune homme se montra en effet si vaillant lors des premières escarmouches engagées pour la défense du château que ses ennemis jugèrent plus prudent de revenir en nombre. Sentant venir l’assaut, et mal préparé à le soutenir face à un ennemi si puissant, Géraud de Cazaubon demande et obtient la protection royale, la « sauvegarde ». Protection bien symbolique, c’est du moins ce que pensent les assaillants.

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C’est ainsi que le sénéchal de Toulouse, Eustache de Beaumarchais, et Géraud de Cazaubon, comte de Gaure, décident de créer sur le coteau de Mont-Aiglon (qui ne doit pas son nom à ses rapaces mais à ses chênes : Mont à glands) une ville nouvelle, une bastide. Fleurance semble si fort le prototype de la bastide et le phénomène des bastides a une telle importance historique dans le Sud-Ouest qu’il mérite qu'on s’y arrête un instant.

De 1220 à 1370, au cours d'un vaste plan qu’on appellerait aujourd’hui d’« aménagement du territoire », ont été créés dans le sud-ouest de la France trois cents centres de peuplement, conçus et développés sur la base de tracés réguliers qui vont devenir les réseaux de villes nouvelles, rapidement bâties puis lentement développées. Ces lotissements s’appellent justement des bastides, ancienne forme provençale de bastida, bâtie, qui donne aussi… bastille. Certaines sont restées des villages. Toutes ont traversé les siècles jusqu’à nos jours. Beaucoup se sont simplement appelées Villeneuve, Villefranche ou Labastide. D'autres empruntent leur nom à des cités européennes déjà prestigieuses : Cologne, Hastingues, Grenade.

Les bastides font toujours l’objet d’un paréage entre les différents pouvoirs : le roi, ou l’Église, et le seigneur. Ce partage se retrouve jusque dans le plan de la ville, un quadrillage autour des bâtiments principaux. Au centre, la place, espace ouvert ou s'assemble la population. Sur un îlot contigu, l’église. Non loin, la maison forte (« castrum ») du pouvoir protecteur. Les habitants se groupent autour, « à l’alignement », librement mais non pas au hasard puisque le tracé a été fixé par des urbanistes en fonction du site.

Tout le monde trouvait son intérêt à la création des bastides. La population rurale pouvait y échapper à la tutelle directe du seigneur ; les paysans libres pouvaient entrer dans les rangs de la bourgeoisie par l’acquisition de la propriété ; le fondateur y gagnait l’assurance de revenus plus élevés provenant des rentes des terres ou des redevances échangées contre des privilèges ou des franchises ; le pouvoir royal voyait son domaine étendu, la défense du pays mieux assurée, la population mieux contrôlée.

Fleurance est peut-être un des meilleurs exemples des bastides du XIIIe siècle. Son plan même est le reflet de cette nouvelle occupation des sols, de cette nouvelle organisation sociale. Elle s’enracine au sommet d’une éminence, sur la rive gauche du Gers. L’extension de la ville est limitée à l’ouest par le ruisseau du Marcadet. Une place carrée occupe son centre. La halle est au cœur de l’agglomération, une maison commune la domine. L’église se trouve dans l’immédiate proximité de la place, légèrement décalée. Depuis la place et la campagne, c’est son clocher qui domine. Autour de la place, des maisons formant galerie servent aux transactions commerciales, même par mauvais temps, grâce aux arcades : les couverts. Les rues principales sont orientées du nord-est au sud-ouest pour échapper aux vents et aux pluies de l'ouest, constamment contrariés par les angles droits et les lignes obliques. Le périmètre est alors entouré de remparts et de fossés. La bastide, qui reçut le nom de Florencia, aurait pu emprunter le nom de Ayneval au hameau situé au nord, sur les bords du ruisseau de Saint-Laurent, tout proche. Mais Eustache de Beaumarchais aimait que ses bastides rappellent des grandes villes italiennes ou espagnoles, on s'en convainc sans peine en apprenant comment il baptisa les bastides dont il eut l’initiative : Pampelone, Pavie, Miélan, et autres Plaisance… Lorsqu’en 1272, Géraud de Cazaubon signe avec le sénéchal Eustache de Beaumarchès, représentant du roi, un contrat de paréage, dans le but d’obtenir la protection du roi de France, ce contrat prévoit la construction d’une nouvelle capitale pour le comté de Gaure et c’est ainsi qu’avec l'autorisation de l’abbaye cistercienne de Bouillas, est entamée la construction de Fleurance. Cette halle symbolise la prédominance du pouvoir civil sur le pouvoir religieux, conformément à la volonté politique d’Eustache de Beaumarchès ; la première version de cette halle est constituée de vingt-huit piliers en bois, soutenant en son centre la maison consulaire, comme celle de Solomiac ; la halle sera reconstruite à deux reprises, celle de 1837 étant le bâtiment actuel (10). « Fleurance est restée longtemps ville ouverte, elle se développa le long des principaux axes de circulation nord sud, et sa forme triangulaire fut imprimée par l'enceinte qui laissait une très large part aux jardins de la périphérie. » (11) C'est donc très probablement en 1272 qu'est officiellement fondée la bastide de Fleurance en Gascogne (12).

En 1274, selon un document inséré dans la Charte de l’abbaye de Bouillas (recopiée en 1680 par Dom Estiennot), elle est déjà peuplée et organisée administrativement et judiciairement avec un lieutenant du roi de France, un bayle du Comte de Gaure et une cour royale. Jusqu’en 1282, Géraud de Cazaubon vend des terres au Sénéchal de Toulouse, qui les lui paie, au nom du roi de France, « en deniers au comptant, étant bien certifié qu’il y a de la plus valeur ».

Grâce à sa situation géographique qui en fait un carrefour de communications et à son statut libéral qui favorise les échanges agricoles et commerciaux, Fleurance est vouée par sa fondation même à un destin économique. Lorsque le comte de Cazaubon meurt, tout à la fin du siècle, il laisse ses biens à sa famille, en particulier à son fils, nommé, comme lui, Géraud de Cazaubon, au roi de France, Philippe le Bel, son comté et à la Gascogne une bastide prospère et vivace, prête à affronter les siècles et les épreuves. (13)

L’historien Noël Cadéot évoque pour cette époque la question primordiale des forêts : « Au XIIIe siècle, presque tout le pays de Gaure était couvert de forêts. Elles ont à peu près entièrement disparu aujourd'hui.

C'est à peine si les déboisements successifs qui paraissent arrêtés, laissent subsister çà et là quelques îlots de petite étendue, insuffisants même aux besoins du chauffage des habitants. » La plus importante de ces forêts de Gaure était celle du Ramier, « celle en tout cas qui paraît tenir la plus grande place dans les anciennes chroniques et notamment dans les Rôles Gascons. Elle était située entre Fleurance et Lectoure (sitam inter civitatem Lactorensem et villam nostram de Florentia… juxta Lactoram).

Donnée au Xe siècle par Sanche le Courbé, duc de Gascogne, à son second fils Guillaume-Garsie, à l'occasion de son mariage, la forêt du Raimer s’étendait sur plusieurs lieues autour de Fleurance. II est probable qu'elle devait rejoindre, sauf peut-être quelques solutions de continuité, l’ancienne forêt royale de Réjaumont. L'exagération populaire voulait même qu'elle couvrît tout le pays depuis Lectoure jusqu'au bois d'Auch.

Lorsque le Sénéchal de Toulouse, Eustache de Beaumarchais donna à Fleurance les premières franchises, il abandonna au nom du roi, aux habitants de la nouvelle bastide et à ceux de Pauilhac, certains droits et notamment des droits de pacage dans la forêt du Rainier. La communauté voisine de Lectoure usait aussi, semble-t-il, de droits analogues.

Cette concession du sénéchal paraît être le point de départ de la rivalité qui divisa, pendant des siècles, les villes de Fleurance et de Lectoure, mais donc, fort heureusement, il ne reste plus de trace.

Les Lectourois, en effet, protestèrent contre la concession faite aux Fleurantins. Le sénéchal de Toulouse prétendit que Lectoure étant dans les dépendances du comte d'Armagnac, soumis alors au roi d'Angleterre, le roi de France pouvait disposer des forêts de Gaure en faveur des habitants du Comte. II appela donc les consuls et syndics de Lectoure devant son tribunal, mais ceux-ci refusèrent de comparaître, préférant faire appel au jugement du roi. À la demande des Lectourois, Édouard Ier d’Angleterre, alors duc de Guyenne, intervint avec insistance en leur faveur, mais le procès suivit son cours et dura près de deux siècles et demi, exactement 247 ans. Une procédure restée aussi longtemps sans solution, en dépit des efforts faits par les parties en cause, excuse dans une certaine mesure les sentiments peu aimables que nos ancêtres eurent pour leurs voisins.

Enfin, ce fut un arrêt en date du 8 avril 1527 qui mit fin à ce procès en donnant raison aux consuls de Lectoure contre ceux de Fleurance et de Pauilhac. Dévastée en partie pendant les guerres de religion, la forêt du Ramier avait encore, vers la fin du XVIIe siècle, une contenance de plus de mille hectares où pullulaient loups, sangliers, cerfs et chevreuils. Mais lorsqu'au siècle dernier, monsieur de Rességuier vint installer sa fabrique de bouteilles au lieu appelé, de nos jours encore, « la Verrerie », le déboisement s'accentua.

Les belles futaies de chêne servirent à chauffer le four de l’industriel tant et si bien que l'antique forêt du Moyen-Âge se trouva réduite une contenance d'une quarantaine d'hectares. » (14)

Enfin dans une reconnaissance des consuls de Fleurance, faite au XVIe siècle, nous voyons encore que le roi possède au comté de Gaure : la forêt de la Barthe ; la forêt de la Lane. Ces forêts, à l'origine, communes ou sans maîtres, furent placées par les seigneurs féodaux sous leur dépendance directe, sans que les habitants eussent à souffrir de cette mainmise, car ils continuèrent à jouir des avantages que leur procurait le voisinage des bois.

Mais peu à peu, l’usage de la possession fit que l'on chercha à tirer de ces forêts les revenus qu'elles étaient susceptibles de donner. C'est ainsi que nos forêts royales de Gaure constituèrent pour les rois d'Angleterre notamment une source d'importants bénéfices.

Pour surveiller et administrer les bois, il y avait des officiers (forestarii) nommés directement par le roi, et les dépenses d'administration étaient généralement imputées sur les revenus de la baillie voisine. Les forêts pouvaient être inféodées en totalité ou en partie à des particuliers.

Le droit de chasse était accordé par le roi & ses serviteurs fidèles, mais limité parfois à un certain nombre de têtes de gibier. En effet, tandis que Gausbert Girval, abbé de Saint-Maurin, au diocèse d'Agen, pouvait prendre ou faire prendre annuellement dix sangliers et dix chevreuils, l’évêque de Lectoure devait se contenter de dix sangliers. Par contre, Otton de Lomagne, seigneur de Fimarcon, pouvait chasser sans restriction sur les terres de Gaure. »

Représentation symbolique de la bastide de Fleurance par Henri Altaribo.

(10) : « Autour de Toulouse », par Dominique Auzias et Jean-Paul Labourdette, Le Petit Futé, 2015.

(11) : Société Académique d’Architecture, « Les bastides de Lomagne », Diagram Éditeur, Toulouse, 1990, p. 10. « Au XIIIe siècle l’appellation sauveté céda la place à celle de bastide. Par sa signification de « bâtisse », la bastide évoquait l’acte même de fondation. À l’origine « ville ouverte », pourvue de larges privilèges, la bastide allait se muer plus tard en « ville close », prenant un sens nouveau qu’a retenu la langue commune. (…). D’autres fondations portent dans le Sud-Ouest des noms étonnants, espagnols (…), italiens : Fleurance, Boulogne (…). » (« Histoire de la France rurale », sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon, Tome I, Éditions du Seuil, Paris, 1982, p. 436). « Pour ce qui est des bastides, il importe de bien distinguer entre celles qui ont été de véritables fondations, construites plus ou moins ex nihilo comme habitats et peuplements nouveaux et les agglomérations antérieures qui ont reçu de leur seigneur un statut véritable de bastide. Le mouvement des fondations du XIIIe siècle s’est développé dans un espace bien défini qui n’a pas dépassé au nord le Bordelais, le Périgord, le Quercy, le Rouergue et s’est effiloché à l’est du Lauragais et du pays de Foix. Il a débuté en Albigeois avec Cordes, fondée en 1222, l’Isle d’Albigeois en 1229, Villefranche d’Albigeois en 1239. Cinq autres bastides sont créées dans cette zone avant 1250. Mais on relève déjà quelques fondations antérieures à 1250 en Agenais et en Lauragais. C’est à partir de 1250 que le mouvement s’amplifie et gagne toutes les régions du Sud-Ouest. Le nouveau Comte de Toulouse Alphonse de Poitiers (1249-1271) fit de la création des bastides une véritable politique. À sa mort, il avait fondé 36 bastides. Après 1271 et jusqu’en 1320, se place la plus forte quantité de fondations. L’incorporation du Comté de Toulouse au domaine royal en 1271 a permis aux sénéchaux capétiens de développer la politique d’Alphonse de Poitiers. Eustache de Beaumarchais a ainsi fondé une vingtaine de bastides entre 1271 et 1294. De grands et petits seigneurs ont suivi le mouvement, afin de retenir sur leurs terres les colons des bastides. Tous ces fondateurs ont trouvé la participation d’établissements ecclésiastiques qui offrirent le sol des villages neufs et de leurs territoires par les contrats de paréage ou d’association. Les plus présents dans ces associations furent les Cisterciens et les Prémontrés. » (« Bastides méridionales », Mémoires des Pays d’Oc, association des Amis des Archives de la Haute-Garonne, Toulouse, 1986, p. 14).

(12) : « Eustache de Beaumarchès contribua aussi vers la même époque à la fondation de Grenade et de Fleurance (Histoire du Languedoc, tom. 4). Le lieu choisi pour bâtir Fleurance s’appelait d’abord Aineval ou plutôt Aigueval (vallée pleine d’eau). Il était situé sur une petite éminence baignée par le Gers à l’extrémité de la forêt au milieu de laquelle s’élevait le couvent de Bouillas. Suivant un document que nous avons sous les yeux, cette éminence portait le nom de Mont-Aiglon, que rappelle encore la rue de Montablon ; mais nous soupçonnons que cette dénomination a été altérée et qu’il faut lire Montaglan (mont des glands). La forêt de Bouillas s’appela primitivement porte-glans à cause de ses chênes. Nous n’avons pu retrouver l’acte de fondation de Fleurance, aussi nous ne saurions assigner l’époque précise de sa fondation ; mais elle fut incontestablement antérieure à l’année 1291 qu’on désigne ordinairement, car en 1287 nous la verrons remise à Édouard Ier roi d’Angleterre. Avec Montaiglon, on a expliqué les armes de la ville qui porte d’argent à l’aigle explorée de sable surmontée en chef de l’écu de France ; mais ces armes, si l’on excepte le chef dû à quelque concession royale, ne sont autres vraisemblablement que celles d’Eustache de Beaumarchès, ou peut-être que les armes du comté de Gaure. ». J.-J. Monlezun, « Histoire de la Gascogne », tome III, Auch, 1847, p. 28.

(13) « Fleurance en Gascogne », ouvrage collectif, Éditions Zulma, 1996, p. 18.

(14) Noël Cadéot, « Fleurance, notes d’Histoire », Auch, 1947, pp. 14-16. Le même auteur précise p. 17 que « les divers historiens de la Gascogne ne paraissent pas d'accord sur les origines du comté de Gaure. Suivant Oihénart, Guillaume-Garsie, comte de Fezensac, fils de Garsie-Sanche dit le Courbé, duc de Gascogne, aurait en l'an 929, de son vivant, partagé ses domaines entre ses trois fils, espérant ainsi éviter entre eux tout sujet de querelles. Othon, l'aîné, dit Falta, aurait reçu en partage le comté de Fezensac ; Bernard, le cadet, dit le Louche, aurait eu le comté d'Armagnac et le plus jeune, Frédelon, le Fezensaguet avec le comté de Gaure. D'autre part, les historiens du Languedoc croient que le comté de Gaure aurait eu pour origine "l’engagement de quelques fiefs de cette région, fait par Raymond VII, comte de Toulouse à Centule II, comte d'Astarac en 1230". Mais un de nos savants compatriotes qui a étudié jusque dans ses moindres détails la géographie et l'histoire de la Gascogne féodale, a démontré l'inanité de cette dernière opinion et le peu de fonds qu'il convenait d'accorder à la première. Les excellentes raisons qu'il fournit à l'appui de sa thèse, nous entraîneraient en dehors du cadre que nous nous sommes tracé. En fait, les origines du comté de Gaure demeurent imprécises, aussi imprécises que l'existence du prétendu Frédelon, qualifié comte de Gaure et vicomte de Fezensaguet. Dans tous les cas, si Frédelon a jamais existé, on peut dire qu'on ne connaît point ses successeurs du moins jusqu'en 1159, en ce qui concerne le Fezensaguet et jusque vers 1270 en ce qui concerne la terre de Gaure. Toujours est-il qu’à l'origine, le comté de Gaure était avec le comté d'Armagnac et la vicomté de Fezensaguet, englobé dans le comté féodal de Fezensac. Il était borné au nord et à l'ouest par le Condomois, au sud par le Haut-Armagnac et à l'est, par la rivière du Gers qui le séparait du Fezensaguet et de la Lomagne. Le comté de Gaure mesurait "environ quatre lieues de longueur sur deux dans la plus grande largeur, ce qui peut être évalué à quatre ou cinq lieues carrées. La rivière du Gers le borne à l'est". »

En 1883, Adolphe Joanne décrit ainsi cette rivière : « Le Gers, L’AEgertius des anciens, doit à son passage au pied de la Ville d’Auch et peut-être aussi à ses riches prairies l’honneur d’avoir donné son nom au département. Il est lui aussi une pauvre rivière sans ports, abondante seulement quand La Neste, par le canal de Sarrancolin, lui fait l’aumône de quelques milliers de mètres cubes d’eau. Elle déborde cependant après les pluies d’hiver et de printemps et envahit les plaines d’Auch et de Lectoure ; mais c’est pour rentrer bientôt dans son lit et y rouler tranquillement ses eaux impures et jaunâtres. C’est au sud de Lannemezan, à quelques pas seulement des sources de la Save, que le Gers sort de terre, par 675 mètres environ d’altitude. Il entre bientôt, sans quitter les Hautes-Pyrénées, dans une vallée profonde dont les collines de droite, appartenant à la Haute-Garonne, tombent du côté opposé, d’abord sur la Save naissante, puis sur la Gesse. Après avoir parcouru 40 kilomètres, il entre dans le département du Gers, par 240 mètres d’altitude, passe à 500 mètres de Masseube, qu'il laisse à gauche, arrose de nombreux villages, reçoit par la rive gauche, à Pavie, le Cédon, puis le Sousson, bien plus important, long de 45 kilomètres, et enfin arrive au pied de la colline d’Auch, qui le domine à gauche. Le Gers n’est pour le chef-lieu du département ni un embellissement ni une ressource ; il y ressemble à un large fossé. Peu grossi par quelques petits affluents de gauche et surtout de droite, il dépasse Fleurance et laisse à droite, sur son promontoire, l'antique cité de Lectoure, en face de laquelle, par sa rive gauche, il reçoit la Lauze. Quand il entre dans le Lot-et-Garonne, le Gers a parcouru 167 kilomètres et il est descendu à 60 mètres d’altitude. 148 kilomètres lui restent à parcourir pour atteindre le fleuve, qu'il rejoint au-dessous du bourg de Layrac, à une altitude de 42 mètres. Sa longueur totale est de 185 kilomètres. » (Adolphe Joanne, « Géographie du département du Gers », Librairie Hachette, Paris, 1883).

Une bastide anglaise

Dès 1287, Géraud de Cazaubon, Comte de Gaure, céda la bastide et l'intégralité de son comté au roi de France Philippe le Bel qui à son tour céda, en raison de besoins financiers, Fleurance à Édouard Ier d’Angleterre et Duc de Guyenne (15). Ce dernier s'employa activement à instaurer la paix dans son domaine et se montra généreux envers les Fleurantins : il continua les coutumes et finança la construction d'un moulin, connu sous le nom de Moulin du Roy, et de son canal (1291), ainsi que l’édification en dur des remparts de la ville, desservie par quatre portes auxquelles s'ajouta très tôt une cinquième, desservant le moulin. Ces travaux à peine achevés, Fleurance et le Comte de Gaure rentrèrent dans le domaine de la couronne de France (1295) mais ne tardèrent pas à retourner à l’Anglais (1303). Édouard II mena une politique beaucoup plus stricte et oppressante pour les habitants. La domination anglaise fut dès lors très mal perçue, Édouard III, malgré tous ses efforts, ne parvint pas à se rallier la faveur des Fleurantins ; d'autant plus que leur bastide changea douze fois de mains jusqu'en 1388. Fleurance fut alors rattachée au domaine de la couronne de France. On aurait pu penser qu'allait s'ouvrir une période de sérénité et de paix. Hélas, à partir de 1425, les troubles reprirent avec la domination de la famille d'Albret. Charles V d'Albret obtint du roi de France Charles VII la cession du Comté de Gaure et de Fleurance en compensation temporaire de la perte de ses terres landaises annexées par les troupes anglaises et en récompense de ses services et ceux de son père. (16)

Le nouveau comte étendit les privilèges des habitants sans toutefois parvenir à leur faire payer l’impôt qu'ils disaient ne devoir qu'au roi. Les Fleurantins n'acceptèrent jamais la domination des Albert et une série de graves heurts débuta.

Ainsi, en 1431, ils refusèrent l’aide du comte venu les aider à défendre leur ville contre l’envahisseur anglais. Au moment où la Guyenne revint à la France et lorsque Charles d'Albret récupéra ses terres, le roi Charles VII révoqua, comme convenu, sa donation du Comté de Gaure. Le perfide Albret acquiesça et attendit la mort du roi (1461) pour la récupérer, enfreignant même l’arrêt du Parlement de Paris qui confirmait la réunion du Comté à la couronne.

Jean d'Albret, fils du précédent, s'empara militairement de Fleurance et écrasa la résistance menée par les quatre consuls de la ville. Ces derniers furent pendus aux portes de la bastide et Amaud de la Réoule substitut du procureur du roi fut noyé dans le canal. Aux actes de brutalité succédèrent des emprisonnements, paiements de fortes rançons et entretien d'une garnison aux frais des habitants. De plus, déshonneur suprême, Jean d'Albret leur imposa la construction d'un château appelé « Le Chastie Vilain ». Bien que soutenu par le Parlement de Toulouse, Fleurance resta aux mains des Albret en vertu de la ratification de la donation du Comté de Gaure par Louis XI. La vie devint alors très difficile et la succession d'Alain d'Albret ne s'annonça pas meilleure, d’autant plus que le pouvoir royal (Louis XI - Charles VII - Anne de Beaujeu) annula ou ratifia successivement la cession du Comté faite en 1425, C'est finalement sous l’impulsion de Louis XII et des arrêts du Parlement de Paris que le Comté de Gaure fut séquestré au profit de la couronne française.

Les armes de « Le Chastie Vilain » furent remises en 1506 et Fleurance fut enfin libérée. Sous la halle ont été conservées des pièces d’artillerie qui proviendraient du Chastie Vilain imposé aux Fleurantins par Charles II d’Albret ; elles ont été classées comme monuments historiques en 1996.

Bombarde : pièces d’artillerie du XVe siècle capables de tirer des boulets en pierre de 18 kg environ, propulsés par une charge de poudre noire. La portée du tir est inférieure à 100 mètres (photographie de Mylène Payzal, Service communication de la Ville de Fleurance).

Couleuvrine : pièce d’artillerie du XIVe siècle (1400) d’un diamètre de 65 mm. Mortier pièce d’artillerie du XIVe siècle (1380-1400). Pièce réalisée d’un seul bloc, d’un calibre de 125 mm (photographie de Mylène Payzal, Service communication de la Ville de Fleurance).

(15) : « Au début de la domination anglaise, le comté de Gaure comprenait trois bailies, un château royal (castellurn) à Saint Puy et une chatellenie à La Sauvetat. Fleurance et Pauilhac formaient une seule bailie affermée à Pierre de Gozène, habitant de Fleurance. La bailie de Maignaut avait été donnée pour une année seulement à Gérard Lambert, à partir de la Saint Jean 1289. Celle du château de Saint Puy était tenue par un autre habitant de Fleurance, Odon ou Otton de Montgiscard, qualifié gouverneur du château de Sempuy et défenseur de la terre de Gaure. II semble que dans la suite, le nombre des baillies ait été augmenté. La collection Delpit indique en effet, I'existence en 1363 de bailies de Pauilhac (n° 785), de La Sauvetat (n° 786), de Pouy-Petit (n° 788) et de Réjaumont (n° 789). Les bailes étaient des officiers royaux, simples fermiers d'impôts, Ils étaient subordonnés à un officier supérieur, Bernard de Preissac, chevalier, qui, dans les mandements à lui adressés, porte le titre de "bali supérieur de Lomagne, de Gaure et de Sempuy". Le comté de Gaure comportait neuf paroisses : Fleurance, Pauilhac, Réjaumont, Sainte-Radegonde, Saint-Lary, La Sauvetat, Saint Puy, Maignaut et Pouy-Petit. » (Noël Cadéot, « Fleurance, notes d’Histoire », Auch, 1947, pp. 17-18).

(16) : « Voici ce que l'on lit dans un manuscrit de la Bibliothèque du Roy (BNF) : « Le Roy Charles de France, en considération des grands et notables services faicts par Charles Sieur d'Albret et par autre Charles son père et con(n)estable de France qui avoit servy jusqu'à la mort où décéda à la bataille de Dazinco(u)rt en deffendant avec les autres Princes de sang servans, le Roy de France son père contre les Angloys, par advis et meure délibération de plusieurs Princes du sang et Gens du Conseil, laisse aud. Sire d'Albret, ses hoirs masles et femelles, le comté de Gaure et ville de Fl(e)urance. », fr. wikipedia.org, Comté de Gaure.

La guerre de Cent Ans

La Guerre de Cent Ans, où l’on voit l’alternance des partis anglais et français, ravage le pays jusqu’en 1453. En 1345, un an avant la défaite de Crécy, Fleurance est prise et pillée. Pendant cette période particulièrement troublée, Fleurance passe en diverses mains, y compris, de 1350 à 1354, sous l'autorité du Saint-Siège, dans l’attente d’une remise de la bastide au roi de France ; c’est ainsi que succéderont à Géraud de Cazaubon, Philippe III le Hardy, roi de France, Philippe IV le Bel, roi de France, Édouard 1er duc de Guyenne et roi d’Angleterre, les comtes d’Armagnac, les Albret, le duc de Roquelaure… Alors que Jean II le Bon avait cédé le comté de Gaure au comte d’Armagnac Jean Ier, Édouard III confie à son fils, le Prince Noir, son pouvoir en Aquitaine. Édouard de Woodstock, dit le Prince noir, débarque à Bordeaux le 20 septembre 1355 pour « réorganiser…, recouvrer ses domaines et ses droits ». Il lance alors un raid d'intimidation, destiné à terroriser les habitants. Son mot d'ordre est « piller, brûler, détruire ». Il assiège Nogaro, incendie Plaisance, traverse Montesquiou, ravage tout le pays de Seissan à Samatan, franchit la Garonne et continue jusqu'à Narbonne. Au retour, il passe par Gimont, franchit le Gers près de Fleurance (l’une des nombreuses villes du sud-ouest où Jean Ier avait établi des garnisons) et la Baïse près de Condom, donne congé à ses troupes à Mézin avant d'arriver à Bordeaux…