L'angoisse du sniper - Pierre Léoutre - E-Book

L'angoisse du sniper E-Book

Pierre Léoutre

0,0

Beschreibung

Dans cet univers de quotidien oppressant ou de guerres civiles larvées, les seins de Claire sont un fanal allumé pour le narrateur. Grâce à eux, il passe aussi bien au travers des balles qu'au travers de la vie. Mélange d'univers à la Enki Bilal et de monde tendre et romantique où l'on se dit encore « je t'aime ». Il ne s'agit plus d'attributs érotiques mais de la seule bouée dans une vie perdue d'avance où l'on part toujours perdant. Errances automobiles, fantasmes en projection sur les pare-brise des jours, ce texte parle d'amour fou et d'oppression folle. Mots portés en rafale sur un clavier d'ordinateur, seul réverbère de la nuit, cette nouvelle a le rythme de tous les jours, les expressions de tous les jours. Une recherche d'amour qui est en fait une tentative de fraternité.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 75

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Après la guerre. Je lisais La Dépêche du Midi dans mon jardin, profitant d’une magnifique matinée ensoleillée de ce printemps languissant. Mon attention fut attirée par un article relatant les tristes exploits d’un agresseur obsessionnel de femmes, qui s’en prenait par surprise à la poitrine de ses victimes, plus d’une vingtaine répertoriée par la police. Violence contre les femmes, violence des rapports humains, absence de respect de l’autre y compris dans le désir amoureux. Je tournai la page du journal et me mis à réfléchir sur mon propre rapport envers la poitrine féminine. Un prénom vint immédiatement à mon esprit, celui d’une femme que j’avais tant aimée, Claire, a la douce et belle poitrine, Claire dont les seins fruités symbolisent ad vitam aeternam l’une de mes émotions amoureuses les plus fortes et les plus tendres.

°°°

Les seins de Claire annonçaient la promesse d’un voyage brûlant, malgré leur proximité revigorante : c’est une entrée en matière assez brutale et pourtant parfaitement tendre et sincère. Elle était gênée, je ne sais pas pourquoi, mais est-ce utile de le préciser ? Pourtant je sentais que si je lui demandais de poser ma tête sur sa poitrine, elle accepterait, heureuse et tendre. Très romantique, et même plutôt érotique et en tout cas pas platonique. J’imaginais ses seins nus, non comme une simple pulsion, mais comme l’entrée pourquoi pas des prémices d’une histoire d’amour plutôt marquante. Je m’explique : faire l’amour est absolument agréable, vivre une histoire d’amour avec Claire, difficile à séparer entre l’acte et les intentions, nous emmenait dans une dimension beaucoup plus élevée.

Tout commence par le physique, bien entendu, que ce soit le regard, ou bien les seins (fixation mammaire qui peut sembler surprenante, je le reconnais, mais telle est la situation présente), ou toute autre partie du corps de cette femme : Claire était fort jolie et sincèrement désirable. Il y a beaucoup de jolies femmes, mais Claire avait en plus un charme puissant qui inspirait un transport amoureux fait pour voyager loin, et me transformait en loup de Tex Avery, tout en me faisant espérer une oasis affective durable et sereine. Elle avait tout gagné. Et moi aussi. La force du destin ou du hasard veut parfois qu’une femme et un homme aient besoin l’un de l’autre, sans raisons précises, d’une façon si impérative que rien ni personne ne pouvait s’opposer à ce rapprochement inéluctable et écrit, dont les quelques pages de ce carnet de voyage amoureux sur la piste de la nymphe adorée et émouvante se feront la trace.

– Mais enfin, tu n’aimes pas que mes seins ? me demanda-t-elle.

Bonne question. J’adorais son regard, un tout petit peu trouble, une réserve permanente faite d’interrogations et d’envies. Je reconnais que l’ensemble de la description corporelle est fractionné et sans arrêt repris, c’est un peu de la pièce détachée, un catalogue amoureux, un supermarché sentimental, un puzzle du désir, une supercherie littéraire de plus, peut-être ; ou alors, c’est autre chose, un fil compliqué et simple, qui maintient un équilibre fragile et beau à la fois. Le corps de Claire était très harmonieux et désirable, les jambes, les fesses, les hanches, le dos, le cou gracile dévoilé par une chevelure abondante comme une corne souvent retenue par un chignon, chevelure attirante, mince et ronde, attirante. Une taille sublime de celles que l’on enlace sans jamais se lasser. Une voix douce, très féminine, de belles lèvres posées sur un visage charmant, j’étais vraiment comblé. Un caractère sérieux, entier, un amour de femme à cueillir et à conserver précieusement.

Je n’étais probablement pas son genre d’homme, a priori. Comment savoir ? Je le savais, elle me l’avait dit, un jour, sans prévenir, comme une ultime parade. De toute façon, il fallait partir perdant dans ces histoires d’amour. Claire, au bord d’un précipice, devait réfléchir longtemps avant de se lancer ; mais si elle se décidait, elle devait plonger les bras ouverts, un vol gracieux et généreux ou une chute abyssale. À vrai dire, malgré ces monceaux de désir lascifs, je n’avais pas besoin de cette fille ; pourtant, physiquement, je ressentais fortement de la gourmandise, presque de la concupiscence. Elle n’avait pas de place pour moi dans sa vie, voilà ce que je me répétais sans cesse. Je mis la clef dans le contact et fis démarrer le véhicule pour une balade sans but.

Combien de temps pour cette promenade ? Le temps de séduire Claire, en partant de rien et en arrivant à tout, je n’en doutais point, j’écoutais du Charlélie Couture en boucle, un vrai spleen de Baudelaire de supermarché, sans vouloir entre péjoratif pour un mode de vie aux normes, je m’inquiétais sérieusement du devenir de cette société peu branchée, peureuse et pas très gentille. Il fallait absolument rester dans les clous dans cette carte du Tendre numérisée.

Heureusement, il y avait Claire, sa main douce et ferme me tenait par le col de ma chemise blanche, empêchant la noyade. Tabac, alcool, sexe, lecture, télévision, boites de nuit jeunes et torrides, libertines et joyeuses, cinéma, j’épuisais tour à tour ces plaisirs futiles, j’évitais les conflits avec le genre humain pour échapper à une troisième guerre mondiale, je ne pensais vraiment qu’à une chose : horizon indépassable que ces attributs, caresser les seins de Claire, ses seins magnifiques, collines douces à l’horizon, doux mamelonnant de mes rêves, poser mes mains sur les seins de Claire, sentir sa réaction et ses pointes gorgées du désir, voir cette femme m’offrir sa poitrine et son amour, paire de seins qui va de pair avec nos sentiments peut-être partagés, un grand moment de ma vie où l’érotisme cherche une justification sentimentale sincère. Ce Charlélie Couture me donne envie d’écrire de la musique ; diversion ou digression ?

Sentait-elle que je m’étais éloigné d’elle en faisant démarrer mon véhicule pour partir à l’aventure ? Pour gagner le cœur de la belle, il me fallait vaquer et gagner d’homériques combats contre mes faiblesses, mes lacunes et mes désespoirs, puis revenir vers elle en héros bronzé et fort, irrésistible et attachant amant, indiscutable et évident conquistador, énergumène solide comme un roc, le symbole épanoui d’une vie saine et joyeuse, la force tranquille du trousseur de jupons incontestable. Tous ces qualificatifs, ça fait beaucoup, un peu trop sans doute, ça déforme le sens et ça induit du trouble ; butinons, lutinons.

Claire, ma douce, est peut-être en train de se faire trousser par un autre, sa poitrine gonflée de désir à développé comme le gonflement du volcan avant son éruption (« l’analogie en forme et fonctionnement avec l’aréole sommitale, lieu d’épanchement, et la lente montée du plaisir sur les parois abruptes », me susurre un ami poète de passage), ou bien en train de prendre un bain ou de regarder la télévision, pendant que je souffre de ces sentiments inavoués, ou plus exactement, inassouvis. Maudite timidité qui fait de moi un baladeur sans fin, yo-yo de l’autoroute du sud de la France, errance automobile. Petit, gros, paire de lunettes, je n’avais aucune chance d’obtenir l’amour de Claire, d’après les magazines à la mode.

Je roulais en respectant les limitations de vitesse, sans discontinuer, sans but, sans rien, sans l’amour de cette femme, perdu au bout de l’autoroute. J’avais fait part de mon désarroi à une amie, elle m’avait répondu en me parlant des gens vieux et malades, leur situation entait pire que celle de l’amoureux transi, oui, soit, mais quelle importance ? Je parlais, moi, de la vie. Prendre Claire dans mes bras, l’embrasser et la serrer contre moi, sentir son odeur, la caresser, la sentir profondément, fusionner avec elle. Son regard plongß dans le mien, comme dans le meilleur des romans à l’eau de rose. La rage d’aimer et d’être aimé, je reste sur ma faim, et si je suis un chien enrage, alors je dois montrer les dents. J’étais sûr qu’elle y pensait aussi, même si je n’étais pas son genre d’homme, ce qui éclaire la description précédente : elle ne pouvait pas entre insensible à la force de cet amour ; quid de l’attirance, du magnétisme. Méthode Coué d’un amour imbécile ; c’est délicat, c’est fort et prenant, et pourtant est-ce méprisable ? Et dérisoire ? Maladresses sentimentales qu’elle remarquait à peine, occupée qu’elle était à vivre sa propre existence faite de joies et de préoccupations importantes. Qu’aurait-elle fait d’un clown triste ? Les êtres lunaires ne sont pas tous blafards, ils peuvent être sympathiques, théâtraux, amusants. Je me mis à écouter du jazz, amant inutile car inemployé et pitoyable car apitoyé, évacuant son désir inassouvi sur des feuilles blanches virtuelles, petits bateaux en papier sur un lac. J’arrêtai mon véhicule et sortis du coffre ma canne à pêche, hameçon patient dans l’eau, assis dans l’herbe verte sous de grands arbres élégants ; le temps passait sans elle. Incroyable.