Le village de Brugnens (Gers) - Pierre Léoutre - E-Book

Le village de Brugnens (Gers) E-Book

Pierre Léoutre

0,0

Beschreibung

Le si beau département du Gers compte 463 communes, des villes et des villages dispersés dans un paysage vallonné et magnifique, au coeur du sud-ouest de la France. Les auteurs, Pierre Léoutre et Michel Mingous, ont choisi de raconter la petite histoire de l'un de ces villages gascons, dans le cadre d'une monographie historique qui aborde en différents chapitres, avec à chaque fois l'intervention d'un spécialiste de la question traitée, tout le passé ancien et contemporain de la commune de Brugnens. Avec un attachement sincère et profond à ce village mais aussi le souci de la rigueur d'historiens, en s'appuyant sur les archives municipales et départementales, les auteurs ont su retracer les origines et l'évolution de la communauté brugnensoise. Grâce au soutien du Maire et du Conseil Municipal de Brugnens, quatre éditions successives de cette monographie historique ont pu voir le jour. Celle-ci, prolongeant les précédentes, est la dernière et la plus aboutie mais ne s'éloigne pas du coeur du sujet : l'histoire du village de Brugnens et de ses habitants, les Brugnensois.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 208

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



L’histoire du passé, si elle est bien analysée, montre la formidable variété humaine et non une quelconque idée générale.

Paul Veyne

Table des matières

Préface

L'application des lois laïques

L'école

L'eau

Microtoponymie du village de Brugnens

Le train et le village de Gascogne

L'électrification d'une commune rurale

La villageoise

Agriculture

Le Paysan et l’uniforme

Les marques républicaines

En guise de conclusion…

Annexes

Bibliographie

Préface(*)

Faire l'histoire d'un village est-il une ambition raisonnable ?

L'Histoire de la France rurale est maintenant bien connue, notamment grâce aux ouvrages monumentaux publiés en 1976 sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon (1) ; ces livres, véritables romans historiques qui nous racontent avec talent un passé tout juste révolu, font le point sur l'histoire des campagnes françaises ; ils furent complétés par d'autres écrits, comme ceux d'Eugen Weber et Annie Moulin (2), et le portrait de la vie paysanne est a priori aujourd'hui complet.

Alors, pourquoi ajouter un village, et un seul village qui plus est, ce qui supprime la notion, fondamentale en recherche historique de comparaison… Nous évoquerons tout d'abord des raisons personnelles, de celles qui prolongent l'enfance. Nous avons ensuite la réunion des conditions nécessaires : des amis qui partagent notre enthousiasme, des Maires, Messieurs Jacques Noguès et Pierre Combedouzon, et une secrétaire de Mairie, Madame Nicole Combedouzon, qui nous ouvrent largement l'accès aux archives municipales, des érudits de la Société Archéologique du Gers qui nous font confiance et nous épaulent, en particulier Monsieur le Professeur Maurice Bordes, Monsieur le Président Georges Courtès et Monsieur Léo Barbé. Enfin, nous possédons l'insatiable curiosité de mieux connaître un milieu rural que nous aimons et qui, dans un monde actuellement déséquilibré entre la ville toujours croissante et la campagne qui se dépeuple, nous envoie par ses archives les signes d'une vie différente.

Ici, une objection : étudier la vie désuète de la campagne, d'une microsociété moins moderne que le milieu urbain, c'est tomber dans le travers d'un régionalisme étroit et conservateur, c'est cultiver une nostalgie rurale qui n'est qu'un leurre rétrograde, un discours du sol, un tribalisme, comme l'écrit Julia Kristeva (3), particulièrement archaïque et anachronique à l'heure de l'Europe… nous pourrions répondre avec Alfred de Vigny :

Pars courageusement, laisse toutes les villes

Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin ;

Du haut de nos pensées vois les cités serviles

Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.

En réalité, nous aimons la campagne et ceux qui y vivent. Nous avons voulu en outre travailler et raconter l'histoire d'un village rural dans la région Midi-Pyrénées, ambition particulièrement légitime lorsqu'il s'agit d'une commune de Gascogne, de ce département du Gers qui se veut le plus agricole de France. Comment écrit-on l'histoire d'un village ? L'historien amateur évoquera l'hypothétique passage du bon roi Henri IV, avant de relater les grandes victoires napoléoniennes ; le spécialiste universitaire, outillé d'une méthode scientifique, utilisera au mieux connaissances générales et documentation complète pour présenter un historique du modèle villageois ; nous tenterons une voie médiane d'autodidactes : nous proposons ici une histoire pragmatique, événementielle, à l'échelle d'un village, et nous laissons à des historiens confirmés le soin d'utiliser les matériaux bruts que nous avons essayé d'ordonner, autour des thèmes qui nous semblaient révélateurs de la vie et de la mentalité des paysans gersois. Les périodes évoquées ne relèvent d'ailleurs pas d'une méthode volontaire : elles sont tributaires des archives disponibles, tant communales que départementales ; soit un travail imparfait en raison des lacunes documentaires, prévisibles dans l'étude d'un village dont la mémoire est évidemment plus ténue et fragile que celle d'une ville.

Faut-il un plan à cette monographie du village de Brugnens ? Plutôt qu'une suite chronologique dont la lecture serait fastidieuse et redondante, nous présentons une succession de thèmes symptomatiques qui s'appuient solidement sur les archives villageoises. Ces thèmes, s'ils donnent un bon aperçu des préoccupations communales depuis la Révolution, ne sont bien sûr pas exhaustifs : il aurait fallu par exemple parler davantage de l'évolution du pouvoir municipal et de ce Maire, successeur démocratique du Seigneur, qui a véritablement dirigé la modernisation du village ; signaler encore les améliorations sanitaires, ou comment la Médecine a modifié la perception collective de la santé ; évoquer l'argent qui, par les impôts, le budget, les subventions, les assurances, les legs, etc., a gagné une personnalité (4) et a changé en profondeur la mentalité paysanne en accompagnant son émancipation… Bref, cette étude ne prétend pas donner une vision complète du monde rural depuis deux siècles même si, fondée sur des archives locales, elle a le souci de la vérité.

Maintenant, il convient de présenter la commune que nous allons étudier Brugnens, situé à cinq kilomètres de Fleurance, chef-lieu de canton dans le département du Gers, est un village qui a été reconstruit à la suite d'une destruction au XVIIe siècle. La toponymie, en raison de la finale - ens, laisse envisager une fondation à l'époque franque ou wisigothe ; on connaît encore l'existence, au XIIIe siècle, d'un Bertrand de Brugnens, un capitaine qui reçut le 24 août 1247 le commandement des places d'Auch, Lavardens et Roquelaure, des mains d'Arnaud-Odon, vicomte de Lomagne. Aujourd'hui, Brugnens est un village paisible qui, comme toutes les communes agricoles du Gers, a souffert de l'exode rural ; mais un phénomène démographique très récent laisse apparaître depuis 1982 (231 habitants) une fragile remontée du nombre de la population, avec près de 244 habitants en 1990 et 250 en 1999. Situé à une altitude de 192 mètres, le long de la route départementale n° 654 qui mène de Fleurance à Toulouse, Brugnens a une superficie de 1 350 hectares, remembrés en 1988.

L'étude d'impact réalisée pour ce remembrement (5) nous livre une description de la commune le village est placé en position dominante, au centre d'un paysage typiquement gascon de coteaux qui s'étend entre la vallée du Gers et celle de l'Auroue. Le climat est caractéristique de la région toulousaine, avec cependant une prépondérance de l'influence atlantique. Les sols à forte pente se composent essentiellement de formations géologiques successives d'Aquitanien inférieur, d'Aquitanien supérieur et de calcaire de Herret ; la végétation comprend des prairies permanentes pacagées et des bois, essentiellement composés de chênes ; en effet, les ormes, atteints de graphiose, sont en voie de disparition. Malgré la diminution du nombre des exploitations, Brugnens reste un village agricole, principalement orienté vers la céréaliculture (surtout le maïs), qui a remplacé la polyculture du début du siècle, dominée par le blé ; les terres labourables, de mieux en mieux irriguées, sont en augmentation (84 % de la surface agricole utile) ; le secteur de l'élevage conserve pourtant une part importante, en raison de la présence d'un élevage industriel de poules pondeuses. Nous allons à présent nous intéresser à l'histoire municipale de ce village agricole, de ce paysan, familier de la mémoire collective, dont l'avenir incertain est devenu un sujet d'actualité, et qui veut bien nous conter son histoire quotidienne.

Notes

(*) : par Pierre Léoutre, avec les conseils de M. Léo Barbé, membre du Bureau de la Société Archéologique du Gers. Avec nos remerciements à la municipalité de Brugnens, qui a sponsorisé la première édition de cette monographie historique, éditée le 3 janvier 1989 à Toulouse (Haute-Garonne) et la seconde en 2009, ainsi qu’à Mademoiselle Christine Lannes, qui a numérisé la première édition, et Jean-Christophe Lagaeysse qui nous a communiqué des documents originaux trouvés aux archives départementales du Gers à Auch.

(1) : Histoire de la France rurale, sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon, éd. du Seuil, 1976.

(2) : Eugen Weber, La fin des terroirs - la modernisation de la France rurale (1870-1914), Fayard Ed. Recherches, 1983. - Annie Moulin, Les paysans dans la société française, Collection Points Histoire, éditions du Seuil, 1988.

(3) : Entretien avec Julia Kristeva, Le temps de la dépression, Le Monde des débats, N° 1, octobre 1992, p. 2.

(4) : Comment penser l'argent, textes réunis et présentés par Roger-Pol Droit, 424 pages, Le Monde Éditions, 1992.

(5) : direction départementale de l'Agriculture du Gers (service de l'aménagement rural), Étude d'impact de remembrement de la commune de Brugnens, réalisée par le Bureau d'études rurales ADRET, 9 rue du Prieuré 31000 Toulouse (remembrement effectué par M. Rech, géomètre expert, 51 rue Montablon 32500 Fleurance).

L'application des lois laïques(*)

Parlant d'un village, on évoquera classiquement un clocher, à savoir que les plus anciennes traces historiques furent celles laissées par la paroisse (1). L'histoire des croyances locales peut être résumée en trois étapes successives : Le rector de Brunhenx ; la première église St-Blaise ; le Protestantisme en Fezensaguet. La tentative infructueuse de renouveau catholique au XIXe siècle : la nouvelle église St-Blaise et le pèlerinage de Ste-Urtisie. L'application de la loi Combes et la séparation de l'Église et de l'État : l'application des lois laïques.

Le rector de Brunhenx

Concernant une communauté rurale comme Brugnens, les plus vieilles divisions administratives qui nous sont parvenues sont celles de l'église chrétienne, à travers des documents fiscaux. C'est ainsi que les listes les plus anciennes des paroisses du diocèse de Lectoure que nous connaissons datent de la fin du XIVe siècle, à l'époque des papes d'Avignon et du Grand Schisme d'Occident. Ces listes établissaient que le rector de Brunhenx dépendait de l'archiprêtré de Céran et que la paroisse n'occupait pas tout le territoire de la commune actuelle, puisque l'on constatait l'exemption du précepteur de Figuareda, le lieu-dit Higadère, qui était une exploitation agricole appartenant à l'Ordre de St.-Jean de Jérusalem (2).

La première église St-Blaise

Brugnens constituait donc une paroisse dûment enregistrée dès cette époque au moins, même si l'on sait plus largement que les créations de paroisses se sont prolongées du XIe au XIIIe siècles. Un autre indice de datation est le saint de l'église du village, St.-Blaise : évêque de Sébaste en Arménie au IVe siècle, patron des animaux sauvages et des peigneurs de laine, St-Blaise était l'un des quatorze saints auxiliaires (3) ; il était invoqué par les personnes qui souffraient de maux de gorge, car il aurait guéri de son vivant un jeune garçon qui étouffait à cause d'une arête de poisson…

Le Protestantisme en Fezensaguet

Les guerres de religion entre Catholiques et Protestants sont un autre épisode de la vie locale dont nous possédons la trace : après la chute de la Maison d'Armagnac (mars 1473 - juin 1497), la vicomté de Fezensaguet entra dans le domaine de la Maison d'Albret, dont on connaît le rôle essentiel pour la diffusion de la Réforme ; et Brugnens vit sa capitale féodale, Mauvezin, devenir une place forte du Protestantisme, alors que la paroisse rurale sembla au contraire demeurer catholique (4) ; ainsi, en 1532, alors qu'étaient prises par l'officialité d'Auch les premières mesures contre le « Luthéranisme » (5), la recette du Rector de Bruhensis s'élevait à onze livres, ce qui constituait l'un des bons résultats du diocèse (6). Une citation illustre bien l'évolution de la situation dans la vicomté au XVIe siècle : Le 7 juin 1594, le sr de Maravat, gouverneur, remontre « que pour le bien et le solagement de ce païs, les sieurs de Fontarailhes, luy et autres gentilshommes ont advizé qu'il est tres necessaires d'ataquer Brunhenx » (7).

Malgré la prédominance incontestée de l'église Réformée en Fezensaguet à la fin du XVIIe siècle (8), l'importance de l'église catholique du village de Brugnens apparaît à la lecture des premières lignes des comptes rendus établis après les délibérations des jurats, par exemple celui du 18 octobre 1671 : au-devant l'église paroisielle de Brugnens - issue de la messe parroisielle alendroit ou les assemblées communes ont accoustume etre tenues (...).

La nouvelle église St.-Blaise

À la suite de réparations onéreuses de l'église en dépenses ruineuses pour la construction du presbytère, les Brugnensois en arrivèrent à organiser, le 14 janvier 1838, un débat sur le déplacement de leur église ; le Maire souligna que cette dernière était complètement isolée, et

que son état est proche de la ruine ; malgré ce triste bilan, deux des dix conseillers municipaux furent hostiles à ce changement ; il fallut attendre le 7 mars 1838, alors que les offices religieux se tenaient dans la grange du presbytère, pour que la construction d'un nouveau bâtiment fût acceptée à l'unanimité ; mais le confort du curé en souffrit puisque les conseillers estimèrent que le presbitaire actuel est bien suffisant pour le logement du décervant. Après de nouvelles et âpres discussions, le Conseil décida de choisir comme emplacement le lieu-dit La Crouxée, point le plus central et le plus élevé de la commune, ce qui était important pour entendre les cloches à l'occasion des services religieux ou des assemblées civiles.

Commença alors pour le Conseil municipal une période difficile à plusieurs reprises, de 1842 à 1845, l'architecte chargé des travaux constata des imperfections de régularité et de solidité, dont le principal défaut était d'alourdir le devis. La première fois, en mai 1842, le Préfet compatit et versa un secours de deux cents francs, geste que les Brugnensois saluèrent avec reconnaissance ; mais alors qu'une nouvelle augmentation du devis conduisit les villageois à solliciter en janvier 1843 une subvention départementale, en invoquant la munificence du Préfet, ce dernier fit savoir au mois de septembre qu'il n'avait aucune nouvelle du dossier transmis au Ministère de la Justice et des Cultes ; les Brugnensois comprirent qu'ils n'obtiendraient rien cette fois-ci, et ils décidèrent néanmoins, malgré cet état de perplexité dans lequel les plongeait cette mésaventure, de poursuivre les travaux ; ils prirent soin cependant d'aviser Monsieur le Préfet qu'ils étaient obligés de réduire le devis de l'église, car d'autres dépenses impératives les attendaient, à savoir la construction d'une Mairie, d'une maison pour l'instituteur, et surtout d'une clôture pour le cimetière, qui était menacé d'interdiction.

Ce contexte financier tendu nous permet de comprendre l'étonnement du conseil municipal lorsque, le 26 mai 1842, la fabrique lui présenta une demande de subventions ; celle-ci fut refusée, car la fabrique de l'ancienne église n'avait jamais rien réclamé et se contentait de ses revenus ordinaires.

Après de nouvelles et multiples discussions avec l'entrepreneur sur les modifications du devis (clocher octogone, fer maillé à l'extérieur des dix croisés de l'église, afin de protéger le vitrage de tout projectile…), le Conseil put enfin, le 14 mars 1845, nommer une commission de deux membres pour la réception provisoire de la nouvelle église, qui fut consacrée par l'Archevêque d'Auch, Monsieur de Lacroix d'Azolette. Au-delà des questions financières locales, la nouvelle église de Brugnens participa au vaste mouvement de constructions d'édifices religieux du XIXe siècle, qui s'amplifia sous la Restauration pour connaître son apogée sous le règne de Napoléon III, et qui avait pour objectif la reconstitution du réseau paroissial (9). Mais nous savons que cette période vit au contraire la victoire de la Laïcité.

La reconnaissance de la Laïcité

Après presque un siècle d'agitation autour de l'édification des bâtiments religieux dans la commune, les Brugnensois pensaient enfin avoir trouvé le calme ; dans le domaine cultuel, on ne relève plus que les anecdotes suivantes : le 16 février 1875, le Conseil préleva sur les fonds libres de la commune la somme de 650 francs et 81 centimes, afin de payer au maçon de Brugnens la construction d'un piédestal ; ce support était destiné à une statue de la Vierge, achetée grâce à une souscription d'habitants en souvenir de la Mission de 1874 ; le 3 avril 1898, l'assemblée municipale accepta de louer un jardin au curé, d'autant plus volontiers que le terrain loué forme un recoin inculte et rempli de broussailles n'étant d'aucune utilité et d'aucun rapport pour la commune ; enfin, le premier juin 1902, à l'invitation du prêtre, le Conseil se rendit en corps à l'église, afin d'assister à une messe pour le repos des malheureuses victimes de la terrible catastrophe de St. -Pierre en Martinique.

Cependant, en 1904 et 1905, alors que le Combisme avait mis en œuvre ses dispositions anticléricales, le montant du budget de la fabrique du village fut laissé en blanc dans la formule administrative inscrite sur le registre des délibérations municipales ; et, le 4 juin 1905, alors que le sous-préfet de Lectoure demanda à recevoir une copie certifiée exacte de l'inventaire des objets divers qui se trouvaient dans l'église, les Brugnensois rétorquèrent que cet inventaire n'avait jamais été fait, et qu'il ne pourrait être transmis que lorsque la fabrique l'aurait réalisé. Ces premiers signes de la mauvaise volonté initiale des villageois envers les nouvelles lois laïques furent confirmés les armées suivantes : par la loi du 2 janvier 1907, les Brugnensois apprirent qu'ils pouvaient disposer du presbytère et de ses dépendances ; ils décidèrent de loger gratuitement leur curé, de même qu'ils lui laissaient à titre gracieux l'usage de l'église. Le Conseil finit par s'attirer les foudres administratives, et une circulaire préfectorale du 22 octobre 1907 lui demanda de se prononcer à nouveau sur la location du presbytère ; les Brugnensois ayant confirmé leur première décision en la justifiant par l'exode rural et l'autonomie de décision des conseils municipaux, un conseil de Préfecture du 25 janvier 1908 annula cette délibération. Le 16 février, le Maire jugea alors plus raisonnable de présenter un bail de location du presbytère, pour un loyer annuel de trente francs ; mais les conseillers refusèrent à nouveau de se plier à la Loi : estimant que le presbytère faisait partie du domaine privé de la commune, et que le Conseil était le seul juge des raisons et intérêts du village en la matière, ils nièrent les accusations de non-respect de la Loi, repoussèrent le bail proposé par le Maire et décidèrent d'attaquer l'arrêté préfectoral devant le Conseil d'État (10). Malheureusement pour eux, la Haute Assemblée estima le 15 janvier 1909 que laisser au curé la jouissance gratuite du presbytère constituait bien une subvention illégale pour l'exercice du culte (11).

Le 18 février 1911, dans une brève délibération, le Conseil annonça enfin qu'il revenait sur sa décision du 16 février 1908, et qu'il approuvait le bail passé avec le curé ; mais il ne donna pas la moindre explication à ce changement d'attitude. En réalité, la population de ce village resta longtemps hostile à la politique anticléricale des radicaux-socialistes, même si une bonne partie vota pour eux ; et les Brugnensois ne se conformèrent véritablement à la Loi que vingt ans plus tard : le 30 août 1931, à la suite d'une série de travaux coûteux, le Conseil estima, par huit voix contre deux, qu'il lui paraîtrait juste et équitable, sans vouloir en exagérer la portée, de faire payer un loyer annuel de cent francs au desservant, qui était jusqu'alors logé gratuitement… le Maire fut chargé par les conseillers d'aller informer le curé de cette décision et de passer l'accord, qui ne paraît pas douteux étant donné la modicité de la somme ; puis, à partir de 1932, la location du presbytère fut soumise à un bail en bonne et due forme…

Cette évolution des mentalités sera parfaitement achevée le 9 septembre 1951, alors que le Conseil municipal vota à l'unanimité une motion du Comité national de défense laïque, dont le texte est le suivant : considérant que la troisième République a rendu l'instruction élémentaire obligatoire, gratuite et laïque, considérant que depuis soixantedix ans environ, aucun des Gouvernements qui se sont succédé (le Gouvernement de Vichy excepté) n'a eu la pensée de toucher aux lois scolaires en vigueur, le Conseil, soucieux de maintenir la paix au village, et de voir régner la grande paix scolaire et la grande paix française, exprime, dans l'intérêt de tous, le désir ardent que les Pouvoirs Publics ne remettent pas en question le statut scolaire.

Notes

(*) : par Pierre Léoutre et Michel Mingous, avec les conseils de M. Léo Barbé, membre du Bureau de la Société Archéologique du Gers.

(1) : On ne dispose localement d'aucun vestige de rites préchrétiens, même si leur influence est évidemment indéniable ; voir par exemple le culte lectourois de Cybèle (Pierre Chuvin, Chronique des derniers païens, éditions les Belles Lettres / Fayard, Collection Histoire, Paris, 1990, pp. 222-228).

(2) : l'Abbé J. Pandellé, L'ancien diocèse de Lectoure, B.S.A.G., 4e trimestre 1964, p. 407 et pp. 409-413) dresse une liste des bénéficies du diocèse d'après la décime de 1382, où l'on relève : D. Archiprêtré de Céran : 7. Rector de Brugnenx - Brugnens ; 18. Domus de Figuareda, exempta quia Johannis - La grange de Higadère, exempte des décimes, comme appartenant à l'Ordre de St-Jean de Jérusalem. Ch.-Edmond Perrin et de Jacques de Font-Réaulx (Pouillés des provinces d'Auch, de Narbonne et de Toulouse, Librairie C. Klincksieck, 1972) signalent le compte de procuration de 1381, où l'on peut lire : Brugnens (nom moderne) ; Rector de Brunhenx (Benefici) ; 13 fl. med. (Procurationes) ; l fi. 3 gr. et med. (Solutiones) - Higarède (nom moderne) ; Preceptor de Figuareda, 1383 : de mensa archiepiscopali Auxitana (Benefici). La grange de Higadère dépendait directement de l'Archevêché d'Auch. Une carte de 1790 signale un établissement religieux sur ce lieu-dit, entre Brugnens et St.-Léonard (cf. Deux siècles d'histoire de Lectoure, ouvrage collectif, syndicat d'initiative, 1981, p. 16), une chapelle dont le service fut autrefois assuré par le curé d'Urdens ; par contre, une carte cantonale de 1884 ne mentionne plus qu'un hameau et un important lieu-dit (Archives départementales du Gers). La grange de Higadère a aujourd'hui retrouvé une nouvelle jeunesse, puisqu'elle abrite l'un des dix principaux centres avicoles européens du figuier à l'œuf…

(3) John Coulson, dictionnaire historique des saints, traduction française de Bernard Noël, société d'édition de dictionnaires et d'encyclopédies, 1964.

(4) : Maurice Bordes, Histoire de la Gascogne des origines à nos jours, Roanne, éditions Horvath, 1977, p. 129, p. 153.

(5) : Charles Higounet, Histoire de l’Aquitaine, éditions Privat, 1971, p. 508.

(6) : J. Pandellé, L'ancien diocèse de Lectoure, p. 417.

(7) : Jean Philip de Barjeau, Le Protestantisme dans la vicomté de Fezensaguet, deuxième édition revue et corrigée, Mauvezin, les Amis de l'Archéologie et de l'Histoire, 1987, p. 15.

(8) Jean Morisse, Histoire de Montfort, Auch, imprimerie Cocharaux, 1963, pp. 68-136 (ouvrage prêté par M. Fabien Laclavère, que nous remercions). - Michèle Martinon et Éric Lagaeysse, Fleurance, bastide en Gascogne, imprimerie CTR, Lectoure, 1988, p. 10.

(9) : Georges Courtès, Histoire de la Gascogne des origines à nos jours, pp. 359-360.

(10) : Les Brugnensois avaient déjà eu recours au Conseil d'État en 1862, alors que l'Administration départementale ne voulait pas agréer la constitution d'une société pour la construction d'un établissement de bains (Mary Larrieu-Duler, Brugnens : Thermalisme et Société de Bains, p. 15).

(11) : A. Panhard, Recueil des arrêts du Conseil d'État, tome 79, 2e série, année 1909, librairie Sirey, p. 34.

L'école(*)

Lors de la période que nous étudions, et qui va de la veille de Révolution Française à nos jours, quatre projets majeurs peuvent être considérés comme des facteurs de progrès : la création d'une station thermale, qui n'a pas abouti malgré des études très poussées (1), la modernisation d'un réseau de communication - réseau routier, et surtout ligne de chemin de fer, comprenant une station à Brugnens, qui a également échoué (2) -, l'électrification de la commune, et enfin la mise en place d'un système éducatif public, laïc et obligatoire, dont la disparition, vers 1980, a révélé le déclin d'un mode de vie.

Nous commencerons par le thème de l'école, en nous intéressant successivement à la construction des bâtiments, puis à l'instituteur et à l'institutrice (nominations et revenus), pour terminer sur diverses notions qui montrent comment l'école républicaine s'est progressivement imposée comme la condition sine qua non de la modernisation des campagnes. Car il va sans dire que dans un village, qu'il soit gascon ou normand, l'école tient une place particulière : nous allons étudier en premier lieu les péripéties qui, dans la dernière moitié du XIXe siècle, accompagnèrent la construction des écoles de Brugnens. En effet, les grandes dépenses communales du siècle dernier furent tour à tour, comme dans la plupart des villages, la construction de l'église, de la Mairie et de l'École. Pour cette dernière - ou plus exactement ces dernières, école des garçons et école des filles -, les projets se réalisèrent lentement, au rythme des possibilités financières de la commune et de la progression de l'idée de l'éducation.

L'école des garçons

La lecture des archives municipales laisse en effet apparaître des réticences initiales : le 17 août 1845, le conseil municipal décida de vendre quatre hectares soixante de terrains communaux, ceux qui avoisinaient le Padoueng de Bas, de chaque côté de la route départementale allant à Mauvezin, ainsi qu'aux Garroussas et aux quartiers de la Tuilerie et de la Miquelette ; la vente de ces communaux, mesurés par le géomètre de Céran, avait pour objet la construction d'une Mairie et d'une Maison d'école. Le 15 février suivant, le Maire présenta le plan des bâtiments ainsi qu'un devis de 8 200 francs ; le conseil proposa de payer les deux tiers de cette somme par la vente de l'ancien presbytère, et pour le reste de la dépense, il fit appel à la munificence du Gouvernement.