Jeu de quilles en pays guérandais - Firmin Le Bourhis - E-Book

Jeu de quilles en pays guérandais E-Book

Firmin Le Bourhis

0,0

Beschreibung

Une noyade qui pose de nombreuses questions...

Tout commence par une noyade dans l’Odet près de Quimper, qui, à première vue, semble accidentelle.
Mais certains éléments de l’enquête de routine interpellent le capitaine Le Duigou et le lieutenant Bozzi… Leurs investigations vont les conduire à La Turballe, en Loire-Atlantique.
Alors qu’ils piétinent, un événement survenu à Piriac-sur-Mer relance l’affaire qui, d’échec en espoir, va mener nos deux policiers dans le labyrinthe d’une enquête fort complexe.

Parviendront-ils à en trouver le fil d’Ariane ? Réponse dans ce roman très bien ficelé.

EXTRAIT

Elle ne put retenir ses larmes, chercha un mouchoir qu’elle sortit de son réticule, toussota, puis tenta de se ressaisir.
Quand elle parla, d’une voix étouffée, un souffle filé avait du mal à naître dans sa gorge, presque inaudible.
Elle précisa :
— Vous l’avez sans doute appris par la presse, l’homme qui est tombé à l’eau de son embarcation, samedi soir sur l’Odet… c’était mon fils.
François se souvint aussitôt d’avoir lu cet article et d’en avoir parlé avec ses collègues quelques minutes plus tôt en prenant le café. Il approuva de la tête pour indiquer qu’il le savait effectivement. Il attendit un peu avant de lui demander si on avait retrouvé le corps, mais la femme le devança :
— Il a été retrouvé hier dans la journée. Il est… à la morgue.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Né à Kernével en 1950, Firmin Le Bourhis vit et écrit à Concarneau en Bretagne. Après une carrière de cadre supérieur de banque, ce passionné de lecture et d’écriture s’est fait connaître en 2000 par un premier ouvrage intitulé Quel jour sommes-nous ?, suivi d’un second, Rendez-vous à Pristina, publié dans le cadre d’une action humanitaire au profit des réfugiés du Kosovo.

Connu et reconnu bien au-delà des frontières bretonnes, Firmin Le Bourhis est aujourd’hui l’un des auteurs de romans policiers bretons les plus appréciés, avec vingt-huit enquêtes déjà publiées. Il est également l’auteur d’essais sur des thèmes médicaux et humanitaires. Ses ouvrages sont tous enregistrés à la bibliothèque sonore de Quimper au service des déficients.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 314

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

 

 

 

FIRMIN LE BOURHIS

 

 

 

Jeu de quillesen pays guérandais

 

éditions du Palémon

Z.I de Kernevez

11B rue Röntgen

29000 Quimper

 

DU MÊME AUTEUR

 

 

Aux éditions Chiron

 

- Quel jour sommes-nous ? La maladie d’Alzheimer jour après jour

- Rendez-vous à Pristina - récit de l’intervention humanitaire

 

Aux Éditions du Palémon

 

n° 1 - La Neige venait de l’Ouest

n° 2 - Les disparues de Quimperlé

n° 3 - La Belle Scaëroise

n° 4 - Étape à Plouay

n° 5 - Lanterne rouge à Châteauneuf-du-Faou

n° 6 - Coup de tabac à Morlaix

n° 7 - Échec et tag à Clohars-Carnoët

n° 8 - Peinture brûlante à Pontivy

n° 9 - En rade à Brest

n° 10 - Drôle de chantier à Saint-Nazaire

n° 11 - Poitiers, l’affaire du Parc

n° 12 - Embrouilles briochines

n° 13 - La demoiselle du Guilvinec

n° 14 - Jeu de quilles en pays guérandais

n° 15 - Concarneau, affaire classée

n° 16 - Faute de carre à Vannes

n° 17 - Gros gnons à Roscoff

n° 18 - Maldonne à Redon

n° 19 - Saint ou Démon à Saint-Brévin-les-Pins

n° 20 - Rennes au galop

n° 21 - Ça se Corse à Lorient

n° 22 - Hors circuit à Châteaulin

n° 23 - Sans Broderie ni Dentelle

n° 24 - Faites vos jeux

n° 25 - Enfumages

n° 26 - Corsaires de l’Est

n° 27 - Zones blanches

n° 28 - Ils sont inattaquables

n° 29 - Dernier Vol Sarlat-Dinan

n° 30 - Hangar 21

n° 31 - L'inconnue de l'archipel

n° 32 - Le retour du Chouan

n° 33 - Le gréement de Camaret

 

Menaces - Tome 1 - Attaques sur la capitale

Menaces - Tome 2 - Tel le Phénix

Menaces - Tome 3 - Pas de paradis pour les lanceurs d'alerte

 

 

 

 

Retrouvez tous les ouvrages des Éditions du Palémon sur :

 

www.palemon.fr

 

Dépôt légal 1er trimestre 2015

ISBN : 978-2-916248-93-6

 

 

NOTE DE L’AUTEUR :

L’auteur s’empare, comme habituellement, d’une véritable affaire criminelle et, au terme d’une étude approfondie des faits et avec l’aide d’officiers de police judiciaire, en donne une version romancée aussi proche que possible de la réalité…

Un fait réel qu’il transpose dans d’autres lieux pour y bâtir une enquête qu’il livre à votre perspicace lecture…

 

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existantou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

 

Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie doit être obtenue auprès du Centre Français d’Exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands Augustins - 75 006 PARIS - Tél. 01 44 07 47 70 - Fax : 01 46 34 67 19 - © 2015 - Éditions du Palémon.

 

 

 

 

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

 

 

 

- À mon ami Pascal Vacher, Officier de Police Judiciaire.

 

- À l’Office de Tourisme de La Turballe et à celui de Piriac-sur-Mer pour leur accueil et leur documentation.

 

- À Marie, du Musée de la Maison de la Pêche, pour sa gentillesse et toutes ses informations.

 

- À Emmanuel Louis, Major, commandant la brigade de Gendarmerie de Guérande pour ses conseils avisés.

 

- À Brigitte et Gérard de l’hôtelLes chants d’Ailes, 11, boulevard Bellanger à La Turballe.

 

- Aux Affaires maritimes, à Nicolas des Douanes de Lorient et à tous les autres services qui m’ont si bien renseigné ainsi que tous ceux que j’ai croisés et interrogés à La Turballe et à Piriac-sur-Mer…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À mon épouse pour son aide précieuse,

mes deux filles, Nathalie et Gwen,

sans oublier ma petite-fille, Clémence…

 

 

 

Chapitre 1

Lundi 3 mars 2008, Commissariat de Quimper.

Depuis la fin de l’année 2007, le capitaine François Le Duigou et le lieutenant Phil Bozzi n’avaient guère pu relâcher la pression. L’hiver clément et ensoleillé avait occulté le temps qui passait et ils se sentaient fatigués. Fort heureusement, la petite de Phil1, à près de quatre mois, avait rapidement trouvé son rythme de vie et cela permettait désormais à ce dernier de profiter de toutes ses nuits. L’affaire du Guilvinec2 les avait sérieusement bousculés car diverses petites enquêtes s’étaient accumulées. Joël Le Traon3 travaillait désormais en binôme avec un autre officier de police judiciaire et ne croisait ses collègues que de temps en temps.

Aussi, pour échanger, s’efforçaient-ils de se fixer un rendez-vous chaque lundi matin avant la reprise du service autour d’un café. Ce moment privilégié leur permettait, outre la revue de presse habituelle, de prendre des nouvelles des uns et des autres.

Ce lundi matin, c’était aussi la rentrée scolaire après les vacances de cette zone, pas un OPJ ne manquait et les blagues et commentaires de toutes sortes allaient bon train. Ils parlaient pêche et plaisance et, une fois de plus, la presse relatait la disparition d’un homme, tombé à l’eau de son annexe en voulant rejoindre son bateau, ce qui valut ces propos de François :

— C’est tout de même incroyable le nombre de plaisanciers et pêcheurs amateurs qui disparaissent de cette manière ! Ils font tous très attention à respecter toutes les normes de sécurité sur leur bateau quand ils sont en mer et négligent totalement toutes les règles élémentaires sur leur coque de noix pour aller du rivage à leur bateau. Il y a plus de disparitions chez les marins « du dimanche » que chez les professionnels de la mer !

— Oui, j’ai lu cette information dans le journal ce matin, poursuivit Phil. L’accident se serait produit samedi soir et l’article ne précise pas si le corps a été retrouvé. Comme c’est arrivé entre Le Corniguel et la baie de Kérogan, avec le courant et la marée, il peut aller loin avant qu’on le récupère…

Après ce fait divers, chacun évoqua son week-end, apportant sa petite anecdote, parfois colorée ; les éclats de rire fusaient… Puis chacun se dirigea vers son bureau pour reprendre le collier.

François et Phil terminaient de boucler une petite enquête aussi banale que sordide quand le patron se présenta à l’embrasure de la porte et les salua.

Rompant avec les habitudes, il demanda brutalement :

— Une dame âgée vient de se présenter à l’accueil, elle voudrait faire une déposition, vos collègues sont occupés, pouvez-vous la recevoir ?

— Pas de problème, répondit François, de quoi s’agit-il ?

— Aucune idée ! Je n’ai rien demandé, je me trouvais par hasard près de l’accueil pour saluer les équipes. Je vous l’envoie… répondit-il d’une voix faussement détachée et, sans attendre la moindre réponse, il disparut.

Une femme aux cheveux blancs, permanentés, d’un âge respectable, sans doute plus près de quatre-vingts ans que de soixante-dix, malgré son regard encore vif, se présenta quelques minutes plus tard. Émaciée, avec des petits yeux enfoncés dans leurs orbites, ses lèvres et son nez étaient minces à l’image de toute sa personne. Un tailleur gris uni, bien coupé, dissimulait mal sa maigreur. Comme un bréviaire, elle tenait son sac en cuir serré contre elle, très élégamment. Une belle et imposante broche fermait le col de son chemisier blanc sur un cou fripé, surmonté d’un visage aux rides prononcées. Un foulard en soie coloré s’étalait sur ses épaules. Ses yeux clairs, d’un bleu gris insaisissable, regardaient les OPJ. Elle semblait très préoccupée et inspirait véritablement le respect.

Anxieuse. Angoissée peut-être même. Elle soupira en s’asseyant sur la chaise qui faisait face au bureau de François, tandis que Phil ouvrait son ordinateur. Elle leva vers lui un regard d’une intensité brûlante comme si elle redoutait cette entrevue qu’elle avait pourtant sollicitée. François lui sourit, tentant de la rassurer.

— Je suis à vous, énonça-t-il avec un entrain factice. Que pouvons-nous faire pour vous, Madame ?

— Voilà… Je viens vous voir… Elle le toisa avant de poursuivre : c’est pour mon fils…

Elle se montrait hésitante, ne sachant sans doute pas trop par quoi commencer.

François lut dans ses yeux une expression d’effroi et décela sur ses traits une authentique souffrance. Elle avait l’air d’une femme confrontée à une situation inextricable et il comprit qu’elle redoutait cette discussion. Il la regarda droit dans les yeux, désarmé par le trouble qu’il percevait dans sa voix. Il se posait déjà des tas de questions ; allait-elle lui apprendre qu’il avait fait des bêtises ? Il se ravisa, au vu de l’âge de cette femme, le fils pouvait être quinquagénaire, voire sexagénaire…

— Que lui est-il arrivé, Madame ? demanda François.

Elle ne put retenir ses larmes, chercha un mouchoir qu’elle sortit de son réticule, toussota, puis tenta de se ressaisir.

Quand elle parla, d’une voix étouffée, un souffle filé avait du mal à naître dans sa gorge, presque inaudible.

Elle précisa :

— Vous l’avez sans doute appris par la presse, l’homme qui est tombé à l’eau de son embarcation, samedi soir sur l’Odet… c’était mon fils.

François se souvint aussitôt d’avoir lu cet article et d’en avoir parlé avec ses collègues quelques minutes plus tôt en prenant le café. Il approuva de la tête pour indiquer qu’il le savait effectivement. Il attendit un peu avant de lui demander si on avait retrouvé le corps, mais la femme le devança :

— Il a été retrouvé hier dans la journée. Il est… à la morgue.

Sa voix s’était brisée. Elle respira profondément, tentant de reprendre son souffle. Les deux OPJ, consternés, ne pouvaient que constater son émotion. Rien n’est plus lourd qu’une telle peine. Elle est comme la fosse la plus profonde du plus noir océan, un puits sans fond qui avale, étouffe, broie… Ils auraient voulu l’aider mais ne le pouvaient pas. Pour lui permettre de se rétablir et reprendre son contrôle, ils lui proposèrent un verre d’eau ou un café. Elle refusa en secouant négativement la tête.

Pâle, le visage de la femme restait incliné, comme celui d’un boxeur un peu sonné, même s’il s’en dégageait, malgré tout, une impression de solidité. Ils devinaient qu’elle devait mobiliser toute son énergie pour atténuer autant que possible son chagrin.

— Alors, je viens vous voir… car mon fils n’est certainement pas tombé tout seul à l’eau… sans raison. Je le connais trop bien, il est très prudent et précautionneux. Quelqu’un l’a poussé…

Les mots venaient d’être lâchés comme une délivrance. François et Phil se regardèrent. Il fallait des motivations réellement sérieuses et justifiées pour que la police acceptât de prendre en compte cette déclaration.

— Sur quels éléments pouvez-vous avancer une telle hypothèse ?

— Je suis sa mère. Je le sais, c’est tout, affirma-t-elle cette fois avec calme et détermination.

L’air désabusé, un peu triste aussi, maniant la litote à merveille, François entama le processus des questions pour en savoir un peu plus de cette femme.

— Admettons que vous soyez intuitive. Mais vous savez, Madame, nous ne pouvons pas nous appuyer là-dessus. Nous avons besoin de comprendre. Alors, nous vous proposons de nous parler de vous, de votre fils et de tout ce qui vous concerne et, ensuite, nous aviserons ensemble de ce qu’il y aura lieu de faire, vous voulez bien ?

Elle approuva de la tête, sans répondre. Mais son visage venait de se détendre un peu et elle semblait prête à s’expliquer :

— Je vais avoir quatre-vingts ans, Monsieur, à la fin de cette année. Avec mon mari, disparu hélas depuis de nombreuses années, nous avons travaillé dur. Nous dirigions une conserverie à La Turballe, créée par nos parents, et nous avons accumulé un énorme patrimoine, là-bas. Mais vous savez ce qu’il est advenu des conserveries… Heureusement, nous avions vendu au bon moment et mon fils n’a eu qu’à gérer nos avoirs constitués de capitaux, d’immobilier, de terres, de salines… ce qu’il a très bien su faire d’ailleurs. Mais voilà, il s’est marié… sur le tard, avec un panier percé qui n’a qu’une idée, lui manger tout ce qu’il possède !

— Que fait votre belle-fille, Madame ?

— Elle dirige trois petits salons de coiffure mixte, un à La Turballe, l’autre à Guérande et enfin un autre au Croisic. Elle est censée s’occuper de tout, mais elle est toujours en train de courir avec sa belle voiture et d’aguicher les hommes avec ses tenues toutes plus sexy les unes que les autres, si vous voyez ce que je veux dire…

François ne répondit pas, se contentant d’opiner de la tête.

— Ses affaires sont rentables ?

— Ça ? Il faut savoir qu’avant de se marier et cela fait maintenant… dix ans, elle ne possédait pas un sou. Elle était simple coiffeuse dans un salon et elle a réussi à prendre mon fils dans ses filets et, à partir de là, elle a obtenu tout ce qu’elle voulait : les salons, la voiture, la maison… tout quoi !

— Pour en revenir à votre fils, qu’est-ce qui vous fait dire que quelqu’un l’aurait poussé à l’eau ?

— Parce que, depuis plus de deux ans, ça ne collait plus très bien entre mon fils et cette… traînée qui ne pense qu’à montrer ses cuisses à l’air dans la voiture neuve que mon fils lui a payée et je la crois prête à tout pour faire main basse sur tout afin d’avoir de l’argent pour rouler carrosse !

Sa colère n’était pas feinte et semblait se cacher un fort sentiment de révolte derrière ses propos. À cet instant, sa voix avait l’assurance des gens qui savent ce qu’ils veulent dans la vie. Son visage avait encore perdu de la couleur, elle se mit à tripoter son mouchoir entre ses mains et poursuivit :

— Bref, ils ne sortaient plus très souvent ensemble et voilà que, tout d’un coup, elle, qui prétendait détester le bateau, part avec lui deux week-ends de suite. Premier week-end à Quiberon et deuxième à Quimper.

— Ils s’étaient peut-être rabibochés…

— Vous ne me ferez pas croire ça… Toujours est-il qu’ils se sont rendus samedi à Quimper pour rendre visite aux enfants des amis de notre famille qui ont aussi eu une conserverie dans le temps à Douarnenez, avant de se retirer à Quimper définitivement.

— Nous ne comprenons pas, votre belle-fille restait toute la semaine avec son époux ?

— Non, non. Durant la semaine, mon fils faisait la côte et se rendait sur les îles les plus proches, seul ou avec un ami, et elle le rejoignait en voiture le samedi matin à un endroit convenu entre eux pour rentrer le dimanche soir, toujours en voiture et seule.

Son ton était plus ferme à présent.

Elle retrouvait son timbre :

— Je vous disais donc qu’ils devaient passer la soirée chez nos amis, y dormir puis faire la descente et la remontée de l’Odet le dimanche avec eux. Mais voilà que ma belle-fille s’est trompée de sac pour la soirée. Ayant deux sacs de voyage semblables, elle a pris le mauvais et laissé le bon sur le bateau. Arrivés au domicile des amis, dont l’un d’entre eux était venu les chercher non loin du port du Corniguel, ma belle-fille aurait fait un caprice afin de retourner à tout prix au bateau rechercher le bon sac et a insisté pour y aller seule avec son mari en empruntant la voiture des amis. Plus d’une heure après, elle serait revenue en pleurs et paniquée chez ceux-ci en disant qu’elle ne comprenait pas que son mari n’ait pas rejoint le rivage et qu’il fallait donner l’alerte car cette situation n’était pas normale.

— Aussi tragique que soit votre situation, pourquoi pensez-vous qu’on ait pu précipiter votre fils à l’eau ?

— Pour moi, ce n’est pas un accident, c’est un coup monté par cette bonne à rien cupide… J’vous le dis et je veux qu’on fasse des recherches pour déterminer ce qui s’est réellement produit, examiner les causes, les raisons, enfin tout… C’est pour ça que je voulais vous voir.

— Oui, nous vous comprenons, Madame. Mais, vous imaginez bien que vous ne pouvez pas accuser sans preuve…

— Je n’accuse personne pour l’instant, je veux qu’une enquête approfondie soit effectuée et, tant que ce ne sera pas fait, je ne pourrai pas faire mon deuil de cette affaire. Je suis bien d’accord sur le fait que ça ne va pas faire revenir mon fils, mais je veux savoir…

François se tourna vers Phil. Ils se consultèrent du regard. François précisa alors à la femme :

— Bien, nous allons prendre en compte votre demande et procéder à une ouverture d’information. Pour cela, nous avons besoin de l’identité des différentes personnes concernées par l’affaire et d’un certain nombre de renseignements…

La femme parut soulagée et sembla trouver un peu de réconfort dans les propos et l’attitude de François. Ainsi les OPJ apprirent que la belle-fille, âgée de quarante ans, s’appelait Delphine Burbant née Sanchez-Gomez en France mais de parents espagnols. Elle avait vingt-cinq ans de moins que son époux, Marcel. Aucun enfant du mariage, mais elle en avait eu deux précédemment hors mariage. Ils récupérèrent ses coordonnées pour la contacter : téléphone portable et fixe. Le procès-verbal entièrement rédigé et relu, madame Burbant mère le signa. François, hésitant, lui posa une dernière question :

— Vous croyez vraiment que votre belle-fille ait pu vouloir faire disparaître son propre époux ?

— Non. Je dis seulement qu’il y a peut-être un rapport…

Elle laissa errer son regard autour d’elle comme pour chercher de l’inspiration, secoua la tête, mais les mots justes ne lui parvenaient pas. Puis elle regarda longuement François, semblant à peine le voir. Elle luttait pour refouler ses émotions et cette lutte commençait à l’épuiser, elle s’enfermait dans un malheur qu’elle croyait unique et indicible. Il la rassura :

— Je vous promets que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour tirer cette tragédie au clair. Si nous découvrons le moindre détail pouvant mettre en doute la thèse de l’accident, nous irons jusqu’au bout de nos possibilités et vous tiendrons au courant…

— Je vous remercie et vous demande de ne rien négliger. Sa voix était presque une supplique et elle eut un geste las. Visiblement, elle aurait aimé pouvoir leur dire tout ce qu’elle éprouvait mais y renonça car cela lui paraissait illusoire.

Elle se leva doucement de sa chaise et s’en alla à petits pas, aussi discrètement qu’elle était venue… Cette femme au visage fin était-elle de taille à supporter une telle tragédie ? se demandèrent-ils. En voyant les traits de son visage se détendre à la fin de l’entretien, ils s’étaient sentis investis d’une mission qui dépassait le cadre de leurs habituelles enquêtes.

Ils avaient le sentiment d’avoir le destin de cette petite femme âgée sur les épaules. Il y avait chez elle, dans cette douleur profonde qui la terrassait, comme une épreuve qui noircirait à tout jamais sa vision de l’existence.

François et Phil restèrent quelques instants perplexes devant cette situation. Les craintes de la mère étaient-elles fondées ? Ou son comportement était-il uniquement induit par le chagrin et, sans doute aussi, par sa haine envers sa belle-fille ? Ils décidèrent de voir le patron, Yann Le Godarec, pour lui soumettre le cas.

Celui-ci écouta attentivement François et prit connaissance du rapport établi.

— Pourquoi l’aurait-on tué ?

— La mère sous-entend une histoire d’argent et d’héritage…

— Bon, quoi qu’il en soit, il faut voir… J’appelle le procureur pour la commission rogatoire et vous faites le tour de la question : autopsie du corps, examen de l’annexe, scellés sur le bateau, interrogation des téléphones, des comptes bancaires, appel à témoin, puis vous vous rendez à La Turballe… bref tout ce que vous savez faire et vous me tenez au courant.

Ils appelèrent d’abord le médecin légiste pour l’informer d’une ouverture d’informations concernant monsieur Marcel Burbant et donc que, outre l’autopsie classique, il y avait lieu de procéder à tous les examens afin de ne rien négliger. Ce dernier s’était contenté de préciser :

— Le premier examen ne révèle aucune trace de coup ni aucune blessure. Pour moi, la thèse d’une mort accidentelle est à privilégier…

Puis ils contactèrent Ouest France et Le Télégramme ainsi que France Bleu Breizh Izel afin de lancer un appel à témoin. Ils firent une réquisition concernant les appels téléphoniques entrants et sortants de toutes les personnes concernées par l’affaire, y compris la mère… L’annexe avait été récupérée, ils demandèrent aux spécialistes de la mettre sous scellés et de l’examiner méticuleusement.

Ils appelèrent l’épouse de la victime, Delphine Burbant, sur son téléphone portable. Les présentations effectuées, François l’aborda directement :

— Nous savons parfaitement que ce moment est particulièrement éprouvant pour vous, mais nous aurions besoin de vous rencontrer.

— C’est que je viens juste de rentrer à La Turballe car, à Quimper, on m’a dit que je ne pourrais pas récupérer le corps tout de suite et j’ai aussi des affaires à faire tourner…

— Oui, bien sûr, nous comprenons. Pouvons-nous aller vous voir vers dix-sept heures, dans ce cas ?

— Oui… bien sûr… mais pourquoi ? Elle venait de se montrer hésitante et sur la défensive, François le ressentit parfaitement à sa voix.

— Enquête de routine comme dans tous les accidents…

— Bon, d’accord, à la maison alors, cela me donne juste le temps de voir mes trois salons et de donner mes directives. Voici mon adresse, j’habite dans une impasse que vous prenez à partir du boulevard Bellanger. Notre résidence donne sur la plage des Bretons…

— Très bien, nous trouverons, notre GPS nous y conduira.

François raccrocha, songeur. Phil l’interrogea :

— Comment l’as-tu sentie ?

— Difficile à dire… mais plutôt sur la défensive qu’écrasée par le chagrin. Comme nous allons la rencontrer dans la soirée, cela nous donnera le temps de voir nos collègues de la gendarmerie…

— Justement, le coupa Phil, je viens d’obtenir le renseignement à l’instant, il n’y a pas de gendarmerie à La Turballe, juste un bureau durant le mois de juillet et d’août et donc nous devrons nous rendre à Guérande.

Le patron se présenta au même moment :

— Bon, je viens d’avoir le procureur, vous y allez, j’ai la commission rogatoire. Il a appelé à Douarnenez pour se renseigner sur le milieu et il semblerait que ce soit une grande famille dans le monde de la conserverie sur La Turballe. Fut un temps, ils étaient tous très liés, à la grande époque de la sardine et de l’anchois…

— Bien, nous verrons tout cela dans l’après-midi. Il faut deux heures environ pour nous rendre à Guérande, nous partirons tout de suite après le déjeuner.

 

*

 

15 heures 45, Gendarmerie de Guérande.

Ils garèrent leur voiture devant la gendarmerie, bâtiment austère en pierres apparentes, en rappel sans doute des pierres de la ville fortifiée toute proche. La caserne des sapeurs-pompiers constituait le premier voisin en mitoyenneté avec le parking tandis que, de l’autre côté de la rue, siégeaient les pompes funèbres. Ces trois établissements représentaient toute l’activité du quartier… Rien de très réjouissant ! pensèrent-ils.

Ils furent accueillis par le très sympathique major commandant la brigade de Guérande. Ce dernier étant occupé par une affaire importante et délicate qui venait de se produire, il les dirigea aussitôt vers sa subalterne qui jouait le rôle d’adjoint, l’OPJ Nathalie Le Bourgeois qui connaissait parfaitement la région et notamment La Turballe et Piriac-sur-Mer.

Ils s’installèrent dans son bureau. La jeune femme, la trentaine, des cheveux mi-longs, châtains, éclairés de mèches blondes, l’allure sportive, affichait un visage franc et jovial.

— Alors, qu’est-ce qui vous amène ? demanda-t-elle.

François lui raconta dans le détail l’affaire dont ils venaient d’hériter le matin même. Le compte rendu terminé, Nathalie Le Bourgeois resta soucieuse et soupira :

— Ça va faire un choc sur la ville. Il est très connu ! C’était une grande famille de conserveurs à l’origine mais quand le vent a tourné, le fils s’est chargé de vendre les affaires et de se consacrer à la gestion de son patrimoine. C’était un homme actif, très engagé dans le monde associatif et dans celui de la pêche. Il doit d’ailleurs être conseiller municipal sans étiquette, je crois, et titulaire de nombreux mandats dans des chambres consulaires, banque mutualiste et compagnie d’assurances, il me semble.

— Physiquement, comment était-il ?

— Vif, alerte, bien conservé, un type bien sous tous rapports.

— Et sa femme ?

— Comment dire… plutôt spontanée, voire provocante et un peu olé, olé ! Extravagante parfois dans ses tenues ou sa coiffure, c’est peut-être aussi son métier qui veut ça, mais je n’ai jamais rien entendu de défavorable à son égard…

— Le couple s’entendait bien ?

— Ça avait l’air d’aller en tous les cas, même si on ne les voyait pas souvent ensemble.

— Les relations avec la mère de monsieur Burbant ?

— C’est-à-dire que cette dernière est une maîtresse femme. Elle a toujours tout dirigé depuis la mort de son époux et n’a pas vu son fils grandir et je pense qu’elle avait tendance à le considérer toujours comme son gamin. C’est sans doute une des raisons qui a fait qu’il s’est marié très tard… Mais, peu importe avec qui il se serait marié, ça ne pouvait pas convenir à la mère sauf si la belle-fille acceptait de la vénérer tous les matins et de lui manger dans la main…

— Ouais, je vois le genre. Comment va le port de La Turballe en ce moment ?

— Il a connu son âge d’or avec l’anchois notamment, c’était le quatorzième port de pêche français. Mais, depuis 2005, la fermeture de la pêche à l’anchois et les petits quotas délivrés au compte-gouttes font que l’activité baisse sérieusement. C’est bien dommage ! Il n’existe plus aucune conserverie. C’est tout de même un port en eau profonde depuis 1989, mais c’est surtout la plaisance qui se développe… La subdivision des Affaires Maritimes dépend de Saint-­Nazaire, vous verrez donc que les bateaux sont immatriculés en « SN ». Mais, pour en revenir à monsieur Marcel Burbant, vous pensez que ce ne serait pas un accident ?

— Nous n’en savons rien pour l’instant et, même si ce n’était pas un accident, le fait de tomber à l’eau d’une annexe en se rendant à son bateau ne laisse généralement pas beaucoup de traces à exploiter et c’est malgré tout assez courant…

— Malheureusement, ce genre d’accident est plus fréquent que les disparitions en mer, chez les plaisanciers j’entends ou les petits pêcheurs amateurs. Eh bien, bon courage ! Si j’ai quoi que ce soit, je vous appelle… Comme je vais assez souvent de ce côté-là, je me renseignerai discrètement et je tendrai l’oreille !

Ils échangèrent leurs cartes. François et Phil empruntèrent aussitôt la D99 pour rejoindre La Turballe, ville située à sept ou huit kilomètres de là. Si François connaissait le port pour y être venu à plusieurs reprises avec son ami pêcheur concarnois, pour Phil ce fut une découverte. Ils commencèrent par s’arrêter place du Général de Gaulle, devant l’Office de Tourisme, pour se procurer une carte et quelques renseignements car, s’ils devaient y revenir souvent, il valait mieux qu’ils disposent de tous les renseignements nécessaires. Pendant que François se documentait, Phil resta au volant et découvrit devant lui l’embarcadère, le centre marée et, à l’étage, remarqua le panneau indiquant le musée de la Maison de la pêche. Plus à gauche, de nombreux petits bateaux de pêche étaient amarrés aux pontons tandis que, plus loin, les bateaux de plaisance prenaient le relais…

Derrière lui, bars, restaurants et commerces alignaient leurs façades colorées et lumineuses, face à toutes les installations portuaires. Il s’amusa à lire quelques enseignes aux noms évocateurs. Le temps était gris, mais une certaine clarté nimbait le port. François revint les mains chargées de documents.

— En sortant du rond-point, nous sommes sur le boulevard qui nous conduit à notre destination, suivons le rivage, se contenta-t-il de dire.

Ils longèrent le quai Saint-Jacques, dépassant le port de plaisance pour découvrir la plage qui s’étirait loin devant eux. Après un grand sens giratoire, ils se trouvèrent déjà dans le boulevard Bellanger et n’eurent aucune difficulté à découvrir l’impasse et, tout au bout, la superbe maison.

Fraîchement ravalée en jaune clair, celle-ci se situait en première ligne de front de mer, offrant une vue imprenable sur la rade du Croisic. À leurs pieds s’étirait une immense plage de sable fin d’une dizaine de kilomètres avec, tout au bout, le centre héliomarin de Pen-Bron. Cette extraordinaire construction, bâtie au XVIIIe siècle, est devenue aujourd’hui un établissement appartenant au service public hospitalier spécialisé en rééducation et réadaptation fonctionnelle. Par un effet d’optique, comme en prolongement, ils apercevaient Le Croisic et Port aux Rocs…

Après ce bref moment de contemplation, ils sonnèrent au portillon d’accès au jardin. L’architecture de la maison était moderne tout en étant sobre et cossue, avec de grandes baies vitrées. Une femme, vêtue de noir, le visage pâle et marqué par la fatigue et la tristesse, vint leur ouvrir et s’inclina avec componction. Elle les précéda et les conduisit vers l’entrée de la maison. Malgré un temps plutôt gris, ils eurent une impression d’immense clarté en s’installant dans le grand et somptueux salon dont la vue donnait sur la plage.

La pièce respirait d’emblée le confort avec ses imposants fauteuils en cuir. L’ameublement était soigneusement choisi et adapté aux dimensions de la pièce. On devinait de par cet espace une aisance matérielle, sinon une fortune certaine, mais sans ostentation. Le parquet de chêne clair était généreusement couvert de tapis modernes et de bon goût. Un grand chien était affalé sur l’un d’eux près d’une grande baie vitrée coulissante. Il commença à se lever, changea d’avis et laissa retomber sa tête sur ses pattes en levant vers eux des yeux sinistres.

Madame Burbant paraissait à la fois grave et inquiète et, à peine installée, ne put s’empêcher de les interpeller avec un regard méfiant :

— Je ne comprends pas pourquoi la police s’intéresse à cette affaire…

— Rassurez-vous, Madame, il ne s’agit que d’une simple formalité, mais obligatoire, comme dans tout accident ayant entraîné la mort d’une personne.

— Je comprends… se contenta-t-elle de répondre en baissant la tête.

— Nous sommes désolés de venir vous déranger dans un moment pareil. Pouvons-nous vous poser quelques questions afin de déterminer les circonstances de cet accident ?

— Je vous en prie…

— Vers quelle heure avez-vous amarré votre bateau au moment de votre arrivée ?

— Il devait être dix-huit heures trente environ. J’avais téléphoné de mon portable, quelques minutes plus tôt, à nos amis pour les prévenir que nous arrivions et qu’ils pouvaient venir nous chercher à la cale… Oui, il faut que je vous signale : nos amis, la famille Kerlaz, disposent d’une possibilité d’amarrage dans une petite anse juste avant le port du Corniguel…

— Sont-ils les seuls à utiliser cet endroit ?

— Non. Je crois qu’il y avait un ou deux autres bateaux également dans la même zone, je ne suis pas très précise car je n’y ai pas fait très attention… Cet amarrage est pratique car, selon les marées, il ne reste ensuite que quelques dizaines de mètres à franchir en annexe pour accéder à une petite cale. Mon époux m’a aidée à descendre du bateau dans l’annexe et, avant qu’il me rejoigne, je lui ai demandé de prendre le sac dans lequel nous avions nos affaires pour la nuit et le lendemain. Nous devions, en effet, rester dormir chez nos amis.

— C’est donc lui qui a pris le sac et a quitté le bateau en dernier ? demanda François, se souvenant que cette histoire de sac avait été évoquée par madame Burbant mère.

— Oui, tout à fait, répondit-elle, semblant s’interroger.

— Pouvez-vous nous décrire en quelques mots ce que contenait chaque sac ?

— Oui, dans celui que nous avions pris, il n’y avait que des vêtements déjà portés et, dans l’autre, resté à bord, nos affaires de toilette, notre linge de nuit, nos vêtements pour le lendemain matin et diverses bricoles dont un cadeau pour nos amis… et mon téléphone portable.

— Très bien. Vous pouvez continuer…

— Un de nos amis, Jacques Kerlaz, nous attendait. Mon mari a tiré l’annexe et là, j’y repense, pour répondre aussi à votre question précédente, il me semble qu’il y avait deux ou trois annexes au moins, retournées et hissées assez haut le long de la berge. Puis, notre ami, Jacques, nous a conduits jusqu’à son véhicule, un 4x4, garé plus haut, invisible de la rive à cause de la végétation… Quand nous sommes arrivés chez nos amis, je me suis aperçue que mon époux s’était trompé de sac. Je ne disposais donc pas de mes affaires de toilette, de mes vêtements de nuit et de rechange, de mon portable, etc. J’ai donc suggéré qu’on retourne aussitôt au bateau et, pour ne pas déranger une nouvelle fois notre ami, lui ai proposé de conduire mon mari avec sa voiture…

— Pourquoi ?

— Jacques Kerlaz sait que j’adore les voitures neuves et les 4x4 en particulier. Il a même plaisanté en disant qu’il me confiait les clefs et qu’il savait qu’il allait me faire plaisir. Arrivée au bout de l’impasse, j’ai fait demi-tour et suis restée dans la voiture pendant que mon époux descendait à l’annexe pour rejoindre le bateau…

— Y avait-il d’autres véhicules garés à cet endroit ou à proximité ?

— Jeee… Je ne sais pas, je n’ai rien remarqué… Je n’en ai pas le souvenir. Pas au bout de l’impasse en tous les cas, car j’ai fait demi-tour sans être gênée.

— Quelle heure était-il ?

— Plus de dix-neuf heures, il ne faisait plus très clair, c’était entre chien et loup. J’en ai profité pour mettre de la musique et examiner rapidement tous les gadgets dont le véhicule était équipé. Je pensais qu’il fallait dix à quinze minutes pour se rendre au bateau, remettre l’annexe à l’eau et la remettre au sec. Je me suis donc confortablement installée et je dois même vous dire que je me suis à moitié assoupie à un moment en écoutant de la musique, fatiguée par cette journée passée en mer. Soudain, tandis que je somnolais encore, j’ai regardé l’heure et je me suis aperçue que plus d’une demi-heure s’était écoulée. Il n’était toujours pas de retour.

— Quelle heure était-il ?

— Je pense qu’il devait être vers dix-neuf heures quarante-cinq…

— Vous n’en êtes pas certaine ?

— Non. Il faisait quasiment nuit. Je suis descendue en courant vers la cale. J’ai essayé de percer la nuit, je distinguais notre bateau mais pas d’annexe… J’ai pris peur, je suis revenue à toute vitesse chez nos amis pour donner l’alerte. J’ai pensé qu’il avait peut-être perdu sa rame malencontreusement et qu’il dérivait, porté par le courant de l’Odet, car je ne l’apercevais pas…

— Vous ne pouviez pas téléphoner ?

— Non, justement. Comme je viens de vous le dire, mon appareil se trouvait dans le sac que mon mari devait me ramener, j’avais tout mis dedans au dernier moment…

— Mais de la cale, vous ne l’avez pas appelé ?

— Heu… si… je crois… sans réponse et, comme je ne voyais rien, j’ai surtout pensé à donner l’alerte. Vous savez, dans ces moments-là, on panique ; j’étais terrorisée, vous comprenez ?

— Oui, bien sûr… répondit François, pour ne pas la contrarier, en acquiesçant du menton.

— Nos amis ont téléphoné pour demander les secours et voilà…

Des larmes jaillirent de ses yeux et elle garda le silence quelques instants. François reprit le compte rendu pour préciser certains points :

— Afin d’être clair et de bien préciser les choses, je considère que vous êtes arrivés tous les deux à dix-huit heures trente, donc un quart d’heure après, vous débarquiez sur la rive… Combien de temps avez-vous mis pour vous rendre chez vos amis et revenir au bateau ?

— Nous avons fait vite car la nuit arrivait. Tout juste un quart d’heure.

— Donc, disons dix-neuf heures.

— Plus quelques minutes sans doute…

— Disons entre dix-neuf heures et dix-neuf heures quinze, à cela nous ajoutons une demi-heure… de somnolence. Vous vous rendez compte au plus tard à dix-neuf heures quarante-cinq de l’absence de votre mari et vous avez donné l’alerte, selon mon rapport des pompiers, à vingt heures zéro six, c’est donc cohérent…

Cette femme ne leur apparaissait pas du tout telle qu’elle leur avait été décrite, que ce soit par la mère ou la gendarme, Nathalie Le Bourgeois. Femme élancée, brune et mince, la quarantaine épanouie, elle portait un pantalon noir moulant et un gilet noir également, sur un chemisier blanc, sa tenue était stricte, très classique, sa coiffure sans fantaisie et son maquillage discret, voire inexistant. Elle semblait affectée par ce drame qui la frappait. Cependant son visage restait parfait et d’une beauté sereine avec de beaux yeux de velours sombre. Elle offrait l’image d’une beauté blême, tragique, pleine de ressentiment et de douleur. Ils remarquèrent qu’outre une alliance, elle portait plusieurs bagues de valeur dont un grenat entouré de petits diamants sur une monture ancienne.

C’était non seulement une fort jolie femme mais, en plus, elle paraissait plus jeune que son âge malgré les circonstances pénibles qui la touchaient.

— Pouvez-vous nous parler de la mère de votre époux ?

— Qu’entendez-vous par parler ?

— Quels étaient ses rapports avec son fils d’abord, par exemple…

— Elle se montrait particulièrement attentionnée avec lui, à la fois affectueuse avec l’éternelle volonté de toujours vouloir régenter sa vie. C’était son fils unique. Elle ne s’était jamais remise du décès de son époux et elle avait tout reporté sur lui, je pense… Ce n’était pas le manque d’argent qui avait fait de sa vie un enfer, non c’était autre chose, de plus complexe, plus difficile à appréhender, moins palpable. Lors qu’elle était jeune et que la conserverie marchait à plein à La Turballe, c’était une femme importante sur la place. Elle aurait tant voulu que cela continue ! À mon sens, elle doit être obsédée par ce qui n’est plus et vouloir s’accrocher au passé, et elle s’épuise dans cette quête nostalgique, car, hélas, surtout dans son domaine d’activité, la vie économique a bien changé en quelques années…

— Cela la marque à ce point ?

— Oui. Mais on ne peut exorciser le passé ni en y retournant ni en le fuyant. Il est impossible de le chasser de l’esprit et de la mémoire… parce qu’il en fait partie. Difficile aussi de le rejeter car il a fait de vous ce que vous êtes. J’ai beaucoup vécu cette situation auprès de mes parents qui avaient fui le franquisme et étaient restés marqués par leur passé. Elle… c’est un peu pareil. Entre ce qu’elle aime à croire et la réalité, il y a un certain décalage. Au fond, je la comprends et je m’arrange pour ne pas me mettre en conflit avec elle. Je la respecte…

— Quels sont justement vos rapports avec elle ?