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Ce recueil de nouvelles est composé de dix-neuf histoires courtes traitant de différentes sortes de ruptures. À travers ces histoires, parfois allégoriques, l'objectif est d'évoquer les difficultés à créer un lien et à trouver sa place.
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Seitenzahl: 174
Veröffentlichungsjahr: 2023
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RUPTURE
NATURE
VACANCES
CÉLINE
ECTOPLASME
PANNE
DÉONTOLOGIE
IDÉAL
PASSION
PAROLE
EXIL
PAPILLONS
SOLITUDE
LISE
ESPOIR
REGARDS
ALICE
COMPASSION
ÉCART
BIBLIOGRAPHIE
Elle avait les yeux bistrés ; des cernes qui débordaient de la monture chamarrée de ses lunettes. On eût dit un zombie ou encore une convalescente à peine remise d'une grave maladie, tant ses traits étaient tirés et crayeux.
Elle se traînait.
Visiblement, elle était épuisée.
La télé caquetait en bruit de fond, laissant défiler des images informes et saoulantes. C'est à peine si son regard les effleurait, elle ne savait même pas ce qui était diffusé, s'en fichait.
La nuit venait de tomber. La pendule marquait vingtdeux heures. Le ciel avait une teinte printanière : un bleu profond moucheté d'étoiles. Le crépuscule, comme souvent en cette saison, s'était installé au milieu d'une apothéose flamboyante, rosissant des nuages filandreux. Dans une sorte d'extase céleste.
Elle se traînait torse nu, une compresse imbibée d'élixir du Suédois posée sur son sein gauche.
Le salon était un jeu d'ombres.
Elle avait remarqué une surface un peu spongieuse à la palpation et avait décidé de la soigner avec des remèdes de grand-mère.
Sous la lumière crue d'une lampe halogène, la nacre de son sein droit blafardait. Elle avait une poitrine attendrissante et timide ; présentement un peu flétrie.
Tout en dérivant dans un salmigondis de pensées poussives et confuses, elle mâchait un chewing-gum d'une mastication indolente et mécanique, ça l'apaisait.
De faibles élancements titillèrent sa glande mammaire ; l'âpre mixture à base d'alcool et de plantes médicinales agissait.
Elle écarta une lamelle du store et survola l'obscurité d'un œil fripé, indifférente à ce qui pouvait se passer audehors.
Un gémissement plaintif et assoupi exaspéra soudain son harassement.
Résignée, elle se dirigea vers lui, au fond du couloir.
L'autre ronflottait, avachi sur le canapé ; Maradona venait de marquer et s'égosillait dans l'objectif médusé d'une caméra. Télé somnifère pour mecs abrutis par l’alcool.
Ça l'agaça. Un peu plus.
L'épuisement lui mettait en général les nerfs en pelote mais là c'était gratiné, elle était à cran. Son regard azuréen hésitait entre ciel d'orage et de mousson.
Et, comme un écho à sa virulente fermentation morale, elle régurgita le coup de sonnette importun de l'après-midi, déclenché par une apparition indécente à ses yeux : une étudiante en médecine essayant fièrement de vendre des brioches afin de subvenir à leurs petits plaisirs oisifs. Que des adolescents privilégiés fassent l'aumône pour alimenter leur désœuvrement immature, alors que tant de jeunes S.D.F. galèrent dans les rues, l'avait mise hors d'elle et acéré sa tension déjà naissante.
Elle se retint de lui asséner une violente bourrade au passage, tout en jetant rageusement serviette et compresse ; l'élixir avait laissé une marque jaunâtre sur la blancheur de la chair.
Rien, plus rien n'avait de sens pour elle. Le mot amour lui semblait creux et illusoire, ingrat même. De la rhétorique dérisoire.
L'enfant avait un sommeil agité. La fièvre enflammait ses joues. Il avait la grippe.
Il geignait en dormant. Elle changea le cataplasme d'argile sur son bas-ventre et lui fit avaler un aspégic. L'enfant, dans un état second, se laissa docilement faire en grommelant. Lorsqu'un bisou machinal se posa sur son front brûlant, il s'était déjà rendormi.
L'autre ronflottait de plus belle.
Dix ans de mariage pour ça ! Pourtant, ils s'étaient follement aimés avant.
Avant. Car, après la bague au doigt, il s'était bien calé dans la routine du couple rôdé par un train-train lénifiant. Il s'était éteint. N'exsudant plus qu'un succédané d'amour stérile et mâle qui se résumait le plus souvent par des épanchements mécaniques de son appareil génital en elle, une ou deux fois par semaine. S'enlisant dans l'ombre de luimême sans en être vraiment conscient, bercé, qu'il était, par la certitude qu'il était dans son bon droit. Que ce que cela la vie conjugale.
A sa décharge, elle reconnaissait s'être laissé endormir par le ronron d'un mariage commun. Sans histoire. Sans vitalité non plus
Mais, ce soir, elle avait besoin de lui et il pionçait, comme de plus en plus souvent, autant sous l’effet d’un excès de bière que de fuite dans le travail.
Cette indifférence égoïste la révulsa. Son regard fulmina, ses iris semblèrent exploser.
Elle se massa les seins ; rudement, comme pour se sentir exister.
Puis, brusquement, se rendit dans leur chambre.
Michel Field avait remplacé Maradona.
Il émergea, satisfait, du fond du canapé. Comme un bienheureux. Il s'étira, repu et la bouche quelque peu pâteuse.
Un silence lourd, qui semblait planer dans la maison, dérangea ses sens encore agréablement engourdis.
Il se leva en bâillant. Eteignit le ronronnement du poste. Soulagea sa vessie et se brossa les dents.
Puis, sur la pointe des pieds, il rejoignit la chambre, se déshabilla prestement, engoncé dans une impénétrable obscurité et retrouva le lit à tâtons.
Il se glissa maladroitement sous la couette.
Elle n'était pas là !
Une interrogation tétanisa son esprit électrisé.
Où ?
Le cœur insupportablement noué, il alluma. Son regard heurta le vide. Il se releva.
Fit le tour de la maison. Personne. Les enfants dormaient paisiblement. D'après sa main fébrile qu’il venait de poser machinalement sur le front, la température avait baissé chez le cadet.
L'angoisse remplaça l'anxiété et la culpabilité une fausse désinvolture.
Il se rhabilla sommairement, fila à la cave, sonda le jardin et la rue. Personne ! Anxieusement, il fouilla la maison en quête d'un quelconque mot explicatif. Rien. Elle n'avait rien laissé derrière elle.
Où ?
Il se recoucha rongé autant que médusé. Plus exactement, il s'allongea tout habillé dans une pénombre soudain inquiétante et accusatrice. Mais le sommeil ne revint pas. Il avait le cerveau carambolé par des questions lancinantes. Et vaines.
Au petit matin, il appela le boulot et se fit porter pâle.
Ensuite, il s'occupa des enfants, les abreuvant d'explications vagues et rassurantes à propos de l'absence de leur mère. Il laissa s'égrener la journée jusqu'au blêmissement.
En début de soirée, n'y tenant plus, il fit appel aux gendarmes.
On ne la retrouva jamais.
« Pas lui ! » : crie mon orgueil meurtri. « Pas cette baudruche redondante ! »
Je suis pétrifié. Cloué sur place. K.O. debout. Mâle déboulonné.
J'hésite entre hurler ma souffrance, ma haine impuissante, leur foncer dans le lard ou les abreuver d'insultes, de grossièretés innommables.
Finalement, je lance une imprécation inaudible, referme la porte et m'en vais, le visage inondé de larmes silencieuses et sèches. Je hoquette sur la terrasse des convulsions morbides. Je me sens blême. J'étouffe.
Ça fait deux heures que le bouchon dérive sa langueur au fil d'un cours d’eau flegmatique. Le Rhin paresse. Quinze jours de canicule, de torpeur atmosphérique l'ont abruti ; il semble stagner.
Même les poissons, et c'est beaucoup plus frustrant pour moi, boudent la surface limpide et verdâtre du fleuve, préférant la fraîcheur relative du fond et les méandres algués du lit.
Heureusement, il fait bon sous mon chêne ventru. Dans mon coin de verdure, broussailleux et ombragé ; un de ces coins paradisiaques comme il en reste de moins en moins le long du Rhin.
Depuis deux mois, j'y viens presque quotidiennement, de six heures du matin à neuf heures du soir, dans mon Éden solitaire.
Les portes s'ouvrent moins vite qu'elles ne se ferment...
Et Annie m'évite de plus en plus.
C'est pratiquement du jour au lendemain qu'elle a commencé à me vivre comme un incapable, un poids mort, elle, la femme au foyer, qui s'active toute la journée.
C’en est arrivé à un tel point que, depuis deux mois, elle refuse toute idée de contact physique, même plus un baiser du bout des lèvres !
On se parle à peine, uniquement pour proférer des banalités : « Ta mère a appelé. Que veux-tu manger demain ? Où as-tu mis le sécateur ? ».
Pourtant.
Je l'aime toujours.
Cependant, pour échapper à cette tension psychique incessante, j'ai décidé d'aller à la pêche, de m'évader dans une nature moins hostile et plus conviviale.
Je vis ainsi au jour le jour.
Dans la solitude des chants d'oiseaux et les frémissements d'une végétation généreuse et apaisante.
Je la fuis... pour l'aimer encore !
Malgré elle ?
Elle n'a pas supporté que les portes se referment sur moi. Encore moins mes dérobades, mon peu d'empressement à essayer de les rouvrir.
Je me lève sur la pointe des pieds, me charge du matériel de pêche et de mes victuailles de la journée, avant de disparaître dans la nature, la laissant avec son dépit et ses rancunes intarissables, emmitouflée dans le drap qu'elle m'a subtilisé dans son sommeil agité, comme toutes les nuits.
Arrivé dans mon cocon vert, ma matrice à ciel ouvert, je revis, je respire. J'installe cannes et appâts dans l’espoir de ferrer des poissons gourmands ou affamés que je renverrai à leurs préoccupations aquatiques, après leur avoir raconté ma déconfiture amoureuse et sociale, mes rêves sur la comète aussi.
De toute façon, Annie les dédaigne mes poissons. Je lui en avais ramenés les premiers jours, mais un : « Y en marre de tes fretins puants ! », congestionné dans un visage rêche au regard acerbe, m'a instantanément dissuadé de continuer.
Depuis, je m'en fais griller un à la braise de temps en temps, dans ma solitude de sybarite marginal, tout en contemplant le coucher du soleil.
À bien y réfléchir, tout compte fait, sans l'attitude revêche d'Annie, je serais parfaitement heureux.
J'ai une âme d'indien.
Près de la maison traîne une BMW.
Comme celle de Georges, un vieux boute-en-train d'ami ; mais, à cette heure-ci, Georges travaille encore, en général, bien qu’il soit près de dix-huit heures.
Peut-être une visite pour les voisins ?
Je grimpe le perron sans me presser, dépose mon matériel contre la façade, ôte mes bottes et entre par la portefenêtre du salon grande ouverte.
Comme dans un rituel immuable, j'accroche la gourde dans l'eau, je mets la bouffe frugale et monotone dans le giron frais d'un églantier hirsute, j'étale la carpette entre les racines de mon havre nonchalant et je m'offre mon premier petit café tiré d'une Thermos.
Mes journées s'écoulent entre somnolences, sustentations et émerveillements fugitifs.
Agrémentées d'un bain tous les après-midis. Après la sieste.
Je me fous à poils et je rejoins la poiscaille, sûr de ne pas être dérangé par des regards indiscrets, à l'exception de quelques très rares flâneurs fluviaux dans leur barque à fond plat ou leur kayak, mais ceux-là je les vois venir de loin.
Un gloussement, venant de la chambre, attire mon attention. Doucement j'ouvre la porte, tendu rien qu'à l'idée de me heurter à sa tronche de reproche permanent et intrigué par ce petit rire incongru.
Puis je me laisse sécher, assis sur la berge, les pieds dans l'eau. Les jours de cafard, plein d'une mélancolie désespérée, d'une nostalgie asthmatique, j'offre ma semence aux "bâilleurs de fond". La regardant tristement dériver au fil de l'onde, parfois gobée par un alevin curieux et pas trop difficile.
Enfin, léger et guilleret, je rentre avec les derniers rayons du jour. Et je m'affale devant la télé ou je jardine encore un peu, attendant qu'elle se soit couchée et endormie. Pour ne pas avoir à la rencontrer nue, car elle est incroyablement désirable malgré sa chape de dédain.
Mais c'est à un cul que je me heurte. Un cul béant et grassouillet. Un cul prolongé par un ventre de sumo.
Un profil de BMW vrombissant plein pot !
Je viens d'expulser mes têtards laiteux quotidiens dans des ricochets maigrichons, quand mon regard est attiré par une armada de nuages noirs qui boursouflent l'horizon. Autour de moi les feuillages s'agitent et commencent à vitupérer.
J'ai compris. Je lève le camp. A regret mais sans illusion.
Georges ! ?...
Les doigts d'Annie, agrippés à cette nuque bovine, s’enfoncent dans la chair, amas de gélatine excitée, aux yeux béatement clos et haletants.
Et ces roubignoles ballottant ridiculement au rythme d'un va-et-vient poussif au milieu de leurs poils écumants. Sans capote en plus !
Hagard, je passe à côté de mes bottes sans les voir.
Je repars, chancelant sous mes illusions perdues, évidé de mes certitudes insolentes, sans me retourner, en chaussettes. Indifférent à tout.
Pour où ? Comment ? Je m'en fous. Je veux mourir. Dans un trou.
Le trottoir tangue sous mes pas. Et la plante des pieds geint déjà.
C'est le moment que choisit l'orage pour éclater.
J'ai froid. Je manque de cartons. On m'en a piqué, ce matin.
Ça m'est égal, de toute façon je ne dors pas, je ne dors plus depuis longtemps, j’ai juste des torpeurs agitées, par épuisement. Les chaussures serrées contre moi, pour ne pas me les faire faucher.
Toutes les nuits, telle une rengaine délirante, je ressasse le même cauchemar désordonné, comme si c'était aujourd'hui.
J'ai froid.
Ras le bol !
J’en ai plein les pédales.
Se taper 1.300 bornes pour des vacances, faut être barjo.
Pourtant, nous sommes deux à nous relayer. Mais s'enfiler la France profonde en diagonale, c'est pas digeste.
Surtout quand on traverse le Morvan.
La RN.31, qui n'a de national que le nom, cahotait entre des fermes austères et isolées, des masures décrépites et lugubres, perdues dans un paysage sinistre où on s'accroche au moindre signe de vie ostensible et où l'estomac se crispe et l'esprit déglutit des réminiscences superstitieuses que bile un décor neurasthénique. Sinistrose garantie. Coin idéal pour crime parfait ou suicide par dépression : envoyez-y quelqu'un qui obscurcit votre horizon pendant trois petites semaines : la mort semble assurée ; sûre que j'en réchapperai pas, moi.
Après nous nous sommes farci l'armada des Hollandais roulants. Gréés tels des mulets et naviguant comme des pieds qui forcent le passage vers les plages — heureusement qu'ils circulent à bicyclette chez eux, sinon quelle hécatombe, le plus gros taux de mortalité du monde ils auraient, je vous jure ! Quand j'en vois un s'incruster dans le rétroviseur, j'ai les fesses qui se pincent et une invective ravageuse et préventive crépite de mes lèvres effilées, rien qu'à l'idée qu'il me débraie sous le nez ou qu'il me double par la gauche. Lorsque Cyril conduit, il reste de marbre, indémontable, uniquement fixé sur un objectif : arriver. Cet homme est d'un calme imperméable, rivé dans une placidité innée. C'est un reproche indirect à mon attitude belliqueuse. Que je déteste Cyril et sa placidité dans ces moments-là ! Mais que voulez-vous, c'est plus fort que moi, j'ai besoin d'exprimer mon acrimonie dans un langage d'ornithologue patenté. Ça me soulage.
Heureusement, nous sommes arrivés. Et bien arrivés. Dans les Landes. Il y a tout de suite un air de parasol, rien que dans le nom. Si j'habitais dans les Landes, je ne bougeotterais pas, moi. De plus, c’est à trois pas de Latchécirculez-y-a- plus-rien-à-voir, en cet été de 1995. Alors pensez donc, sécurité garantie.
La location au moins semble tenir ses promesses. Une petite maison coquette, une de celles qui truffent le littoral de l'Ouest au Sud. Sans cachet particulier mais accueillante.
Nous sommes à peine sortis de la voiture, grimaçant notre souffrance kilométrique, l'arrière-train en compote, le dos désossé et les jambes flageolantes, qu'elle surgit d'une porte-fenêtre latérale.
Mme Blumenkranz.
Une petite bonne femme brune qui porte énergiquement une quarantaine allègrement entamée. Très mignonne à mon goût sans concession. Une verve méridionale, l'accent en moins.
Seule ombre au tableau : un regard terne et instable et une main un peu molle et moite. A priori pas mon genre, mais comme Cyril s'en fout de mes a priori, je les remets dans ma culotte.
Aussitôt, nous entamons la visite guidée, sous le patronage prévenant de mon zèbre loquace. Le jardin fleuri avec table parasolée et chaises coussinées, suivi d'un intérieur à l'égal de l'extérieur : mignon et confortable. Rien à redire.
Nous en étions aux commodités, quand sa fille est apparue. Un joli brin de glace minaudant, à la poignée de main sèche et oppressante.
Là, n'en déplaise à Cyril, ce ne sont plus des préjugés que j’éprouve mais carrément un rejet épidermique.
Dans le fil de la conversation, je demande avec mes gros sabots à la mère si elle est d'origine alsacienne, sous l’œil consterné de Cyril, ayant l'air de me dire : « Tu ne peux pas mettre ta curiosité en sourdine ! » « C'était juste pour entretenir le papotage », lui ai-je répliqué du même regard, sans baisser un cil !
« Je viens de Carling. », m'a-t-elle répondu.
« Ah, là où ça empeste quand le vent tourne, à cause de l'usine ! », ai-je étalé sans grâce mon savoir cosmopolite.
Elle m'a souri poliment. Avec une indulgence condescendante.
Enfin, alors que nous sommes en train de papoter distraitement devant une grande tenture, non sans contrariété, j’apprends au détour d’une phrase qu'en fait de proximité — comme elle l’écrivait dans sa lettre de présentation —, elles vivent confinées, avec le gendre, dans deux pièces soustraites à la surface originelle de la maison mais avec une entrée distincte.
Comment et pourquoi s’entasse-t-on dans 20 m2, me suisje alors subrepticement étonnée, fort dubitative au demeurant ? Il faut avoir de sacré problème financier pour se résoudre à une telle extrémité lorsqu’on possède une aussi grande maison. Non ? En tout cas, cette prise de conscience inopportune n’est pas franchement faite pour me réjouir et pour me rassurer, j'aime pas qu'on me colle. Mais c’est trop tard pour faire marche arrière.
Ensuite, nous nous sommes installés dans les murs.
Et nous avons dîné dans le jardin. Devant nous, une pinède ; à notre droite, un champ de maïs arrosé en permanence par des gargouilles géantes — elles paraissent vomir inépuisablement ; à notre gauche, une épicerie-dépôt de pain, comme il en foisonne le long des côtes.
Le lendemain, nous sommes partis à la plage de Seignosse.
Elles sont derrière la fenêtre. Hasard ? Je leur ai fait un petit salut confit de la main. Pas de réponse. Malaise. Peutêtre que ce n'est pas nous qu'elles regardaient ?
Le sable est jonché de corps luisants et cramoisis. De loin, une plage ressemble à un amas de graisse avachie.
Harnachés de notre panoplie du parfait baigneur, nous surfons entre des houles de regards grumeleux pour dénicher un petit atoll indemne de trublion, en prenant garde de ne piétiner personne.
Prendre des vacances en août ! Alors qu'on n'a pas encore de mômes ! Ça relève de la débilité profonde et incurable.
À peine avons-nous confisqué un coin de plage que, méfiante, j'ai soupesé la convivialité de l'eau. Les vagues m'ont agressée. Et je n'aime pas être agressée. Je ne supporte pas d'être bousculée. J'ai donc laissé Cyril faire mumuse et je me suis octroyé le parasol.
À perte de vue s'étalent autour de moi des échantillonnages de chairs repues, nerveuses ou satisfaites, qui s'épandent en plein soleil.
Des grappes de nénés de tous âges et de tous formats parsèment mon horizon. Qu'on puisse mettre ses lolos à l'air me dépasse moi qui suis engoncée dans mon une pièce fermée jusqu’au cou. En fait, quand ils ne sont pas manu militari remisés, avec un dandinement de canard charnu, bien à l’abri du maillot de bain, comme je l’ai fait en me réfugiant derrière mon drap de bain, car j’ai horreur de mes nichons que je trouve inconsommables, ils ballottent lamentablement vers les paquets d'écume pour s'y plonger avec une délectation jubilatoire ou blasée pour être brassés par les ressacs.
Dans le lot des estivants, barbotent également des mecs mamelus aux ventres bedonnants qui font des vagues dans tous les sens du terme. Ou des apollons frimeurs qui roulent des mécaniques.
Je ne supporterais pas que Cyril trimballe une telle bedaine. Pour ça, je suis d'une vigilance pondérale non pondérée. J'ai épousé un homme pas une bonbonne, moi !
Autour de mon îlot, les yeux drainent l'ennui. Le sentiment qu’ils sont perclus par une habitude obsessionnelle : aller à la mer.
J’ai l’impression que c’est le même ennui que je ressens finalement de me retrouver ici à peine arrivée.
C’est démoralisant. Pour fuir l'atonie ambiante, je me suis immergée dans La reine Margot, à la page un. Et j'ai pris mon pied ! Enfin.
En rentrant, j'ai découvert l'appareil photo déplacé. J'en ai parlé à Cyril. Il a haussé les épaules. Et j'ai tassé mes doutes.
Pourtant, je mettrais ma main au feu.
Le lendemain matin, nous sommes allés au marché du Vieux-Boucau.
Une ville cannibale à l’instar de tant d’autres. Bouffant du touriste en été jusqu'à indigestion des tiroirs-caisses, pour se repaître de la manne le reste de l'année, dans une sorte d’abandon rance où la mornitude pue le renfermé. Désolation des villes à vacanciers. Murs bâtards. Sans âme.
L'après-midi, rebelote plage. Une autre cette fois. De toute façon, blanche ou caca d'oie, elles se ressemblent toutes. Même sable, même océan, mêmes culs cancanants, mêmes seins tressautants, effondrés ou arrogants, mêmes bides rebondis, mêmes maîtres-nageurs virils et hâlés.
Mais cette fois, j'ai fait trempette. Les flots étant dociles.
Avant de reprendre mon pied à la page cent — mon rythme de lecture vacancier où, au lieu de lire entre les lignes, je zieute régulièrement entre les corps environnants ; je commère, ce qui ralentit ma lecture !