La source du Mal - Hervé Huguen - E-Book

La source du Mal E-Book

Hervé Huguen

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Beschreibung

Quelle est donc la source du Mal qui est a assassiné Agathe Miracki ?

Qu’importe le temps chagrin qui règne sur Vannes, la vie continue de sourire à Agathe Miracki qui s’apprête à rejoindre son tout nouvel amour. Mais Jérôme Ségui attendra en vain ? La jeune femme ne viendra jamais au rendez-vous et son corps sera retrouvé dans sa voiture incendiée sur un terrain abandonné, loin de tout. Qui pouvait en vouloir à Agathe au point de lui ôter la vie de manière si violente ? Quelle est donc la source du Mal qui est venu faucher un avenir tellement prometteur ? À l’équipe du commissaire Baron d’éclairer les zones d’ombre de cette affaire, où vie privée et professionnelle se brouillent, et où vénalité et cupidité mènent un jeu bien trouble… Dans l’atmosphère captivante d’une fin d’automne tragique, cette nouvelle enquête du commissaire Nazer Baron vous conduira jusqu’aux racines du châtiment.

Dans l’atmosphère captivante d’une fin d’automne tragique, cette nouvelle enquête du commissaire Nazer Baron vous conduira jusqu’aux racines du châtiment.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Bien construit, bien écrit, un roman d'atmosphère comme l'affectionnent les lecteurs de Georges Simenon. - Louis Gildas, Télégramme

EXTRAIT

Le regard de Nadine voyagea sur les murs de ce lieu qui ne l’apaisait plus, et accrocha la mine déconfite de Sébastien. Il avait fini par se poser sur une chaise sans trop savoir quoi faire de son grand corps inerte. La nouvelle l’avait assommé. Il ne disait rien depuis parce qu’elle refusait de lui répondre, il croisait les doigts sur son ventre, comme le faisait autrefois sa grand-mère qui en plus se tournait les pouces. La vieille femme disait qu’ainsi, elle tricotait l’ennui… Pour lui, c’était autre chose. Un questionnement muet. La sonnerie du téléphone avait rompu le silence, mais les mots prononcés par Nadine ne lui avaient pas permis d’identifier le correspondant. « C’est moi… Maintenant ?… C’est difficile… Je préférerais… »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Hervé Huguen est nantais, avocat de profession, et consacre aujourd’hui son temps à l’écriture de romans policiers et de romans noirs. Son expérience et son intérêt pour les faits divers, événements tragiques ou extraordinaires qui bouleversent des vies, lui apportent une solide connaissance des affaires criminelles. Passionné de polar, il a publié son premier roman en 2009 et créé le personnage du commissaire Nazer Baron, enquêteur rêveur, grand amateur de blues, qui se méfie beaucoup des apparences… La source du Mal est le treizième titre de cette série aux intrigues bien ficelées et aux protagonistes attachants…

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CE LIVRE EST UN ROMAN.

Si ce roman tire son action de faits authentiques, les personnages et les lieux sont fictifs, de sorte que nul ne pourrait prétendre désigner qui que ce soit dans les protagonistes de cette histoire. La part de création ne saurait non plus prêter à interprétation. Ce livre est un roman, dans lequel l’auteur apporte au lecteur une solution qui reste le fruit de son imagination.

« La source ne raconte qu’aux pierres discrètes ses aventures souterraines. »(Frankétienne, Mûr à crever)

À Michel,la suite de notre « Terre Amère ». En amitié.

À Pierre H., marin d’Orient…

I

C’était fini.

Sur le bahut de la salle à manger, l’horloge indiquait qu’il n’était pas encore 19 heures.

Agathe Miracki laissa échapper un discret soupir soulagé. Il ne traînait plus sur la table que les verres qu’André Bayle venait de proposer, qu’il avait remplis d’un vin doux dont elle ne raffolait pas spécialement. Elle n’avait pas pu refuser. Le goût maintenant lui empâtait la bouche… L’odeur aussi lui déplaisait, trop sucrée. L’arôme avait envahi la pièce, rendant la chaleur plus épaisse, et l’alcool rosissait déjà le teint de Nadège Bayle, une petite blonde fluette, aux yeux bleu violet comme deux perles d’iolite. Aussi douce que le vin que son mari venait de servir… Agathe Miracki lui adressa un sourire. Il était temps pour elle de partir.

Elle vérifia une dernière fois qu’elle avait bien rangé toutes ses affaires dans son épaisse sacoche de cuir et rabattit finalement la languette de son cartable avant de la boucler. Elle repoussa son siège. Il ne lui restait plus qu’à enfiler son imperméable avant de prendre congé et de rentrer chez elle, contrat signé. L’affaire avait été rondement menée.

Agathe Miracki récupéra le vêtement plié sur le dossier de sa chaise et entreprit de se couvrir. Les deux autres la regardaient faire en silence. Un sourire détendu éclairait son joli visage mince. Non seulement le contrat avait été signé, mais elle n’avait pas eu besoin de déployer beaucoup d’arguments pour convaincre ses clients du bien-fondé de l’affaire. Du travail facile et qui allait lui laisser le temps de se préparer avant de ressortir.

Une fois habillée, Agathe serra les mains du couple Bayle, leur souhaita une agréable soirée et respira profondément lorsque la porte eut été refermée derrière elle.

La rue semblait déserte.

Agathe Miracki prit le temps d’observer autour d’elle. On était en novembre, le premier vendredi après la Toussaint, dans une fin d’automne simplement balayée par quelques ondées. Pour l’instant, il ne pleuvait pas et il ne faisait pas vraiment froid.

Elle se décida à parcourir quelques pas sur le trottoir. Sa voiture, une Peugeot 208 noire, était garée à proximité. La jeune femme déposa sa sacoche sur la banquette arrière où traînaient quelques classeurs commerciaux, et se mit au volant sans attendre, avant d’accélérer sitôt dans la campagne.

À cette heure, il n’y avait pas grand monde sur la route. Dans le crépuscule du mois noir, la lumière des phares accrochait des miroirs d’eau sur la chaussée mouillée, en découpant de part et d’autre les ombres furtives de la lande. Agathe roulait vite, elle filait vers Vannes, en direction du Chapeau Rouge et de la rue du Rohic. Un quart d’heure de trajet.

Sans cesser de conduire, elle vérifia que son téléphone n’avait enregistré aucun message pendant l’entretien. Il n’y avait rien. Jérôme n’avait donc pas appelé, signe qu’il n’avait pas pris de retard. Agathe rétablit la sonnerie qu’elle avait coupée et posa l’appareil à côté d’elle, avant de se concentrer sur sa conduite. Elle empruntait la bretelle d’accès à la voie rapide, plus encombrée. C’était la mauvaise heure, encore entre chien et loup, dans le ballet des lumières bondissant sur l’asphalte.

Agathe ralentit l’allure. Tout s’était bien passé, elle avait du temps devant elle mais pourtant, elle se sentait anxieuse. Sans raison apparente… Son corps baignait dans une sorte d’électricité qui fourmillait jusqu’au bout de ses doigts. Elle s’obligea à rester attentive. Leur rendez-vous n’était prévu qu’à 20 heures, pour le vernissage de l’exposition Costaner. Ensuite, ils iraient probablement dîner dans l’un des restaurants de la rue des Halles où Jérôme avait ses habitudes, avant de passer la nuit chez lui. C’était le week-end, au terme d’une semaine dont le bilan aurait dû amener un sourire sur le visage d’Agathe Miracki, mais sous son crâne, les pensées avaient une teinte morose.

Elle avala péniblement sa salive, consciente qu’elle avait tort de se laisser envahir par des angoisses qu’elle ne maîtrisait pas. Elle devait réagir. Jérôme travaillant le samedi matin, elle décida qu’elle en profiterait pour calculer le montant de ses commissions acquises. Avec l’escompte sur affaires nouvelles, nul doute qu’elle démarrait le mois de manière tonitruante. Plus la prime d’objectif qu’elle avait maintenant dépassée…

Agathe se mit à grimacer en y réfléchissant. Elle approchait du Chapeau Rouge. Elle ralentit encore et rétrograda pour gagner l’accès à la rue du Rohic, secouée par les ornières de la voie étroite. Elle longeait des haies de sapins et des murets de pierre sèche protégeant des habitations invisibles. La nuit était maintenant complètement tombée. Sa maison se situait un peu en retrait, après un virage qu’elle négocia lentement. Ses phares éclairèrent plusieurs voitures stationnées sur l’accotement de terre.

Elle s’apprêtait à s’engager dans le chemin lorsqu’elle aperçut son voisin sur le bas-côté, traînant derrière lui le container à déchets qu’il ramenait. Elle leva le pied. Elle aimait bien le vieux Jos qui tourna la tête pour voir qui arrivait. Elle pila une fois à sa hauteur et baissa sa glace.

— Jos ! Comment va ?

L’ancêtre lui répondit d’un sourire. Il devait bien avoir quatre-vingts ans. Éternellement coiffé d’une casquette de toile bleue qui dissimulait ses rares cheveux blancs et qu’il soulevait souvent pour se gratter le crâne, à la manière de quelqu’un qui avait constamment besoin de réfléchir. Ce qu’il fit tout en répliquant :

— La semaine est finie ?

— Pas tout à fait, dit-elle. Je sors ce soir.

Il eut une grimace pour montrer que ce n’était pas son cas et prit le temps d’ajuster sa casquette avant de répondre :

— Pas pour le travail, quand même ?

— Pour le plaisir, Jos.

— Alors bonne soirée !

Il esquissa un geste de la main et se remit à tirer sur son container, cheminant à vitesse lente. Agathe, avant de redémarrer, lui cria :

— À vous aussi, Jos !

Elle eut le temps de le voir entrer dans son jardin, par la barrière qui restait constamment ouverte. On disait que le vieux Jos avait de l’argent, gagné à l’époque où il dirigeait une flottille de sardiniers à Douarnenez, mais Agathe n’avait jamais fait affaire avec lui. Elle ne lui avait rien proposé et il n’avait rien demandé. C’était peut-être pour ça qu’elle l’aimait bien, finalement…

Elle roula jusqu’à l’esplanade caillouteuse qui précédait son logement et coupa le moteur de la Peugeot. L’obscurité envahit aussitôt le jardin à la manière d’un voile de deuil. La bâtisse à un étage, construite légèrement en retrait de la maison du vieux Jos, venait brutalement de plonger dans le noir total.

Agathe sortit rapidement de la voiture et pataugea dans les flaques traîtresses, jusqu’au perron où elle déverrouilla sa porte à l’aveugle. Bloquées par le haut sapin et la haie de troènes, les lumières de la rue n’étaient qu’un halo trop timide pour parvenir jusque-là.

Frissonnant dans son imperméable léger, Agathe pressa l’interrupteur, claqua la porte derrière elle et enfouit son trousseau dans la poche latérale de son vêtement. L’humidité collait son empreinte sur les murs que le thermostat n’était programmé pour tiédir qu’à partir de 19 heures ; trop tôt encore. La chaudière ronflait dans le sous-sol.

Agathe longea le couloir. Son bureau s’ouvrait sur la droite. Elle commença par y entrer pour se débarrasser de sa sacoche qu’elle posa par terre, et déboutonna son imperméable.

Là aussi, il faisait frais. Dans la lumière écrasante du plafonnier, le papier peint des murs étalait ses losanges défraîchis, vestiges d’une époque déjà lointaine. La pièce n’avait rien de chaleureux, elle était étroite, neuf petits mètres carrés encombrés d’une table de travail et d’une colonne tournante sur laquelle Agathe classait ses archives. Un calendrier fixé à la cloison, rien d’autre. C’était suffisant pour le temps qu’Agathe passait ici.

D’un coup d’œil, elle vérifia qu’aucun message n’avait été enregistré par le répondeur qui ne clignotait pas. De toute façon, tous ses clients possédaient le numéro de son téléphone portable, et il ne restait guère que la famille et les amis pour appeler sur le fixe, et encore…

Elle ressortit. 19 h 15. Elle calcula qu’il lui faudrait une dizaine de minutes pour se rendre à l’exposition Costaner dans le centre-ville, ce qui lui laissait une demi-heure pour s’occuper d’elle. Largement suffisant.

Débarrassée de son imperméable et de ses chaussures, elle grimpa à l’étage et entreprit d’ôter ses vêtements. Elle avait entièrement déboutonné son chemisier lorsqu’elle s’aperçut que les volets étaient restés ouverts. La fenêtre au pignon donnait sur le jardin du vieux Jos.

Agathe se pencha à l’extérieur pour débloquer les arrêts à tête de lion, puis ramena les persiennes tout en observant la maison voisine.

Si Jos était dans sa cuisine plongée dans le noir, il devait la voir, débraillée et en soutien-gorge. L’idée la fit sourire.

Elle reprit son déshabillage, jeta ses dessous dans le panier de linge et passa dans la salle de bains, préoccupée par une question existentielle : quelle tenue enfiler pour sortir ?

Le grand miroir lui renvoya l’image d’une jolie femme brune de quarante-deux ans, plutôt mince, mais avec les rondeurs qu’il fallait aux bons endroits. Sans doute plus très jeune, mais pas encore vieille. Le bel âge.

Agathe, tout en s’observant, prit le temps de se masser les côtes, là où le soutien-gorge avait laissé des marques, juste sous les seins. Elle n’était pas certaine de vouloir en porter un ce soir. Depuis six mois qu’elle fréquentait Jérôme, il continuait à s’affoler dès qu’elle laissait entrevoir un morceau de cuisse nue ou un décolleté profond.

Elle se pencha au-dessus de la vasque. Quelques ridules quand même… Mais elle avait de beaux yeux couleur noisette et une bouche très bien dessinée… Elle porterait de la dentelle, ce soir, et une jupe en tweed chiné avec un tee-shirt à manches longues et col boule, blanc cassé…

Elle s’apprêtait à entrer dans la douche lorsque son téléphone, posé sur le lit, se mit à sonner de manière intempestive. 19 heures presque 25. Un vendredi soir, après la nuit tombée… La semaine était finie. Agathe refréna une mimique d’agacement, prête à ignorer l’appel… Jérôme peut-être…

Elle repassa dans la chambre. « Nadine Houlard » indiquait l’écran. Une collègue. Une bonne copine. Ce n’était plus l’heure… Agathe décrocha quand même.

— Agathe ?

— Salut Nadine, répondit-elle, sans enthousiasme excessif.

Elle regrettait déjà.

— Je ne te dérange pas ?

— Je viens de rentrer.

Il y eut un silence. Un ronronnement de moteur passa dans l’air, un écho du lieu d’où appelait Nadine.

— Je suis dans le quartier, reprit-elle. Tu es toute seule ?

— Complètement crevée, prévint Agathe sans une once d’hésitation. Je prends une douche et je me couche. Je crois que j’ai attrapé un coup de froid.

Un pieux mensonge qui ne lui coûtait rien. Jérôme, c’était son jardin secret. Elle avait décidé qu’elle n’en parlerait pas, parce qu’elle avait de bonnes raisons pour ça. Il était séparé, pas encore divorcé. Ce n’était pas la seule. Même s’ils ne se cachaient pas vraiment, Agathe avait choisi de ne plus tout mélanger. Elle l’avait fait dans le passé, Thomas le lui faisait encore payer.

Il y eut un nouveau temps d’arrêt dans lequel Agathe crut deviner de la contrariété.

— Et demain ? enchaîna finalement Nadine. Tu fais quoi demain ?

— Je suis chez moi, au moins le matin. Quelque chose ne va pas ?

— Je t’en parlerai… Fin de matinée, tu seras là ?

— Viens vers 11 heures.

— D’accord. À demain.

Elles se quittèrent et Agathe jeta l’appareil sur le lit, la mine vaguement songeuse. Manifestement, il y avait un problème. Pas forcément très grave puisque ça pouvait attendre le lendemain, mais un embarras quand même. Le front barré d’un pli pensif, Agathe repassa dans la salle d’eau et s’enferma rapidement dans la cabine de douche. Avec Nadine, les rapports étaient devenus parfois compliqués, et il n’était pas nécessairement utile de trop s’attarder sur le non-dit, elle aurait mieux fait de ne pas décrocher.

Agathe tira sur la manette, régla le mitigeur et commença à s’asperger.

Au début, Nadine avait été une véritable amie avec laquelle Agathe partageait beaucoup. Le travail d’abord. Des confidences ensuite. Et puis un certain nombre d’autres choses, Thomas par exemple. Ce souvenir laissait encore traînailler en elle une confusion pénible. Agathe ne savait pas très bien ce qui leur avait pris ce jour-là, pendant une soirée à quatre au cours de laquelle ils avaient tous beaucoup trop bu. La conversation avait dérapé, quelques gestes aussi. L’alcool n’était pas étranger. Ils s’étaient retrouvés sur le canapé, sans autre dommage qu’une sévère gueule de bois au réveil.

Mais les rapports avaient évolué. À cause de Sébastien, en réalité… Le compagnon de Nadine ne regardait plus Agathe de la même façon, et le malaise avait perduré. Pour s’aggraver lorsque Thomas avait fait ses valises quelques mois plus tard, en colère. C’était un an auparavant. Rien n’allait plus entre eux… Et puis d’autres histoires encore, les aléas de la vie… Chacun suivait sa route. Raison pour laquelle, même au bout de six mois, Nadine n’avait toujours pas entendu parler de Jérôme. Agathe avait retenu la leçon…

Elle sortit de la cabine et se sécha longuement à l’aide d’une immense serviette-éponge. Leur amitié était sans doute en train de s’étioler… Elle y songeait en frottant sa peau nue, bien consciente que Nadine traversait une mauvaise passe, professionnelle peut-être, mais sûrement aussi, personnelle. Et puis elle avait gardé le contact avec Thomas, une attitude qui irritait profondément Agathe qui s’aperçut qu’elle allait finir par être en retard.

Elle chassa Nadine et tout ce désordre de sa tête et accéléra ses préparatifs.

Elle achevait de se maquiller, le rimmel à la main, lorsqu’elle fut soudain alertée par un bruit insolite, une sorte de claquement sec qui la fit brutalement sursauter, la gorge comprimée. Comme l’écho d’un pêne qui se refermait. Elle écouta. Elle n’entendait plus rien. Seulement les murmures de la nuit. C’était idiot. D’ordinaire, elle n’était pas très émotive. Elle pensa au brusque déclenchement du brûleur de la chaudière ou à un chat dehors… et cria pour conjurer son trouble.

— Il y a quelqu’un ?

Évidemment non. Le silence était retombé sur la maison.

Agathe avait l’impression d’entendre les battements dans sa poitrine. Elle respira un grand coup, rassérénée, et s’apprêtait à se pencher de nouveau vers le miroir lorsque le froissement des ailes d’un oiseau, dans le grand sapin, reproduisit son malaise et la fit tressaillir, le corps plongé dans un bain de sueur froide. Son cœur s’était remis à cogner, sans raison véritable. Elle resta figée, l’oreille aux aguets. Elle ne respirait plus.

Rien…

La nuit frissonnait de ses vibrations ordinaires, le gémissement des branches, un bruit de moteur quelque part… Agathe en avait l’habitude. Elle se mordit la lèvre. Elle n’était pas trouillarde. Pourquoi, tout d’un coup, accusait-elle une anxiété parfaitement irraisonnée ?

Il n’y avait rien…

Le calme revenu, elle se souvint soudain qu’elle n’avait pas bouclé derrière elle en rentrant, omettant de tourner la mollette qui permettait de verrouiller.

Marchant silencieusement sur ses pieds nus, Agathe quitta la salle de bains pour s’avancer jusqu’au palier où elle pressa l’interrupteur, inondant la cage d’escalier d’une lumière crue. Personne évidemment. Elle voyait le bas de la porte au bout du couloir, toujours fermée.

Elle revint dans la chambre, prit la précaution d’enfiler une culotte avant d’entrouvrir les volets, suffisamment pour pouvoir observer dehors après avoir glissé sa tête dans l’entrebâillement. Elle se pencha, scrutant l’obscurité.

La nuit était épaisse et l’arrière de la maison du vieux Jos totalement aveugle. On ne distinguait pas grand-chose. Assez pourtant pour s’assurer que la Peugeot était bien seule dans la cour.

Agathe poussa davantage, sans souci pour ses seins nus qu’elle comprima contre la rambarde, et resta quelques secondes penchée à l’extérieur. Elle voyait le perron désert. Un léger brouillard montait de la terre humectée et commençait à se répandre au pied des arbres de la haie. Rien d’anormal. Pas d’ombres suspectes. Pas un chat, même… Elle se faisait des idées. Il n’était pas 20 heures et la maison, même en second rideau, n’était pas isolée, qui aurait eu l’idée idiote de venir l’agresser dans ces conditions ?

Elle se redressa et referma soigneusement les volets, puis la fenêtre. Le malaise ne l’avait pas totalement quittée, accentué par le froid humide qui piquait maintenant sa poitrine et ses épaules de mille pointes agaçantes. Ce n’était pas vraiment de la peur, plutôt une vague appréhension, une contrariété mal définie dont elle croyait cependant deviner l’origine. C’était encore à cause de cette foutue affaire, bien sûr… De cette foutue affaire qui l’empêchait de récupérer depuis des jours…

Elle pénétra dans la salle de bains. Elle le savait parfaitement, c’était ça qui la rendait nerveuse. Elle dormait mal depuis quelque temps. Et ne rien faire était peut-être la pire des choses. Elle s’observa par le biais du miroir. L’anxiété traçait des plis amers au contour de ses yeux, Jérôme allait finir par s’en apercevoir. Elle gonfla sa poitrine, indécise. Que pouvait-on lui reprocher, finalement ? De la naïveté sans doute, un peu de cupidité… Rien d’autre puisqu’elle ne savait pas vraiment, même si elle devinait. Pendant des mois, tout avait bien marché, elle faisait discrètement ses affaires, elle gagnait de l’argent facile, beaucoup d’argent facile, jusqu’au jour où… le grain de sable… la bêtise…

Une minuscule erreur !

Dont elle était surtout en partie responsable. Elle s’arrachait les cheveux de s’être précipitée comme ça. Elle aurait dû être plus prudente.

Agathe se massa le ventre, là où une boule s’était formée.

Le temps était peut-être venu de rompre un filon dont elle avait suffisamment profité. Le mieux était de se débarrasser des documents et des archives et de le faire savoir au prochain appel. Parce qu’ils allaient rappeler, elle en était certaine. Ils étaient furieux. Et menaçants. Et tout aussi capables de découvrir où elle habitait. Ils l’avaient d’ailleurs probablement déjà fait. Elle ne se cachait pas.

Penchée sur le miroir grossissant, Agathe traînait encore à constater les effets de l’angoisse sur son regard noisette. Elle ne devait plus être mêlée à cette histoire ! C’était la solution, prendre le large, ne plus s’occuper de cette affaire, le faire savoir aux intéressés et se réfugier dans le silence. Après en avoir parlé à Jérôme pour ne plus être seule. Elle s’y emploierait dès le lendemain. Ensuite, les frères Chartier feraient ce qu’ils voudraient…

Elle passa dans la chambre et ouvrit la penderie, piocha la jupe qu’elle étala sur le lit et fouilla rapidement dans son tiroir à collants. Elle avait terriblement hâte de rejoindre Jérôme.

D’avoir pris sa décision avait fini par l’apaiser. La soirée qui s’annonçait achèverait d’enterrer ses angoisses. Elle était là, penchée, simplement vêtue de sa petite culotte, tournant le dos à la porte. Une marche craqua. L’avant-dernière avant d’atteindre le palier, elle le savait… Son cœur explosa dans sa poitrine. Elle pivota précipitamment.

Elle n’était pas seule dans la maison.

II

Légèrement agacé, Jérôme Ségui interrogea une nouvelle fois sa montre, pour constater qu’il était désormais 20 h 10 passées. L’impatience commençait à le gagner vraiment.

Pour la dixième fois, il se contorsionna sur le siège de sa voiture dans laquelle il attendait, espérant apercevoir une silhouette connue débouchant enfin place des Lices, leur lieu de rendez-vous. Il avait trouvé un emplacement libre le long du trottoir, devant le magasin Credey, pas très loin du château de l’Hermine qui accueillait l’exposition Costaner ni de la rue des Halles où ils avaient prévu de dîner. Il y était depuis un quart d’heure et avait tout de suite informé Agathe de sa position. Depuis, il attendait, sans avoir reçu le moindre message en retour.

Il soupira bruyamment. Agathe, pour l’instant, ne l’avait pas habitué à des retards sans prévenir. Quelques minutes peut-être, à cause d’embarras de circulation, mais pas davantage. Elle savait qu’il connaissait Costaner et qu’il souhaitait vraiment assister à ce vernissage, elle aurait dû appeler.

Il prit son téléphone et sélectionna le numéro. Ça sonnait… dans le vide. Curieux. Le fait d’être au volant n’avait jamais empêché Agathe de répondre, sa voiture était un second bureau, elle s’était équipée d’un Bluetooth. Il lui laissa un message dont il contrôla le ton, ni trop impatient ni encore inquiet.

Il se remit à attendre. En novembre et à cette heure déjà avancée, il y avait peu de monde sur la place. Les passants ne traînaient pas. Dans le rétroviseur, il aperçut un homme s’éloigner du distributeur de billets à l’angle de la rue Porte Poterne, longer d’un pas rapide la pharmacie en direction de la halle aux poissons puis disparaître derrière les immeubles.

Ségui finit par descendre de voiture et traversa la chaussée, pour remonter le long des boutiques éteintes de l’espace piétonnier, en direction de la cathédrale. Il trompait son impatience. Agathe ne rappelait pas, et maintenant, c’était l’appréhension qui commençait à l’habiter. Un mauvais pressentiment.

La jeune femme avait confirmé le rendez-vous par SMS dans l’après-midi, avec promesse d’accélérer son dernier entretien pour ne pas être en retard. Depuis, plus rien. Il n’était même pas certain qu’elle soit rentrée chez elle. Et elle ne décrochait pas.

Ségui stoppa sa marche devant la vitrine obscure de La Belle-Îloise. Un carré de lumière s’étalait sur le trottoir depuis le bar voisin, une sorte de no man’s land dans lequel l’un des consommateurs grillait une cigarette en observant la nuit. Ségui hésita à s’engager dans les rues pavées.

Il fit brusquement demi-tour pour se remettre au volant. L’inaction ne lui convenait pas. Il quitta sa place, contourna les immeubles et vira sur sa gauche pour traverser la Marle et longer les remparts. Il fallait gagner l’est de la ville. Il téléphona tout en conduisant mais renonça à parler à la messagerie lorsqu’elle se déclencha. C’était parfaitement inutile.

L’interminable rue du Rohic était déserte lorsqu’il s’y engagea. Une artère en périphérie longée par des habitations en grande partie dissimulées derrière des haies, avant de partir se perdre dans la campagne. Ségui tourna dans le chemin et aussitôt, une boule d’inquiétude se forma dans son estomac. Les phares avaient accroché la carrosserie noire de la Peugeot garée sur le terre-plein caillouteux, juste devant la maison à la façade totalement sombre. Pas une lumière.

Jérôme Ségui se gara derrière la petite voiture, laissant ses phares allumés pour mieux se diriger, et marcha vers la porte. Il essaya la poignée. Serrure bouclée. Appuya sur le bouton de la sonnette. Aucune réaction. Plus longtemps, plus rageusement. Aucune ampoule ne s’éclairait à l’intérieur. Il tenta encore de téléphoner. Messagerie.

Cette fois, c’était l’angoisse qui pointait son nez. Agathe n’était pas chez elle, mais elle n’avait ni utilisé sa voiture pour partir ni, apparemment, emporté son téléphone.

Il essayait de comprendre ce qui avait bien pu lui arriver. Une urgence. L’un de ses parents hospitalisé… Agathe avait un frère également, tous habitaient dans la région, mais Jérôme ne les connaissait pas. Le frère avait pu passer la chercher et dans la précipitation, elle en avait oublié son téléphone… Un scénario simple.

Ségui remonta en voiture. Dans une telle hypothèse, Agathe chercherait peut-être à le rejoindre directement, elle pouvait déjà être en train de le chercher à l’exposition Costaner… Il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire de plus en l’attendant ici.

Il manœuvra pour faire demi-tour et reprit la direction du centre-ville.

*

Le vieux Jos faisait le tour de sa maison. Comme chaque soir, après avoir éteint la télévision à la fin du journal, il vérifiait que tout était bien bouclé et les volets fermés. Ceux de la salle de séjour ne l’étaient pas.

Il ouvrit la fenêtre à l’instant où des phares illuminaient la haie, le long du chemin menant à la demeure d’Agathe Miracki. La petite s’en allait.

Il la regarda partir et virer aussitôt sur sa droite. Par le portail ouvert et dans l’éclairage pauvre des lampadaires de la rue, il vit passer une voiture blanche, d’un modèle nettement plus imposant que la petite Peugeot noire de sa voisine.

Le vieux Jos s’autorisa une simple réaction amusée. Agathe ne sortait pas seule, quelqu’un était venu la chercher… « Pour le plaisir », avait-elle dit…

Il ne s’était jamais beaucoup préoccupé de la vie privée de ses voisins.

Il ferma ses volets.

*

Jérôme Ségui traversa la courette du château de l’Hermine et grimpa les trois marches d’un bond. Il n’était pas loin de 21 heures et le vernissage battait encore son plein, il y avait beaucoup de monde dans la salle des expositions. Ségui leva la tête sitôt entré, dressé sur ses jambes tendues afin de dominer la masse des invités pour y découvrir celle qu’il cherchait.

Il aperçut Costaner dans un coin. Le photographe était en train de discuter avec un homme qui lui parut être journaliste. Mais pas la moindre trace d’Agathe.

Ségui laissa ses épaules retomber, totalement désemparé. Tout cela ne ressemblait pas à la jeune femme, donc il lui était arrivé quelque chose. Le fait que la voiture n’ait pas bougé de la maison le rassurait un peu. Agathe était bien rentrée chez elle à la fin de sa journée, c’était ensuite qu’elle avait dû ressortir précipitamment, accompagnée par quelqu’un qui l’avait emmenée.

Où ? Assez loin peut-être. Ou dans un lieu où il ne lui était pas possible de téléphoner. Il était d’ailleurs peu probable qu’elle soit capable de se souvenir de son numéro qu’elle ne composait jamais, puisqu’il était enregistré. Elle avait simplement oublié d’emporter son portable avec elle, et il l’imaginait volontiers tout aussi perturbée que lui, parce qu’incapable de l’avertir. Ce devait être ça… quelque chose comme ça… Elle allait revenir.

Un peu rassuré, Jérôme Ségui piocha un verre sur un plateau et le vida presque d’un trait. La contrariété lui avait donné soif. Il en prit un second et se mit à faire le tour des œuvres exposées.

Des œuvres marines. Costaner avait travaillé longtemps avec un confrère, peintre officiel de la Marine, et avait su tirer de cette expérience un art incontestable de la composition. Pour des réalisations photographiques peut-être un peu trop saturées au goût de Jérôme, mais l’ensemble avait une force réelle.

Ségui détaillait les clichés, sans parvenir à s’intéresser vraiment à ce qu’il regardait. Il restait contrarié. Dans son coin, Costaner avait changé d’interlocuteur et finit par l’apercevoir, il lui adressa un signe d’invite.

— Content de te voir, Jérôme.

— Superbe ! assura Ségui en lui serrant la main. Et il y a du monde.

— Tu restes un peu ?

— Non, désolé. Je ne peux vraiment pas…

Une idée venait de lui traverser l’esprit, percutante. Pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ?

Il prit le temps de quelques mots encore et décida de s’éloigner dès que l’attention de Costaner se fut portée ailleurs. Il posa son verre vide sur un coin de table, rafla un petit four au passage parce qu’il avait faim, et marcha résolument vers la sortie.

Si Agathe pouvait difficilement avoir retenu son numéro de portable, elle pouvait par contre avoir accès à un annuaire quelconque et avoir cherché à le joindre chez lui. Il était idiot de ne pas y avoir songé.

Il courut presque vers sa voiture et refit le même chemin qu’une heure plus tôt, en direction du quartier de Tohannic où il s’était installé dans un logement pour l’instant provisoire, depuis sa séparation, dans l’attente du divorce à venir. Une procédure par consentement mutuel qui ne l’empêchait pas de rester discret sur sa liaison. Les choses pouvaient changer… La loi nouvelle obligeait les avocats à se mettre d’accord et à rédiger la convention, une affaire de quelques semaines encore…

Jérôme Ségui se gara juste devant la maisonnette qu’il louait et pénétra chez lui. Il se précipita, aussitôt déçu. Le téléphone n’avait enregistré aucun message.

*

Le vieux Jos ne dormait pas. À la différence notable de son épouse qui jouissait d’un sommeil de bébé. Sitôt couchée, sitôt dans les songes. Il l’entendait respirer, avec de temps à autre des petits soubresauts qui montraient qu’elle devait rêver.

Jos n’était pas jaloux. Lui s’était toujours contenté de quelques heures de repos par nuit et se levait à 6 heures chaque matin, même à quatre-vingts ans passés. Pourquoi chercher à contrarier sa nature ? Pour l’heure, il lisait, dans le faisceau de la lampe de chevet dont il avait atténué l’éclat afin de ne pas gêner la dormeuse. Le corps légèrement tordu pour se rapprocher de la source de lumière, les lunettes abaissées sur le bout de son nez, il poursuivait Sylvain Tesson dans les forêts de Sibérie.

On n’entendait pas un bruit. La rue du Rohic n’était pas très passante et la chambre donnait sur l’arrière de l’habitation. Un quartier calme.

Prudemment, afin de ne pas risquer de réveiller sa voisine, le vieux Jos bougea dans le lit pour se remettre à plat dos afin de soulager ses muscles. Il avait refermé son livre, l’index glissé à la page où il en était resté. Il n’était pas encore très tard, il n’avait pas envie d’éteindre tout de suite. Il fixa le plafond, faisant jouer ses épaules pour les décontracter avant de reprendre sa position tordue.

Ce fut à cet instant qu’il entendit démarrer la voiture. Ce bruit-là, il le connaissait. C’était celui du moteur de la Peugeot d’Agathe Miracki, garée juste sous sa fenêtre, de l’autre côté de la haie. La petite s’en allait. Il songea qu’elle ne devait donc pas être dans la grosse voiture blanche qu’il avait vue passer en début de soirée, et tendit instinctivement l’oreille, écoutant grossir le ronflement au moment où la Peugeot accélérait dans le chemin, avant de décroître et finalement de mourir dans la nuit.

Le vieux Jos jeta un coup d’œil sur le côté. Le bruit n’avait pas dérangé sa voisine. Il se tourna doucement, replaça son livre dans le cône lumineux et laissa son esprit s’envoler vers les neiges glacées de Sibérie.

*

Cette fois, il ne savait plus que faire. Il avait grignoté un reste de salade en essayant de s’intéresser aux images qui défilaient sur son écran de télévision, mais c’était peine perdue. Son cerveau naviguait ailleurs. Vers Agathe qui n’avait toujours donné aucun signe de vie.

Il ne comprenait pas.

Il n’était pas si difficile à joindre, il suffisait de contacter un service de renseignements quelconque et de donner son nom, pour être aussitôt mis en relation. Agathe le savait, elle était débrouillarde, parfaitement capable de dégotter n’importe quel poste téléphonique, dans un bar, dans un hôtel ou dans un hôpital… Elle n’était pas seule, quelqu’un pouvait la dépanner…

Il s’était passé autre chose.

L’estomac serré, Jérôme Ségui s’était mis à faire les cent pas en réfléchissant à ce qu’il convenait de faire. Alerter quelqu’un, mais qui ? Agathe ne s’était jamais mariée, ses parents comme son frère s’appelaient Miracki, un nom qui ne devait pas être courant dans le coin. Il pouvait les trouver. Pour leur dire quoi, à bientôt minuit ?

« Je suis l’amant d’Agathe que je n’arrive pas à joindre… » L’absurdité de la situation lui arracha un juron.

Il s’était même demandé si elle n’avait pas décidé de le quitter. Sans préavis et pour une bonne raison. Parce qu’il existait quelqu’un d’autre, ce Thomas dont elle lui avait parlé par exemple. Elle prétendait qu’il l’enquiquinait encore… Qu’il la harcelait… Qu’il avait juré de se venger… Peut-être qu’elle lui mentait. Peut-être qu’elle ne lui avait pas tout dit. Mais pas comme ça… Non. Elle ne lui aurait pas refusé une explication. Et puis il y avait son message dans l’après-midi : « À ce soir ! ».

Ségui cessa son va-et-vient. Son regard parcourait la pièce, les murs, les tableaux. Un regard vide. Il était épuisé.

Sa tête tournait, il n’avait pas assez mangé, il était resté trop longtemps au fond du trou de ses interrogations.

Et il avait réalisé une chose : à quel point Agathe lui était devenue indispensable.

Il décida de ressortir. Il ne parviendrait pas à s’endormir de toute façon. Il enfila un manteau et se précipita dehors. Il tombait une petite pluie fine. Il s’engouffra dans sa voiture et démarra brutalement. Les essuie-glaces couinaient en frottant le pare-brise. Il n’était pas si loin par l’avenue de Tohannic. Le Chapeau Rouge… La rue du Rohic… Il tourna dans le chemin et bloqua ses freins, médusé.

La voiture n’était plus là. Agathe était repassée chez elle, puis repartie. Sans rien lui dire. Pas d’appel. Pas le moindre message. La maison était toujours plongée dans le noir complet.

Totalement pétrifié, Jérôme Ségui s’engagea lentement sur le terre-plein caillouteux et effectua un demi-tour. Ses tempes lui faisaient mal, son cœur ratait des battements.

Il ne comprenait rien.

*

Étrange… Le vieux Jos avait fini par éteindre sa lampe et cherchait le sommeil. Allongé sur son flanc droit, il se laissait noyer dans une somnolence qui n’allait pas tarder à l’emporter. Le bruit le tira brusquement de sa torpeur. Inconnu.

Alerté, le vieil homme tendit une fois de plus l’oreille. C’était celui d’un moteur qui le réveillait, plus doux que celui de la voiture de la petite Agathe, qu’il aurait identifié. Des roues écrasaient le gravier de l’allée, il entendait leur crissement amplifié par la nuit.

Et puis plus rien, la voiture s’était arrêtée. Le vieux Jos attendit, plus curieux qu’inquiet. Le moteur tournait toujours, mais personne ne semblait descendre. Aucun claquement de portière, pas de murmure de voix.

Le crissement reprit, on devinait la manœuvre du conducteur, avant que le ronflement ne s’éteigne doucement de l’autre côté du bâtiment.

Le visiteur était parti. Le vieux Jos demeura un instant attentif mais ne capta aucun bruit en provenance de la maison d’Agathe. Il finit par s’adresser une grimace à lui-même. Curieuse heure quand même pour se présenter chez quelqu’un lorsqu’on n’est pas certain de l’y trouver…

Il ramena le drap sur son épaule et repartit sur le chemin du sommeil.

III