Lectoure, eluctari - Pierre Léoutre - E-Book

Lectoure, eluctari E-Book

Pierre Léoutre

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Beschreibung

Une cicatrisation humaine dans l'une des plus belles villes du Gers, un pont entre un passé sentimental d'une trentaine d'années, un présent reconstruit et l'espoir récompensé d'un amour retrouvé. Lectoure donne le «la» et le décor d'un amour indestructible et inéluctable, songe déraisonnable et passionné qui devient peu à peu une réalité, en plein coeur de la vie quotidienne d'une localité gasconne de la Lomagne gersoise. Ce roman estival est avant tout un message d'amour endurci et sincère pour une femme jamais oubliée ; il est également un hommage direct et amical à la magnifique cité lectouroise et ses habitants.

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Avec mes remerciements à Thierry

pour sa relecture fraternelle.

À A…

Attendre, ce n’était pas la pire des postures, ce n’est pas une imposture non plus, même si je commençais à trouver le temps vraiment long. J’avais beau ouvrir et fermer le clapet de mon téléphone portable pour manifester mon impatience, de la même façon que j’aurais pu battre la semelle et de manière tout autant empressée, l’appel tellement attendu n’avait pas encore été reçu. L’incertitude et la frustration allant avec portaient non seulement sur la probabilité de cet appel téléphonique, mais pire encore sur la possession incertaine et peut-être diabolique, par l’intéressée du numéro de téléphone que j’avais lancé comme une bouteille à la mer. Waiting for the dring, waiting for the dream (jeu de mots anglais intraduisible en français–; grosso modo, une forme d’espérance chimérique qui avait de bonnes chances de devenir une réalité. Il suffisait d’attendre. Certes, cela pouvait paraître une façon étrange de vivre une histoire d’amour, une façon un peu trop passive (même si seule l’attente noue les intrigues et les tripes), et à la limite ennuyeuse pour qui aime agir et réagir, pour qui préfère l’action à la réflexion. Le bon côté de la situation était l’absence de limites, des contours flous comme l’était la logique de cette histoire, une sorte de rêve en réalité–; tout était permis et tout devenait possible–; le mauvais côté, c’était la longueur du temps qui passe, l’absence de réalité charnelle–; car je n’étais pas homme à me contenter d’un espoir symbolique qui concentre toutes les formes du désir, je désirais réellement la femme dont j’attendais l’appel.

En fait, la longueur de l’histoire devait se trouver derrière et pas devant. Fallait-il reprendre depuis le début ? Rembobiner le film en me disant que peut-être l’on se paie ma bobine ?

Mon histoire était fort compliquée et somme toute assez triste, je peux même lâcher le mot : désenchantée. Tout dépendait du thème choisi pour ce roman (roman : histoire pour passer le temps en attendant l’appel téléphonique de la belle Emmanuelle), mise en abîme de l’histoire dans l’histoire. Si le narrateur que je suis opte pour la tristesse, je vais me lancer dans des méandres mélodramatiques dont il faut supposer que le lecteur soit disposé à l’apitoiement (à moins d’y faire intervenir une dimension humoristique, voire comique, mais ce ne sera pas toujours facile–; j’ouvre une page au hasard d’un livre de Pierre Desproges et je lis : « Finalement, c’est une petite soubrette espagnole qui trouva la solution ». Authentique). Si l’écrivain que j’essaie d’être, choisit à l’inverse la joie et la bonne humeur, je peux faire vivre tout de suite le personnage féminin principal et attendu dans cette histoire–; et cet ajustement des variables permettrait d’accélérer le film, de remonter les escaliers.

Troisième solution, occuper le temps qui passe tout en sachant que la conclusion sera heureuse, c’est-à-dire qu’Emmanuelle et René se retrouveront le moment venu et seront très heureux pendant très longtemps jusqu’à la fin de leur vie. Il est certes possible de reprocher à l’auteur de ces lignes de dévoiler d’ores et déjà la fin positive de l’histoire qu’il rédige, espoirs pas vains ni encore déçus, mais cette conclusion prévisible n’est pas le but essentiel de cette rédaction torrentielle–; la pudeur interdit en effet de tout raconter, surtout ces instants de bonheur tant espérés, et l’introduction de l’espoir dès les premiers mots est une façon de partager d’emblée avec les lecteurs une musicalité enjouée pour la nuit comme pour le jour, et envoûtante par la porte basse des contraintes du désir et des affres de la réalité, ce qui offre une profondeur permanente au texte qui se déroule sur la page blanche.

Le petit téléphone portable fabriqué en Chine tenait dans ma main et son silence me narguait. Sans pour autant basculer dans l’obsession, je pensais à toi et n’attendais qu’une seule chose, ton appel, comme un amoureux sur une plage en train d’attendre la vague qui déferle. Je ne voulais te forcer la main ni forcer le destin, j’avais donc décidé d’être particulièrement patient–; mais comme je trouvais le temps long ! Et comme j’avais hâte de te revoir et de te serrer dans mes bras, tant d’années après t’avoir perdue. Je me souvenais parfaitement de toi, je n’avais rien oublié et les minuscules barrières que l’existence et le temps avaient placées entre nous n’avaient strictement aucune importance à mes yeux. Parfois, dans un effort de rationalité, j’imaginais les scénarii et les circonstances de nos retrouvailles mais pour dire la vérité, j’étais intimement convaincu que ces obstacles matériels et temporels n’avaient aucune valeur et que toi comme moi nous saurions facilement les dépasser pour nous retrouver – enfin ! –.

Utopie de ma part, et utopie douloureuse dans la mesure où j’avais placé la balle dans ton camp et qu’à ce jour tu n’avais pas encore manifesté le moindre signe concret pour reprendre cette histoire d’amour là où nous l’avions laissée, toi aux États-Unis et moi en Allemagne. Je n’ai pas oublié la douleur de nos vingt ans, mais j’ai encore le souvenir fort de nos sentiments amoureux, qui ne demandent qu’à renaître, qui sont déjà de retour, consumés, transis, phénix. Emmanuelle, mon amour, voilà ce que je peux encore écrire aujourd’hui, voilà tout ce que je ressens et tu le sais parfaitement. De l’imparfait au présent, de la troisième personne à la première, tout ceci n’est pas un fantasme ou un retour nostalgique, c’est une réalité qu’il va falloir vivre, toi et moi.

Songe étrange au tournant, au firmament d’une vie pour un nouveau rebondissement nécessaire et désiré, appel du large, retour d’affection, retour en arrière, regrets et attente. Mots qui s’écoulent comme les grains d’un sablier cabossé.

Une nouvelle journée, une autre nuit à espérer en vain ton appel et je n’ai entendu que les frôlements de fantômes du passé ricanants. C’est dommage. J’écoute du Miles Davis pour passer le temps, je ne m’ennuie pas, mais j’aimerais te revoir. Le sommeil vient, encore une fois sans tes bras, demain peut-être. Et puisque tu me fais attendre, je te parlerai de ce dont je me souviens et de ce que j’aime.

Un jour de plus sans toi. Ou avec toi ? J’ai l’impression, plusieurs fois par jour, de te croiser dans les rues de Toulouse. Illusions fugaces et somme toute agréables, mais parfaitement crédibles car c’était toi dont j’avais besoin et que je voulais revoir, par un curieux et impératif caprice dont le ressort intime n’était que le besoin de reprendre le cours d’un chemin interrompu, césure, brisure, fêlure. Et malgré les premiers pavés gémissants à la limite de l’aigreur se dessinait une merveilleuse histoire d’amour.

En attendant, il faut bien vivre sans toi. Encore une journée de fichue à attendre en vain ton appel. Dur ! Mon errance me conduit à la table du restaurant de mon ami Charles–; il me sert à boire en me disant :

– Ta seule faiblesse, c’est de ne pas aimer les cons.

Mais bon, Einstein était beaucoup plus intelligent que moi, je n’ai toujours pas compris comment fonctionne l’univers et je suis là comme un con à attendre un agneau à sacrifier. Inéluctable Emmanuelle que je ne peux oublier et que je désire retrouver afin de renouer un fil brisé, reprisé, raboutage et appontage.

– Sois patient, me répond l’ami Charles, ce n’est l’affaire que de quelques jours et quelques mots jetés sur ta page blanche.

– Comment sais-tu tout cela ? lui dis-je.

– J’ai lu dans le marc de café, me rétorque-t-il en éclatant de rire.

Sa bonne humeur communicative me réconforte.

Emmanuelle n’était pas encore là, mais elle me faisait du bien. Petite muse pour grand amour, petits mots de rien du tout en attendant de la retrouver. C’était long, que c’était long, cette histoire !

Charles me ressert un verre et à l’instant précis où nous trinquons une nouvelle fois, nous voyons surgir l’ami Théodule–; c’est décidément une bonne journée. Il s’installe à notre table et, en le regardant, je pense à nouveau à Einstein. Je demande à Théodule non pas de me dessiner un mouton mais de m’expliquer ce que je ne comprends pas dans l’univers et il me répond bien volontiers :

– Mon cher, je ne suis plus guère savant mais comme je viens de voir sur Arte une émission sur le calcul des longitudes indispensable au repérage des bateaux sur mer, il faut savoir qu’un horloger écossais du nom d’Harrison a mis du temps, de nombreuses années et quatre modèles successifs pour passer d’une horloge à une montre de marine, un chronomètre dont la précision inégalée a permis à la marine royale de disposer d’un avantage très sérieux dans la guerre de course, d’éviter naufrages, morts et pertes de cargaisons précieuses. La micromécanique entre balanciers, remontoirs, échappements, a permis de garantir mieux que les étoiles une méthode pour savoir où l’on se situait. Maintenant les horloges atomiques à maser à hydrogène garantissent des précisions faramineuses et conduisent toutes les activités de navigations dont le GPS. La quatrième dimension a permis de se repérer dans les trois dimensions sur une sphère imparfaite et, par la trigonométrie sphérique, établit des relations précises et fiables. Le méridien de Greenwich définit une longitude originale et une base de temps universelle–; ainsi on parle de temps universel mais aussi de temps local. Quand Einstein s’en est occupé à travers la relativité généralisée et restreinte, il a montré que la vitesse pouvait influer sur le temps d’un voyage (très modestement et à condition de se rapprocher significativement de la vitesse de la lumière, ce qui n’est pas à la portée du premier venu)–; c’est le concept d’espace spatio-temporel à quatre dimensions, mais avec la théorie des cordes, la physique quantique et de nouvelles théories physiques unificatrices des grandes forces fondamentales, nous nous dirigeons vers des espaces bien plus complexes à décrire et donc à représenter. Depuis l’espace de Gauss, on a défini de nouveaux chemins et de nouvelles géométries (Riemann, Leontief, Lobatchevski) qui font que le plus court chemin n’est pas toujours la ligne droite et d’ailleurs on sait que la gravité courbe les