Les Trente Millions de Gladiator - Eugène Labiche - E-Book

Les Trente Millions de Gladiator E-Book

Eugène Labiche

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Beschreibung

Extrait : "JEAN: Faut que ça reluise!... faut que ça reluise! (S'arrêtant.) Ah! j'ai chaud!... Entré ici depuis hier soir, je paye ma bienvenue... mais je ne te frotterai pas tous les jours comme ça!... Voici la neuvième place que je fais depuis un mois. (Avec mélancolie.) Ah! le temps n'est plus où les maîtres s'attachaient à leurs domestiques!... on était de la famille, on avait les clefs de la cave!..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

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Seitenzahl: 97

Veröffentlichungsjahr: 2015

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EAN : 9782335055375

©Ligaran 2015

Acte premier

Un boudoir élégant. À droite, une table-toilette, sur laquelle sont plusieurs objets de parfumerie ; à gauche une cheminée, un guéridon avec ce qu’il faut pour écrire et des journaux ; à la gauche du guéridon ; un fauteuil, à droite un petit pouf.

Scène première

Jean, puis Eusèbe Potasse.

Un lever du rideau, Jean est en livrée et, à genoux près de la cheminée, il frotte avec énergie une paire de pincettes.

JEAN

Faut que ça reluise !… faut que ça reluise ! (S’arrêtant.) Ah ! j’ai chaud !… Entré ici depuis hier soir, je paye ma bienvenue… mais je ne te frotterai pas tous les jours comme ça !… Voici la neuvième place que je fais depuis un mois. (Avec mélancolie.) Ah ! le temps n’est plus où les maîtres s’attachaient à leurs domestiques !… on était de la famille, on avait les clefs de la cave !… et, quand vous mouriez, on vous faisait une pension viagère. Mais la Révolution a passé par là !… Je crois pourtant que je ne serai pas mal ici, chez madame Suzanne de la Bondrée… Mais il y a une chose qui me froisse… je crains d’être entré chez une cocotte… À chaque instant, il vient des petits messieurs qui apportent des bouquets !… si elle n’a qu’une connaissance, passe !… mais, si ça frise l’inconduite, je partirai… ou je demanderai une forte augmentation… d’autant plus que cette maison est pleine de courants d’air… on s’y enrhume ! (Il se mouche avec un bruit imitant la trompette.) Personne ne ferme les portes ici.

EUSÈBE POTASSE,paraissant à la porte du fond

Pardon, monsieur !

JEAN

Fermez la porte !

EUSÈBE,fermant la porte

Oui, voilà… voilà… (À Jean.) Madame Suzanne de la Bondrée, s’il vous plaît ?

JEAN,le regardant et à part

Tiens ! un petit crevé ! (À Eusèbe avec compassion.) Pauvre enfant, vous ne craignez donc pas de faire du chagrin à votre famille ?

EUSÈBE,étonné

Moi ! je demande madame Suzanne de la Bondrée.

JEAN

Elle n’est pas levée !… à neuf heures !… Allons… donnez votre bouquet… on le mettra dans le tas !

EUSÈBE

Mais je n’apporte pas de bouquet, je suis élève en pharmacie…

JEAN

Ah ! un travailleur ! Alors, asseyez-vous.

EUSÈBE

Merci.

JEAN

Si !… j’ai une consultation à vous demander.

EUSÈBE

Votre maîtresse… votre belle maîtresse… est venue hier chez mon patron, M. Bigouret, et elle a apporté elle-même une recette pour adoucir la peau… alors je rapporte la mixture…

JEAN

Très bien !… donnez-moi votre fiole !

EUSÈBE

Non… je ne veux la remettre qu’à elle-même… c’est une potion de confiance… je reviendrai à midi !

JEAN

Attendez donc !… je voudrais vous consulter sur un rhume…

EUSÈBE,sans l’écouter, regardant l’appartement

C’est donc ici qu’elle respire ! c’est donc là qu’elle promène ses petits pieds ! c’est dans ce fauteuil qu’elle daigne parfois reposer ses grâces !

JEAN,à part

Qu’est-ce qu’il a ? (Haut.) Il vous faut dire que j’ai contracté un rhume de cerveau.

EUSÈBE

Je connais ça !… le rhume de cerveau est une inflammation de la muqueuse…

JEAN

Ah !

EUSÈBE

La muqueuse est une espèce de tapisserie qui tapisse notre intérieur… et, quand la tapisserie s’enflamme, on éternue… voilà ce que c’est que le rhume de cerveau !…

JEAN

Très bien !… et qu’est-ce qu’il faut faire ?

EUSÈBE

Il faut se moucher… ça dure huit jours !… les gens riches se mettent le nez sur une infusion de guimauve… alors ça dure neuf jours !

JEAN

Merci !

EUSÈBE

Ah ! vous êtes heureux, vous !

JEAN

Moi ?

EUSÈBE

Vous la voyez tous les jours entrer, sortir, boire, manger, dormir…

JEAN

Qui ça ?

EUSÈBE

Votre maîtresse… la plus belle femme qui soit jamais entrée dans la pharmacie Bigouret.

JEAN

On dirait que vous en êtes amoureux !

EUSÈBE

Amoureux !… ce n’est pas assez !… abruti… voilà le mot !… je suis un homme sérieux, moi… quand j’aime une femme, c’est pour toujours… chaque fois que j’ai aimé une femme, ç’a été toujours pour toujours !

JEAN

Eh bien, voulez-vous que je vous donne un conseil ?

EUSÈBE

Donnez… mais je ne le suivrai pas.

JEAN

Remettez-moi votre fiole… et ne revenez jamais !

EUSÈBE

Je ne vous remettrai pas ma fiole… et je reviendrai à midi ! je ne vous en remercie pas moins… Adieu !

Il remonte.

JEAN

Bonjour.

EUSÈBE,à part, avec transport

Ce n’est pas de l’air qu’on respire ici… c’est une évaporation de myrthe et de roses !… Je reviendrai à midi !

Il sort par le fond.

Scène II

Jean, puis Suzanne de la Bondrée.

JEAN,seul

Pauvre garçon !… Sapristi ! il n’a pas fermé sa porte.

Il éternue et se mouche bruyamment à plusieurs reprises. – Suzanne entre par la gauche, elle est en déshabillé du matin, très élégant

SUZANNE

Comment ! Jean, c’est vous qui faites tout ce tapage ?

JEAN

Madame, c’est la porte…

SUZANNE

Vous m’avez réveillée… Je croyais entendre les trompes du mardi gras… Que diable ! on ne se mouche pas de cette façon-là !

JEAN,aimable

Vous savez… chacun a sa manière.

SUZANNE,descendant

Eh bien, quand on a cette manière-là, on se mouche dans la cour.

JEAN

Mais… s’il pleut, madame ?

SUZANNE

On prend un parapluie !

JEAN

C’est bien… on s’y conformera… (À part.) Je ne crois pas que j’éternue longtemps dans cette maison-là.

SUZANNE

Veuillez prier mon oncle, le commandeur, de m’accorder un moment d’entretien.

JEAN

Ah ! monsieur votre oncle est ?…

SUZANNE

Commandeur… mais oui.

JEAN,à part

Je m’étais trompé… ce n’est pas une cocotte… c’est une femme du grand monde.

Il sort par la droite.

Scène III

Suzanne, seule.

Commandeur de ma façon !… C’est un oncle que je me suis donné pour aller dans le monde ; j’ai été obligée de renoncer aux mères… Mes deux dernières ôtaient insupportables… l’une prenait du tabac… et l’autre du cassis… Elles ne représentaient pas… alors j’ai pensé à prendre un oncle… J’ai mis la main sur un trésor… très honnête homme… C’est un ancien fournisseur des armées… la tête est superbe ; cheveux blancs, conversation sérieuse… ennuyeuse même, ça fait très bien ; il n’a qu’un défaut… Quand je le mène à l’Opéra, il marque la mesure avec son pied et chante en même temps que le ténor… Tout le monde se retourne, on nous fait : chut !… et j’ai l’air d’une femme de province. Je l’ai fait demander pour lui adresser quelques représentations à ce sujet.

Elle descend à droite.

Scène IV

Suzanne, Jean, puis Juliette.

JEAN,paraissant à droite

Madame…

SUZANNE

Eh bien, il va venir ?

JEAN

Je ne crois pas… M. le commandeur, votre oncle, a déménagé hier soir.

SUZANNE

Comment, déménagé ?…

JEAN

En ce sens qu’il a emporté tous les meubles de sa chambre.

SUZANNE

Mais ils sont à moi, ces meubles !

JEAN

Il les aura sans doute emballés par mégarde.

SUZANNE

C’est impossible ! comment, il n’a rien laissé ?

JEAN

Oh ! si !… les chenets… et une lettre.

Il va frotter de nouveau les pincettes à la cheminée.

SUZANNE,prenant la lettre

Donnez… (Lisant.) « Ô vous que j’ose appeler ma nièce… je pars… il le faut… Je sens que je vais vous aimer !… » (Très flattée.) Tiens ! pauvre homme ! (Lisant.) « L’honneur me commande de fuir… J’emporte les meubles… ils me rappelleront votre image… Jamais je ne m’en séparerai. » (Parlé.) Vieux filou ! (Lisant.) « Je vous renvoie votre photographie… elle me brise. » Signé : « Le Commandeur de Bondy. » (Parlé.) Et il se moque de moi par-dessus le marché… Oh ! je suis d’une colère !

JEAN,à genoux, devant la cheminée et frottant les pincettes, à part

Pour une femme embêtée, c’est une femme embêtée !

SUZANNE,à part

Mais qu’est-ce que je vais devenir sans oncle ? Je dois aller au théâtre… seule… c’est impossible !… (S’asseyant sur le pouf.) Où trouver un oncle ? (Apercevant Jean qui polit les pincettes avec acharnement.) Tiens !… mais il n’est pas mal, cet homme-là… en l’arrangeant… personne ne le connaît… il n’est ici que depuis hier. (Haut.) Jean !

JEAN

Madame ?

SUZANNE

Levez-vous !… tenez-vous droit !… pas mal !… Maintenant tournez !… marchez !… marchez !…

JEAN

Où ça ?

SUZANNE

Droit devant vous.

JEAN,marchant, à part

Quel drôle de service !

SUZANNE

Il ira ! il va ! (Se levant, arrêtant Jean qui marche toujours.) Assez !… Dites-moi, êtes-vous un peu lettré ?

JEAN,étonné

S’il vous plaît ?

SUZANNE

Oui… en parlant, évitez-vous le cuir ?

JEAN

Moi, madame, j’ai été garçon de classe à l’institution Soupaleau.

SUZANNE

Ah ! ah !

JEAN

Et sans la fatalité qui s’est acharnée après moi…

SUZANNE

Voyons… causons… Voulez-vous être mon oncle ?

JEAN

Qu’est-ce qu’il y a à faire ?

SUZANNE

C’est bien simple… vous m’accompagnerez partout, au bal, au concert, au théâtre…

JEAN

J’adore ce divertissement…

SUZANNE

Vous souperez avec nous.

JEAN

Nous ?

SUZANNE

Avec moi… et, si par hasard quelqu’un se permettait avec votre nièce quelque propos familier…

JEAN

Compris… je m’en irais, (À part.) C’est une cocotte !

SUZANNE

Mais non !… vous fronceriez le sourcil… comme ça !

JEAN,à part

Alors c’est une femme honnête !

SUZANNE

Mais pas avec tout le monde… car il y a certaines personnes qu’il ne faut pas décourager…

JEAN

Ah !… il y a… ? (À part.) Alors c’est une cocotte.

SUZANNE

C’est dit… vous acceptez ?

JEAN

Pardon… et les appointements ?

SUZANNE

Sont modestes… cent francs par mois… mais il y a les cadeaux.

JEAN

Les cadeaux de madame ?

SUZANNE,légèrement

Mais non !… imbécile !

JEAN

Ah ! (À part.) Décidément c’est une cascadeuse… mais, si elle n’a que deux ou trois connaissances… je fermerai les yeux sur les autres. (Haut.) Pardon, j’aurais encore quelque chose à demander à madame.

SUZANNE

Quoi ?

JEAN

Comme oncle… est-on habillé ?

SUZANNE

Entièrement… Il y a, dans cette chambre, un vêtement tout neuf que je venais de faire faire pour le commandeur… vous êtes à peu près de la même taille… J’ai pour ami un secrétaire d’ambassade qui avait fait obtenir à mon oncle… une décoration étrangère, et, puisqu’elle est restée après l’habit… vous la garderez.

JEAN

Une décoration ?… Je tâcherai de m’en rendre digne.

SUZANNE

Ah ! j’y pense ! vous ne pouvez continuer à vous appeler Jean… l’oncle Jean… ça sonne mal.

JEAN

Mon Dieu ! je sonnerai comme madame voudra.

SUZANNE

Où êtes-vous né ?

JEAN

Rue des Arcis…

SUZANNE

Très bien… vous vous appellerez, le commandeur Jean des Arcis…

JEAN

Commandeur Jean des Arcis… ça sonne les croisades.

JULIETTE,entrant du fond

Madame, le coiffeur vient d’arriver…

SUZANNE

Ah ! tant mieux !

JEAN,à part

Encore une qui ne ferme pas sa porte.

Il se mouche bruyamment.

SUZANNE

Vous êtes agaçant avec votre nez !

JEAN

C’est l’affaire de huit jours… j’ai consulté.

SUZANNE,à Jean

Allez trouver le coiffeur… vous lui direz de vous arranger une tête honorable… une tête d’oncle, il sait ce que c’est…

Elle gagne la droite.

JEAN

Soyez tranquille… dans cinq minutes, j’aurai l’air d’un portrait de famille.

Il sort par la droite.

JULIETTE

Il y a là aussi un jeune homme qui demande à parler à madame.

SUZANNE

Un jeune homme !… à cette heure !… comment s’appelle-t-il ?

JULIETTE

Il n’a pas dit son nom, il apporte une bouteille.

SUZANNE,s’asseyant

Une bouteille ?… Ah ! je sais ce que c’est : faites entrer.

Juliette sort par le fond.