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Extrait : "Loubet, assis devant son bureau, paraît absorbé dans ses réflexions ; Nolis, assis à la petite table de droite, s'agite sur sa chaise, et regarde à tout moment par la fenêtre. NOLIS. Nous allons avoir une belle fête, ce soir, maître Loubet ; c'est aujourd'hui la Saint-Jean... Je veux perdre mon nom, si les bourgeois de la bonne ville d'Aix ferment l'oeil de la nuit."
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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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JACQUES LOUBET, avocat.
NOLIS, jeune clerc de Loubet.
D’ENTRAGUES, président.
DE BRISSAC, capitaine.
DE FONTBELLE, basochien.
HOMMES D’ARMES.
Mme DE PONTARLIER.
LOUISE, cousine de Loubet.
MARGUERITE, gouvernante.
UN HUISSIER.
DOMESTIQUES.
BASOCHIENS, HOMMES DU PEUPLE.
Représenté pour la première fois, à Paris, le 28 août 1838, sur le théâtre du Panthéon.
L’action se passe à Aix en Provence, au commencement du XVIIe siècle.
Le cabinet de maître Loubet. Porte au fond, ouvrant sur un corridor ; portes latérales aux seconds plans ; au premier plan à droite, une fenêtre, auprès de laquelle une petite table garnie, placée de face, recouverte d’un tapis ; à gauche, au premier plan, un bureau adossé au mur, chargé de dossiers, cartons, etc. ; une lampe sur chaque table ; meubles gothiques, fauteuils et chaises recouverts de housses. À gauche, une pendule du temps ; à droite de la porte du fond, une épée est suspendue au mur ; à gauche, au fond, sur une chaise, le manteau et le chapeau de Loubet.
Loubet, assis devant son bureau, paraît absorbé dans ses réflexions ; Nolis, assis à la petite table de droite, s’agite sur sa chaise, et regarde à tout moment par la fenêtre.
Nous allons avoir une belle fête, ce soir, maître Loubet ; c’est aujourd’hui la Saint-Jean… Je veux perdre mon nom, si les bourgeois de la bonne ville d’Aix ferment l’œil de la nuit. Le régiment du Royal-Comtois quitte la ville demain, et, pour lui faire ses adieux, la basoche doit se réunir en masse devant l’hôtel de monsieur le Premier Président… Ah ! l’affaire sera chaude… il se brûlera plus de poudre dans cette petite guerre que pour une bataille sérieuse. Loubet ne répond pas. Nolis se lève et regarde sur la place par la fenêtre. Ah ! voici déjà les basochiens qui occupent les degrés de l’hôtel de la Présidence… Il ne sera pas facile de les en déloger ; ils ont de formidables munitions en pétards et fusées… Y viendrez-vous faire un tour, maître Loubet ?
Toutes vos sornettes m’ennuient, M. Nolis… sachez que je n’ai pas pris un clerc à gages, pour m’instruire de ce qui se fait et de ce qui se dit dans la rue… ce n’est pas à cette fenêtre, mais à cette table qu’est votre place. Vous avez la langue bavarde et la plume paresseuse : deux mauvaises qualités pour un clerc, César Nolis.
Là, maître ; pas de colère… on peut bien causer un moment, un jour comme celui-ci… je me tais, puisque vous le voulez ; je ne tiens pas à parler, moi, d’abord… À part. Ces avocats, ils imposent silence à tout le monde ; quand on parle, on dirait qu’on les vole… comme si la langue avait été inventée tout exprès pour eux seuls… Mais patience, je le deviendrai à mon tour, avocat, et alors ! Eh bien, non ! je n’en serai pas plus bavard pour cela… je parlerai… certainement, je parlerai… mais je n’abuserai pas de mon diplôme… En attendant, écrivons… Il pousse un soupir et essaie d’écrire. Quelle encre ! c’est de l’eau claire… Bon ! ma plume est trop fendue mon canif ! où est mon canif ? Ah ! le voilà… il coupe juste comme l’épée d’un juge au parlement. Il casse sa plume avec impatience, et regarde la fenêtre avec envie. Et les autres qui sont là ! Haut à Loubet. Dites donc, maître, voilà qu’il fait nuit… si vous vouliez, j’irais reporter le dossier de la veuve Trumot.
Non ; j’ai encore quelques notes à y prendre… Nous avons le temps…
Bien ! bien ! ça ne presse pas. À part, regardant par la fenêtre. Déjà plus de trois cents sur la place. Haut. La belle soirée, maître Loubet !
Te tairas-tu, bavard impitoyable !
Je vous gêne, peut-être… si vous voulez travailler seul, renvoyez-moi ; oh ! mon Dieu, je ne suis pas susceptible.
Je serai obligé d’en venir là, si tu n’arrêtes ta langue maudite.
Bon ! Après un court silence. À propos, savez-vous la grande nouvelle ?
César Nolis !
La marquise de Pontarlier…
La marquise de Pontarlier ? que dites-vous ? eh bien ! parlez donc… voyez s’il parlera.
Aie ! aie ! ça se gâte… je resterai, c’est sûr… Regardant la fenêtre. Ils sont au moins quatre cents, à présent.
Voyons… je vous écoute.
Eh bien ! le bruit court que, dimanche, la marquise de Pontarlier doit quêter elle-même à l’office, pour le rachat des captifs de Tunis… Une marquise, quêter ! tendre la main et faire la révérence aux manants !
C’est beau, n’est-ce pas ?
Très beau ! À part, regardant la fenêtre. Ils sont au moins cinq cents, maintenant.
C’est d’une âme noble et charitable !
Assurément.
D’un cœur pieux et saint !
Ah ça mais, qu’est-ce qu’il lui prend ?… Est-ce que par hasard ?… Oh ! non… lui ; un homme si sensé, si grave !
Cette femme a toutes les vertus… Elle est belle comme la vierge… pure et chaste, comme elle… Beauté, grandeur, charité, noblesse, elle réunit tout !… C’est la perfection trouvée… – N’est-ce pas là l’opinion de toute la ville ?… Voyons… dis-moi… que pense-t-on d’elle ?… Tiens, assieds-toi là… Je me repens de t’avoir grondé tout à l’heure… Il se rassied devant son bureau.
C’est lui qui veut me faire parler, à présent… On dirait que cette marquise lui tient au cœur… Regardant la fenêtre. Oh ! mon Dieu ! l’attaque va commencer… Voici le Royal-Comtois, qui s’aligne… C’est le capitaine de Brissac qui commande… un de nos clients.
Qu’as-tu donc à regarder toujours à cette fenêtre ?
C’est que la basoche va avoir tout à l’heure un rude assaut à soutenir, et… j’en suis, moi, de la basoche… Si vous vouliez, maître !…
Eh bien !
Vous pourriez m’envoyer en course.
Allons, va… et prends garde de te faire estropier.
Oh ! merci… merci… maître… Il sort, en criant.. Vive la basoche ! vive la basoche !
Voyons… Travaillons, s’il est possible, lisant. « Les hoirs Choppin, contre les hoirs Fouqueteau, pour une soulte de vingt livres… » Il les rejette brusquement sur son bureau. – Seigneur mon Dieu ! quelles pensées !… C’est folie de s’y abandonner ! allons, travaille, pauvre avocat… Sèche ton cœur sur ces parchemins ; use tes yeux devant cette lampe… fais ton métier. Il prend un second dossier et lit. « Le sieur Girard assesseur, contre la commune de Nans, pour un abreuvoir. » Il se lève, avec violence. Non ! c’est impossible ! le travail veut du calme… L’image de cette femme m’obsède, me poursuit sans relâche… Quelle est belle !… pendant que tout le monde se réjouit dans cette ville, elle, pauvre veuve, pleure solitairement sur le corps de son époux mort d’hier… mort !… elle est libre ?… – Que te fait cela, à toi, pauvre fou ! sans rang, et sans nom !… une marquise ! la fille d’un premier président ! – Allons ! travaille, maître Loubet ! travaille, enfant de la roture ! Il s’assied à son bureau. Une courte pause. Une marquise !… tes yeux ne doivent pas voir… ton cœur ne doit pas sentir… Elle est belle pour tous, mais ceux-ci seulement peuvent l’aimer ; ceux-là point !… c’est une marquise !… – Dans quel abîme mes pensées vont-elles s’égarer ? la passion me gouverne… J’oublie mes serments, mes devoirs les plus sacrés… ceux de la famille. J’oublie deux orphelines confiées à ma garde. – L’une, Louise, est ma fiancée, et je la trompe… Quand mes yeux sont sur elle, ils mentent, car ma pensée est ailleurs… L’autre, sa sœur, la belle Loubette, comme ils l’appelaient… je l’ai laissée enlever… sous mes yeux… dans ma maison !… et depuis huit jours qu’elle est partie, je n’ai pas le moindre indice, sur le lieu de sa retraite… Je ne sais pas même le nom de son amant… Il se lève. Malheur à lui ! si c’est un noble !… ah ! messieurs… vous nous défendez de prétendre à vos femmes, et vous venez prendre les nôtres !… puisque vous ne souffrez pas de degrés pour monter jusqu’à vous, il ne doit pas y en avoir pour descendre jusqu’à nous ! chacun dans sa région… c’est justice !… Il se rassied accablé devant son bureau. Oh ! l’amour est un don de l’enfer… c’est le poison du bien, le piège du devoir… Réfléchissant. Que cette marquise est belle !
Loubet, Louise.
Cousin Jacques !
Ah ! c’est toi, Louise ?
Vous ne travaillez pas ? peut-on venir ?
Que de précautions, bon Dieu ! parce que je t’ai grondée hier de m’avoir dérangé.
On peut ?
Certainement… Ne vois-tu pas que je suis seul.
Quel bonheur ! Elle prend son métier à tapisserie laissé derrière la porte. Je l’avais laissé derrière la porte, parce que je voulais vous demander avant si je pouvais… Elle s’assied au milieu de la scène et travaille. Loubet la regarde avec attendrissement. Du reste, cousin, vous pouvez travailler ; je ne dirai rien… C’est seulement pour être à côté de vous.
Tu m’aimes donc bien, Louise ? Louise fait un oui de tête. – Tristement, à part. Elle m’aime !
C’est toujours la même question… Est-ce que je vous le demande, moi ?
Oui, Louise… j’ai tort d’en douter… Laisse-moi travailler.
Mais c’est vous qui me parlez…
Une pause ; Loubet feuillette des papiers ; de temps en temps Louise le regarde avec tendresse.
À propos, Louise…
Ah ! c’est vous qui me dérangez.
Un mot seulement.
Oh ! dix, si vous voulez… Je ne me fâche pas, moi.
Madame la marquise de Pontarlier quête dimanche, en grand deuil, à l’église des Dominicains… Nous irons… C’est une bonne œuvre.
Oui, cousin… C’est une sainte femme que madame la marquise de Pontarlier… On vante sa piété dans toute la ville… Puisse le Seigneur lui en tenir compte, un jour !
On parle d’elle dans la ville… Tu travailles, trop, Louise ; voyons cela, et causons un peu… Que dit-on de madame la marquise ?
On dit qu’elle est bonne… On la cite comme un modèle de charité, et sa vertu est si respectable, que les hommes oublient qu’elle est belle et que les femmes en conviennent.
Tu parles bien, Louise… je t’aime ainsi… Et… que dit-on encore ?
On ajoute que sa chasteté comme épouse, égale sa charité comme chrétienne… et que la mort de son mari est une grande épreuve de douleur pour elle.
Sa douleur est donc bien grande ?
Oh ! oui… on dit qu’elle ne veut voir personne… Elle s’est enfermée dans son oratoire, pour pleurer seule. Elle refuse toute consolation… M. le marquis était si bon, si noble !
Elle pleure… elle l’aimait… Louise se lève, le regarde avec surprise. Eh bien ! Louise, vous ne travaillez plus ?