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Extrait : "ANTOINE, soufflant dans ses doigts : Pristi ! pristi !... ça pince ce matin !... dix degrés au-dessous de zéro chez l'ingénieux Chevalier !... le cheval d'Henri IV a le nez rouge ! quel bête de froid ! ma ruine, quoi ! ma ruine ! ni chiens ni chats à tondre... on craindrait de leur-z-y procurer la grippe ! et ce pavé... regardez-moi ce pavé !... pas une miette de crotte!... qué sale temps!..."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARANLes éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes. LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants : • Livres rares• Livres libertins• Livres d'Histoire• Poésies• Première guerre mondiale• Jeunesse• Policier
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EAN : 9782335055320
©Ligaran 2015
Un quai avec un parapet au fond. – On aperçoit des maisons dans le lointain. – À droite et à gauche, une maison avec porte donnant sur la rue. – Sur la maison de droite une enseigne de marchand de vin. – Il fait petit jour.
DE CRIQUEVILLE.
MONTDOUILLARD.
ANTOINE.
DE FLAVIGNY.
DE SAINT-PUTOIS.
LE GÉNÉRAL RENAUDIER.
PAGEVIN, tailleur.
BARTAVELLE.
UN ANGLAIS.
ARTHUR.
KERKADEC.
MADAME DARBEL.
CATICHE.
ÉMERANCE.
UNE MARCHANDE DE GÂTEAUX.
UN GARÇON DE CAFÉ.
UN BOURGEOIS.
INVITÉ.
Antoine, seul.
Antoine est installé devant la boutique du marchand de vin, avec sa boite de décrotteur devant lui ; il est assis sur une chaise au dossier de laquelle est cloué un écriteau portant ces mots : ANTOINE, CIRE LES HOMMES, TOND LES CHIENS ET ACHÈTE LES BOUTEILLES CASSÉES. – AFFRANCHIR !…
Pristi ! pristi !… ça pince ce matin !… dix degrés au-dessous de zéro chez l’ingénieux Chevalier !… le cheval d’Henri IV a le nez rouge ! quel bête de froid ! ma ruine, quoi ! ma ruine ! ni chiens ni chats à tondre… on craindrait de leur-z-y procurer la grippe ! et ce pavé… regardez-moi ce pavé !… pas une miette de crotte ! que sale temps ! (Il se remet à souffler dans ses doigts.) Pristi ! pristi !… que ça pince !
Antoine, Criqueville.
Criqueville arrive de la gauche, il est drapé dans un manteau et s’avance jusqu’à la rampe d’un air sombre.
C’est moi !… je suis venu pour me fiche à l’eau !… ça n’est pas drôle, mais c’est comme ça ! Cet endroit me paraît propice… j’y venais pêcher à la ligne de mon vivant… Allons !
Cirer… monsieur ?
Que le diable l’emporte, celui-là !… il va me gêner… il est capable de me repêcher pour avoir la prime… Bah ! c’est sitôt fait ! (Il ôte son manteau et paraît en pantalon blanc et veste de nankin. – À Antoine.) Mon ami, voulez-vous me faire le plaisir de me garder mon manteau… jusqu’à ce que je revienne ?
Tiens !… monsieur a trop chaud ?
(À part.) C’est tout ce qui me reste de ma garde.
C’est un Russe !
Allons, voilà le moment ! (Il fait quelques pas vers le parapet et s’arrête.) Eh bien, c’est particulier… est-ce que j’aurais la venette ? (Résolûment.) Allons donc ! (Il court vivement vers le parapet et s’arrête.) Ah ! sapristi ! la Seine est prise !… voilà, un guignon ! (Redescendant.) Je ferais peut-être bien d’attendre le dégel ? non… j’ai un moyen… (Allant à Antoine.) L’ami !… eh ! décrotteur !
Cirer… monsieur ?
Non… dis-moi… sais-tu casser la glace ?
S’il vous plaît ?
Criqueville, Antoine, Catiche.
Catiche entre par la gauche précédée d’un commissionnaire qui porte sa malle. – Le jour se fait peu à peu.
Holà ! oh ! l’homme !… un instant !
Allons, bon ! on vient nous déranger !
Monsieur, pourreriez-vous me lire c’t’adresse-là, s’il vous plaît ?
Est-ce que j’ai le temps ! (À part.) C’est vrai, on ne peut pas se noyer tranquillement ! (Haut.) Voyons… donnez ! (Lisant.) « M. Albert de Criqueville… » Tiens ! c’est pour moi !
Ah ! ben… en v’là une chance ! (À Criqueville.) c’est moi ! Catiche !
Catiche ! qu’est-ce que c’est que ça ?
La fille au père Greluche !
Greluche ? de Vauchelles… en Picardie ?
Mais oui ! j’sommes du même endroit ! je suis vot’e payse !… Voulez-vous me permettre ?
Elle l’embrasse.
Volontiers. (À part.) Elle me retarde
C’est une belle coupe de fille ! je suis fâché de ne pas être un peu Picard !
Et qu’est-ce que tu viens faire à Paris ?
Je viens pour être cuisinière… c’est M. l’adjoint qui m’a donné une lettre pour entrer chez vous.
Ah !… c’est une fameuse idée qu’il a eue là, ton adjoint !… Au moins, sais-tu faire la cuisine ?
Je fais un peu l’omelette…
Et après ?
V’là tout !
Comme c’est heureux qu’il y ait des poules !
Alors, vous me prenez ?
Non, je pars… je vais faire un voyage d’agrément !
C’est embêtant tout de même ! je me serais plu chez vous… vous avez l’air gai !
Très gai ! (À part.) Elle me retarde ! (Haut.) Allons, bonjour ! bonjour !
Si j’avais le moyen, je la prendrais, moi !
Je vas continuer mon chemin… j’ai d’autres adresses mais j’aurais mieux aimé vous… parce qu’un pays…
Oui… bon voyage !
Monsieur, voulez-vous me permettre ?
Elle l’embrasse.
Le baiser de l’étrier !
Cristi ! je bisque de ne pas être Picard !
Allons, hue !… en route !
Elle disparaît à droite.
Criqueville, Antoine.
Ah ! monsieur, voilà une belle coupe de fille !
Il ne s’agit pas de ça !… sais-tu casser la glace ?
Qué glace ?
La glace de la rivière !
Tiens ! pardi ! en tapant dessus.
Précisément ! eh bien, fais-moi le plaisir de descendre sur la berge… ici, au-dessous… et de me pratiquer dans la Seine une ouverture de quatre à cinq pieds de diamètres tu sais ce que c’est que le diamètre ?
Tiens ! pardi ! c’est comme qui dirait… le diamètre !
Juste ! va, je te donnerai vingt sous pour ta peine.
Qué drôle de commission ! casser la glace ! (Haut.) C’est-y que vous voulez faire baigner un chien ?
Oui, dépêche-toi !
Tout de suite ! Ah ! s’il vous plaît, monsieur, ayez l’œil sur ma boîte. (À part, sortant.) Mais ousqu’il est donc, son chien ?
Allons ! dans un petit quart d’heure… (Regardant le ciel.) Sapristi ! vont-ils avoir une belle journée aujourd’hui ! (Tout à coup.) Tiens ! c’est Longchamps ! (Regardant sa veste de nankin.) À vrai dire, je n’ai pas la prétention de faire adopter mon costume ! C’est égal… se noyer un vendredi… ça porte malheur !… Voyons donc… si je me payais un jour de plus… un instant ! je ne sais pas si mes moyens me le permettent. (Il tire de l’argent de sa poche.) Vingt-quatre sous ! c’est sec ! et j’en dois vingt à ce savoyard… Dire qu’il y a un an j’avais quarante mille francs à moi ! j’aurais pu me faire quincaillier tout comme un autre… mais, étant bachelier ès lettres… je me suis cru poète !… Me croyant poète, j’ai commis des vers… et généralement, quand on commet des vers, on désire les lire à quelqu’un… Peu de poètes ont le courage du vers solitaire ! J’avais beau dire à mes amis : « Venez donc ! je vous lirai quelque chose de tapé ! » les gueux ne venaient pas ! Alors, je me suis mis à donner des soupers… à truffer mes élégies !… j’eus du monde ! beaucoup de monde ! on me fêta, on me flatta, on me couronna… il y eut même un de ces messieurs qui eut la bonté de trouver que j’avais le profil de Pindare… je lui ai prêté trois cents francs, à celui-là !… et voilà comment je me trouve au bord de l’eau avec vingt-quatre sous dans ma poche… et un violent amour dans le cœur… (Au public.) Car je ne vous ai pas dit… je vais vous le dire ! elle s’appelle Clotilde Renaudier… Figurez-vous l’assemblage de toutes les grâces… (Fouillant à sa poche.) Attendez ! j’ai là cinq cents petits vers qui la dépeignent de pied en cap. (Tirant un papier.) C’est très court ! (Lisant.) « Trois remontages… cinquante-neuf francs. » (Parié.) Tiens ! c’est la note de mon bottier… acquittée ! (Se fouillant.) Où puis-je les avoir fourrés ?
Criqueville, Renaudier, puis Antoine.
Renaudier entrant par le fond à droite.
Où diable y a-t-il une place de fiacres par ici ? (Apercevant Criqueville près de la botte d’Antoine.) Ah ! un Commissionnaire Eh ! l’homme !
Monsieur ?
Monsieur de Criqueville !
Le général Renaudier ! le père de Clotilde !
Que diable faites-vous là ?
Vous le voyez… je me promène…
En costume de planteur ?
C’est aujourd’hui Longchamps.
Quel drôle d’original ! (Haut.) Ah çà ! mon cher, je suis bien aise de vous rencontrer… Vous m’avez écrit il y a trois jours pour me demander la main de ma fille ?…
C’est vrai, général.
Ma première idée fut d’aller vous couper les oreilles.
Comment ?
Et puis j’ai réfléchi que ça pouvait être un poisson d’avril…
Pourquoi un poisson d’avril ?… nous sommes en mars
Dame !… vous n’avez pas de position !
Bachelier ès lettres !
Connais pas ! ce n’est pas que vous me déplaisiez personnellement… au contraire, vous m’allez.
Ah ! général !
Vous m’allez, parce que votre père a servi dans le 7e hussards.
Vous êtes bien bon !
Moi, je sabrais dans le 8e.
Et j’ai eu un oncle qui massacrait dans le 9e.
Certainement… ce sont des titres !… mais je donne cent mille francs de dot à ma fille… où sont les vôtres ?
J’avoue que, pour compléter cette somme, il me manque…
Combien ?
Un léger appoint.
Complétez-vous, mon cher, complétez-vous !
Tout de suite !… je vais m’en occuper !… je suis sorti pour ça !
Je ne vous cache pas que j’ai hâte de marier Clotilde… après l’aventure qui nous est arrivée hier soir…
Quelle aventure ?
Le général Doblin ; mon collègue, donnait un bal travesti… je m’étais mis en Espagnol…
Ah ! ça devait bien vous aller…
Non ! ça me serrait… j’ai mal soupé… En sortant, je laisse ma fille une seconde sous le vestibule pour faire avancer une voiture… je n’avais pas fait dix pas… j’entends un cri… je me retourne… que vois-je ? un masque… une espèce de moine qui cherchait à embrasser Clotilde !
Pristi !
Crebleu ! je saute dessus !… et dame !… je me mets à calotter…
Je m’en rapporte à vous…
Malheureusement, j’avais mon manteau… ça me gênait… le gueux s’esquive…
Et vous n’avez pas reconnu ?
Non… mais je crois que c’est un parfumeur… son mouchoir est resté dans mes mains… et il répand une odeur… que je reconnaîtrais dans cent ans ! (Le lui faisant sentir.) Tenez, flairez-moi ça !
Attendez donc, c’est de l’essence de bergamote !
bergamote ?… bon ! ça rime avec botte !… je ne vous dis que ça !… si jamais je le trouve…
Monsieur, votre trou est prêt !
Quoi ?
Rien !… une commission !
Adieu… ainsi, c’est convenu… ayez cent mille francs… et une place ! ma fille est à vous.
Ah ! il faut aussi une place ?
Oui… et une bonne !
Au fait… il n’en coûte pas plus !
Mais dépêchez-vous… car je me suis formellement promis de la marier avant le jour de sa majorité…
Et ce jour ?
Sonne dans deux mois.
Deux mois ! (Lui tondant la main. – Découragé.) Adieu, général !…
Adieu, mon garçon ; ne restez pas là, en plein air… vous allez vous enrhumer !
Merci !… vous êtes bien bon.
Ah ! c’est de la bergamote !… crelotte !
Il sort en grommelant, par la gauche.